« L’art de gouverner consiste à prendre le plus d’argent possible à une catégorie de citoyens afin de le donner à une autre ». Voltaire
Sous quelque angle qu’on puisse l’approcher, quelle que soit la façon dont on veuille le considérer, peu importe le bout par lequel on voudrait saisir le cigare politicien, quel que soit l’esprit d’impartialité dont on voudrait faire preuve, quelle que soit l’appartenance idéologique de cet élément insaisissable qu’est le politicien, quelle que soit sa nationalité, sa race, son credo religieux, sa formation académique (quand il en a une), son âge, sa maîtrise de la langue qu’il préfère parler, l’étroitesse de la jambe de son pantalon, son sens de l’humour, sa compréhension (superficielle) de la réalité ambiante, il n’en demeure pas moins vrai que le machin connu sous l’appellation de politicien est tout simplement imbattable. D’où le néologisme imbattabilité utilisé pour le titre de ce texte, titre affligé d’un pléonasme puisqu’un politicien est par essence un personnage retors.
Je commence par une anecdote que m’a déjà racontée un ancien conseiller, aujourd’hui décédé, de feu le président Estimé. Sténio Vincent, politicien retors s’il en fut, se met en tête de repédaler après son mandat de six ans. Mais il y a ce juge-là, honnête, qui tempête: il n’est pas question de repédalage, le président ne saurait violer la constitution. Vincent se met en tête de révoquer ce magistrat «obstiné» que pourtant il sait inamovible. Il fait chercher un éminent avocat du barreau de Port-au-Prince, Me. Legagnant Zabèlbòk, pour le conseiller. Quoique politicien retors lui-même, Zabèl explique au président qu’il n’en est absolument pas question. Il invoque maints articles de la constitution pour convaincre son vis-à-vis.
Mais Vincent n’en démord pas moins. Il fait chercher Jean Sanreproche, un de ses ministres ausi retors que lui, et lui fait part de l’«entêtement» (sic) de Zabèl. De façon perfide et retorse, Vincent lui glisse: « Legagnant est un vrai couillon, j’allais faire de lui mon ambassadeur à Paris. Il vient de rater la chance de sa vie de gagner le gros lot». Plopplop, le ministre sousou, conscient de ce que Vincent vient de lui assigner, andaki, une mission sousoute, s’en va rapporter le propos «hexagonal» à Zabèl. Ce dernier qui depuis longtemps rêvait jeklè d’un poste aussi prestigieux se rend compte rapidement de sa «couillonnerie». Il se fait introduire auprès de Vincent par ce bienveillant ministre. Mine de rien, s’appuyant sur plusieurs articles de la constitution dont, selon lui, le grand public n’est pas familier, Me Zabèlbòk «prouve» au président qu’il a «absolument et parfaitement le droit» de révoquer ce juge «maladroit , obstiné et incompétent» (sic). Vincent, madré, rusé, roué, vye we, coquin, pervers comme lui seul laisse à Zabèl l’impression que sa «brillante» démonstration l’a «convaincu». Il le remercie chaudement et le congédie. Le même jour, Vincent confie à un autre ministre: «Il n’y a rien à faire avec ces politiciens. Gad sa Zabèlbòk fè m…» Ai-je tort de parler de l’imbattabilité des politiciens retors? Présidents, ministres, juristes, lèche-bottes, lèche-culs, tous imbattables.
En 1950, le président Estimé cherche à obtenir une révision de la Constitution de 1946 afin de faire prolonger son mandat. Le «tombeur de mulâtresses» tente de se succéder à la présidence. La Chambre des députés l’épaule, mais le Sénat n’est pas du même avis, ce qui provoque une crise au printemps 1950. Un bras de fer s’organise entre partisans et opposants du président, dont d’influents militaires. Malgré la formation d’un nouveau cabinet ainsi que des démonstrations de soutien à Estimé, la pression pour son départ persiste. Dans les coulisses, l’ambitieux colonel Paul Magloire, de concert avec l’ambasade américaine, lieu d’imbattabilité par excellence, tire les ficelles. Il ficelle une menace non voilée à Estimé. Titim quitte ses fonctions le 10 mai 1950.
