René Péan: victime imméritée, méconnue, oubliée

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Stoïque, imperturbable, affichant son mépris à la face du peloton d’exécution ! René Péan, se tenait droit, avec le regard impassible de celui qui affronte son destin avec courage.

Ils sont légions ceux et celles qui ont péri durant la féroce et sanglante dictature du psychopathe  François Duvalier. Certains patriotes, révolutionnaires ont choisi la voie armée pour s’attaquer au tyran, au système férocement répressif  et rétrograde qu’il représentait, à sa soldatesque macoutarde dressée pour torturer et tuer. Tels Adrien Sansaricq, Yannick Rigaud, Gérald Brisson, Jacqes Stéphen Alexis, Alix Lamaute, Roger Méhu, Marcel Numa, Louis Drouin, Jérémy Eliazer, pour ne nommer que ceux-là. D’autres sont morts «par erreur»: les familles Benoît et Édeline par exemple, sans oublier les milliers d’individus disparus, morts au Fort Dimanche, aux Casernes Dessalines et ailleurs. victimes de la férocité aveugle, inouïe de la satrapie macoute,

René Péan n’avait jamais voulu affronter physiquement la gente duvaliéro-macoute. Ce n’est pas non plus tout à fait «par erreur» qu’il a été victime de la répression macoutarde. Contrairement aux victimes citées plus haut dont les noms reviennent à l’occasion, soit dans les colonnes de ce journal, soit ailleurs, le nom de René Péan a sombré dans l’oubli depuis ce fatidique16 février 1965 lorsqu’il a été fusillé au Cham de Mars du Cap Haïtien. Hormis les Capois de la génération des années 1960, il est peu probable qu’il y en ait beaucoup à se souvenir de l’exécution à la Numa-Drouin dont fut victime Péan.

René Péan était un entrepreneur de pompes funèbres. Son indépendance d’esprit, sa force de caractère, sa droiture et son franc-parler politique dérangeaient au plus haut point, irritaient, agaçaient   les lèche-culs, serviteurs zélés et aveugles du régime papadoquiste. La nature rebelle, honnête de l’homme constituait un sérieux affront à un pouvoir vecteur de terreur aveugle, n’épargnant ni femmes, ni enfants, ni vieillards.

Or, quelque part, quelqu’un avait décidé, de son propre chef, au nom de la barbarie, de l’intransigeance du culte voué au chef, que René Péan devait mourir. Non pas dans le secret, l’anonymat d’une cellule de prison, mais bien sur la place publique pour que chacun sût le sort réservé à un «camoquin» qui avait peut-être osé défier la tyrannie, défier l’assassin-chef soit directement, soit en des termes à peine voilés. Péan devait être exécuté au vu et au su de tous pour que l’exemple fût donné, pour que chacun sût de quel bois homicide se chauffait le commandant macoute Robert Cox.

René Péan devait mourir parce que le pouvoir macoute l’avait affligé de toutes les accusations possibles, imaginables et inimaginables. Il avait pu être aussi bien un kamoken qu’un pro-castriste en catimini, un loup-garou, une bête de nuit, un délinquant politique avec des pulsions tontonmacouticides, un trotskyste enragé égaré au Cap Haïtien, un fauteur de troubles, un dangereux opposant en puissance, un maoïste en mal d’une quelconque «longue marche» vers le pouvoir présidentiel, un agitateur retranché derrière un professionnel courtois et compétent, bref, un ennemi de Papa Doc, un ennemi de la «révolution» duvaliériste, un ennemi des masses de «l’arrière-pays», un homme à abattre.

En ces temps de mort, de chasse à l’homme, de ténébreuses machinations politiques, d’arrestations sauvages en pleine nuit ou au petit jour, René Péan, comme tant d’autres,  «n’a eu droit ni à la présomption d’innocence ni au jugement d’un tribunal». Il a eu seulement droit à des accusations sans fondement, à des lubies d’un macoute «lourd» jouissant de la confiance du chef, aux dérives mortifères de toute une classe d’hommes et de femmes convertis au culte de la violence papadoco-macoute la plus extrême.

Une violence du genre à se faire abattre dans les conditions et lieux les plus inattendus comme ce fut le cas pour l’ex-député Tony Piquion sauvagement fauché, au beau milieu d’une soirée animée par l’orchestre Septentrional au club Rumba, par une rafale de mitraillette tirée par le redoutable et très redouté tueur macoute Adherbal Lhérisson. Exécution maffieuse du style Don Corleone, Al Capone.

Inutile de dire que l’exécution de René Péan fut le fruit d’une décision scandaleuse et expéditive, par une meute de macoutes en mal de plaire au chef et de satisfaire leurs bas instincts sanguinaires à partir d’accusations nébuleuses, filandreuses, tortueuses, mensongères, crapulardes, fausses, fabriquées, truquées, cyniques, créées de toutes pièces, auxquelles le public n’a donné aucun crédit, malgré les persistantes et fausses allégations véhiculées par un pouvoir n’ayant d’autres points de repère que la violence criminelle. «Aucune démarche auprès des instances judiciaires n’a pu conjurer le destin tragique» de René Péan. Les commandants militaires, commissaires du gouvernement, députés, grands et petits chefs macoutes, n’ont pu ou n’ont rien voulu faire pour épargner à Péan  cette mort affreuse par exécution publique, car tous furent des serviteurs zélés et hommes de main du chef, d’abord préoccupés par la survie du duvaliéro-macoutisme, à tout prix. «La conscience des hommes devient une marchandise qui s’achète à un prix de plus en plus vil», comme l’a écrit son neveu l’économiste et analyste politique, Leslie Péan.

Le16 février 1965, jour de deuil, de ténèbres, d’injustice, de crime s’il en fut, jour de déni au droit de présomption d’innocence et d’une justice impartiale, René Péan, «Stoïque, imperturbable, affichant son mépris à la face du peloton d’exécution ! Dédaigneux du commandant macoute Robert Cox qui lui ficelait les bras au poteau,  René était là, avec le regard impassible de celui qui affronte son destin avec courage. René a occulté la mort avec la même sérénité affichée par Marcel Numa et Louis Drouin Jr, exécutés trois mois avant lui à l’entrée du cimetière de Port-au-Prince». René Péan a été fusillé en plein jour pour avoir été un homme de courage, de principe, attaché à la vérité.

René Péan n’a pas été de cette catégorie militante qui avait voulu en finir par la violence armée avec un régime honni, un tyran haï. Qu’importe! Mais, faisant preuve d’honnêteté, d’indépendance d’esprit, de force de caractère, de droiture, il s’est mis en travers d’un système féroce que de toute façon, seul, et comme bien d’autres il n’aurait jamais pu vaincre. Il est à l’image de milliers d’autres, anonymes, qui ont eu la force d’âme de braver la tyrannie, à leur façon. Paré de la stoïque dignité d’un patriote, René Péan est mort fusillé, auréolé d’honneur et de courage. Il a droit à notre mémoire qui se souvient de lui et de tous les autres tombés au champ d’honneur.

Note
Nous avons découvert René Péan au hasard d’un texte écrit par Leslie Péan en février 2015, pour le 50ème anniversaire de la mort de son oncle fusillé au Champ De Mars du Cap Haïtien, lequel texte a inspiré la rubrique de cette semaine.

 

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