La nouvelle transition politique n’est même pas encore entrée dans le vif du sujet, l’on commence déjà à s’y perdre en route. Et certains commencent à se demander jusqu’où ira cette plaisanterie alors même que les Haïtiens attendent avec impatience la fin des travaux de ce tunnel commencé il y a plus de 35 longues années. Déjà, avant l’assassinat du Président Jovenel Moïse en juillet 2021, personne n’était en mesure de dire combien il y a eu d’accords politiques signés entre les oppositions dans la perspective, justement, de cette nouvelle transition qui était inévitable. Jusqu’au bout, ou du moins, jusqu’à la disparition du chef de l’Etat, aucun des accords n’a été respecté ou tenu jusqu’à aujourd’hui. Après le 7 juillet 2021, il fallait tout reprendre à zéro. En catastrophe, les frères ennemis de l’ex-opposition allaient vite chapoter diverses structures en vue de trouver un consensus pour s’emparer du pouvoir.
Dans cette guerre des accords, on note les trois principaux, à savoir : l’Accord du 30 août dit de Montana, celui du 11 septembre dit de la Primature et enfin le PEN (Protocole d’Entente Nationale), piloté en sous-main par le Président du Sénat, Joseph Lambert. Tous les autres, les petits, sont noyés dans la masse. Les signataires de ces petits accords, pour ne pas rester derrière la porte pendant que les grands conçoivent plans sur plans avec l’International pour sauver Haïti ou pour se faire une place au soleil dans la Transition de rupture, un à un, tous ont intégré les différents accords qui ont pignon sur rue avec l’espoir d’être à côté de la table. Sauf que, dans cette compétition, les plus malins ou plus intrépides ont eu le temps d’accaparer les premiers rangs et de jouer le beau rôle. Tel est le cas des signataires de l’accord du 11 septembre sous la houlette d’un Ariel Henry dont la providence a fait qu’il était au bon endroit au bon moment. Impossible donc de se passer de lui pour arriver plus loin, c’est-à-dire, au-delà des portes de la présidence haïtienne ou de la Primature.
Avec son titre de Premier ministre a.i, Ariel Henry est aujourd’hui, grâce à l’appui et le soutien, jusqu’à maintenant, de ses mentors du Core Group, le gardien des deux Temples les plus convoités de la République : le Palais national et la Primature. Une position privilégiée qui ne le met pas pour autant à l’abri des coups inattendus qui pourraient arriver de la part des signataires de l’autre grand accord dit du Montana. Avec minutie et méthode, ces derniers appliquent leur programme même si parfois certaines de leurs initiatives laissent certains dubitatifs. Néanmoins, les acteurs de l’accord du 30 août restent convaincus que le chemin emprunté est le meilleur parcours pour suivre l’étoile polaire et atteindre Bethléem (le pouvoir). Alors, avec d’autres alliés qui se voient, eux aussi, dans l’obligation de mutualiser leurs efforts pour être sur l’échiquier politique de Washington, ils ont concocté ou inventé une espèce de structure qui est à mi-chemin entre consensus et accord politique.
C’est ainsi que le mardi 11 janvier 2022, deux plates-formes : Accord de Montana et le Protocole d’Entente Nationale (PEN) ont rendu public ce qu’ils appellent : un Consensus politique. « Montana et PEN ont trouvé un « consensus politique » ce soir pour la vraie Transition de rupture. Le processus n’a pas été facile, d’autres étapes devront être franchies avec pragmatisme. Cependant, la signature d’un accord entre ces deux groupes est un pas important pour le pays » avait annoncé dans un tweet, l’ex-sénateur de l’Artibonite, Youri Latortue. En réalité, même si les auteurs de cet énième accord ne le disent pas clairement, il s’agit, en fait, d’un nouvel accord signé entre les partenaires de ces deux entités afin de mieux peser dans la balance au moment des négociations que les Etats-Unis finiront par imposer à l’ensemble des acteurs qui se reconnaissent dans la Transition de rupture. En vérité, ce nouveau regroupement tente de créer un rapport de force face aux tenants de l’accord du 11 septembre qui, certes, entendent bien lâcher prise, mais ne souhaitant nullement se faire manger tout crus sans avoir donner du fil à retordre à leurs protagonistes de Montana et du PEN qui, le moins que l’on puisse dire, résistent aux avances très alléchantes de Ariel Henry.
Bien sûr, cette nouvelle entente ou alliance crée une synergie entre les deux groupes: l’accord du 30 août et celui du PEN. On l’a vu, depuis cette annonce, il y a une dynamique politique aussi qui, en quelque sorte, faisait paniquer un peu l’équipe au pouvoir avant que Ariel Henry ne soit rassuré par Washington, lors de la rencontre internationale organisée par le Canada, qu’il restera en place après le 7 février. Somme toute, cette nouvelle initiative a quand même fait bouger un peu les lignes depuis. Dans la mesure où leur proposition assez pertinente, certes utopique, d’une présidence collégiale de cinq personnes a fait sortir du bois beaucoup de spécialistes et a suscité beaucoup de débats sur la faisabilité ou non et surtout de la réussite d’un tel mécanisme dans cette transition qui a déjà du mal à sortir de sa complexité politique. Dans leur proposition commune dite « Consensus politique » de Montana/PEN, il n’y a que deux éléments méritant d’être pris en considération, en tout cas, qui ont de l’intérêt dans cette conjoncture. C’est le très surprenant collège présidentiel de cinq membres et la durée de la Transition de rupture.
