Transition en Haïti, un dossier politique pour la Caricom (2)

(2e partie)

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La Caricom a conduit à la formation d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT)

Dans cette deuxième partie, nous poursuivons le décryptage du dossier politique de la Caricom en Haïti qui a conduit à la formation d’un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) la semaine dernière et que son installation au Palais national demeure problématique jusqu’à maintenant. Tout le monde dans le pays, en effet, était fort surpris d’entendre que les Éminentes Personnalités de la Communauté des Caraïbes annonçaient qu’elles reviendraient à Port-au-Prince dans le cadre des Pourparlers avec des antagonistes de la Transition.

Etonné d’autant plus que cela ne faisait pas plus d’un mois que ces mêmes émissaires avaient laissé le pays sur un troisième échec consécutif après plus d’une semaine de tentative pour convaincre les acteurs politiques à se mettre d’accord sur un hypothétique consensus. Que s’était-il passé ? Et pourquoi les trois anciens Premiers ministres : Dr Kenny D. Anthony (Sainte Lucie), Perry Christie (Bahamas) et Bruce Golding (Jamaïque) avaient-ils décidé de revenir sur place et tenter une nouvelle fois d’arracher un Accord commun avec les acteurs ?

Surtout, qu’est-ce qui faisait croire aux Envoyés spéciaux de la CARICOM qu’ils pourraient réussir là où ils avaient échoué une semaine avant ? Si ces questions demeuraient sans réponse après l’annonce de leur retour dans la capitale haïtienne, pour autant, cette annonce avait suscité beaucoup de débats et particulièrement du scepticisme, dans la mesure où, à aucun moment, les acteurs n’avaient manifesté le moindre relâchement dans ce qu’ils croyaient être la meilleure attitude pour remporter la victoire. La surprise était encore plus grande chez les observateurs politiques qui ne comprenaient vraiment pas ce retour précipité du Groupe d’Éminentes Personnalités, alors même que le document intitulé « Projet cadre de la Transition » qu’ils avaient soumis à l’ensemble des acteurs pour débat après leur départ avait été rejeté dès sa présentation par les principales entités.

Mais, la population était curieuse de voir le résultat de ce quatrième voyage en Haïti de ces Éminentes Personnalités qui semblaient donner plus d’intérêts à la négociation qu’aux acteurs haïtiens eux-mêmes. Ainsi, leur arrivée était annoncée dans le pays pour le mercredi 6 décembre 2023 et devait s’étaler jusqu’au 14 décembre, soit le plus long séjour de ces messieurs à Port-au-Prince depuis la constitution de ce groupe de personnalités de la Communauté caribéenne servant de facilitateurs entre le Premier ministre Ariel Henry, ses amis de l’Accord du 21 décembre, la Société civile, le Secteur des affaires et les autres entités qui constituent les oppositions. Selon ce qui s’était annoncé, le GEP allait venir pour discuter avec les protagonistes de la Transition du document qui, d’après les émissaires, aurait été une formidable ébauche de compromis politique afin de résoudre la crise et déboucher sur un Accord définitif entre le gouvernement et l’opposition plurielle.

Dès le départ, tout au moins dès l’annonce de leur retour, le débat sur le « Projet cadre de la Transition » qui n’a jamais cessé s’était amplifié dans les médias et chaque camp commençait à peaufiner ses arguments. Si les partisans de la première Transition post-Jovenel Moïse voyaient une opportunité dans ce retour précipité pour avancer sur le projet, du côté des oppositions, c’était tout le contraire. La quasi-totalité des leaders de l’opposition plurielle invitée dans la presse ne parlait que d’un document monté au profit de l’ex-locataire de la Primature, puisqu’il avait confirmé le Premier ministre Ariel Henry dans ses fonctions et un « Collège présidentiel avec des prérogatives de pouvoirs exécutifs si possible. » Toute la semaine précédant l’arrivée du Dr Kenny D. Anthony, Perry Christie et Bruce Golding à Port-au-Prince, l’opposition avait démonté pièce par pièce le document démontrant par A+B, selon les responsables politiques, que la CARICOM était en service commandé et que la mission du GEP était de maintenir au pouvoir Ariel Henry et les signataires de l’Accord du 21 décembre.

D’emblée, le Groupe Montana appelait les émissaires à revoir leur copie.

