Port-au-Prince, l’oubliée de la Caravane de Jovenel!

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Lancement le 1er mai 2017, du Carnaval ou de la Caravane de Changement dans la localité Lagrange, 5ème section communale de Bocozelle (Saint-Marc) dans le département de l’Artibonite

La perception a toute son importance dans la réalisation et la réussite d’une politique. La preuve est magistralement donnée avec le comportement très dynamique du Président de la République en vue de sortir le pays du sous-développement. Ici, la perception joue deux rôles. L’un très positif et l’autre globalement négatif. Lorsqu’on entend le chef de l’Etat ou ses partisans raconter les exploits accomplis durant la première année de sa présidence, ils donnent la perception qu’il est sur la bonne voie pour résoudre en partie les différents problèmes auxquels le pays fait face. Si on se laisse aller sans regarder de plus près, l’on dirait même que pendant le quinquennat de Jovenel Moïse, Haïti aura un autre visage et ce, au propre comme au figuré. Çà, c’est la bonne perception qu’on a de la politique que mène le  Président avec ce qu’il appelle abondamment : la « Caravane du changement ». Mais il y a la réalité et le visuel qui sont aussi des pistes permettant d’avoir une autre perception de la politique du changement prônée par le pouvoir. Car, en politique il y a justement la perception et les faits. C’est comme dans un conflit armé opposant deux Etats.

Tant que la capitale de l’un d’entre eux n’est pas occupée militairement par l’ennemi, personne ne peut parler de victoire ni de défaite. Alors même que la quasi-totalité du territoire de l’un est sous le contrôle de l’armée adverse. Ceci illustre bien le terme perception qu’on peut avoir d’une personne, d’une chose et particulièrement d’une politique et de l’image envoyée à l’opinion publique. Le Président Jovenel Moïse est dans cette problématique depuis son arrivée à la plus haute fonction de la République. D’emblée et selon certains, sans réfléchir, le chef de l’Etat dit vouloir changer l’image du pays à tous les niveaux. C’est tout à son honneur. Pour marquer sa différence par rapport à ses prédécesseurs, il a décidé de donner la priorité à la campagne. A travers sa « Caravane du Changement » le Président se lance tous azimuts vers l’arrière pays. A travers lui, « Le paysan haïtien » de Paul Moral et « Le pays en dehors » cher au sociologue Gérard Barthélémy sont à l’honneur et reprennent de la couleur. Pour une fois, les pouvoirs publics haïtiens depuis la capitale pensent à eux.

Naturellement, les populations de ces contrées s’en réjouissent et se disent prêtes à élever au rang des dieux ce Président qui délaisse Port-au-Prince pour venir à leur rencontre avec dans ses bagages un tas de promesses. De l’eau potable, de l’électricité, des routes asphaltées ou bétonnées, du Service public (Cartes d’identité, passeports), des usines de transformation, des Micro Parcs industriels, etc sont les biens publics que le Président Jovenel dit vouloir faire rentrer dans la maison de ces laissés-pour-compte, les éternels oubliés de la République de Port-au-Prince et de la République tout court. Avec ce programme, personne ne peut reprocher aux responsables du pouvoir central de vouloir faire de la décentralisation ou tout au moins de la déconcentration une réalité. Surtout si cette politique peut vraiment améliorer la vie quotidienne des habitants de l’arrière pays.

Même si cette politique n’apporte pas encore de fruits, il reste à espérer que d’ici la fin du quinquennat, Jovenel Moïse aura eu raison des sceptiques qui, pour la plupart, sont de bonne foi. Dans la mesure où ils ont déjà vu des dirigeants qui se disaient proches des paysans, mais finalement utilisent ces paysans, juste pour confisquer les fonds de l’Etat à leur profit. Porter un regard attentif vers la province, il n’y a rien d’anormal à cela pourvu que cette politique ne se fasse pas au détriment des grands centres urbains du pays. Dans l’histoire, en Haïti particulièrement, sous des Présidents comme Dumarsais Estimé (1946-1950), Paul Eugène Magloire (1950-1956) et même sous les Duvalier (François et Jean-Claude) (1957-1986), si ces chefs d’Etat étaient des citadins pur sucre, en donnant la priorité surtout à Port-au-Prince, la capitale du pays, avec des programmes d’assainissement et d’embellissement, ils n’ont jamais abandonné pour autant les grandes villes de province à leur sort.

