Médias, Université, société civile : un même réseau d’enfumage et d’imposture !

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M. Frantz Duval l’éditorialiste du quotidien Le Nouvelliste

Alors qu’Haïti s’enlise dans une impuissance déshumanisante dans l’indigence de sa société stratifiée en gangs polymorphés, de nombreux acteurs médiatiques et académiques semblent retrouver une lucidité tardive. Pourtant, ceux qui sortent leur tête de la cendre du fumier qui a si bien réchauffé leur confort m’avaient assimilé à un provocateur insolent quand je les invitais à faire preuve d’intelligence et d’éthique dans leurs postures éditoriales et académiques. Comme si la provocation n’était pas, comme disait Berthold Brecht, « une manière de rétablir la vérité sur ses pieds ». Comme si l’insolence ne pouvait pas être le cri de l’intelligence qui affirme sa dignité et son authenticité contre les médiocres à succès. Voici un nouvel opus Tipédant contre l’enfumage et l’imposture.

 

L’amplification du chaos et les incertitudes, quant à une sortie imminente d’Haïti dans cette impasse abyssale, où elle a été propulsée par des vautours et des charognards déguisés en entrepreneurs, universitaires et autres racailles délinquantes, ont rendu lucides quelques-uns des acteurs médiatiques, académiques et sociopolitiques. Pourtant, pendant ces 12 dernières années, ils ont été dans l’intimité de l’indigence qui a accéléré l’effondrement du pays, tant ils ont joué les coudes, les passerelles pour apporter, consciemment ou inconsciemment, à ce pouvoir ouvertement gangstérisé, leur aura et leur rayonnement.

Parmi les prises de position, profondément lucides, sur l’effondrement accéléré du pays, citons celle de l’éditorialiste et rédacteur en chef du Nouvelliste et celle du Président fondateur du Groupe de Réflexion et d’Action pour une Haïti Nouvelle (GRAHN).

 

L’enfumage médiatique

Dans son édition du 8 septembre 2023, l’éditorialiste du Nouvelliste, éternel enfumeur, a retrouvé une lucidité fracassante en reconnaissant que c’est « la communauté internationale qui fortifie l’impasse politique en Haïti[i] ». Il a fallu 12 longues années à M. Frantz Duval pour enfin comprendre que c’est le double jeu de la diplomatie internationale qui préside au chaos d’Haïti. Au quatrième paragraphe de son éditorial, il écrit, et je cite : « En supportant de mauvaises équipes, nos amis cautionnent l’immobilisme des uns et la raideur des autres pendant que le chaos sanglant s’installe ». Il faut regretter que cette lucidité tardive s’apparente à la posture qu’auraient pu avoir le commandant du Titanic et les membres de son équipage, s’ils avaient survécu au naufrage de cet imposant navire. Navire qui, rappelons-le, a échoué et sombré, il y a plus d’un siècle, au fond de l’océan, car fonçant « adelante », sans intelligence pour changer de cap, sur un iceberg qui aurait pu être évité, s’il était muni de radar pour détecter au loin cet obstacle immuable, pendant qu’il était encore temps pour faire une manœuvre agile et habile.

La conduite d’un navire à bon port exige de la part de son capitaine et de son équipage de l’intelligence, de la vigilance, de l’anticipation et des qualités humaines distinctives. En ce sens métaphoriquement, gouverner un pays et le conduire à bon port exigent les mêmes dispositifs d’intelligence, les mêmes aptitudes humaines de la part du pouvoir politique (capitaine), mais aussi de son équipage (média, université, société civile). Ils doivent être sans cesse à l’affût de la moindre information pour repenser leurs actions par des décisions intelligentes. Dans ce contexte, l’intelligence n’est rien d’autre que la capacité à s‘inscrire dans l’anticipation en se mettant à l’écoute des signaux faibles qui portent les frémissements silencieux des grandes catastrophes. C’est ce qu’enseignent en tout cas les théoriciens de l’intelligence systémique qui relient le renseignement, la fouille, la traque et la recherche de l’information dans un dispositif de veille anticipative comme autant d’agents de provocation de la connaissance pour maîtriser l’environnement afin de décider opportunément. Citons, entre autres, Françis Beau dans ‘‘Culture du renseignement et théories de la connaissance[ii] ’’ et Humbert Lesca dans « Signaux faibles et veille anticipative pour décideurs[iii] ».