Pour ce groupe, plusieurs points du « Projet cadre de la Transition » méritaient des corrections et s’opposaient carrément à ce qu’il appelle le partage du gâteau. Plusieurs formations de cette Coalition mettaient une fin de non-recevoir à ce texte donnant au préalable 40% de nominations à Ariel Henry sans tenir compte de son groupe, l’Accord du 21 décembre. « Il s’agit d’un pays, pas d’un gâteau, où l’on peut choisir de diviser comme cela nous enchante » estimaient ces leaders. Patrick Joseph, pour sa part, avait vu une manœuvre de la CARICOM pour donner un avantage à l’ancien chef de la Transition avant même que commencèrent les négociations. Faisant partie de l’Accord de Montana, Patrick Joseph estimait aussi que l’élargissement du Haut Conseil de la Transition (HCT) que proposaient les émissaires était trop étendu, il fallait revoir ce point.

Même son de cloche pour l’ancien député Serge Jean-Louis qui croyait qu’aucune solution durable ne pourrait y avoir lieu avec Ariel Henry à la Primature, puisque la situation du pays s’était aggravée depuis les 30 mois du gouvernement de celui-ci. En revanche, des acteurs comme l’ex-sénateur Gérald Gilles – aujourd’hui membre du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) –  se disaient déjà prêts à parapher le document après quelques modifications dont la réduction des membres du Conseil de Transition (CT) qui devait remplacer le HCT qu’avait proposé la CARICOM. « Je suis optimiste à l’idée qu’on va sortir une fois pour toutes de cette impasse politique, qui nous condamne à vivre en boucle les mêmes choses. Je suis prêt à signer le document une fois modifié » avançait Dr Gérald Gilles.

D’autre part, diverses organisations politiques faisant partie d’une cohorte de coalitions annonçaient qu’elles étaient disposées à aller à la discussion et si possible favorables à un accord politique si les conditions étaient réunies. Mais, par avance, ces organisations politiques qui étaient toutes signataires de plusieurs Accords, avaient rejeté le « Projet cadre transitionnel » qui, selon elles, favorisait le maintien de l’équipe de Ariel Henry en place. Ils étaient nombreux les partis politiques qui se sont exprimés ainsi, notamment, OPL, Unir Haïti, Mopod, GREH, PHTK, Lapeh, Pitit Dessalines, tous membres du Collectif du 30 janvier. Les responsables de ces partis soupçonnaient les Éminentes Personnalités de travailler sous l’influence des Etats-Unis qui, de toute évidence, leur dicte la marche à suivre.

C’est dans cette atmosphère polémique que devait arriver les Envoyés spéciaux de la CARICOM, le mercredi 6 décembre 2023. Le lendemain, jeudi 7, la mission devait entamer les discussions avec les acteurs séparément avant de tenter de les réunir dans un tête-à-tête dont l’exercice avait déjà montré ses limites. Comme annoncé, en effet, durant toute une semaine, c’est-à-dire, du jeudi 7 au mercredi 13 décembre 2023, il y a eu un véritable marathon, sinon une course contre la montre, entre les émissaires et l’ensemble des acteurs partie prenante de la crise de la Transition.

Du Secteur privé des affaires au Secteur économique en passant par le reste de la Société civile haïtienne et bien entendu toutes les entités politiques, tous avaient mené des entretiens à l’hôtel Montana où les anciens Premiers ministres Dr Kenny D. Anthony (Sainte Lucie), Perry Christie (Bahamas) et Bruce Golding (Jamaïque) recevaient à la queuleuleu les élites de ce pays dans le but ultime de les porter à signer un document, en vérité, dans lequel seul l’ancien Premier ministre Ariel Henry et les membres de l’Accord du 21 décembre avaient trouvé leur compte. Mais, dans cette affaire, tous les regards étaient tournés vers le Groupe Montana que la Providence voulait que ce fût à l’hôtel éponyme qu’eut lieu les rencontres. En dépit de diverses autres entretiens et tête-à-tête ayant eu lieu avec les Éminentes Personnalités de la CARICOM durant 7 jours et 6 nuits, ce sont les positions du Groupe de Montana et celles des tenants de l’Accord Kabibe qui avaient attiré l’attention. Et pour cause. Ce sont ces deux entités politiques qui représentaient les véritables forces politiques capables de débloquer ou poursuivre la crise politique post-Jovenel Moïse.

