« J’ai accepté le choix de l’opposition et de la Société civile pour pouvoir servir mon pays comme Président provisoire de la Transition et de la rupture. » C’est par cette petite phrase que la population haïtienne de l’intérieur et de la Diaspora avait appris dans un court message diffusé sur les réseaux sociaux le dimanche 7 février 2021 que le citoyen Joseph Mécène Jean-Louis, 72 ans, membre de la Cour de cassation, était devenu « Président » de la République. Quelqu’un n’étant pas au fait de la vie politique haïtienne aurait été persuadé que les Haïtiens, sans effusion de sang ni révolte et sans « dechoukaj » avaient remplacé dans le calme le chef de l’Etat en fonction depuis le 7 février 2017.
Afin de donner plus de crédibilité à cette scène surréaliste et confirmer le côté pacifique de la passation du pouvoir à l’équipe de la Transition, une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) rapporta les déclarations suivantes de Me André Michel, l’un des organisateurs de cette affaire : « Nous attendons que Jovenel Moïse quitte le Palais national pour que nous puissions procéder à l’installation de Me Mécène Jean-Louis ». Il n’y a aucun doute pour les non initiés, Haïti, ce pays à la réputation politique tumultueuse, est devenu un pays normal. Pour la première fois de ses deux cent ans d’histoire très mouvementée, une alternance politique n’a été qu’une simple formalité. D’autres peuples du monde étaient prêts à prendre comme modèle cette terre des Caraïbes où, depuis plus de trente cinq ans, il existe une transition qui ne finit pas. Enfin, ils y sont arrivés. Cette fois-ci, c’est la bonne. Les acteurs politiques, la Société civile ont réussi à enterrer leurs haches de guerre afin de permettre que ce pays rentre dans la stabilité politique et dans la modernité socioéconomique.
Le reste du monde s’apprêtait à féliciter le peuple haïtien pour sa maturité politique et son intelligence. Les communiqués de presse des pays « amis » d’Haïti étaient en cours de relecture pour saluer cette performance, ce grand pas vers la démocratie et cette grande victoire sur l’archaïsme politique des Haïtiens quand soudain les responsables du « dossier Haïti » dans les différentes Chancelleries du monde et la population haïtienne en particulier prirent connaissance ce même dimanche 7 février 2021 d’une autre déclaration. Celle-là émanait de Jovenel Moïse : « Mon Administration a reçu du peuple haïtien un mandat constitutionnel de 60 mois. Nous en avons épuisé 48. Les 12 prochains mois seront consacrés à la réforme du secteur de l’énergie, la réalisation du référendum et l’organisation des élections. Pour marquer le 4ème anniversaire de mon quinquennat – qui prend fin le 7 février 2022 – je m’adresserai à la Nation, ce dimanche à partir de 3h PM sur Facebook et sur plusieurs autres plateformes en ligne, pour présenter au peuple haïtien le bilan de l’An IV de mon Administration. »
Y-a-t-il deux Présidents de la République en Haïti ?
Avec cette affirmation de l’occupant du Palais national qui n’a nullement l’intention de céder sa place, le monde s’est écroulé. C’est comme si la vie s’était arrêtée. Et l’on commence à se questionner. Ha bon! Toute cette histoire n’était qu’une fable! Une mauvaise plaisanterie ! Il n’y aura pas d’installation d’un nouveau Président au Palais national. Et Jean Louis Mécène alors ! C’est qui ? Un farceur ! Un petit plaisantin ! Il est où ? Y-a-t-il deux Présidents de la République en Haïti ? C’est un Gérard Gourgue bis ? La farce continue ou quoi ? C’est à un flot de questionnements de ce genre que le pays fait face depuis le 7 février 2021. Jusqu’à présentement, personne n’est en mesure de donner la moindre réponse à aucune de ces questions. Dans la mesure où même ceux ayant été à l’origine de la nomination de Me Joseph Mécène Jean-Louis comme « Président » ne semblent capable d’éclairer la population sur la suite du processus. Et cette attitude nous conduit à la seule question qui vaille vraiment. L’opération avait-elle été préparée ? En clair, l’opposition plurielle croyait-elle sincèrement à la réussite de cette opération politique ? Enfin, s’agissait-il d’une simple opération de communication de l’opposition dont le but ultime était d’attirer le projecteur sur elle ce jour-J du 7 février 2021 ?