Mais cela l’humanité digne le sait depuis Auguste Comte, car si la neurosagesse admet que gouverner c’est prévoir, c’est parce que prévoir exige avant tout de savoir pour pouvoir ; d’où la quête qui anime toute gouvernance intelligente : accéder au maximum d’information pour décider dans l’incertain. Évidemment, dans un écosystème indigent, les insignifiants au pouvoir et ceux ayant le savoir, qui les assistent, n’ont que faire de l’information, puisqu’ils considèrent tout ce qui dérange le confort de leur réussite personnelle comme de l’aigreur, de la frustration, de la provocation gratuite et de l’arrogance. Et si justement depuis 219 ans Haiti ne fait que s’enfoncer dans des abysses putrides, c’est parce qu’entre autres, ceux qui ont le savoir et le pouvoir ne se soucient que de gérer leur tranquillité et leur confort personnel et familial, tout en se désintéressant de prêter attention aux critiques qui disent pourtant les frémissements des inconforts sociaux, annonciateurs de catastrophes.

L’illustre professeur Samuel Pierre

Comme exemple de cas, je me permets de rappeler que depuis 2013, je ne cesse, comme de nombreux autres lanceurs d’alerte, d’attirer l’attention de nombreux responsables médiatiques du pays sur leur errance éditoriale. Mais certains ont préféré voir en moi un arrogant qui se permet de leur dicter leur ligne éditoriale, alors qu’il leur appartient, selon le mot que m’avait lancé sur Twitter l’un des responsables de l’Association Nationale des Médias Haïtiens en 2018, de décider selon le contexte de l’opportunité de critiquer ou de ne pas critiquer un gouvernement. Ceux qui peuvent comprendront forcement qu’il s’agit d’opportunités malsaines de faire du business et de la publicité. D’ailleurs, on se souvient qu’à la fin de son mandat, l’ex président Michel Joseph Martelly avait déclaré que de nombreux médias et patrons de presse figuraient sur les listes de paie du palais national. Des photos de chèques libellés à l’ordre de certains médias et portant sur des centaines de milliers de gourdes circulaient viralement sur le net.

C’est dans ce contexte qu’en 2017, j’avais alerté de nombreux médias haïtiens sur leur ligne éditoriale consensuelle avec le pouvoir de Jovenel Moïse. Dans un article publié dans Le journal militant Le Grand Soir[iv], j’avais écrit :

« […] il est fondamental que la presse, dans sa globalité, cesse d’être une simple caisse de résonance des communiqués officiels où la pensée critique est soumise à la dictature de la publicité et des subventions. Il est vital que la presse, dans sa globalité, cesse d’être cet espace de ramassage où la parole est confisquée par des mercenaires du verbiage et voilée par l’imposture d’un militantisme qui n’est qu’un affairisme médiatique de circonstance. Il est urgent que la presse, dans sa globalité, cesse d’alimenter la pensée indigente, celle-là même qui structure « l’état minimum » que certains éditorialistes pourtant dénoncent. Celle-là même qui renforce l’auberge des compromis et du tout est permis dans laquelle tous les politiques cherchent refuge. Dans notre contexte de déchéance, la presse ne peut plus se montrer complaisante et indulgente vis-à-vis de cette communauté d’intérêts qui vit et se nourrit de l’échec de la collectivité.

La presse doit se réapproprier ou réinventer cet outil de « la pensée critique qui invite à sortir des certitudes, de l’inertie paresseuse et des accointances crasseuses, quand bien même confortables », pour pousser aux questionnements. La presse doit être le creuset de la parole insoumise pour aider le peuple à ne pas sombrer dans l’oubli des urgences porteuses d’indigence. Elle doit être l’outil qui maintient le peuple en éveil pour que sa conscience ne soit pas manipulée par ces innombrables sollicitations et assistances à valeurs déshumanisantes. C’est la presse qui doit aider le peuple à reconquérir sans cesse sa liberté et sa dignité en refusant les évidences qui ne font que célébrer ou renforcer sa servitude ».

