Martine Moïse au cœur de l’affaire Dermalog!

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Martine Moïse

Lorsqu’on a voulu discuter avec un diplomate chevronné, grand admirateur et connaisseur du pays, l’affaire de l’entreprise allemande dénommée Dermalog chargée d’établir les Cartes d’Identification Nationale (CIN) qui servent aussi de Carte électorale, c’est avec tristesse qu’il nous a fait part de ses sentiments sur ce pays qu’il dit aimer tant. Selon ce diplomate européen, préférant parler en tant qu’ami d’Haïti plutôt que de se servir de sa casquette de diplomate accrédité, les dossiers politiques en Haïti sont de véritables mille-feuilles. Plus on enlève des couches plus il en reste. En clair, difficile pour ce diplomate francophone en poste à Port-au-Prince depuis plusieurs années de comprendre grand-chose.

Pour lui, le dossier de la firme Dermalog, c’est le scandale de trop pour le gouvernement haïtien en parlant du pouvoir. Jamais, toujours selon cet observateur et même acteur attentif de la politique et des institutions du pays, les autorités haïtiennes n’auraient dû entreprendre la démarche de casser le contrat et de changer de partenaire en ce qui concerne l’émission d’une nouvelle Carte d’Identification Nationale. Leur renouvèlement par l’ancienne firme qui travaillait déjà sur ce dossier aurait dû être confirmé au moins jusqu’à la fin de ce quinquennat. Et ceci pour des raisons politiques. Selon le diplomate européen, ce dossier est trop sensible, il touche le fondement même des crises sociopolitiques en Haïti et particulièrement celle de la présidence de Jovenel Moïse depuis l’investiture de celui-ci au Palais national. Il s’agit de fichiers d’identité des citoyens auxquels le Conseil Electoral Provisoire (CEP) a un accès direct pour établir ses listes électorales.

Enfin, ajoute le diplomate: « le Président aurait dû être beaucoup plus prudent ». Surtout, l’opposition gardait toujours un œil sur ces fameux fichiers très convoités. En effet, ce dossier Dermalog risque de devenir un autre boulet pour le Président de la République dans les mois à venir dès que le processus électoral aura démarré ; ce d’autant plus qu’il n’y aura plus de Parlement après la reconnaissance de sa caducité une fois les députés auront clôturé la fin de la 2ème session ordinaire de l’année législative, le deuxième lundi du mois de septembre. En pleine tempête au Sénat pour la ratification de son Premier ministre nommé Fritz William Michel en lieu et place de Jean-Michel Lapin, aujourd’hui démissionnaire, peut-être pour rajouter de l’huile sur le feu, discrètement le dossier de l’entreprise allemande refait surface dans la presse. Certes, les péripéties de l’ancien ministre de la Culture et de la Communication de Jean Henry Céant pour sa Déclaration de politique générale au Parlement, puis celle de son successeur Fritz William Michel toujours pour le même exercice au Corps législatif, cannibalisent tous les autres sujets d’actualité qui passent en arrière plan. N’empêche, le feu se consume en attendant qu’ils explosent au grand jour.

le sénateur de l’Artibonite Youri Latortue

Car, celui qui porte ce dossier ultra-sensible politiquement tient là une arme électorale qu’il compte bien utiliser le moment venu pour sa propre campagne politique. Il s’agit du sénateur de l’Artibonite Youri Latortue, Président du Parti politique Ayiti An Aksyon (AAA) passé depuis dans l’opposition et manifestant de plus en plus son envie de se porter candidat à la présidence d’Haïti. Youri Latortue est le Président de la Commission permanente Éthique et Anticorruption du Sénat de la République ; à ce titre il est déjà à l’origine de la publication du Rapport sur le gaspillage par diverses Administrations du Fonds PetroCaribe. Ce dossier a provoqué, suscité et facilité une vaste mobilisation des citoyens Haïtiens et étrangers en Haïti et dans la diaspora qui exigent ce qu’on appelle un deuxième Procès de consolidation. La mobilisation est telle qu’il serait impossible que le dossier du Fonds PetroCaribe soit classé sans suite. Le Rapport est devant la justice et l’affaire suit son cours. Si le dossier de la firme Dermalog est différent, il est tout au aussi grave dans la mesure où il porte sur la corruption et le détournement de fonds qui impliqueraient des proches du pouvoir, en particulier, Martine Moïse l’épouse du Président de la République.

