Pour combien de temps encore les Haïtiens doivent-ils endurer la présence de Jovenel Moïse et de ses associés au palais national?

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1891
Jovenel Moïse flanqué de certains membres de sa clique de mercenaires

Haïti Liberté est le seul journal qui prône constamment l’urgence et la nécessité d’une forme de Révolution au sein de la société haïtienne. Et encore plus. Car tous les ouvriers et les travailleurs du globe terrestre sont soumis aux mêmes traitements féroces, sauvages, inhumains de la part des tenants impassibles du « Capital ». La lutte pour sortir les populations du Nord et du Sud de la pauvreté et de la misère doit être menée sur une base collective, à l’échelle internationale. D’ailleurs, le grand philosophe de la révolution prolétarienne, Karl Marx, l’a recommandé.

Depuis plus de trois semaines,  le pouvoir haillonneux de Port-au-Prince  multiplie les rencontres au siège de la présidence délinquante dans le but, paraît-il, de dénicher un individu qui soit capable de s’élever à la hauteur des responsabilités et des exigences que requièrent la crise sociale et la situation économique actuelle. Comme toujours, la pseudo-opposition s’est empressée d’ouvrir ses flancs aux mensonges de Jovenel Moïse, de Wilson Laleau, de Guichard Doré, de Reynold Georges, de Lucien Jura… Les valets des pays dominants cherchent à gagner du temps. Tout ce qu’ils peuvent espérer, dans ce climat politique explosif, c’est de voler quelques milliards de gourdes de plus dans les caisses de cet État agonisant avant la nuit lugubre du grand chambardement populaire. Peut-être que ces escrocs, ces mercenaires de la pire espèce, n’auront même pas l’occasion de fuir à l’étranger, de passer la frontière haïtiano-dominicaine avec le « pactole » du crime et de la corruption!

Nous n’avons pas l’habitude de nous plaindre, de pleurnicher, de larmoyer, lorsque nous parlons des souffrances psychologiques et physiques qu’endure la Nation haïtienne depuis plus de deux siècles. Nous dénonçons les colons, les néocolons, les traitres et les lâches. Nous citons, sans trembler, les noms des ennemis de la patrie : ceux-là qui ont fait le serment, qui ont juré de détruire le peuple haïtien, afin de reprendre les terres riches, prospères qu’ils ont volées aux Indiens, après qu’ils les eurent massacrés. Exterminés. Génocidés.

Dans un combat politique, on peut perdre ou gagner. Mais ce qui importe, c’est de regarder ses Bourreaux en face, de les fixer dans les yeux, de leur cracher au visage, si l’on a les mains liées, de leur dire les quatre vérités sans faiblir, et surtout de lutter sans relâche, en utilisant tous les moyens légitimes et proportionnels à la cause que l’on défend. C’est ainsi que les héros  ne disparaissent pas, perdurent, s’éternisent dans la mémoire de l’Humanité.

Aux lecteurs du journal Haïti Liberté, nous offrons un exemple de courage, de bravoure et d’héroïsme d’un groupe de paysans hardis, décidés de « Vivre ou de Mourir » pour la Justice et la Liberté.