De 2013 à 2023, je n’ai jamais ménagé ma vigilance et mon insolence, dans une constance et une cohérence rarement égalées en Haïti, certes au prix de nombreuses inimitiés et de nombreux blacklistages, pleinement assumés, pour rappeler aux directeurs de médias et aux universitaires haïtiens que l’opinion publique et l’intelligence collective d’un pays dépendent de l’intégrité, de la probité, de la compétence et de l’éthique de ses réseaux culturels, médiatiques et académiques. J’ai même écrit à certains pour proposer, aux uns des pistes de thématiques pour des émissions de relèvement de la conscience, aux autres des modules de formation qui auraient pu contribuer à former une nouvelle avant-garde ancrée dans l’anticipation par l’apprentissage contextuel, la modélisation de la critique et la structuration des données pour la prise de décision. Mais, étant des initiatives venues d’un modeste citoyen qui n’a pas de sponsors internationaux et de rayonnement anobli par le Blanc, ils ont craché sur ces modestes suggestions en les prenant comme des défiances envers leur autorité médiatique et académique. Pourtant, dans le petit nombre de choses qui permet de conduire un pays à bon port la maitrise de l’information et la modélisation des processus par la connaissance sont les actifs les plus stratégiques. Et en Haïti, ils sont très méconnus, très ignorés, voilà pourquoi 99% des universitaires haïtiens ne savent pas modéliser et ne peuvent pas contextualiser leur savoir théorique pour agir sur leur environnement. C’est du reste pourquoi aussi, ils restent fortement et collectivement dépendants de l’assistance internationale et des ONG qui ne font que leur proposer des recettes connues d’avance, sans aucun apprentissage, aucune redevabilité, aucune évaluation intelligente des projets qu’ils mettent en œuvre. D’ailleurs où sont les idées que les idées que les PetroChallengers se targuaient d’avoir le monopole, quand ils avaient apporté leur aura pour faire grincer l’opposition violente en se constituant opposition non violente. C’est un bel exemple de l’axiome de l’enfumage ou plus particulièrement de la stratégie de contre feu : deux faiblesses s’appuyant l’une sur l’autre se renforcent toujours et se structurent en invariance. C’est une règle de signes bien connue en algèbre : moins par moins égale plus. Donc ce que Monsieur Duval a découvert tardivement en 2023 a été modélisé bien avant et publié en 2018.

C’est du reste pour provoquer les susceptibilités à fleur de peau de ces acteurs insignifiants, et combien friands d’imposture, que j’ai modélisé cette axiomatique de l’indigence pour décrire de manière systémique les médiocrités culturelles, médiatiques et académiques qui structurent notre errance collective en faisant ressortir les axiomes, les opérateurs et les invariants culturels en interactions. Car, derrière l’instabilité politique, les paradoxes culturels, les contradictions sociales, les déterminismes économiques, les contingences diplomatiques, la clochardisation du leadership politique, les postures professionnelles ambiguës, le désengagement des citoyens, l’adaptation collective à l’impuissance, la culture de l’infraction et de l’entre-soi, il y a une structure parfaitement modélisable par quelques variables qui peuvent objectiver l’enchevêtrement de notre pays dans cette indigence contextuelle.

Mais au moment où je me mettais en danger, où je prenais ces risques, le Nouvelliste encensait et félicitait ceux qui nous ont conduit dans cette impasse et que Monsieur Frantz Duval, dans son enfumage habituel, dénonce aujourd’hui si lucidement :

Quand on a enfumé l’opinion publique d’un pays si longtemps, une certaine décence ou une certaine éthique eut commandé un devoir de silence, sinon de repentance. Mais, l’éthique est justement l’une des failles de note écosystème indigent. Pourtant, il y a quelques rares cas qu’on peut magnifier. De mémoire d’homme, j’ai connu en 2001 au Centre d’Études Secondaires, où j’enseignais les mathématiques en classe de première et de terminale, un professeur de physique qui a eu le courage et l’éthique de démissionner de son poste, car il avait pu enfin trouver un élève qui avait osé lui montrer les erreurs qu’il commettait dans la résolution des exercices. Loin de traiter cet élève comme un insolent ou arrogant, il avait au beau milieu de la classe assumé en disant : ‘‘Plus de vingt ans à enseigner la même erreur, c’est trop pour une vie’’. Empressons-nous de dire que cette leçon de dignité ne vaut que pour des vies qui ne sont pas dédiées à l’enfumage.

 

L’imposture académique

Venons-en à l’imposture académique à présent. Toujours, au cours de cette même semaine, un ami m’a envoyé le lien de l’émission Le Point de Télé Métropole, animé par le très connu journaliste Wendell Théodore, qui recevait la sommité académique qu’est le professeur Samuel Pierre du GRAHN. Le lien était accompagné d’un message dithyrambique : « Samuel Pierre un haïtien engagé et une sommité intellectuelle mondiale fait une approche épistémologique de la situation sociopolitique et sécuritaire que nous traversons en Haïti. Prenez le temps de suivre cette entrevue accordée à Wendell Théodore, au journal Le Point » Dans cette émission, l’illustre professeur Samuel Pierre déclare qu’« Une société ne peut pas s’asseoir sur des opinions pour expliquer les phénomènes qui la traversent […] Le commun des mortels a le droit de se donner diverses explications pour se conforter, mais les élites doivent se référer à la science. Malheureusement, nous nous attardons sur l’anecdotique et laissons de côté, le factuel. Et, nos hypothèses ne passent pas le tamis scientifique ».