Le colonel Paul E. Magloire, le colonel Antoine Levelt et le brigadier général Frank Lavaud, assument le pouvoir, proclamant, imbattablement : « En face des graves dangers (sic) que courent le pays et la vie des familles, nous avons endossé la responsabilité de dénouer la crise. » Des élections s’organisent. Bien ficelées. Sans surprise, Magloire est candidat à la présidence. Pour une première fois dans l’histoire, le chef de l’État haïtien est choisi au suffrage universel. Sans surprise encore, Paul Magloire ne rencontre aucune opposition, sauf celle de l’architecte Fénélon Alphonse, candidat imprudent ou marionnette consentante.
Magloire entre en fonction le 10 décembre 1950. Son mandat est fixé à six ans. Il bambile, danse à Cabane Choucoune, au palais national, et boit du whisky, toulejou m sou, à longueur d’année. Son mandat arrivant à expiration, il veut renouveler la tentative d’Estimé qu’il a lui-même contribué à faire échouer. Il commence des manoeuvres perçues par l’opposition comme devant mener à un deuxième mandat. L’opposition, le sénateur Louis Déjoie en tête, rugit. Rusé, se croyant intelligent, Magloire tente un tour de passe-passe qui devait le faire passer de la présidence à la tête de l’armée. La ficelle est trop grosse. Tous ses alliés l’abandonnent, même au sein de l’armée. Il doit plier bagages. Imbattables, ces politiciens retors.
Magloire se réfugie à New York où il se tient coi jusqu’à la fin du régime des Duvalier en1986. Sa petite-fille, la très extravagante Michèle Bennett vint à épouser le nazillon Jean-Claude Duvalier. L’ex-président Magloire, le «vertueux démocrate», n’assuma pas la responsabilité dudit mariage se proclamant «ennemi des Duvalier et de leur régime dictatorial». Qui parle de corde dans la maison du pendu? À la chute de la dictature, de retour en Haïti, Magloire fut reçu par le non moins «vertueux démocrate», le militaire «hautement progressiste et nationaliste», le général tafiateur Henry Namphy. Même, il devint… l’un de ses conseillers. Karese m, m a karese w. Imbattables politiciens!
Nous voilà maintenant en 2010. Une fiévreuse campagne électorale présidentielle bat son plein qui met face à face des candidats dont les pieds sont amarrés aux pieds de la table de l’ambasadeur américain, à des degrés divers. L’un d’entre eux, Michel Martelly, est plus chanceux. Lui, un usager de la drogue, mange à la table même de Hillary Clinton, Secrétaire d’État américaine. Li pa nan pye tab. Délaissant des affaires urgentes au Moyen-Orient, Hillary débarque en Haïti en urgence. Elle appuie sans doute la cause des femmes, mais Mme Manigat, une nationaliste qui, par surcroît, ne prend pas de petites prises de poudre blanche ne lui plaît pas une sacrée miette. Drôle de misogynie. Elle laisse ses ordres à Gaillot Dorsainvil: «”Mon petit Micky”, mon enfant de pute, et personne d’autre». Je crois que je suis toujours avec rigueur cette piste d’imbattabilité des politiciens retors, dites.
Écoutez maintenant le son of the bitch, l’enfant de chienne, dans son discours d’investiture: « Aujourd’hui, c’est l’immense espoir de mon peuple, sa foi en des lendemains meilleurs, son extraordinaire attente qui sont pour moi une obligation puissante […] La marche vers cette victoire aura été longue et douloureuse […] Je veux vous dire que sans le support apprécié de la communauté internationale, une fois de plus, une fois de trop, le vote populaire aurait été confisqué […] Que le peuple haïtien en soit fier et que les amis d’Haïti en soient remerciés». Quel culot!
Vous avez bien lu: le vote populaire aurait été confisqué! Imbattablement, Martelly trompe son auditoire, ment effrontément, défie l’intelligence du peuple haïtien, se fout éperdument de toute éthique en politique, de toute moralité, de tout jewontje, de toute feuille de vigne pour cacher sa cruelle indécence. Après s’être fait honteusement oint président par la toute puissante malveillance de Mme Hillary Clinton, Martelly poursuit imperturbable, imbattable: « Sa fè lontan n ap sèvi ak mizè peyi a pou nou regle zafè nou». Or, le petit voyou gouyadò se prépare justement à se servir de la misère de ses compatriotes pour régler ses affaires, lui, sa grimelle de luxe, Gwo Soso, et son fiston Olivier. J’ai bien parlé d’imbattabilité du politicien retors, malveillant. Est-ce que je dis vrai?