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La délégation composée d’un curé de l’église catholique, de quatre Américains, d’un petit contingent de vingt-trois militaires indigènes armés de fusils winchester, de pistolets 38, de colts 45, dont un officier et deux sous-officiers, conduite par le chef de section Orilas Dieumonfils Fortilus pénétra dans La Roche à l’heure où le soleil, confortablement installé dans un ciel serein, s’apprêtait à  distribuer ses tout premiers rayons dans la nature bienveillante. Les jappements nerveux, inhabituels de « Liberté », le chien squelettique qui avait remplacé Pauline auprès d’Espérandieu devenu aveugle, donna l’alerte. Les portes des baraques s’ouvrirent une à une et des silhouettes de vieillards, de femmes et d’enfants encore engourdis par le sommeil apparurent dans les entrebâillements. À cette heure, les hommes du village, ceux-là qui furent en mesure de le faire, c’est-à-dire les bien portants, étaient déjà partis exercer leurs activités journalières : couper des arbres dans la montagne   pour fabriquer du charbon de cuisson, ou concasser des pierres qu’ils chargèrent sur des ânes et des mulets pour remplir les camions à bascule qui attendaient de l’autre côté du ravin asséché qui traça une ligne de frontière entre le nord et le sud, qui marqua l’endroit où finissaient les terrassements qui menèrent à la métropole et où commençaient les sentes tordues qui donnèrent accès aux villages placés sous l’autorité abusive du chef de section Orilas Dieumonfils Fortilus, représentant des Forces armées, le redoutable escroc, voleur de bétail, spoliateur de terres cultivables, champion de concubinage avec trente-six femmes à son palmarès, grand géniteur par excellence, on lui comptait pas moins de soixante-deux enfants dans toute la région dont lui-même en ignorait l’existence de certains, un molosse traitre, un espion baveux au service du gouvernement, une espèce de bourreau de Venise, mais sans état d’âme, un Conzé à sa façon qui avait concocté des arrestations arbitraires et causé des exécutions sommaires parmi les paysans intrépides qui eurent le courage de lui tenir tête, de lui refuser leurs terres, leurs filles, et dont leurs conjointes étaient devenues parfois pour lui des objets irrésistibles de convoitise.  Pierrélus souffla dans le lambi pour alerter les paysans dispersés dans la forêt sauvage. On pouvait les voir qui arrivaient de tous bords. Ils dévalaient la montagne avec leurs instruments et dans leurs habits de travail, pour se retrouver finalement face à face avec les étranges énergumènes guidés par Orilas et ses deux adjoints. D’ailleurs, ce fut le chef de section qui commença à parler  à la petite agglomération qui s’était formée en peu de temps au centre de La Roche.

– Comme vous pouvez le constater, il y a des autorités importantes et des « grands blancs » qui sont venus vous parler aujourd’hui au sujet de l’endroit où vous avez décidé de façon unilatérale de reconstruire La Roche. Le président a besoin de ce lieu pour réaliser des travaux qui seront utiles au pays. Le commandant  Nestor Gracia m’a demandé de les accompagner. C’est lui qui va vous expliquer le plan de l’État pour toute la région…

L’officier, d’une peau couleur de charbon, éclaircit sa gorge, se dressa sur ses talons, comme un coq de basse-cour sur ses ergots, balaya la petite foule clairsemée d’un regard méprisant et arrogant.

– Merci Orilas…! Mesdames, Messieurs, je suis le commandant Nestor Gracia. Je suis chargé de vous transmettre le message du président de la Nation. Les étrangers que nous accompagnons aujourd’hui sont des citoyens des États-Unis d’Amérique. L’État leur a cédé l’emplacement où vous êtes pour qu’ils érigent des installations… dans le cadre de grands projets qui vont faire progresser le pays, créer du travail dans la région, changer les conditions de vie des individus… J’ai reçu les instructions de mes supérieurs en ce sens,  comme quoi de vous dire que le gouvernement vous accorde deux semaines de délai…, donc le temps de vous trouver un autre lieu  pour installer un campement provisoire, en attendant que les autorités puissent vous reloger de manière définitive… Ce sont les « blancs » qui ont découvert ce pays…; les terres leur appartiennent… Nos aïeux  sont venus d’Afrique pour travailler sous la gouverne des Européens qui nous ont montré les chemins de la civilisation. C’est en Afrique que nous avons des droits, pas dans les Caraïbes… Vous avez quinze jours pour déguerpir, sinon c’est la prison qui deviendra le lieu de votre nouvelle demeure… Aucun esprit de révolte, aucun geste de rébellion ne sera toléré…