Comment ne pas être d’accord avec la justesse de cette réflexion ? D’ailleurs si on se réfère à mon premier article de 2004 : « Des eaux qui nous inondent au hasard qui nous sonde », quand je dénonce l’inculture des données des élites managériales, académiques, économiques et politiques haïtiennes, je ne fais que rappeler que les données structurées et contextualisées sont la base de toute connaissance pour la prise de décision. Mais on admet volontiers, dans un pays où l’on regarde d’abord le titre et le rayonnement académique, l’idée émise par une sommité a plus de force que celle d’un quidam insolent. Ainsi, quoiqu’en parfait accord avec le point de vue du professeur Pierre, mais je n’ai pas compris pourquoi l’opinion publique haïtienne, a cru que le Professeur Pierre venait de faire la déclaration d’une invention qui va révolutionner Haïti.

Avec tout le respect qu’on doit accorder au professeur Samuel Pierre et au GRAHN, l’enthousiasme pour son entrevue n’est pas moins caractéristique de l’impensé agissant qui empêche à Haiti de faire le pari de l’intelligence éthique et du progrès. D’abord, précisons que l’émission, à travers laquelle le professeur Pierre s’est exprimé est animée par un journaliste qui, si les informations qui ont été ébruitées dans la presse sont exactes, a une fille qui a été nommée à 18 ou 19 ans consul dans une des ambassades d’Haïti à l’étranger par le pouvoir PHTK version 1.  Quand un directeur d’opinion qui anime des débats politiques qui orientent l’opinion publique bénéficie des faveurs du pouvoir, il y a conflit d’intérêt flagrant. L’éthique eut voulu que Monsieur Wendell Théodore cesse toute activité journalistique. Donc, il y a un déficit de crédibilité du média qui sans altérer les propos du professeur Pierre n’est pas moins problématique, puisque l’enlisement du pays dans cette impasse n’est pas seulement dû a un déficit de science, mais surtout d’éthique. Ce qui rend incomplète la pensée du professeur Pierre, car science sans conscience (éthique) n’est que ruine de l’âme. D’ailleurs de nombreuses sommités académiques, qui sont sans doute de prestigieux collègues du professeur Pierre, ont prêté leur aura au pouvoir qui a conduit dans ces abysses putrides. C’est donc pas tout à fait vrai que le problème du pays soit seulement un problème de déficience scientifique.

Toujours dans cette problématique sur l’éthique, comment oublier que l’honorable Samuel Pierre, en 2018, alors que toute la population haïtienne, vent debout, luttait pour renverser l’indigence du PHTK, à travers la mobilisation populaire contre la dilapidation des fonds de PetroCaribe, le GRAHN de Samuel Pierre avait mis sa caution dans la balance pour soutenir le PHTK en invitant Jovenel Moise, comme si c’était un innovateur technologique, à venir présenter sa vision des technologies à l’université de Montréal[v]. Ce qui était un pied de nez et une insulte au courage et à la dignité du peuple haïtien. S’il est vrai que, sans doute gêné par le tapage qui a été fait autour de cette question par quelques insolents comme moi, le GRAHN avait au dernier moment annulé la conférence, il ne reste pas moins que c’est un manque d’engagement certain du GRAHN pour un pays qui ne soit pas un repère de bandits et de corrompus, fussent-ils doctorés.

À cela, on doit ajouter aussi qu’un illustre infectiologue, membre du GRAHN, cet éminent universitaire qu’est le Dr William Pape a reçu une promotion au conseil scientifique de l’ONU, alors que lui aussi, avait apporté sa caution pour soutenir le PHTK en présidant la commission présidentielle sur le coronavirus. Mais, l’imposture scientifique est surtout dans le fait que le Dr Pape, du GRAHN de Samuel Pierre, avait présenté un modèle de données qui prédisait des dizaines de milliers de morts en Haiti par le coronavirus. Fort de cette frayeur, il invitait la population à surseoir sur sa lutte pour se préparer avec le gouvernement à affronter cette pandémie. Car disait-il, le président n’était pas tout à fait responsable des malheurs du pays. Or, la prédiction s’est révélée fausse et mensongère. Je dis mensongère, car comme tout scientifique, pourvu d’éthique, si c’était une erreur de données, il aurait dû revenir sur le modèle et expliquer ce qui a failli. Mais loin de reconnaître que son modèle de données était incohérent, il a juste dit que c’est Dieu qui a épargné Haïti. Et quelque temps plus tard, alors qu’Haïti n’avait toujours pas reçu un seul vaccin, il a été récompensé et promu au conseil scientifique de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Ce que l’honorable professeur Samuel Pierre a pris comme une marque de prestige pour le GRAHN.