Nous avons eu la preuve la plus flagrante qui soit de l’imbattabilité des politicens retors pendant la récente campagne électorale présidentielle étatsunienne, au cours de laquelle deux menteurs fieffés se traitaient l’un l’autre de menteurs; deux richissimes énergumènes au service de l’ordre impérial et des banquiers s’accusaient à tour de rôle d’être un agent de Wall Street; deux bluffeurs se disputaient la meilleure façon d’en finir avec le terrorisme que le système auquel les deux appartiennent tètkale a créé au lendemain du désastreux fiasco en Irak et du monumental chaos en cours en Lybie.
Chez nous, ce n’est pas mieux. En 2015, de honteuses et scandaleuses élections ont lieu au profit du dauphin du régime en place, grâce à la veule complicité d’imbattables saltimbanques liés au CEP et à quelques petits maffieux de la publicité venus d’Espagne. Pèp kanpe sou de pye, la meute candidate se révolte. Accumulés les fesses au mur, pour reprendre l’expression d’un loustic avisé, le pouvoir et le CEP reculent. N’empêche, l’imbattable communauté internationale politicienne dokale qui a patronné la honteuse imposture s’est empressée de clamer, toute honte bue, que les élections s’étaient bien déroulées, avec «seulement quelques irrégularités». Imbattabilité, quand tu les tiens yo fin awoyo.
Entre-temps, le favori bananant de l’élite tilolit et de la communauté internationale est aux prises avec la justice. Jovenel Moïse, le mal nommé, le mal élu, est soupçonné de corruption, selon un rapport de l’UCREF (l’Unité Centrale de Renseignements Financiers). Des soupçons de blanchiment d’argent planent sur l’homme aux bananes impliqué dans des activités de blanchiment des avoirs. Ses transactions bancaires sont louches sinon d’une douteuse opacité. Pour donner le change, et sans être sollicité par les instances judiciaires, Jovenel s’invite auprès d’un juge qui ne l’a pas convoqué. Si ce n’est une démarche démagogique empreinte d’intimidation et de provocation, c’est quoi alors? Imbattable Jovenel.
L’ancien juge d’instruction Claudy Gassant clame que «Jovenel Moïse est passé du stade d’impliqué dans une affaire à celui d’inculpé formel par un juge». Or Jovenel est fortement soupçonné d’être un blanchisseur, un homme-dry-cleaning, et ça lave vraiment sec. Que n’a-t-il attendu d’être convoqué au Parquet s’il se sait innocent? Nèg pran devan avan devan pran l. Imbattable fourberie, imbattable jovenellerie, imbattable politicien retors. Aussi imbattable que son patron, Reynald Lubérice, le porte-parole du PHTK jovenello-martellyste s’est empressé de crier au loup: le rapport de l’UCREF illustre la «vassalisation d’institutions déjà faibles ». Dans un langage de bois coutumier aux «imbattables», Lubé prétend qu’il s’agit «d’un exercice de machination politique». Encore une imbattable bourde politichienne. Pauvre Lubérice!
Donnant tête baissée dans l’imbattabilité et l’imbécillité, Lubé raconte qu’« Un commentateur a dit que si Jovenel Moïse s’appelait Jovenel Madsen, Jovenel Mevs, il n’y aurait aucun problème qu’il réussisse. C’est parce qu’il s’appelle Jovenel Moïse qu’il est condamné ». Pas vraiment. En effet, Lubérice sait trop bien que sous Préval, Fritz Brandt et son fils David ont été incarcérés pour faux et usage de faux, contrebande, corruption et association de malfaiteurs, sans oublier le racketteur, le kidnappeur, le dappiyanpeur, le malfecteur, le scélérat né d’une grande famille bourgeoise, le mal nommé Clifford Brandt encore sous les verrous.