Car, personne ne peut imaginer que les adversaires politiques du Président Jovenel Moïse étaient arrivés à la même conclusion que l’opposition du temps d’Aristide, dont le seul moyen de le faire quitter la présidence haïtienne était de nommer un « Président fantôme », ce qui n’a rien à voir avec un « Shadow cabinet » ou « Cabinet fantôme » de l’opposition anglaise qui lui, fait partie intégrante du système et des institutions politiques Britanniques. En effet, ce fut le cas en 2001 avec la nomination de Me Gérard Gourgue comme « Président » de la Transition pour succéder symboliquement au Président lavalas, Jean-Bertrand Aristide. Si tel en est le cas, cela signifierait que l’opposition politique en Haïti depuis 2004 n’a guère évolué. Et malheureusement, certains ont la ferme certitude que c’est le cas. Et pour cause. Cela fait trois mois que Me Joseph Mécène Jean-Louis a été nommé « Président » de la Transition. Depuis cette date, à part quelques rares proches de son « Excellence », personne ne l’a rencontré chez lui ni dans un bâtiment lui servant de Palais en attendant son installation qui serait, selon certains responsables cautionnant sa « présidence », imminente.
Pire, la population guette son cortège traversant à vive allure les rues de la capitale soit pour se rendre à son bureau présidentiel soit pour rentrer chez lui après une longue journée de travail passée à trouver des solutions aux multiples maux rendant la République instable, incertaine et ingouvernable. Me Joseph Mécène Jean-Louis est introuvable depuis ce fameux 7 février 2021, le jour où son destin a basculé en devenant le « Président » de la Transition. Peu loquace avant son entrée en politique et surtout avant qu’il soit propulsé « Président » de la République par Me André Michel et ses amis, même en étant membre de la Cour de cassation, l’élu de l’opposition reste silencieux comme une carpe. C’est silence radio. Certains disent qu’il se terre sur sa terre natale de l’Artibonite, histoire de se protéger des sbires et des francs limiers de l’ANI (Agence Nationale de l’Intelligence) qui le traquent partout afin de le livrer pieds et poings liés à celui qu’il a voulu remplacer avant l’heure.
D’autres, au contraire, plus méchants, plaident plutôt pour une maladie qui l’empêche de se présenter devant la population qui aurait aimé, au moins l’entendre, expliquer comment il compte s’y prendre pour résoudre le « cas » Jovenel. Mais, étant devenu « Président » de la République, les paroles de l’ex-membre de la plus haute juridiction judiciaire haïtienne se font rares, sinon, totalement censurées par les faiseurs de « Rois » du Secteur Démocratique et Populaire (SDP). Il faut dire aussi que les flots de discours, menaces, annonces et déclarations sur tous les sujets de son « prédécesseur », un certain… Jovenel Moïse, ne laissent aucune prise à l’opposition en général. Joseph Mécène Jean-Louis, ne répond plus donc. En tout et pour tout, depuis son arrivée à la tête du pays… de manière symbolique, il y a eu ce fameux discours du 7 février dans lequel il proclame sa foi et sa reconnaissance à l’opposition et c’est tout. Après ce discours mémorable que les mauvaises langues qualifient d’anthologie, le pays, enfin quelques initiés à Internet, ont eu droit à une sorte de déclaration à la nation mi-février. Déclaration selon laquelle, le « Président » du 7 février 2021 devait annoncer quelques grandes mesures qu’il compte prendre pour le pays dès que ce serait possible.
Sauf que, depuis, plus rien. Joseph Mécène Jean-Louis ne donne plus signe de vie. Muré dans son silence, il laisse le champ libre à Jovenel Moïse de continuer à présider le pays à sa place. Aucune sortie symbolique. Aucune attaque politique contre l’actuel occupant du Palais national. Aucune intervention publique ou condamnation des actes de kidnapping et des gangs armés du « Village de Dieu » qui tiennent en échec les brigades spécialisées de la police nationale intervention après intervention. Même pas un mot pour les familles des 5 policiers sauvagement assassinés par le gang « Izo 5 » le 12 mars 2021. Sans doute tétanisé et abasourdi par la décision du Président Jovenel Moïse de le mettre d’office à la retraite en compagnie de deux de ses collègues que sont : Yvickel Dabrésil et Wendell Coq Thélot, tous ayant des ambitions présidentielles. Bref, le « Président » de la Transition n’existe pas.