D’ailleurs, après bien des décennies, c’est sous la présidence de ces dirigeants que de nouvelles villes ont été édifiées ou modernisées comme Belladère dans le Plateau central, (Dumarsais Estimé), la ville du Cap-Haïtien, dans le Nord, (Paul Magloire), Cabaret (Duvalier-ville) dans l’Ouest, sous François Duvalier. Que dire de la transformation de la capitale haïtienne en 1949 par le Président Dumarsais Estimé avec l’Exposition universelle à l’occasion du bicentenaire de la fondation de cette cité historique. Les vestiges de l’actuel quartier du bord de mer, qu’on appelle le « Bicentenaire » demeurent comme un défit lancé au passé et aux dirigeants gouvernementaux et municipaux pour témoigner de cette volonté des dirigeants d’hier de vouloir garder Port-au-Prince comme l’une des plus belles capitales du bassin caribéen et des Antilles. D’où notre interrogation sur la perception que veut donner Jovenel Moïse sur sa politique de changement. Peut-on et doit-on abandonner la capitale dans cet état de porcherie et de déchèterie sous prétexte que la campagne doit prendre sa revanche sur la République de Port-au-Prince ? La réponse est naturellement non. Ni l’un ni l’autre ne doivent être victimes d’un mauvais calcul politique.

Cité de Dieu, à Port-au-Prince

Au fait, il n’y a pas que Port-au-Prince qui soit la grande perdante ou l’oubliée de la politique du changement du Président Jovenel Moïse. Il suffit de voir dans quelles conditions les grandes villes (chefs lieux) de département ont passé les fêtes de fin d’année. C’est une honte ! Pas seulement pour les Maires qui, malheureusement, n’ont pas les moyens de leur politique urbaine, mais pour le gouvernement de la République tout entier. La ville du Cap-Haïtien qui fut autrefois la fierté de ses habitants, rejoint Port-au-Prince dans le club très ouvert des villes haïtiennes où immondices et ordures ménagères sont jetées à même les rues. Pas une seule artère de cette cité, la deuxième du pays, n’est épargnée. Toute la ville croule sur des tonnes de déchets comme si le Cap-Haïtien sort tout droit des Cités perdues où les gueux et les chiens errants s’en donnent à cœur joie. Ce n’est certainement pas ces quelques équipements et matériels qui ont été remis à la Mairie du Cap début janvier 2018 qui changeront les choses. Certes, c’est mieux que rien.

Mais tout le monde sait que si l’ancienne capitale coloniale (Cap-Français) se trouve dans cet état d’insalubrité, ce ne sont point quelques matériels si lourds soient-ils qui changeront la donne. Il faut tout simplement une autre politique publique de la ville, comme on dit en France, pour prendre en compte l’ensemble des problématiques de la vie dans les cités urbaines. Il ne suffit pas de faire de la propagande politique avec quelques machines outils entourés de sénateurs et des édiles municipaux qui ne comprennent ou ne savent rien dans la gestion publique urbaine et municipale. Le Cap-Haïtien doit retrouver son aspect d’antan où cette ville fut le joyau et la plus belle d’Haïti avec ses constructions de style parisien. Aujourd’hui, le béton et les bidonvilles ont envahi l’ensemble de la ville où a eu lieu la dernière bataille victorieuse pour notre liberté sur l’obscurantisme et l’esclavagisme.

La ville du Cap-Haïtien qui fut autrefois la fierté de ses habitants, rejoint Port-au-Prince dans le club très ouvert des villes haïtiennes où immondices et ordures ménagères sont jetées à même les rues

Hier, choyé par les touristes internationaux, aujourd’hui ceux qui arrivent péniblement au port de Labadie n’osent plus descendre de leurs paquebots géants sous les conseils de leurs accompagnateurs tant la ville est sale et se transforme en ghetto. Les autres grandes villes du pays présentent le même aspect de désolation et d’abandon. Les Gonaïves, ville historique par excellence où fut écrit l’Acte de l’indépendance et du coup devenue, après la proclamation de l’Etat d’Haïti, le berceau de l’indépendance haïtienne est méconnaissable. Les enfants des Gonaïves aussi ont été humiliés et souillés pendant les fêtes de fin d’année devant des montagnes d’ordures et d’immondices parsemant les rues et avenues de leur ville. Ironie de l’histoire, c’est non loin des champs de fatras que le chef de l’Etat et ses invités Haïtiens et étrangers réunis sur la Place d’Armes ont célébré le 214e année de cette indépendance. Le paradoxe de cette histoire malsaine, c’est dans ce département de l’Artibonite où le Président Jovenel Moïse compte beaucoup d’alliés politiques entre autres Youri Latortue sénateur et ancien Président de l’Assemblée Nationale que le locataire du Palais national avait lancé sa fameuse « Caravane du changement » devant modifier l’image du pays.

