Le projet d’occupation effective d’Haïti présenté par Daniel Lewis Foote a été mis en sommeil au début de l’année 2022, le temps que Washington observe l’évolution de la crise et la capacité des acteurs locaux à trouver un consensus pour la Transition. Du coup, l’Envoyé spécial de la Maison Blanche jeta l’éponge et donna sa démission avec fracas au Président Joe Biden. Cela dit, Foote n’a jamais abandonné l’idée ni l’espoir d’une occupation d’Haïti par les Etats-Unis. Car, selon lui, c’est la seule façon de trouver une solution durable aux crises politiques à répétition dans ce pays. Daniel Foote qui demeure, paraît-il, très écouté et influent dans le milieu politique de la capitale américaine et même au-delà de Washington, poursuit donc, même après sa démission, sa campagne pour l’envoi des militaires et une prise en charge des affaires haïtiennes.
Ainsi, pas un mois ne se passe sans qu’il ne revienne sur le dossier haïtien même si, officiellement, il ne s’en occupe plus. Il trouve toujours une occasion pour tacler son ennemi intime, le Premier ministre de facto, Ariel Henry, dont il est persuadé qu’il est un nullard de première dans le domaine politique. Daniel Foote, dans ses Tweets, ne l’appelle jamais Premier ministre sans rajouter « de facto » puisqu’il est convaincu que Ariel Henry n’a aucune légitimité pour rester en solitaire à la tête du Pouvoir exécutif. L’ex-Envoyé spécial, Daniel Lewis Foote, est très proche de l’Accord du 30 août dit de Montana. Il croit que c’est la meilleure alternative au pouvoir en place et ses alliés de l’Accord du 11 septembre ou de Musseau même s’il a toujours souhaité, puisque c’est le vœu de Washington, qu’une fusion s’opère entre les deux entités afin de sortir le pays du chaos politique dans lequel il est plongé depuis plus d’une année. Mais, il n’en démord pas : Ariel Henry ne doit pas en faire partie.
D’ailleurs, après l’appel pathétique de celui-ci à la Communauté internationale le mercredi 5 octobre 2022 de venir en aide à Haïti en sollicitant l’envoi d’une « Force spécialisée armée », en clair une force d’intervention militaire étrangère, donc une force d’occupation, l’ancien Envoyé spécial en Haïti s’est précipité sur son smartphone pour dire dans un Tweet son hostilité à ce que Ariel Henry prétende rester à la tête du pays dans le cadre d’une occupation militaire. Il estime « Qu’une force militaire envoyée en Haïti pour combattre les gangs avec Ariel Henry toujours au pouvoir à la Primature serait lourde de conséquence. Car, cette force va faire la guerre contre la population vu qu’elle ne veut plus voir Ariel Henry à la tête du pays ». Ce qui est vrai au demeurant dans la mesure où les manifestations populaires et les actes de pillages enregistrés depuis le début du soulèvement n’ont qu’un objectif : la chute du régime en place, donc du Premier ministre de facto, Ariel Henry. En tout cas, le temps, les circonstances et les faits ont fini par lui donner raison puisque, des mois après, Helen La Lime a, elle aussi, fini par reconnaître que son poulain Ariel Henry a échoué puisqu’elle l’a autorisé à solliciter la Communauté internationale pour lui envoyer des troupes.
Demeure maintenant la place, le rôle ou le sort d’Ariel Henry et son gouvernement dans le dispositif c’est-à-dire, l’arrivée des « Bottes » à Port-au-Prince dans les jours prochains. Helen La Lime pourra-t-elle le garder à la tête du gouvernement ? A-t-elle déjà négocié avec Washington pour son maintien au pouvoir ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, sur un point, Daniel Lewis Foote a gagné, tout au moins, la première manche. Puisque le gouvernement américain dit examiner la demande de son homologue d’Haïti pour l’envoi d’une assistance internationale de sécurité. Normalement, les choses devraient aller très rapidement. Puisque d’autres pays mettent la pression sur Washington pour répondre très vite à ce SOS des dirigeants haïtiens. Selon l’ambassadeur du Canada, un pays qui devrait selon toute vraisemblance envoyer avec d’autres pays comme la France des troupes aux côtés des Etats-Unis qui assureraient logiquement le leadership, en tout cas, c’est le souhait du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui croit qu’il y a urgence.