Je termine mon défilé d’imbattables avec François Fillon, le candidat préféré de la droite française. Le vent électoral des primaires en poupe, Fillon se voyait déjà président quand son passé de fèzè est venu le rattraper, le mettant en cause ainsi que sa fèzèz de femme, Penelope, fidèle à son Ulysse de mari et au fric, mais infidèle à un comportement vertueux auquel on s’attendrait de «ces gens-là» (merci Jacques Brel), ces bouffis de pouvoir, d’argent, de suffisance et de relyasyon. J’en viens tout de suite aux françoiseries, fillonneries de cet imbattable ancien premier ministre de l’ex-président Sarkozy.
Le 25 janvier dernier, le journal satirique Canard Enchaîné avait fait un certain nombre de révélations sur un présumé emploi fictif de la compagne de François Fillon, Penelope Fillon, pendant près de huit ans. Madame aurait touché au total près de 900 000 euros à la fois comme collaboratrice de son mari et correctrice à la Revue des deux mondes. Apparemment, elle n’était même pas présente pour s’adonner au kalewès. Elle ne faisait que se la couler douce sur le dos du contribuable.
En 2007, Madame avait été employée par le suppléant de M. Fillon, l’actuel maire de Sablé-sur-Sarthe, Marc Joulaud. Durant seulement quelques mois, en 2007, Penelope Fillon aurait touché un salaire mensuel de plus de 10 000 euros brut ($10 786. 44, soit plus que la rémunération de son patron, et au-delà du plafond accordé par l’Assemblée pour payer l’ensemble des collaborateurs. Koubabiston! «Ulysse» ne le savait-il pas? Lors du meeting qui devait lancer sa campagne, le 29 janvier 2007, le candidat de la droite, François Fillon, avait défendu sa probité en affirmant qu’il ne détenait avec son épouse « qu’un seul compte au Crédit agricole de Sablé-sur-Sarthe». D’après l’hebdomadaire satirique, ce n’est pas un mais bien « une quinzaine» de comptes que détiendrait le couple Fillon. Se pa nèg sèlman ki gen move mannyè.
Ce n’est pas tout. Dans les documents comptables de la Revue des Deux Mondes, propriété du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, proche de François Fillon, la Penelope a laissé une trace indiscutable. Entre 2011 et 2014, la revue ne salarie qu’une personne, une correctrice. Pour l’année 2011, le montant annuel des salaires et traitements du périodique s’élève à la somme modique de 12 719 euros. En 2012, Pénélope est discrètement embauchée, plopplop ce chifrre grimpe à 58 453 euros. En 2013, Madame est rémunérée pour une année entière. On atteint cette fois 72 427 euros. En 2014, Penelope Fillon disparaît de la revue et l’on revient à un niveau comparable à celui de 2011, avec 15 080 euros. Or, de mai 2012 à décembre 2013, personne ne semble avoir vu, voire entendu parler de Penelope Fillon, selon les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIF). Brrrr! Penelope… OCLCIF… UCREF… Jovenel… Ça ne vous dit rien?
Mais voilà. Malgré ces chiffres qui en disent plus que de longs discours, Fillon s’est réfugié dans l’imbattabilité. Il se fâche et dénonce: «Une opération organisée professionnelle […] une tentative de coup d’état institutionnel». Allô Reynald Lubérice! Allô Moïse Jean Charles! Allô Maryse Narcisse! Montant d’un cran dans l’imbattabilité, Fillon excédé et scandalisé se lâche: «Je vois que la séquence des boules puantes est ouverte. Je voudrais simplement dire que je suis scandalisé par le mépris et par la misogynie de cet article [du Canard enchaîné]. Alors, parce que c’est mon épouse, elle n’aurait pas le droit de travailler? Imaginez un instant qu’un homme politique dise d’une femme qu’elle ne sait faire que des confitures,[”qu’elle n’a pas l’esprit plus grand qu’un dé à coudre”] toutes les féministes hurleraient». Fillonabilité et imbattabillité, ne sont-ce pas deux mots synonymes?
Je termine avec ce bon mot de Nikita Khroutchev, politicien retors s’il en fut, grand déstalinisateur devant l’Éternel: «Les politiciens sont les mêmes partout. Ils promettent de construire un pont même là où il n’y a pas de fleuve». Ça alors, imbattable Nikita! Bravo Niki!
4 février 2017