Le révérend pasteur Joanel, le dos courbé, presque parallèle au sol, penché sur son bâton de chêne, se détacha de l’assemblée pour aller se tenir nez à nez avec le chef militaire arrogant. Ses lèvres ne tremblaient point de peur, le ton de sa voix n’avait rien perdu de son calme et de sa fermeté. Il parlait en gardant l’index de sa main gauche pointé vers le ciel. Le vieux houngan venait se placer à ses côtés. Oracius n’avait pas, lui non plus, échappé aux assauts  de la rigueur du temps contre son corps parcheminé, toujours en dérive dans les intempéries des vicissitudes dont on aurait dit propres à l’existence des misérables. Cette fois, c’en était trop. Tous, ils étaient des miraculés qui avaient réussi à se hisser à bord des pirogues d’une seconde vie, pour continuer à cohabiter dans cette nouvelle La Roche qui leur avait coûté la sueur de leur peau et le sang de leurs veines. Non, ils n’allaient pas courber l’échine, s’agenouiller, se croiser les bras et se laisser déposséder du fruit inestimable de quarante années de dur labeur que représentait La Roche dans leurs mémoires collectives encore vives… Ils avaient consenti à une somme de sacrifices incalculables  pour construire une par une les quelques maisonnettes qui leur permettaient de s’abriter contre le soleil, le vent et  la pluie, de disposer d’une petite habitation où reposer leurs vieux os quand  sonnera l’heure pour chacun, à tour de rôle, d’entreprendre l’inévitable voyage sans retour. Certains d’entre eux avaient vieilli là-bas… Beaucoup y étaient nés… Et plusieurs, enterrés dans le sous-bois… Donc, les entrailles de cette terre poudreuse  et grisâtre gardaient précieusement les cadavres décomposés des membres importants de leurs familles : enfants, pères, mères, frères… Il aurait fallu qu’ils eussent été présents à cet endroit jusqu’à la fin des temps pour fleurir les tombes le jour des morts, faire chanter le libera, allumer les bougies au pied de la grande croix de Baron Samedi, pour ne pas courir le risque d’attirer sur eux les malédictions des « Mystères »… C’en était trop, trop pour le vieux pasteur protestant qui  n’arrivait plus à contenir sa colère. Le religieux nonagénaire avait donc décidé de parler, de mourir et de vivreParler pour vider et soulager son cœur révolté; mourir, pour avoir osé défier les rejetons merdiques, infâmes et redoutables de Lucifer en leur crachant au visage les quatre vérités que, comme on avait coutume de le déclarer à La Roche,  « Cassagnol avait dites au bœuf »; vivre, parce que l’histoire réservait toujours aux martyrs et aux héros un fauteuil de choix au royaume de l’immortalité… L’éclair de la désobéissance zébra durant quelques secondes dans le cerveau lucide du vieil homme, et l’ange de l’héroïsme désespéré et suicidaire vomit des larves brûlantes de la résistance fébrile et contagieuse. De « Vivre pour Mourir », la lutte des Rochois – et pourquoi pas celle de tous les parias de la terre – venait de franchir la dimension transcendantale de « Mourir pour Vivre… »

« Il faut savoir mourir pour sa vérité », disait Guevara… Mais de la mort qui ne tuait pas, qui évitait à l’homme et à la femme la couardise écœurante de la bassesse éhontée, et qui lui décernait de manière posthume la couronne de la gloire immortalisante… De tous les temps, il y eut toujours de ces « morts-là » qui furent demeurés plus « vivants » que les « vivants »…! Paradoxalement, cela pouvait laisser croire que refuser de « mourir » serait se condamner à « mourir »…