« Le Secrétaire général exhorte la Communauté internationale, y compris les membres du Conseil de sécurité, à examiner d’urgence la demande du gouvernement haïtien concernant le déploiement immédiat d’une force armée internationale spécialisée pour faire face à la crise humanitaire, notamment en assurant la libre circulation de l’eau, du carburant, de la nourriture et des fournitures médicales depuis les principaux ports et aéroports jusqu’aux communautés et aux établissements de soins. Le Secrétaire général a soumis aujourd’hui (9 octobre 2022) au Conseil de sécurité une lettre présentant des options pour un soutien renforcé à la sécurité en Haïti, comme demandé par le Conseil dans sa résolution 2645 (2022) » a rapporté Stéphane Dujarric, Porte-parole du Secrétaire général de l’ONU. D’autre part, d’après l’ambassadeur Sébastien Carrière « La situation est urgente. Je ne pense pas que l’on puisse se payer le luxe de grands débats de salon sur ce qui s’en vient dans les six ou douze prochains mois. Je pense qu’il faut penser aux six ou douze prochaines heures…» disait-il.
Tandis que le Département d’Etat américain, dans une note, demande au personnel diplomatique et aux membres de leur famille de quitter Port-au-Prince à compter du vendredi 7 octobre 2022. Alors que d’un autre côté, c’est l’ambassade qui exhorte les citoyens américains à quitter tout de suite Haïti suite à la situation actuelle en matière de santé, de sécurité et des problèmes d’infrastructures. Le lendemain même de la demande d’une assistance militaire et le jour même de la signature par le gouvernement au complet de la Résolution prise en Conseil des ministres le jeudi 6 octobre 2022, donnant mandat au chef du Pouvoir exécutif de : 1-« Solliciter et obtenir des partenaires internationaux d’Haïti un support effectif par le déploiement immédiat d’une force spécialisée armée en quantité suffisante pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire causée, entre autres, par l’insécurité résultant des actions criminelles des gangs armés et leurs commanditaires ».
2- « Parvenir rapidement à un climat sécuritaire devant permettre de lutter efficacement contre le choléra, de favoriser la reprise de la distribution du carburant et de l’eau potable à travers le pays. Le fonctionnement des hôpitaux, le redémarrage des activités économiques, la libre circulation des personnes et des biens et la réouverture des écoles ». A ce moment précis, une réunion était tenue sur Haïti avec les principaux acteurs internationaux impliqués dans cette affaire d’envoyer de troupes sur place. En effet, entre le Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, Jean Généus, Ministre haïtien des Affaires Etrangères, Antony Blinken, Secrétaire d’Etat américain et Mélanie Joly, Ministre des Affaires étrangères du Canada, il s’est tenu une rencontre le jeudi 6 octobre 2022 au cours de laquelle le chef de la diplomatie américaine a déclaré que le gouvernement haïtien doit déterminer clairement les caractéristiques de forces de sécurité internationale dont il a besoin. Dans un Tweet toujours ce 6 octobre, Luis Almagro a tenu les mêmes propos que Antony Blinken : Haïti doit préciser la nature des forces de sécurité qu’il réclame.
Mais, on le sait tous, ces déclarations sont de pure forme dans la mesure où cela faisait longtemps que les dirigeants haïtiens ne sont plus dans le coup. Ils ne font que répéter et appliquer exactement ce qu’on leur demande. De toute façon, à partir du moment où la demande avait été faite et publiée de manière officielle dans Le Moniteur, le journal officiel de la République, le vendredi 9 octobre 2022, ce qui est d’ailleurs une première dans l’histoire d’Haïti, les dés et le sort d’Haïti étaient jetés. Ce geste signifiait tout simplement une abdication des autorités haïtiennes devant leurs responsabilités et que dorénavant l’occupation étrangère effective était une question de jours ou de semaines comme l’avait dit l’ambassadeur canadien à Port-au-Prince. Cent sept ans après la première occupation américaine du pays, les dirigeants haïtiens, en 2022, ont osé jeter en pâture la souveraineté et l’indépendance d’Haïti acquises au prix du sang de nos ancêtres. Une très large partie de la Société civile, à l’image du Professeur Rosny Desroches, Directeur exécutif de l’Initiative de Société Civile (ISC) et de l’historien Georges Michel se porte en soutien au locataire de la Primature.