Même le Maire des Gonaïves, Neil Latortue propre frère de l’homme fort du département, Youri, lui aussi un allié fidèle du pouvoir, reconnaît que la Caravane a tout simplement oublié de faire escale dans sa ville, vu l’état de salubrité de la cité de l’Amiral haïtien Hammerton Killick qui, pour sauver l’honneur de sa patrie et le sien, préféra se donner la mort en faisant sauter son navire de guerre au lieu de se rendre à l’ennemi. Partout, les chiens errants jouent au ping-pong avec toutes sortes d’ordures ménagères et autres déchets qui disputent les moindres coins et recoins de la cité où le Président Nord Alexis érigea en 1904 le Palais du Centenaire pour célébrer le centenaire de l’indépendance d’Haïti. Aujourd’hui, cet édifice est en ruine par manque de culture historique des dirigeants locaux, mais aussi des autorités centrales qui se souviennent de la valeur symbolique de ce chef lieu de département, la quatrième ville haïtienne, seulement à chaque 1er janvier.

Là aussi, dans le cadre de la « Caravane du changement » des grands travaux doivent être lancés en vue de redorer l’image de cette ville totalement en perdition. La ville des Gonaïves ressemble davantage à un vaisseau fantôme naufragé où les habitants font office de survivants. Il faut un grand plan d’urbanisme et de modernisation de toutes ces villes abandonnées par les autorités centrales alors que les municipalités peinent à joindre les deux bouts. Ces métropoles provinciales doivent entrer dans la politique de la « Caravane du changement » mais avec de vrais projets d’embellissement afin de redonner à ces cités toute leur place dans le changement que prône le pouvoir. Dans le Sud, la ville des Cayes souffre d’une maladie incurable qu’on appelle : inondation à chaque goutte de pluie. En plus, la ville dirigée par l’ancien sénateur Gabriel Fortuné n’a pas échappé à la problématique des détritus qui parsèment les principaux axes de la cité d’Antoine Simon.

Moins que les autres villes, certes, néanmoins dans certains endroits, on n’est pas dépaysé s’agissant de salubrités urbaines. Comme les autres, la ville des Cayes qui est dirigée par un allié du Président de la République n’a pas bénéficié de grand-chose sur le plan d’infrastructures. Il ne faut pas confondre l’asphaltage de quelques rues d’une grande ville à un vrai plan d’urbanisme, d’assainissement et de modernisation. La ville des Cayes, à l’image de ses homologues des autres provinces haïtiennes, est victime du comportement des autorités centrales de Port-au-Prince en matière de gestion publique depuis la fin des années 80. C’est à partir de cette époque justement que la capitale haïtienne tomba dans l’oubli. Depuis la fin de la dictature des Duvalier, tous les gouvernements qui se sont succédé en Haïti n’ont que faire de Port-au-Prince. Bien sûr, il y a eu une tentative sous la première présidence de René Préval avec une opération de replâtrage des places publiques. Mais franchement peut-on dire qu’il y a eu une vraie volonté de reprendre en main la capitale avec un plan de modernisation? Pas vraiment ! D’ailleurs, c’est sous les deux présidences de feu Président Préval que les immondices ont élu domicile à travers les rues de  Port-au-Prince.

L’éclairage public et autres mobiliers urbains ont disparu du paysage métropolitain laissant la place au spectacle immonde du boulevard Jean-Jacques Dessalines communément appelé Grand-rue. Les deux présidences ratées de l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide n’ont pas fait mieux, sinon pire. Quant au Président Michel Martelly, malgré tous les efforts déployés et les tapages médiatiques pour remettre le pays sur le circuit touristique par dessus le marché pour redonner plus de visibilité à Haïti sur le plan international, Port-au-Prince demeura l’enfant mal aimé du régime. Même avec l’organisation des évènements à caractère diplomatique : sommets des chefs d’Etat et de gouvernements de la Caraïbe et autres Carifesta, la capitale n’a jamais fait partie de ses priorités et occupations. Là aussi, il faut rappeler la tentative de rénovation d’une partie de la place du Champ de Mars, mais force est de constater que cela n’a servi à rien. La raison est simple: il ne suffit pas, pour le besoin d’une manifestation éphémère, de se précipiter de colmater la brèche de certains endroits dans une ville pour que l’esthétisme devienne la norme et se pérennise. Il en faut de grands projets et d’ambition d’urbanisme et de modernisation pour que cela soit visible et surtout durable.

