En Haïti, la population est habituée avec les promesses non tenues des dirigeants, qu’ils soient élus ou provisoires. Mais, il y a une différence entre les deux catégories. Ceux qui détiennent le pouvoir par un scrutin, contesté ou pas, généralement contesté, sont quasiment sûrs de se faire virer aux prochaines élections s’ils ne respectent pas leurs engagements électoraux.
D’ailleurs, rares sont ceux qui sollicitent un second mandat. Tandis que ceux arrivant aux responsabilités par un coup de chance, sans passer devant aucun électeur, donc nommés ou arrivés par la force, sont, paradoxalement, les mieux placés pour continuer leurs mensonges sans être inquiétés. Puisqu’ils n’ont pas la prétention de se présenter devant les électeurs, ni non plus l’intention de démissionner. Ariel Henry, l’actuel tenant du Pouvoir exécutif en Haïti et ce, depuis plus de deux ans, est dans cette catégorie.
Les gens de la Commune de Camp-Perrin, dans le département du Sud, répètent souvent ce slogan à la gloire de leur Cité « Kanperen, yon ti kote apa » (Camp-Perrin, un endroit différent), pour glorifier la beauté de cette commune et la distinguer par rapport aux autres. Les Haïtiens, pas pour le même motif, peuvent en dire autant pour leur pays qui est vraiment particulier.
« C’est une habitude, M. Henry ne tient jamais compte de ses engagements »
Du Président Jean-Bertrand Aristide au dernier en date qui a été assassiné, Jovenel Moïse, sans oublier ses deux prédécesseurs, René Garcia Préval et Michel Joseph Martelly, tous ont été contestés, combattus et vilipendés durant tout leur mandat, de façon telle qu’ils ont été tous renversés avant la fin de leur mandat constitutionnel mis à part René Préval et dans une moindre mesure Michel Martelly, sous prétexte qu’ils ont été mal élus et pour le non respect de leurs promesses électorales. Or, pour l’actuel chef de la Transition, Ariel Henry, on ne sait par quel miracle, personne ne voit ni l’urgence ni les raisons pour lesquelles il doit être renversé parce qu’il se contente seulement de faire des promesses dont lui-même est persuadé qu’il ne va pas et ne pourra pas tenir.
N’est-ce pas merveilleux pour ce « grand » dirigeant que Washington a placé sur le « trône » de la République? En Haïti, quel homme ou femme politique au pouvoir n’aurait pas aimé bénéficier d’une telle magnanimité de la part de ses compatriotes et de l’Oncle Sam ? Le Premier ministre, Ariel Henry, est un cas unique de l’histoire politique de ce pays et de l’histoire haïtienne tout court. Plus le pays qu’il est censé gouverner et diriger plonge dans le néant, le chaos, dans les bas-fonds, mieux il se porte politiquement en bénéficiant du soutien et de la confiance sans pareil de son peuple. Sinon, jamais il n’oserait se présenter encore devant la population en cette fin d’année 2023 non seulement pour lui présenter ses vœux de bonheur pour l’année qui vient alors même qu’il sait pertinemment qu’elle sera pire que celle qui s’en va. Mais, il a le culot de lui faire part des promesses en récitant textuellement la même leçon qu’il avait apprise l’année précédente. Que la vie est belle pour ce fils des dieux, héritier d’un pouvoir qu’il n’avait pas cherché ni combattu pour l’avoir.
Il fallait le voir, ce médecin, pour l’admirer, ce jeudi 14 décembre 2023 drapé de l’ensemble des pouvoirs régaliens de la République pour accueillir les membres du Corps diplomatique et consulaire, Organisations internationales (ONG), dirigeants des médias, et le lundi 18 décembre 2023, le Secteur économique et des affaires, le gratin de l’administration publique haïtienne, officiels, grands commis de l’Etat, hauts fonctionnaires à la Villa d’Accueil à Musseau venus lui présenter leurs vœux de bonheur pour la nouvelle année. Fier comme un Roi ou un Prince régnant sur ses sujets. D’ailleurs, ne l’a-t-on pas baptisé, par moquerie, « Roi Henry » depuis qu’il s’est octroyé la totalité des prérogatives du Pouvoir exécutif à son accession à la Primature, au Palais national et au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales ? Dans un bâtiment refait à neuf, 14 ans après le séisme 2010, la Villa d’Accueil, un héritage du régime des Duvalier, redevenue la Résidence officielle des Premiers ministres, parée de ses décorations des fêtes de fin d’année, brillait de mille feux.