Bizarrement, comme l’opinion publique haïtienne est aussi peu exigeante sur l’éthique que ses médias et ses réseaux académiques, personne n’a cherché à relier ces faits pour mieux juger de la pertinence et de la cohérence de la posture scientifique du professeur Samuel Pierre. Or, il est longtemps établi qu’un peuple sans mémoire, n’a pas d’intelligence, et c’est pourquoi il est condamné à revivre ses errances. Empressons-nous de dire que le drame n’est pas tant que ces gens se soient trompés, mais qu’ils passent sous silence leurs errances, sans se repentir, sans s’excuser et se présentent comme des sauveurs est inquiétant et troublant. Du reste, c’est pour se prémunir contre la culture de l’errance, que la vraie science, celle qui est guidée par le flambeau éthique, nous dit qu’il faut apprendre à ‘‘revenir sur son passé d’erreurs pour découvrir la vérité scientifique en un repentir intellectuel[vi] ». La vraie épistémologie postule que pour connaître, il faut de la disponibilité pour détruire ce qui dans l’esprit, dans la conscience, fait obstacle à la spiritualisation du savoir. Et si l’on regarde bien tous les faits évoqués ci-dessus, ce n’est pas tant de savoir qu’il manque (uniquement) à Haïti, mais d’un savoir spiritualisé et régénéré par l’éthique. Et forcément, avec les mêmes postures fourbes, malicieuses et dédaigneuses de l’éthique, avec des profils académiques et scientifiques à tous les coins de rue, même sans gangs armés qui terrorisent la population, Haïti ne sortirait pas de l’auberge indigente.

Or, pour reprendre le mot d’Albert Einstein : « aucun problème ne peut être résolu avec le même niveau de conscience qui l’a engendré ». Donc, ce n’est pas seulement de paradigme qu’il faut changer, comme soudainement on semble le découvrir aujourd’hui, c’est aussi et surtout d’humanité, d’intégrité, de dignité et de vérité dont Haïti a urgemment besoin pour qu’elle apprenne à écouter les signaux faibles qui dérangent les conforts académiques, économiques, politiques et médiatiques. Et pour reprendre ce que j’avais dit aux PetroChallengers en 2019 : « Ce n’est pas l’obscurité qui annonce la nuit, mais le premier vol du hibou et le premier cri de la chouette qui surviennent furtivement au-delà du crépuscule. […] sans intelligence et sans vigilance, certains ratent toujours les signes avant-coureurs des catastrophes. Et le temps d’en prendre conscience, noire, immonde et ténébreuse, l’horreur est là avec son cortège d’expropriés, de sacrifiés, de fusillés et d’exilés. Il y a lieu de comprendre qu’une bonne part de la médiocrité haïtienne est cristallisée dans un aveuglément certain. C’est lui qui empêche de s’inscrire dans l’anticipation, de prendre les risques pour décoder les signaux de l’indigence. Car de nombreux signaux annonçaient la résurgence de l’indigence ».

Le défi de l’innovation pour Haiti ne se pose pas seulement en termes de paradigmes, mais davantage en termes de nouveaux savoirs et de nouvelles avant-gardes éthiques et conscientisées. Pour donner force à cette idée, je termine avec ce mot de Berthold Brecht : « Dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient ; alors seulement on comprend son efficacité ».

 

Erno Renoncourt, 11/09/2023

 

Notes

[i] https://www.lenouvelliste.com/article/244351/undefined

[ii] Revue internationale d’intelligence économique, 2010/1, Volume 2, pp 161-190.

[iii] Humbert Lesca, Nicolas Lesca, Signaux faibles et veille anticipative pour décideurs, Méthodes et applications, 2011, Lavoisier.

[iv] https://www.legrandsoir.info/de-l-assistance-humanitaire-a-l-indigence-totalitaire-une-invitation-aux-medias-haitiens-pour-que-l-information-soit-un-outil-d.html

[v] https://rezonodwes.com/?p=59737

[vi] Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, 1938, Vrin.

 

 

 

 

 

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