Le cœur pantelant du révérend saccadait sa poitrine affaiblie par la maladie. Sa bouche à demi-entrouverte cherchait les phrases opportunes qui connotaient son mépris à l’égard des truands, des mercenaires qui abusaient de leurs pouvoirs pour subjuguer et assujettir les impuissants et les impotents que la « nature » a rejetés et abandonnés. Il faisait penser à Jean le Baptiste devant le cynique Hérode : « Vous n’avez pas le droit de vous mettre avec la femme de votre frère… » Il incarnait Moïse extasié devant la voix mystérieuse qui s’élevait dans le buisson ardent : «Regarde, je te fais Dieu pour le pharaon, et ton frère Aaron sera ton prophète… »  Cependant à Laroche, ce matin-là, il ne s’agissait pas pour les malheureux habitants d’entreprendre un long et nouveau périple vers un Canaan promis à un certain Abraham… Ils ne voulaient pas partir… Mais  rester… L’être humain ne pouvait pas hériter de deux « Canaan » dans une seule et même vie. La Roche symbolisait pour eux le « lieu sacramentel de la promesse divine », et ils se sentaient prêts à affronter la suite… avec sagesse, courage et détermination… L’adage paysan dit : « Que vous parliez, que vous gardiez le silence, le diable vous mangera…! Alors,  choisissez de parler…! Sachez que dans les deux cas, il n’y aura aucun moyen pour vous d’échapper à votre sort…» Néron avait déjà préparé son plan de destruction de Rome. La garde prétorienne affamait depuis longtemps les lions qui devaient dévorer, déchiqueter les martyrs de la cruauté, de l’indécence, de l’infamie et du mensonge… Un monde complètement à l’envers où les victimes et les plaignants devinrent les coupables justiciables, les condamnés et les bagnards, tandis que les criminels et assassins de notoriété se virent traités comme des princes et des innocentés de la compassion insoutenable

Le pasteur protestant et le prêtre « bokor » avaient  marché comme le pape Léon 1er  et le préfet du prétoire Trigetius à la rencontre d’Attila le barbare, pour tenter de le dissuader d’attaquer, de piller et de détruire la ville de Rome. Mais le cœur de l’Attila de La Roche se montra tout à fait incapable du moindre sentiment d’apitoiement…

Le curé du Vatican se tut…Le disciple de Luther et de Calvin explosa…

– Commandant, je vous demande de regarder ces gens en face. Regardez-les, ces hommes presque en guenilles, ces femmes, ces enfants, ces vieillards mal nourris, mal entretenus…! Pensez-vous qu’ils ont la force nécessaire d’aller recommencer une nouvelle existence ailleurs? Réfléchissez un moment! Leur premier village a été détruit par les ouragans. Aucune autorité de l’État n’est venue leur prêter main forte. Ils ont dû se débrouiller eux-mêmes pour se tirer du pétrin. Ils ont défriché cette terre sauvage jour et nuit. Affamés, assoiffés, ils ont travaillé dur, coupé du bois dans la forêt, creusé le sol empierré, planté des poteaux… pour se construire des abris de fortune, en attendant de pouvoir faire mieux. Avec le temps, ils ont réussi à se loger plus ou moins, c’est-à-dire avec un tout petit peu de décence. Aujourd’hui, vous êtes venus leur demander de déguerpir, de tout abandonner, de repartir à l’aventure, sous prétexte que des étrangers veulent occuper cet espace… Le gouvernement de leur pays vous envoie ici pour les persécuter, vous confie la tâche criminelle et ingrate de les chasser de leur habitat, pour faire plaisir à des blancs américains qui ont le projet de construire des usines qui vont détruire le mode de vie de la paysannerie. C’est Jéhovah qui nous a indiqué cet endroit où nous avons planté nos tentes. Lui seul peut nous demander de partir. Il est le Maitre du ciel et de la terre, et c’est en son nom que nous avons pris possession de ce lieu. Les os de nos grands-parents sont enfouis  sous la terre de La Roche. Nous ne nous en irons pas. Il faudra nous assassiner jusqu’au dernier. Nous restons ou nous mourons. De toute façon, nous le sommes déjà depuis longtemps.