Pendant que tous les regards se portent sur le Groupe des quatre (G4) sénateurs de l’opposition qui déploient une énergie considérable pour faire échec au plan de Jovenel Moïse de reconduire la quasi-totalité des ex-ministres de Jean Henry Céant avec Jean-Michel Lapin et maintenant la formation d’un nouveau Cabinet ministériel avec l’inconnu Fritz William Michel, au Sénat, la Commission Éthique et Anticorruption a donc terminé son Rapport sur l’enquête relative au scandale de corruption dans lequel des autorités d’Etat et des responsables de l’entreprise Dermalog seraient impliqués. Afin que nul n’en ignore, vu le contexte dans lequel ce Rapport a été remis au Bureau du Président du Sénat Carl Murat Cantave, Youri Latortue avait convoqué une conférence de presse le vendredi 24 mai 2019 afin de rendre publique la nouvelle. Avec force détails, le Président de la Commission Ethique et Anticorruption du Sénat tenait à rappeler que sa Commission n’entendait nullement faire silence sur cette affaire qu’il estime être d’une extrême gravité en ce qui concerne la corruption et l’implication des gens proches du pouvoir et d’autres institutions publiques.

c’est le scandale de trop pour le gouvernement haïtien

Selon Youri Latortue, la Commission a auditionné beaucoup de monde et a fait un travail de fourmi en vue d’aboutir à ce Rapport qui relève qu’il y a eu violation de la loi sur la passation de marché public et même trafic d’influence. Ainsi, après consultation de certains experts sur l’ancien système qui produisait déjà les Cartes d’Identification Nationale pour le compte de l’ONI (Office National d’Identification), tous sont formels, il n’y avait aucune raison pour que l’Etat change de système encore moins d’entreprise ; surtout, l’ancien système coûte déjà la somme de cinquante millions de dollars américains. Selon les Commissionnaires, les experts sont clairs, l’ancien système aurait pu continuer à fonctionner. Du coup, ils soupçonnent les proches du chef de l’Etat de profiter du changement de système pour passer un contrat de gré à gré avec la firme Dermalog au nom d’une soi-disant sécurité nationale sans passer par la Cour Supérieure des Compte (CSC).

En effet, selon le Rapport, il n’y a eu aucun appel d’offres en violation directe de la loi sur la passation des marchés publics. Or, lorsque la Cour des Comptes a appris la nouvelle du contrat dans ces conditions, elle a mis son veto en refusant de valider ledit contrat. Mais, parce que dix millions de dollars étaient en jeu, la présidence de la République, le Ministère des Finances et de l’Office National d’Identification ont décidé de passer outre l’avis des Juges de la Cour des Comptes. De ce fait, les autorités ont évoqué que ce contrat relève de la « sécurité nationale » une manœuvre démontrant qu’elles voulaient coûte que coûte favoriser l’entreprise allemande au dépens de l’ancienne firme qui fabriquait déjà les CIN. On se rappelle que c’est en France, à Cannes, lors d’un Salon international en 2018 sur la nouvelle technologie, que le Directeur général de l’ONI, Jude Jacques Philippe Elibert accompagné de la Première dame Martine Moïse, avait signé le contrat avec l’entreprise Dermalog.

Martine Moïse, apparaît comme l’un des acteurs principaux dans le dossier de Dermalog. Elle est en compagnie du directeur de l’ONI Jude Jacques Elibert à l’écoute d’explications fournies par un responsable de Dermalog.

Mais, l’enquête sur ce fameux contrat controversé a révélé que Martine Moïse avait fait jouer son influence jusqu’à voyager en Europe afin de convaincre les dirigeants de la firme Dermalog de signer le contrat, ce qu’évidemment l’épouse du Président a nié. Mais, comme une sangsue, le sénateur Youri Latortue ne lâche pas sa proie, compte-tenu du fait que  les lois qui auraient dû être modifiées ne l’ont pas été avant l’annulation des anciennes cartes afin de permettre leur renouvellement. Selon le Rapport, il y a une faute grave et une violation de la loi. Forte de ce constat, la Commission Éthique et Anticorruption réclame donc des sanctions contre Jacques Elibert, le patron de l’ONI ; mais aussi contre celle qui a joué le rôle d’intermédiaire dans ce dossier. En effet, Jacques Elibert lui-même, avait déclaré, depuis la Côte d’Azur à Cannes, que c’est Martine Moïse en personne qui avait choisi l’entreprise allemande pour concevoir un nouveau système en vue de produire de nouveaux Fichiers et de nouvelles listes électorales. Selon la Commission, d’après les personnes qui ont été auditionnées dans le cadre de cette affaire, cette démarche des plus hautes autorités de l’Etat ou de leurs proches fait courir de grands risques et met en danger le système électoral, voire la stabilité politique du pays.

