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La Primature, siège du pouvoir exécutif haïtien, est située en hauteur dans les montagnes entre Port-au-Prince et Pétionville, juste à côté de la résidence de l’ambassadeur des États-Unis et à proximité immédiate des ambassades du Chili et d’Israël. Siège du pouvoir exécutif, elle est sans doute le bâtiment gouvernemental le plus protégé d’Haïti, juste derrière l’ambassade des États-Unis à Tabarre.
Les manifestations annoncées par les masses populaires devant le Primature et la Villa d’accueil ont paniqué les dirigeants de facto haïtiens, au point de demander l’aide de la de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). A cette manifestation s’ajoute les actions complémentaires de Viv Ansanm. Au point que dans des messages vidéo diffusés ces derniers jours, Jimmy « Barbecue » Cherizier, leader et principal porte-parole de « Viv Ansanm » (Vivons ensemble), une coalition d’organisations de quartier armées de la capitale, a expliqué ses intentions. « L’objectif de « Viv Ansanm » est d’accéder à la Primature, de destituer Alix Didier Fils-Aimé [Premier ministre], l’ancien sénateur Nènèl Cassy [son homme fort en coulisses,] et ses neuf acolytes du CPT [Conseil présidentiel de transition] à la tête de la nation, et de donner au peuple haïtien le pouvoir de choisir les dirigeants qu’il souhaite », a déclaré Cherizier dans un message vidéo adressé au peuple haïtien le 4 avril.
Mais des barricades tenues par des groupes lourdement armés « qui défendent le CPT et le gouvernement bloquent la route permettant à Viv Ansanm de traverser Delmas 32, Christ Roi, Delmas 40B, Delmas 48, Delmas 60… pour accéder à la Primature », a-t-il poursuivi. « La triste réalité est donc que certains sont prêts à accepter argent et armes pour défendre le CPT, le gouvernement et les entreprises de la bourgeoisie », préservant ainsi le statu quo.
Cherizier a comparé la situation à ce qui s’est passé l’année dernière à Solino et Delmas 30, où « une bande de flics… se faisant passer pour les protecteurs des quartiers… ont pris l’argent du CPT, de la Primature et de la bourgeoisie pour empêcher Viv Ansanm d’atteindre son objectif, qui est d’arriver à la Primature… pour éliminer ceux qui ont pris la nation en otage ».

Le CPT paniqué a alarmé la CARICOM, qui agit comme la fidèle servante de Washington pour faire face au danger croissant d’une révolution populaire en Haïti.« Les chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) sont profondément préoccupés par les récentes informations selon lesquelles une coalition de gangs criminels menace de s’emparer du pouvoir et d’imposer un changement dans les modalités de gouvernance en Haïti », a déclaré l’organisation dans un communiqué du 13 avril. « C’est totalement inacceptable. »
« La CARICOM condamne fermement toute tentative de remplacer les dispositions transitoires [souligné par nous] par la force et la violence », poursuit le communiqué. « Ces dispositions ont été mises en place par les parties prenantes haïtiennes afin d’ouvrir la voie à des élections libres et équitables d’ici le 7 février 2026 et de rétablir l’autorité constitutionnelle d’Haïti. »
Cette déclaration est absurde. Le CPT n’a pas été mis en place par les « parties prenantes haïtiennes », mais en mars 2024 par le secrétaire d’État américain de l’époque, Anthony Blinken, qui a fait accepter à toutes les parties collaboratrices une intervention militaire étrangère en Haïti, appelée Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS).
Pendant ce temps, le Viv Ansanm menace désormais le bastion de la bourgeoisie haïtienne : les hauteurs fraîches qui surplombent la capitale, constellées de magnifiques demeures fortifiées, dotées de murs de six mètres de haut, d’importants arsenaux d’armes et d’héliports.
Ces palais ont été construits grâce à la main-d’œuvre bon marché de maçons, de briqueteurs et de charpentiers sans le sou, et financés par les profits tirés des ouvriers des usines d’assemblage et des paysans pauvres haïtiens. Mais les bidonvilles où vivent tous ces travailleurs pauvres et déplacés sont en train de se révolter. Les quartiers luxueux de Kenscoff, Fermathe, Thomassin, Laboule et Pétionville connaissent enfin le conflit qui a frappé la capitale ces dernières années.
Cette semaine marque le bicentenaire de la « dette d’indépendance » d’Haïti, mieux appelée une rançon. C’est le 17 avril 1825 que, grâce à des canonnières, la France a contraint la première nation libre d’Amérique latine et des Caraïbes à commencer à payer des millions de francs-or pour sa liberté. Haïti a commencé à exiger le remboursement de cette lourde dette il y a 22 ans ce mois-ci, mais la France a jusqu’à présent refusé. Avec les intérêts, le remboursement pourrait s’élever à quelque 115 milliards de dollars.