Oracius intervint à son tour…

– Commandant, après avoir écouté notre Révérend, je me suis dit qu’il a bien parlé, tellement bien parlé que je devrais me taire, me taire et ne rien y ajouter, car la sagesse qui est en lui a fait entendre la voix de la raison. Puis, j’ai réfléchi et j’ai décidé de me vider le cœur, pour une fois que j’ai l’occasion de le faire. Messieurs, il n’existe pas encore des mots pour exprimer les mauvais moments que nous avons traversés avant et après la disparition de notre village sous les eaux du méchant ouragan. Pourquoi toutes ces tribulations? Nous étions un peuple de pêcheurs et c’est la mer qui nourrissait les hommes, les femmes et les enfants. Nous fabriquions des pirogues et des voiliers et nous allions sur l’océan pour ranger nos nasses et déployer nos filets. Des produits de la pêche, nous en mangions une partie et vendions la portion restante pour acheter de l’huile, du riz, du mais, du petit mil, du hareng saur, des haricots, bref, nous procurer  de tout ce dont nous avions besoin pour nous nourrir. Et puis, de manière subite, il n’y avait pas de poissons en quantité suffisante pour nous permettre de survivre. Tout cela est survenu avant même l’arrivée du cyclone. Là encore, il faut se demander pourquoi? Et ce n’est pas difficile à comprendre. Nous avions finalement remarqué la présence de ces gros bateaux de pêche avec des étrangers à leur bord, peut-être des américains, des canadiens, des japonais, nous ne savions pas au juste, … qui ratissaient le fond de la mer, raflaient tout ce qu’ils y trouvaient : poissons, crabes, homards, crevettes… pour remplir les cales de leurs bâtiments. Nous, petits pêcheurs, nous étions nettement désavantagés par rapport à ces « grands blancs » qui disposaient de tous les moyens pour pêcher en haute mer. Après leurs passages, il nous était impossible d’attraper même un têtard. Aujourd’hui, nous ne vivons plus de la mer, parce que, d’une part, nous sommes trop éloignés de la côte et d’autre part, nos embarcations de pêche ont été toutes détruites par les mauvais temps. Les habitants de La Roche ont essayé de se reconvertir dans d’autres activités quotidiennes pour ne pas disparaître sur la terre. Personne ne pense à nous aider. Nous n’avons plus d’école dans le nouveau village depuis que notre frère Silas (Richard) est retourné chez les siens. Le pasteur ne peut plus apprendre à lire et à écrire aux enfants à cause de sa mauvaise santé. Notre camarade Espérandieu qui assurait la relève est plongé dans l’obscurité. D’autres sont décédés… Malgré tous les problèmes qui nous persécutent, toutes les tracasseries que nous supportons, vous êtes venus nous chasser d’ici, détruire nos cases pour installer des étrangers à La Roche. Aucun de nous qui sommes debout en face de vous n’acceptera de plein gré de partir, de subir cette vilénie. Aucun de nous qui vous regardons en face ne consentira de s’en aller pour laisser la place aux fils des anciens colons que nos pères ont combattus pour se libérer de l’esclavage, je parle de ceux-là qui nous ont  légué cette nation libre, souveraine et indépendante…  Je rejoins notre bon pasteur, lorsqu’il vous a dit que nous sommes disposés à devenir des martyrs pour éviter que notre village tombe entre les mains des étrangers…

Le groupe de paysans frustrés, devenus enragés, incontrôlables, avaient commencé à pousser des cris d’hostilité. Ils parlaient tous ensemble en agitant les bras, criaient des obscénités aux visages des gendarmes, du chef de section et des blancs. Vraisemblablement, ils n’étaient pas disposés à se laisser conduire à l’abattoir sans résister à la meute de lutins. Les chiens aboyaient. Les gosses pleuraient. L’atmosphère ressemblait drôlement à une fournaise ardente. Et pourtant, ce ne fut pas du tout drôle…