Montana qui dispose d’un Bureau chargé des négociations avec l’ensemble des acteurs locaux et internationaux avait désigné cette cellule – Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) – pour porter ses revendications auprès du Groupe d’Éminentes Personnalités et les autres protagonistes durant ce cycle de pourparlers.  C’est le chef de ce BSA, Jacques Ted Saint-Dic, qui était à la manœuvre. D’emblée, il entamait tambour battant les discussions avec les autorités de la CARICOM et le reste des participants. Des discussions qui n’étaient pas allées très loin, puisque, selon Ted Saint-Dic, très vite, il avait remarqué que les convictions des émissaires étaient faites. En clair, ils se positionnaient du côté du Premier ministre Henry en refusant de revenir sur le cas de celui-ci à la tête du pouvoir. Pour Jacques Ted Saint-Dic, ce « Projet de cadre transitionnel pour Haïti » ne s’agit ni plus ni moins que d’un piège. C’est une manœuvre pour empêcher de partir celui que personne ou du moins que très peu d’acteurs politiques en Haïti veulent garder à la Primature.

Dans un long communiqué à la presse après un premier entretien avec les GEP, les Responsables de l’Accord de Montana, à travers leur Bureau de Suivi de l’Accord, avaient donné leur sentiment de ce qui était en train de se passer. « Le Bureau de Suivi de l’Accord Montana estime que cette décision du GPE, sans offrir une ouverture, renforce le point de blocage que représente la présence du Premier ministre dans les discussions, car elle prive les parties prenantes haïtiennes de leur droit de débattre du rôle du Premier ministre de fait dans la solution pour le déblocage de la crise, en suscitant le doute de sa sincérité à faciliter une résolution de la crise haïtienne. Le « Projet de cadre transitionnel pour Haïti » confirme que le Groupe des Personnalités Eminentes s’éloigne de sa mission de facilitateur des négociations entre les parties prenantes haïtiennes. En effet, le GPE présente une proposition fermée qui reflète exclusivement la position d’un acteur pour lequel il prend fait et cause, en ignorant totalement les positions exprimées par d’autres parties prenantes.

Ce document se révèle inacceptable au regard de l’ampleur et de la complexité de la crise que subit le pays. La Communauté internationale, dans l’une de ses composantes la plus proche d’Haïti en regard de l’histoire et de la géographie, a raté encore une fois l’occasion de faire montre de respect de la dignité du peuple haïtien, en se laissant aller à vouloir lui imposer les dirigeants et les solutions de son choix, selon son propre agenda inavoué et inavouable» écrit le BSA dans le communiqué. » Pourtant, malgré la position radicale du Groupe Montana, cela n’avait pas empêché les émissaires de poursuivre les discussions séparément avec les autres acteurs. D’ailleurs, le jeudi 7 décembre 2023, il y avait eu un début de pourparlers avec quelques acteurs en présence de celui qui était toujours Premier ministre, Ariel Henry. Celui-ci y a participé en tout cas. Il avait assisté le 7 décembre à une première séance de discussion en compagnie des membres de son Accord dit 21 décembre sans vraiment prendre la parole. Tandis que le Groupe représentant la Société civile dans ces discussions se disait ouvert à la discussion en prenant acte du document ouvert au débat.

Les 9 membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT)

« Le document vise à faire avancer le prochain round des négociations politiques, tenant compte des efforts formels et informels consentis depuis plusieurs mois. Le document de procédure de négociation proposé par le GEP de la CARICOM répond globalement aux standards d’une négociation » avait confirmé ce groupe de la Société civile la veille des plénières annoncées. En guise d’encouragement ou de pression, selon les points de vue, ce même jeudi 7 décembre, le jour de l’ouverture des pourparlers avec les acteurs, le Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, et le Secrétaire d’Etat adjoint des Etats-Unis pour les Affaires de l’hémisphère occidental, Brian A. Nichol’s, dans un Communiqué et un message sur le compte X disaient apporter tout leur soutien aux efforts des Éminentes Personnalités de la CARICOM en Haïti afin de trouver un compromis entre les différents protagonistes de la Transition.

