Pour saluer le départ du chanteur progressiste Manno Charlemagne

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Manno Charlemagne

C’est en puisant du terroir culturel, de cette sève venant de la profondeur de notre histoire, constituée de blessures innombrables, de combats multiples, d’affirmations d’une nation opprimée, mais résistante que l’art de Manno a pu prendre naissance. Son grand talent de chansonnier, de musicien, prend sa source dans le génie culturel du peuple haïtien. Bercé très tôt par la musique folklorique, par cette fresque vodoueste enchanteresse, il a su constituer un répertoire aussi riche dans sa forme esthétique que dans la variété de ses expressions.

Mais Manno ne s’arrêta pas là, c’est sans doute ce qui fait son originalité par rapport à d’autres chanteurs de talent de sa génération. Si le travail esthétique est important, il ne constitue pas toute la dimension de l’œuvre. Il y a aussi dans ce bouillonnement de chants populaires, de sonorité, parfois ouverte, parfois timide, insidieuse, subtile, cette tension qui fonde l’espace de la révolte. Manno a su aussi y puiser la veine d’une parole de contestation.  Le peuple se reconnait dans sa chanson, dans son lyrisme, dans ses refrains, dont certains sont de véritables cris de révolte.

Manno n’incarnait pas uniquement le chanteur-rebelle sous le jeanclaudisme ; celui qui a su exprimer en chansons, par la puissance de cette langue créole métaphorique, la situation oppressive de toute une population, il dénonçait également les structures sociales, l’idéologie qui normalise l’exploitation, l’exclusion, l’apartheid. C’est pour cela qu’il dérangeait. S’il se confinait à exprimer dans des airs mélodramatiques, misérabilistes la dictature et les conditions sociales du peuple, ce serait acceptable. Mais ses chansons pointaient du doigt cette bourgeoisie pour laquelle aucune réforme sociale n’est concevable, ces éléments de la classe moyenne en mal de paraitre, d’être, de vedettariat, de fortune facile. Cela n’était pas acceptable et pour plusieurs, il devenait l’homme à abattre, à exclure, à dénoncer.

Ces deux albums, Oganizasyon mondyal et Konviksyon sont une consécration de son engagement politique. Il s’assume comme chanteur progressiste et même révolutionnaire.

Manno n’incarnait pas uniquement le chanteur-rebelle sous le jeanclaudisme ; celui qui a su exprimer en chansons, par la puissance de cette langue créole métaphorique, la situation oppressive de toute une population, il dénonçait également les structures sociales, l’idéologie qui normalise l’exploitation, l’exclusion, l’apartheid.

Au cours des années qui ont suivi la chute de la dictature, dans ce tourbillon de revendications, de révoltes, de tentatives d’organisation, il a su jouer le rôle d’une figure de proue dans la mobilisation. Mais, le sanglant coup d’État de 1991 cassa tout élan véritable de changement social, de structuration d’organisations paysannes, ouvrières et populaires. Le pouvoir charismatique lavalassien s’effondrait, l’opportunisme devenait la norme de tout parti politique.

Son bref passage dans la politique active fit comprendre à Manno que les changements sociaux auxquels il aspirait et pour lesquels il s’est engagé dans ses chansons ne pouvaient se concrétiser dans un État dominé par des puissances étrangères et par des forces réactionnaires.

Son immense talent de chansonnier continuera certainement de marquer la musique engagée haïtienne.

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