Le chef militaire intima l’ordre à l’officier subalterne Stephen Maître de faire reconduire les six américains et le curé catholique qui les accompagnait de l’autre côté du ravin. Il était clair qu’il avait  voulu les protéger, les mettre en lieu sûr avant le déchaînement des orages. Les deux adjoints d’Orilas, Louidor Désir et Josaphat Valméus furent désignés pour accompagner les blancs jusqu’à l’endroit indiqué. Sitôt qu’ils avaient disparu au tournant où les deux petites collines semblaient se donner la main, le commandant Nestor Gracia asséna au malheureux prédicateur un violent coup de pied au bas du ventre. Soulevé dans les airs pendant quelques secondes, le corps du pauvre nonagénaire avait parcouru une bonne distance avant  d’aller se fracasser contre le sol rigide quelques mètres plus loin. Oracius, malgré l’affaissement évident d’un physique qui le rapprochait de plus en plus du royaume invisible des « loas », bondit sur  Nestor. Dans sa jeunesse, il fut le gosse turbulent, intrépide, le coq de la basse-cour, le gamin qui ne se laissait jamais faire, qui prenait la défense des faibles, qui se battait avec une force herculéenne contre des enfants qui avaient presque deux fois son âge…. Oracius n’avait pas mis longtemps à réaliser qu’il n’était plus le lièvre, le champion de la vélocité, mais plutôt la tortue écrasée sous la lourde carapace du temps. Dans cette version de la fable, Le vilain guépard avait remplacé le lièvre et la pauvre tortue s’était métamorphosée en  moustique des marais. Le chef de section Orilas lança violemment son bâton de gaïac. Le sang gicla… Le  houngan s’écroula sur le sol ferme comme un vieil âne crevé. Siliane surgit dans la foule, se précipita, d’abord, en direction du Révérend, puis courut vers Oracius, mais, dans les deux cas, il n’y avait plus rien à faire. Les deux vieillards ne bougeaient plus. Elle retroussa sa robe décolorée, marcha d’un pas décidé en direction de Nestor et d’Orilas. Cependant, avant même qu’elle les eût atteints, le sable étincelant de Nestor lui trancha la carotide. La foule hurla de révolte. Les militaires ouvrirent le feu… La panique se généralisa. Les fils du diable festoyèrent au milieu des pétarades assourdissantes… Le sang vif  forma des affluents et glissa comme des « couleuvres madeleine » sur la terre dure et sèche. Des corps gisaient sans vie, troués comme des passoires. Les militaires sadiques achevaient les victimes qui respiraient encore… La voix du commandant Nestor Gracia résonna comme celle de Lucifer dans les cavernes ardentes de l’enfer.

– Sergent, ordonnez aux soldats d’enlever les cadavres et de les disposer de sorte qu’il y en ait une quantité dans chaque case… Ensuite, mettez-y le feu…! Le ciel nous récompensera d’avoir débarrassé la nature d’un lot de parasites… Exécutez…!

–  À vos ordres mon commandant…!

Puis se tournant vers les hommes en uniforme visiblement nerveux :

– Messieurs, faites ce que le commandant Nestor vous ordonne…!

La Roche brûlait, crachait des flammes comme le Vésuve. Elle était entrée dans l’histoire comme Herculanum, Stabies, Taurania… Les cahutes en bâches, en paille, en panneaux de terre turf se consumaient comme du bois sec jeté au foyer rougissant d’une cheminée géante. Le chef des pyromanes assassins en kaki vert olive quitta tranquillement le sinistre théâtre où venaient de se dérouler les scènes d’horreur, suivi de la horde des malfrats mercenaires, en pensant peut-être à son futur carnage et à ses prochains suppliciés. Derrière les salopards sanguinaires, le village de La Roche était en train de rendre son dernier soupir dans le brasier infernal qui exhalait une odeur suffocante de chair et de sang brûlés… Le chef de section et ses deux adjoints qui avaient eu le temps de revenir sur les lieux du massacre pour y participer au même titre que les autres, marchaient au devant du cortège criminogène… Le groupe marchait à pas de course pour atteindre l’endroit où il fallait traverser le ravin séché. Ils avaient hâte de rejoindre le prélat et les blancs probablement déjà installés dans l’un des cinq véhicules tout terrain qui étaient garés de l’autre côté, au tout début du tronçon qui conduisait à la métropole. Au moment de traverser le ravin, le commandant Nestor Gracia glissa quelques mots à l’oreille de son adjoint Stephen Maître qui en fit autant avec le sergent Timothée. Le sergent prit dix hommes avec lui et demanda au chef de section et à ses deux subalternes de les suivre dans la forêt, sous prétexte que le commandant lui avait chargé de leur confier une mission secrète. Orilas obéit sans  chercher à en savoir davantage. Une fois arrivés dans une petite clairière, les militaires servirent une décharge de fusils au chef de section et à ses valets. Ils laissèrent les corps sur place et rejoignirent le reste de la petite unité. L’officier Stephen Maître les félicita.