Le premier, Rosny Desroches défend l’intervention d’une force armée étrangère en Haïti en expliquant que : « Cette intervention ne sera pas une nouvelle force d’occupation et souhaite que les objectifs et les TDR (Termes de Référence) de cette mission soient clairement définis ». Tandis que le second, l’historien Georges Michel estime que : « La situation à laquelle nous faisons face semble beaucoup plus grave que celle que nous avons vécu en 1914-1915. Il y avait des gangs que l’on appelait Cacos, ils étaient en province. Ils entraient à Port-au-Prince périodiquement pour semer le trouble en installant des gouvernements et en renversant d’autres. Aujourd’hui, les gangs sont au sein même de la capitale. La première occupation, que l’on soit pour ou contre, a pacifié le pays pendant 60 ans. Après leur départ en 1934, ils ont laissé un outil pour empêcher le retour de nos troubles sécuritaires, la Garde d’Haïti transformée en Forces Armées d’Haïti. » Quant à l’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité Publique de Michel Martelly, Michel Brunache, il ne fait qu’encourager la venue de cette assistance militaire internationale. « Ce ne sera pas une occupation étrangère. C’est une intervention pour une action urgente et ponctuelle pour assister Haïti » dit il.
Par ailleurs, l’ex-ministre de la Justice estime que le gouvernement d’Ariel Henry a échoué lamentablement dans sa mission d’assurer la sécurité de la population, de fait, sa démission est nécessaire, selon lui. Le lundi 24 octobre, sur une radio de la capitale, Michel Brunache juge que « Nous sommes dans une situation où l’Etat est effondré. Il perd le contrôle du territoire au fur et à mesure, au profit des bandes armées. Ceux qui critiquent la demande estiment qu’une présence militaire étrangère en Haïti sera là pour appuyer l’équipe au pouvoir. Mais tous les citoyens honnêtes sont d’accord que le pays ne peut résoudre tout seul ce problème sans recourir à une aide. On a besoin de la solidarité internationale pour nous aider à colmater les brèches. Ceux qui s’opposent à la demande ne le font pas par nationalisme pur et dur mais par opportunisme politique. La société haïtienne a besoin de cette assistance pour pouvoir respirer et reprendre son destin en main » affirme-t-il.
Enfin, le Secteur socioéconomique, entre autres, l’Association des Industries d’Haïti (ADIH), la Chambre Américaine de Commerce (AmCham), la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH), la Chambre de Commerce et d’Industrie haïtiano-canadienne (CCIHC) et l’Association Touristique d’Haïti (ATH), le souhaitait aussi lorsque les Représentants de ce Secteur déclarent : « Dans ce contexte lugubre, ces associations patronales comprennent et supportent la décision difficile, mais responsable, du Gouvernement demandant une forme de support humanitaire robuste aux amis de la Communauté internationale, pour permettre un retour vers une société de droit, lorsque la PNH n’a pas, malgré tous ses efforts, pu faire face seule aux actions destructrices des gangs armés. Elles ont tenu à noter que l’heure est grave et que ce support humanitaire est plus qu’urgent pour la survie de la population haïtienne tout entière ». Cette note conjointe portant les signatures du Président de chaque entité respective : Wilhelm Lemke, Président de l’Association des industries d’Haïti (ADIH); Jean-Philippe Boisson, Président de la Chambre Américaine de Commerce en Haïti (AmCham Haïti), de Laurent Saint-Cyr, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie d’Haïti (CCIH), de Raina Forbin, Président de l’Association Touristique d’Haïti (ATH) et de Michelle Mourra, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie haïtiano-canadienne (CCIHC).
Bref, certains en ont rêvé, ils l’ont fait ! Ils, ce sont les 18 ministres de la Transition qui, à l’unisson avec leur chef Dr Ariel Henry, ont appelé les « blancs » à débarquer. Les vœux de l’ex-ambassadrice Pamela Ann White à Port-au-Prince sont donc exaucés : les « bottes » sont à pied d’œuvre. Puisque, depuis le mercredi 12 octobre 2022, un navire de la United States Coast Guard (USCG) de l’armée américaine patrouille dans les rades de Port-au-Prince. Selon un responsable du Conseil national de sécurité américain : « En signe supplémentaire de détermination et de soutien au peuple haïtien, les Garde-côtes américains ont déployé l’un de leur grand patrouilleur au large de Port-au-Prince, en Haïti, à la demande du gouvernement haïtien et en étroite coordination avec le Département d’État ».
(Fin)