En effet, dans la note qui a fait mention de cet accord du 11 janvier dernier, entre les deux entités qui tentent de déloger Ariel Henry de la Villa d’Accueil, (Résidence officielle des Premiers ministres), on peut lire entre autres : « Après plusieurs rounds de négociations, les membres de l’accord de Montana et du Protocole d’Entente Nationale (PEN) se sont mis d’accord le mardi 11 janvier 2022 sur un « Consensus politique » qui permettra de mettre en place une transition de deux ans dirigée par un collège présidentiel de cinq membres, un Premier ministre et un cabinet ministériel. Chacune des trois structures suivantes désignera un membre au collège présidentiel : l’Accord de Montana ; le Protocole d’Entente Nationale (PEN) et le gouvernement en place. Le Conseil National de Transition (CNT), une structure mise en place dans le cadre de l’application de l’accord de Montana, désignera les deux autres membres du collège présidentiel. En concertation avec le collège présidentiel, le chef du gouvernement, selon la feuille de route, formera le cabinet ministériel.
Les membres du gouvernement seront issus des divers secteurs signataires du consensus. Toutefois, ils doivent répondre aux critères définis par les membres du consensus national ». Dans ce nouveau « Consensus politique », un de plus dans ce parcours sinueux pour arriver à mettre en place pour de bon cette Transition post-Jovenel Moïse, il est aussi fait mention que parmi les cinq membres devant accéder à la présidence provisoire de la République, il doit y avoir au moins « une femme » peut-être plus dans le collège présidentiel. Pour donner corps et foi au document du « Consensus politique » trouvé entre les deux accords issus de l’ex- opposition, ce sont les membres du BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) de Montana qui ont apposé leurs signatures au bas de la feuille. Quant au Protocole d’Entente Nationale, (PEN) on retrouve les noms de personnalités et d’anciens parlementaires connus et moins connus qui ont authentifié le document.
Parmi lesquels, les anciens sénateurs Youri Latortue et Jean-Renel Sénatus. Les ex-députés Antoine Rodon Bien-Aimé, Serge Jean-Louis. Enfin, des personnalités comme François Malherbe et la fille du défunt Pasteur Sylvio Claude, Marie Denise Claude. Le Président du Sénat, Joseph Lambert, a confirmé dans un entretien au quotidien Le Nouvelliste du 11 janvier 2022 que KONA, son groupuscule politique, est membre du PEN et à ce titre est bien signataire de cet « accord politique » du 11 janvier. Une entente politique trouvée après bien des discussions et des pourparlers secrets depuis quelques mois. Si les signataires du « Consensus politique » entre Montana et PEN n’ont pas fixé le nombre de ministres qui composera le futur gouvernement intérimaire d’une durée de deux ans, ils ont néanmoins, en attendant une feuille de route précise pour le gouvernement, posé les grandes lignes de ce qui sera priorisé durant les deux années à venir.
Les priorités des autorités de la transition sont les suivantes : Renforcement de la sécurité publique pour lutter contre l’insécurité et le crime organisé ; réorganisation du système sécuritaire afin de combattre la corruption et l’impunité ; réorganisation des finances publiques ; organisation d’une Conférence nationale souveraine ; réforme du système d’identification nationale et du système électoral pour l’organisation des élections dans le pays, etc ». En vérité, rien de révolutionnaire, rien qui n’ait pas encore été dit ou prévu dans les différents accords en circulation avant, pendant et après le magnicide du 7 juillet 2021. D’ailleurs, rien ne dit que ce consensus ou cette entente politique restera longtemps dans l’état. Certains observateurs doutent qu’un autre accord ne le remplace dans les jours ou semaines suivantes dans la mesure où l’International, particulièrement Washington, n’a toujours pas décidé lequel de ces divers Accords prendra le leadership définitif de la Transition même s’il a adoubé une seconde fois le Premier ministre a.i. le vendredi 21 janvier.
D’autres demeurent persuadés que les autorités américaines vont certainement finir par imposer une réunion de l’ensemble des acteurs pour porter la Transition de rupture vu qu’aucun des Accords ou des signataires ne préconise une révolution dans la mise en œuvre de cette transition.
Tous regardent en même temps la direction de Washington, la capitale fédérale des Etats-Unis, qui devient au fur et à mesure et sans crier gare, la capitale d’Haïti où tout se décide. Il suffit de voir l’intérêt que portent de plus en plus les autorités américaines dans le dossier de l’assassinat du Président Jovenel Moïse pour comprendre. Ces derniers temps, tous les suspects arrêtés à l’étranger dans le cadre de ce meurtre politique ont été transférés aux USA ou sont en passe de l’être. Sans oublier le projet loi du Sénat américain soumis à la Chambre des représentants (députés) américains « Haïti Development, Accountability, and Institutional Transparency Initiative Act (S. 1104) » demandant au Président Joe Biden d’autoriser les services spéciaux des Etats-Unis : FBI, CIA et le DHS (Département de l’Intérieur américain) d’enquêter sur l’assassinat le 7 juillet 2021 du Président haïtien. Cette nouvelle transition ouvre de nouvelles opportunités pour les Etats-Unis d’étendre davantage leur ingérence et leur influence sur Haïti qui, il faut bien l’admettre, n’est plus un Etat indépendant, mais un semi Protectorat.
C.C