Aujourd’hui, le Président Jovenel Moïse ne peut commettre la même erreur que ses prédécesseurs. Il ne peut se permettre de passer cinq longues années au pouvoir pour laisser la capitale dans l’état où il l’avait trouvée. Il dispose déjà d’un socle sur lequel il peut compter pour transformer Port-au-Prince tout au moins lancer les grands travaux de modernisation de la capitale. Il doit intégrer cette ville dont le passé fait envier d’autres villes de la région. La rénovation de Port-au-Prince doit impérativement faire partie de la politique du changement que prône le chef de l’Etat. Il doit intégrer la capitale dans la « Caravane du changement » s’il ne veut pas que celle-ci ne demeure qu’une simple perception, voire un échec même s’il devait obtenir d’énormes succès dans la paysannerie. Sans une prise en main de Port-au-Prince par son administration, il pourra dépenser des milliards de dollars et réussir à électrifier, construire des routes et connecter tout le pays à l’eau courante et potable, sa réussite restera en demie teinte. Port-au-Prince est la porte d’entrée du pays. C’est aussi le miroir dans lequel l’on voit et l’on regarde Haïti.

Cette ville doit avoir une autre image, pas seulement pour elle-même et ses habitants, mais aussi pour le pouvoir qui pourra s’enorgueillir le moment venu d’avoir réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué. C’est une question de visibilité politique plus pour le pouvoir central que les autorités municipales et le Maire Youri Chevry en particulier. En lançant une politique de grands travaux d’assainissement, de reconstruction et de modernisation de la capitale dans le cadre de la « Caravane du changement », le Président Jovenel a tout à gagner. C’est lui qui engrangera tous les crédits, pas le Maire dont tout le monde sait qu’il ne dispose même pas d’un budget municipal pour nettoyer la petite place Sainte Anne. Cette affaire que la mairie de Port-au-Prince ait à sa disposition quelques véhicules depuis le début l’année pour s’occuper de la propreté de la ville est une belle blague. Ici l’on parle de voirie, d’environnement et d’hygiène publique d’une vaste capitale dépassant plusieurs millions d’habitants. Il ne s’agit pas seulement de ramassage des ordures et autres détritus.

C’est l’ensemble de la ville qu’il faut repenser : l’habitat, voirie, égouts, urbanisme, places et jardins publics, monuments, bâtiments publics, etc. Aucune personne raisonnable ne peut admettre que les autorités centrales n’ont rien fait jusqu’à maintenant autour du nouveau Palais de la Cour de cassation. Alors que les Taïwanais ont érigé un élégant bâtiment de style néoclassique comme siège de la Cour de cassation à la place de l’ancien Quartier général de la police de Port-au-Prince sous l’ancien régime. On a du mal à expliquer que le Président Michel Martelly d’abord ensuite Jovenel Moïse puissent laisser l’environnement immédiat de cette superbe construction dans un état aussi dégradé. La place Toussaint Louverture et celle du Marron inconnu sont méconnaissables. Alors que les autorités chargées de la reconstruction et de l’UCLBP devraient intégrer la livraison des travaux avec la réhabilitation de ces deux places publiques faisant face à cet édifice moderne.

Pour tout le monde ces places et le nouveau bâtiment forment un ensemble cohérent de beauté, d’esthétisme et d’aménagement de la ville. De même pour le reste des bâtiments publics en construction dans le quartier. Pour le nouveau Ministère de l’intérieur et des Collectivités Territoriales construit en lieu et place de l’ancienne Direction Générale des Impôts «  DGI » (Contribution), l’on assiste au même spectacle environnemental de mauvais goût. Le bâtiment se lance majestueux dans le ciel bleu de Port-au-Prince au milieu d’un tas d’immondices et fatras à proximité du Palais national en face d’autres grands bâtiments publics en construction. Aucun plan d’aménagement de la ville n’a été prévu, semble-t-il. En tout cas, c’est l’impression qu’on a en regardant le site dédié à la reconstruction. La Mairie de Port-au-Prince n’a aucun droit de regard sur ces constructions, ce qu’on peut comprendre, mais l’aménagement du périmètre devrait être l’affaire de la municipalité en accord avec le gouvernement propriétaire des lieux. En tout cas, si depuis trois décennies il y a eu certains laxismes dans la gestion et l’aménagement de la capitale, l’actuel gouvernement, sous les directives du Président de la République, doit remédier à ces anomalies.

L’Etat ne peut pas laisser perdurer cette situation entrainant la perte de Port-au-Prince. C’est le vrai défi que le Président Jovenel Moïse doit lever dans le cadre de sa politique de « Caravane du changement ». Les chefs lieux de province et la capitale d’Haïti méritent qu’on s’y intéresse de plus près. C’est aussi l’occasion pour le Président Jovenel Moïse de mettre sous les projecteurs le changement qu’il croit nécessaire pour Haïti. Sinon, tous les efforts déployés pour sauver la paysannerie et la campagne haïtienne seraient considérés comme de simple mirage.

 

C.C 

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