Face à tant de manquement dans la conduite des affaires de l’Etat et de l’intérêt porté par des grands commis de l’Etat dont l’objectif n’est autre que de procéder au détournement de fonds et à la corruption, la Commission propose au Sénat de saisir la justice contre tous ceux ayant participé à ce vaste scandale de corruption au dépens du Trésor public. Non seulement le Rapport de la Commission Ethique et Anticorruption recommande au Sénat de « solliciter les juridictions compétentes en vue de mettre l’action publique en mouvement contre les grands commis de l’État qui ont, en toute connaissance de cause, violé les lois sur la passation des marchés publics ou se sont rendus complices des faits incriminés en votant une résolution manifestement illégale et contre toute personne ayant participé sans titre ni qualité à monter cette opération », il propose aussi l’annulation purement et simplement du contrat de Dermalog avec l’Etat. Toujours dans un souci de clarifier la situation, la Commission présidée par Youri Latortue exige la cessation de toute production des Cartes électorales qui sont déjà en cours et susceptibles de faire l’objet de contestation de la part de l’opposition avant et après les prochains scrutins.

toutes les difficultés pour la mise en application des recommandations de la Commission permanente Éthique et Anticorruption tiennent à la solitude et l’isolement de son Président dans cette affaire.

Mais, toutes les difficultés pour la mise en application des recommandations de la Commission permanente Éthique et Anticorruption tiennent à la solitude et l’isolement de son Président dans cette affaire. Comparativement à la précédente Commission présidée par le sénateur de l’Artibonite, celle sur le Fonds PetroCaribe qui a eu un écho national, voire mondial, le dossier Dermalog reste pour le moment pratiquement confidentiel. Certains vont même dire que le sénateur Youri Latortue est d’autant plus isolé qu’il est le seul pour le moment à s’intéresser vraiment à ce que ce dossier sorte de l’ombre. Si les autres membres de la Commission en dehors des divergences, voire des désaccords qu’ils peuvent avoir avec leur Président ont fait un travail de professionnel, ils restent pour le moment assez discrets et très loin de la position du Président de AAA qui a un intérêt politique toute personnelle pour que cette affaire prenne la même trajectoire que celle du Fonds PetroCaribe.

Mais, depuis le dépôt du Rapport d’enquête sur le bureau du Président du Sénat, Carl Murat Cantave, le vendredi 24 mai 2019, c’est le silence radio. Comme si effectivement le sénateur Youri Latortue qui préside la Commission n’a pas d’alliés. Erreur ! En pleine période estivale et pendant que le nouveau Premier ministre nommé Fritz William Michel continue son chemin de croix avec son Cabinet ministériel mort-né dans lequel il a déjà enregistré plusieurs démissions avant même de tenter sa chance à la Chambre des députés et au Sénat de la République pour l’énoncé de sa Déclaration de politique générale, le dossier Dermalog revient sous les feux de la rampe. En effet, le jeudi 15 août 2019 une quinzaine de citoyens, militants politiques pour la plupart, s’était présentée au Palais de justice de Port-au-Prince en compagnie de leur avocat Me Marc Antoine Maisonneuve pour déposer plainte contre un ensemble de hautes personnalités publiques dont la Première dame Martine Moïse.

Outre l’épouse du chef de l’Etat, cette action en justice concerne aussi l’ancien Premier ministre Jack Guy Lafontant, le ministre de la justice de deux gouvernements démissionnaires, Jean Roody Aly, deux anciens ministres de l’Economie et des Finances, Jude Alix Patrick Salomon et Heidi Fortuné et bien entendu Jude Jacques Philippe Élibert, l’actuel Directeur général de l’ONI (Office National Identification). Au cabinet du juge d’instruction du TPI (Tribunal de Première Instance) de Port-au-Prince, les représentants de diverses organisations populaires et de partis politiques proches de l’opposition disent avoir porté plainte contre l’implication de ces personnalités publiques qui ont violé la procédure de passation des marchés publics sur le choix de Dermalog pour le nouveau système d’identification selon le Rapport de la Commission Ethique et Anticorruption du Sénat. Cette plainte porte sur le non-respect des principes de l’administration publique, mais aussi sur le détournement de fonds public, trafic d’influence d’abus de pouvoir et d’association de malfaiteurs.

Enfin, les plaignants croient que leur action est une démarche citoyenne devant le silence du Sénat sur cette affaire et répond à la demande de la Commission Ethique et Anticorruption qui proposait dans son Rapport que le « Sénat sollicite les juridictions compétentes en vue de mettre l’action publique en mouvement contre les grands commis de l’État qui ont, en toute connaissance de cause, violé les lois sur la passation des marchés publics ou se sont rendus complices des faits incriminés en votant une résolution manifestement illégale et contre toute personne ayant participé sans titre ni qualité à monter cette opération ». En ce qui a trait au Dossier Dermalog dans lequel la Première dame, Martine Moïse, apparaît comme l’un des acteurs principaux, l’on peut compter sur la pugnacité, l’influence et l’aura personnel du sénateur Youri Latortue, ce politicien retors nourri d’ambitions d’un grand destin national pour que cette affaire de corruption et de trafic d’influence ne finisse pas dans un tiroir poussiéreux du Sénat de la République. En tout cas, comme pour le scandale du Fonds PetroCaribe, le sénateur de l’Artibonite ne compte rien lâcher ! Surtout que dans cette énième affaire, Jovenel Moise n’a aucune couverture, il est la cible principale.

C.C

 

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