Néanmoins, en janvier, l’ancien président tournant du CPT, Leslie Voltaire, a dépensé des dizaines de milliers de dollars pour se rendre à Paris avec une délégation afin de plaider auprès d’Emmanuel Macron pour obtenir de l’argent, sans succès, bien sûr. (C’est dans cette même ville que Voltaire a négocié, en 1994, la capitulation d’Haïti face aux réformes d’austérité néolibérales américaines et européennes.) En mars, le successeur de Voltaire, Fritz Alphonse Jean, s’envole pour la Jamaïque afin de rencontrer le successeur de Blinken, Marco Rubio, et les esclaves domestiques de la CARICOM, afin de discuter des moyens de maintenir Haïti sous la coupe de Washington.
À Paris, ce n’est pas Voltaire qui a soulevé la question de la restitution de la « dette d’indépendance », mais Macron lui-même, qui a annoncé qu’il ferait une déclaration ce mois-ci. Jean n’a pas non plus demandé à Rubio la restitution des 500 000 dollars en lingots d’or volés par les Marines américains à la banque centrale d’Haïti en décembre 1914, soit une valeur d’environ 16 millions de dollars aujourd’hui. Jean aurait également dû demander réparation pour les coups d’État de septembre 1991 et de février 2004 fomentés par Washington en Haïti, qui ont causé d’énormes pertes humaines et financières.
Bien sûr, aucun des « présidents » du CPT n’oserait adresser un regard direct aux patrons dont ils ne sont que des marionnettes. (Il faut dire qu’Edgar Leblanc Fils et Voltaire ont bel et bien évoqué le remboursement de la « dette d’indépendance » lors de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2024, mais de manière démagogique et incohérente.)
De toute évidence, Haïti est confrontée à une crise multidimensionnelle qui menace son avenir de néocolonie sous la domination politique et économique des anciennes puissances colonialistes et esclavagistes occidentales.

Photo :Infos Partage
On ne peut absolument pas espérer d’aide des États-Unis, de la France, du Canada ou de leurs vassaux de la CARICOM, qui contrôlent le gouvernement actuel.
La seule aide, politique ou matérielle, qu’un gouvernement révolutionnaire puisse espérer provient du monde multipolaire émergent, auquel l’administration Trump (comme celle de Biden avant elle) est déterminée à s’attaquer.
Tout gouvernement ciblé par Washington – Chine, Russie, Cuba, Venezuela, Nicaragua, Bolivie, Colombie, Iran, Corée du Nord, Mali, Burkina Faso, Niger, ou les pays des BRICS ou de l’ALBA – est un partenaire vers lequel un gouvernement haïtien progressiste et révolutionnaire devrait se tourner. Certes, nombre d’entre eux, voire la plupart, sont confrontés à des défis économiques et géostratégiques très complexes. Mais leur solidarité, leur bonne volonté et leur expérience partagée seront précieuses pour tout gouvernement révolutionnaire émergent en Haïti.
Les solutions fondées sur la domination étrangère ou l’exclusion des masses sont toutes vouées à l’échec. Le nouveau pouvoir révolutionnaire devra également reconstruire de toutes pièces la Police nationale d’Haïti, les forces armées haïtiennes, et expulser le MSS et autres mercenaires étrangers. Il faut s’attendre à des années de sanctions, d’encerclement, de provocations, de sabotage, d’infiltration et d’invasions ou de tentatives de déstabilisation étrangères. La résistance à ces initiatives sera renforcée par la solidarité de nouveaux alliés issus du monde multipolaire.
Nous aurons également besoin de leur aide pour reconstruire nos infrastructures, mener une campagne nationale d’alphabétisation et former les médecins et les infirmières à retourner dans les hôpitaux et les cliniques, qui ont également besoin de réparations et de reconstruction.
Il faudra des années avant que nous puissions vaincre la pauvreté et les inégalités sociales et économiques, causes profondes de l’insécurité et de l’instabilité en Haïti. Joignons-nous aux nations qui ont l’expérience de la libération et de la reconstruction après l’exploitation et l’assujettissement perpétrés par des puissances néocoloniales qui prétendent nous aider mais qui, en réalité, nous ont mis là où nous sommes aujourd’hui.
Nous avons besoin d’une révolution socialiste en Haïti, dans le cadre d’une lutte de libération nationale pour résoudre la crise. Avec l’aide de nations partageant les mêmes idées, l’avant-garde de la lutte des masses populaires en Haïti doit proposer une alternative socialiste à la nation.
Non à l’occupation militaire d’Haïti.
Non au renouvellement du mandat du MSS.
Progressistes haïtiens, unissons-nous pour la lutte de libération nationale d’Haïti.
Liberté ou mort ! La patrie ou la mort ! Nous vaincrons !