« Le Secrétaire général exprime son plein soutien aux efforts du Groupe de Personnalités Éminentes de la Caricom et du Bureau intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) pour faciliter des solutions durables et appropriées par les acteurs nationaux à la crise politique en Haïti. Le Secrétaire général est préoccupé par les progrès limités du dialogue inter-haïtien vers une solution politique durable et inclusive pour restaurer les institutions démocratiques du pays. Le Secrétaire général souligne l’importance d’un accord sur la restauration des institutions démocratiques – prévoyant des élections crédibles, participatives et inclusives – pour parvenir à un État de droit et à une sécurité durable. Il appelle l’ensemble des acteurs politiques et des parties prenantes en Haïti à se rassembler et à parvenir en priorité à un large consensus. Le Secrétaire général attend avec intérêt la poursuite des préparatifs en vue du déploiement urgent d’un soutien sécuritaire à la Police nationale d’Haïti, par le biais d’une Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, tel qu’autorisé par la Résolution 2699 (2023) » disait le communiqué de l’ONU.

Par ailleurs, depuis Port-au-Prince, l’ambassade des Etats-Unis donnait lecture du texte publié à Washington par Brian A. Nichol’s sur son compte X dans lequel celui-ci disait soutenir les démarches des anciens chefs de gouvernement Dr Kenny D. Anthony, Perry Christie et Bruce Golding. En effet, on pouvait lire sur le compte du Sous-Secrétaire d’État américain « Les États-Unis félicitent le retour du Groupe des Personnalités Éminentes de la Caricom en Haïti. Nous continuons à soutenir les efforts visant à parvenir à un consensus sur une voie politique à suivre et encourageons toutes les parties prenantes à utiliser cette visite pour faire progresser un dialogue constructif dans l’intérêt du peuple haïtien. » Mais, toutes ces pressions n’étaient suffisantes pour faire plier aucun camp en Haïti. Les uns et les autres avaient résisté à leur façon pour fait échec à cette quatrième mission de la CARICOM à Port-au-Prince. Le samedi 9 décembre, le jour annoncé pour les séances plénières, ça a été un fiasco. Plusieurs acteurs politiques avaient demandé le report de cette séance afin, disaient-ils, de concerter avec leurs bases. Du côté du pouvoir, le Premier ministre, à travers ses représentants, commençait à montrer son agacement devant la volonté des oppositions de faire plier le chef du gouvernement. Finalement, cette première tranche de pourparlers qui aurait dû ouvrir une vraie section de négociation a été annulée.

Durant tous les jours qui ont suivi, les rencontres parallèles se sont poursuivies et diverses mini-séances plénières ont été organisées par les émissaires et différents groupements politiques et des entités clés sur le plan économique et des affaires. Après avoir convaincu tout le monde, surtout les grands porteurs des Accords, les séances plénières s’ouvraient à Montana les lundi 11 et mardi 12 décembre 2023 en présence du Premier ministre, des signataires de l’Accord du 21 décembre, du Groupe Montana représenté par Jacques Ted Saint-Dic au nom du BSA Bureau de Suivi de l’Accord. Mais, coup de théâtre! Dès l’ouverture de ce qui aurait pu être la première grande séance des négociations, Me André Michel, négociateur attitré de l’Accord du 21 décembre et du gouvernement, posait son veto sur le départ éventuel du Premier ministre que réclamait l’opposition plurielle. André Michel ne voulait pas non plus que le Conseil de Transition soit doté de prérogative d’un Pouvoir exécutif par crainte que celui-ci ne se lève un beau jour et renvoie Ariel Henry dans l’hypothèse qu’il resterait en place après un Accord politique commun.

Sans surprise aussi, dès lundi, Jacques Ted Saint-Dic claquait la porte. Le Représentant du Groupe Montana ne voulait pas cautionner la reconduite de Ariel Henry à la tête du pays qui se profilait devant de lui. Dans les médias, il parlait d’escroquerie politique et piège tendu par les GEP et l’Accord de Karibe. Sur radio Vision 2000, invité de Marie Lucie Bonhomme le mardi 12 décembre 2023, il a expliqué les raisons le conduisant à quitter la table des négociations. Tandis que les autres entités de l’opposition, notamment Jean André Victor de MOPOD, expliquaient aussi sur cette même antenne que la CARICOM avait une position partisane. Bref, la grande rencontre plénière avait tourné court.

(A suivre)

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