Par James LAMARE
Nous ne sommes pas des « pays de merde », mais des « pays emmerdés… »
Onze janvier 2018 : Donald Trump, le président le moins élégant de toute l’histoire des Etats-Unis, pays de Martin Luther King, a traité, lors d’une rencontre avec des parlementaires américains, Haïti, Salvador et Kama de « pays de merde » (shithole countries). Cette parole obscène a irrité beaucoup d’Haïtiens et d’étrangers. Haïti est-elle toutefois ce que pense Trump ? Devons-nous quelque chose à cette « Honte américaine du siècle » ? Comment lutter contre le cancer Trump aujourd’hui?
Sartre, le ‘’pape de l’existentialisme’’, nous présente l’ « autre » comme un obstacle à la liberté, dans la mesure où il désintègre notre univers. «Autrui, c’est d’abord la fuite permanente des choses vers un terme que je saisis à la fois comme à une certaine distance de moi, et qui m’échappe en tant qu’il déplie autour de lui ses propres distances» (1). A cause de la gêne causée par l’autre, Sartre a déclaré : « L’enfer, c’est les autres (2) ».
L’être humain n’est pas une « masse altéromorphisée ». Il est, et est autre que le regard d’autrui. Les insanités d’un Trump trompeur et trompé n’enlèvent rien à ce que notre Haïti, championne de la liberté et de l’antiracisme, est. D’ailleurs, pour ceux et celles qui ne vivent pas intérieurement dans la laideur, l’Haïti de Trump est introuvable.
Monsieur le président,
Le peuple haïtien, martyr de la dignité, ne vous doit rien. Aux morts nous devons tout. Aux morts nous devons notre vie, notre passion de la résistance antihypégiaphobique. Aux morts glorieux de Vertières, aux amis de la Maât qui ont résisté contre les Traites transatlantique et arabo-musulmane, aux victimes de la barbarie naziste, aux insoumis massacrés de la campagne d’Albyssinie, au Congo sacrifié, nous devons tout. Nous, coupables de passivité résignée et d’amnésie, devons justice à ces étranglés de l’injustice.
Avec ses 700 millions d’hectares de terres arables, ses 35 % du potentiel d’hydroélectrique, ses 45 % de la bauxite mondiale, ses 50 % d’uranium, ses 50 % de l’or, ses 50 % de cobalt, ses 55 % du manganèse du monde, ses 86 % de la platine, ses 96 % des diamants du monde (3), ses grandes universités et ses intellectuels chevronnés, l’Afrique des peuples n’attend rien de vous.
L’instabilité socio-politico-économique qui intensifie, en cette époque cynique, les flux migratoires haïtiano-kamites vers les Etats-Unis est calculée et programmée… Nous ne sommes pas des « pays de merde », mais des « pays emmerdés ». Nous ne sommes pas non plus des « pays pauvres », mais des « pays appauvris ». Appauvris par des « cannibales culturo-économiques civilisés » qui ont jeté dans les poubelles de l’oubli le principe rosanvallono-diopien de la « solidarité d’humanité et de citoyenneté ».
Enfants de Kama et de la diaspora noire,
Au choix du racisme démentiel et cancérogène d’un président inculte, il faut opposer le choix de la solidarité et de la responsabilité. Une responsabilité « sartrolamarienne » impliquant la cessation inconditionnelle du culte de la ‘’mauvaise foi’’ et la prise du chemin de l’ ‘‘Hérésie du non (4)’’. Ne vous laissez plus désolidariser par l’Adversaire et ses affidés. Notre dignité d’abord ! Notre solidarité ensuite ! Notre justice politico-économique finalement !
Ainsi, je me joins aux Américains intelligents et « éclairés » pour saluer l’imminence du Grand réveil hérétique de l’Afrique, « berceau de la civilisation (5) », et de notre Haïti qui a défendu les Etats-Unis à Savannah en 1779. L’Histoire résistera toujours à la vulgarité et au négationnisme.
Notes
1…Jean-Paul SARTRE, L’Etre et le Néant (essai d’ontologie phénoménologique), Paris, 2…Gallimard, 1943, p. 312-313. 2 Jean-Paul SARTRE, Huis clos, Paris, Gallimard, 1947. p. 93.
3… James LAMARE, La voix de la responsabilité m’appelle, Paris, Edilivre, 2017, p. 111. (Entretien réalisé par Educ’Action avec le Professeur Honorat Aguessy le 10 juin 2015.)
4… Ibid., p. 105. « L’hérésie du non est cette forme de résistance curative qui consiste à désobéir […] L’hérésie du non implique la réalisation d’une grande ascension philosophique pour s’ouvrir à un esprit scientifique décolonisé. »
5… Cheikh Anta DIOP, « Apport de l’Afrique à la civilisation universelle » (communication donnée en 1985 au Congo), Paris, Présence africaine, 1987, p. 41 sqq.
HOTEP !
James LAMARE
Essayiste, philosophe, politologue et sociologue, James Lamare prépare actuellement la soutenance définitive de sa thèse de Doctorat à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université (Paris 4).