– Bon boulot Messieurs…!

Puis il s’en alla se rapporter  lui-même à  son  supérieur  hiérarchique. Le major  Nestor  sourit et lui adressa des propos élogieux à son tour.

– Vous avez tous fait du bon travail aujourd’hui. Votre pays va largement en bénéficier. Le colonel avait dit : « Pas de témoin…! » Il y a des événements qu’il faut occulter de l’histoire, qui doivent échapper aux plumes des journalistes et des historiens… Et l’événement qui s’est déroulé aujourd’hui en est un. Selon ce que j’ai entendu dire, ce misérable village était construit sur un périmètre qui recèle un précieux gisement d’or, peut-être l’un des plus importants qui soient découverts jusqu’à présent au monde. Le gouvernement a le projet de transplanter les paysans de toute cette section communale sur des terres arides localisées dans le nord-ouest.  C’est toute la région qui va être déclarée d’utilité publique.

– Ce qui veut dire que l’on reviendra l’un de ces jours pour forcer les autres à s’en aller. Le traitement que nous avons privilégié pour La Roche risque bien de se répéter dans ces villages. Les populations ne désarmeront pas. Tout semble indiquer qu’ils vont tenter de résister comme leurs compatriotes l’ont fait. Ils ne voudront pas partir comme cela. D’ailleurs, ils peuvent même bénéficier de la solidarité et de l’appui de tous les campagnards et montagnards du pays. Cela ne risque-t-il pas d’embarrasser le gouvernement et de le plonger dans une crise politique? Je le dis comme cela, parce que moi, je suis un soldat; et en tant que soldat, je n’ai pas à discuter des ordres de mes supérieurs…

– Lieutenant Stephen, l’armée n’a pas d’état d’âme. Nous représentons la force au service du pouvoir. Le pouvoir n’a pas de visage. Il change trop  souvent de visage pour en garder un en particulier. Les soldats obéissent et ne discutent pas. Les civils ont toujours tort. Je parle des misérables, de ces vauriens totalement démunis, qui ne possèdent absolument rien, qui enlaidissent le paysage de la société par leur présence indésirable. Les Forces armées ont été crées contre eux, pas pour eux… Notre rôle est de garantir l’ordre, la sécurité des biens, la paix sociale. En un mot, c’est d’empêcher que les parias viennent troubler le sommeil des gens de bien, ceux-là qui investissent leur fortune pour faire fonctionner le pays…

Les deux officiers les plus hauts gradés continuèrent de marcher côte à côte, en tête du peloton des vingt-trois salopards. Le lieutenant Stephen poussa sa   curiosité encore plus loin. Il était anxieux de savoir davantage sur cette affaire qui semblait cacher son visage derrière un « masque de fer ».

– Major Nestor, pour que le Pentagone envoie des hauts gradés de l’armée des États-Unis dans ce trou maudit, il faut vraiment que ce soit dans le cadre d’une mission  capitale. Je  ne  connaissais  pas  l’existence  de  cet  endroit auparavant.

– Mon cher Stephen, la communauté internationale connaît ce pays mieux que nous. Ils détiennent des cartes de trésors importants qui sont enfouis dans le sol. Ils savent exactement quoi chercher et où le chercher. Il paraît que ces idiots montagnards dorment sur des mines de richesses évaluées à des milliards et des milliards de dollars américains sans qu’ils le sachent. Le colonel Tézan a même parlé de la présence de quelque chose comme l’uranium, le plutonium… Je ne sais pas au juste ce que cela signifie, mais il paraît que ce sont des affaires très importantes pour les États-Unis, la France, le Canada, l’Allemagne, l’Angleterre… On s’en est déjà servi pour la fabrication de la bombe atomique… Les puissances étrangères sont très friandes de ces grandes découvertes. En tout cas, c’est ce qu’il a déclaré, le colonel, lorsqu’il m’a parlé dans son bureau de la caserne.

 

Robert Lodimus

(Extrait de Mourir pour Vivre, roman inédit)

 

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