En tout cas, pas pour Haïti. Ce n’était qu’un coup de bluff de l’opposition qui a réédité le coup de la Convergence Démocratique et du Groupe des 184 de Andy Apaid Jr. Mais, tout le monde sait que l’affaire s’était terminée en eau de boudin après la chute du Président Jean-Bertrand Aristide et l’arrivée du tandem Boniface Alexandre et Gérard Latortue à la tête du gouvernement intérimaire. Jusqu’à sa disparation, il y a quelques mois, Me Gérard Gourgue ne s’était pas relevé de cette manipulation politique. Pourtant, l’homme était un très grand professeur de droit et fervent défenseur des droits de l’homme. Trois mois après sa nomination, Joseph Mécène Jean-Louis n’a toujours pas nommé son Premier ministre encore moins le gouvernement de transition selon l’« Accord Terrasse Garden » signé par la quasi-totalité des Partis politiques de l’opposition plurielle quelques heures avant sa nomination. Pas de bureau connu du grand public, sans Secrétariat officiel, fonctionnant dans la discrétion la plus absolue, le « Président » de la Transition, devons-nous dire du « Secteur Démocratique et Populaire » (SDP), est victime de la guerre fratricide que mènent les oppositions entre elles. Selon des sources proches de divers secteurs de l’opposition, le Président de la République S.E.M. Joseph Mécène Jean-Louis est totalement isolé.
le juge Yvickel Dabrésil s’est fourvoyé avec un autre groupe plus pressé de partir à l’aventure avec son histoire de coup d’Etat et s’est donc disqualifié de lui-même.
Quasiment privé de liberté. Il n’a pratiquement aucun contact avec l’extérieur et aucun chef de l’opposition. Le pire, personne parmi les leaders de l’opposition plurielle ne cherche à le rencontrer. Sauf, bien évidemment, ceux qui l’ont mis dans ce pétrin dont il ne sait comment s’en sortir. Selon certains dirigeants des partis les plus modérés de l’opposition qui, dès le début de cette farce, avaient pris leur distance, la nomination de Me Joseph Mécène Jean-Louis à la place de Me Wendell Coq Thélot qui a toujours été la préférée de divers secteurs de l’opposition vient compliquer davantage la lutte contre le Président Jovenel Moïse. En effet, ce n’est un secret de polichinelle, Me André Michel a tout simplement doublé les autres leaders de l’opposition plurielle qui avaient donné pratiquement à l’unanimité leur accord pour la nomination de Me Wendell Coq Thélot. D’après ces modérés, il y avait, en fait, trois magistrats de la Cour de cassation sur la liste : Wendell Coq Thélot, Yvickel Dabrésil et Joseph Mécène Jean-Louis.
Mais, tout le monde savait que cela devait se jouer entre Wendell Coq Thélot qui se détacherait du lot et Yvickel Dabrésil, l’actuel « Président » de la Transition n’était là juste pour avoir le quorum disent-ils. Mais, le juge Yvickel Dabrésil s’est fourvoyé avec un autre groupe plus pressé de partir à l’aventure avec son histoire de coup d’Etat et s’est donc disqualifié de lui-même. Il restait finalement en lice deux magistrats : la favorite de toujours, l’éternelle présidentiable madame Wendell Coq Thélot et Me Joseph Mécène Jean-Louis pour faire plaisir à Me André Michel. L’équipe du Secteur Démocratique et Populaire, surtout Me André Michel qui n’a pas d’emprise sur la chouchoute d’un très large secteur de l’opposition a préféré précipiter les évènements en organisant, sans l’avis ou l’accord des autres membres du fameux « Accord Terrasse Garden », le simulacre qui a été diffusé sur les réseaux sociaux le 7 février 2021 avec un Joseph Mécène Jean-Louis méconnaissable, fatigué, presque sénile et malade selon certains responsables de l’opposition.
Mais, sans désavouer publiquement la trahison pour ne pas affaiblir davantage l’opposition et surtout pour ne pas donner du grain à moudre aux partisans du pouvoir et à la Communauté internationale, ils font semblant de cautionner l’affaire tout en restant loin, très loin de ce « Président » qui sent le souffre. D’où leur silence aussi sur l’affaire et très peu de considération qu’ils font de ce « Président » devenu plus qu’encombrant pour la cause que de pouvoir aider l’opposition plurielle à pousser le Président Jovenel Moïse hors des murs du Palais national ou les aider à prendre de l’ascendance sur le régime PHTK. En tout cas, depuis la nomination du « Président » S.E.M. Joseph Mécène Jean-Louis à la tête de la Transition, il y a déjà trois mois, le moins que l’on puisse dire c’est que ni sa personnalité ni son charisme ne jouent en sa faveur et non plus pour l’ensemble de l’opposition qui, en désespoir de cause, attend toujours le bon timing pour l’installer de manière effective au Palais national.
C.C