Ariel Henry était dans son élément pour parler au nom d’un peuple qui, à ce moment précis à quelques kilomètres de-là, à Ganthier, vit sous la domination du groupe criminel appelé 400 Mawozo qui assassinait, détroussait, incendiait, exilait la population de cette zone. Quelle ironie de l’histoire ! Et quel déni de vérité ! En effet, sans gêne mais surtout plein de toupet, en accueillant les dignitaires étrangers et haïtiens, les uns à l’intérieur de l’édifice, les autres dans les jardins de cette splendide demeure, au haut Bourdon, le Premier ministre déclarait « Avoir choisi de recevoir sur le site encore en chantier de la Primature, pour signifier symboliquement à tous que l’année 2024 qui s’en vient devrait être l’année de la reconstruction de nos institutions. Je vous demande de me prendre au mot quand je parle de la volonté de mon gouvernement de tout mettre en œuvre pour reconstituer nos institutions démocratiques ». Sans se douter du qu’en dira-t-on, Ariel Henry se sentait fort, légitime et plein d’espoir pour parler au nom de ses concitoyens qui ne l’écoutent plus tant ils sont convaincus que l’homme qui détient l’essentiel des pouvoirs en Haïti n’est non seulement pas en mesure de changer de logiciel, mais aussi incapable de comprendre que ce logiciel était périmé et qu’aucune mise à jour ne serait possible.
des ambassadeurs américain, canadien et français peinent à croire que la sécurité arrivera comme par enchantement
Deux ans qu’il les bassine des mêmes discours et leur ressort le même plat réchauffé sur la résolution des problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien. Pourtant, en présence des Directeurs généraux et autres hauts cadres de la fonction publique, il a lancé, le 18 décembre 2023 « Je tiens à m’adresser à vous tous ici présents, fonctionnaires, répartis au niveau de l’administration publique, mes félicitations pour le travail exceptionnel que vous accomplissez au service de la collectivité, au service de la nation. Tout au long de cette année, nos collaborateurs du secteur public ont fait preuve d’une résilience exceptionnelle, travaillant sans relâche pour surmonter les obstacles qui se sont dressés sur leur chemin. Votre engagement indéfectible et vos efforts inlassables ne peuvent nullement être passés inaperçus. Malgré les temps difficiles, vous avez maintenu le cap et c’est grâce à vos efforts, étant les piliers de la stabilité et de la continuité de l’administration, que nous avons pu continuer à avancer, dans des circonstances parfois éprouvantes. Nous nous engageons à renforcer la transparence et la responsabilité au sein de notre administration, à améliorer l’efficacité des services et à créer un environnement propice à la croissance économique et au bien-être de nos concitoyens et concitoyennes. »
Confortable et sûr de lui, le chef de la Transition n’a pas vacillé quand il a évoqué la problématique de l’insécurité qui sera bientôt, selon lui, un lointain souvenir dans la mesure où ce phénomène sera vite balayé avec l’arrivée, dès le début de cette année, des soldats étrangers dans le cadre de la mission multinationale. Sous les yeux des ambassadeurs américain, canadien et français, Eric Stromayer, André François Giroux et Fabrice Mauries, les Tuteurs en somme, qui, eux-mêmes peinent à croire que la sécurité arrivera comme par enchantement, Ariel Henry, dans son discours de fin d’année, lançait, comme un Père Noël qui distribue des cadeaux aux enfants qui y croient encore, « Nous sommes convaincus que nous vaincrons bientôt le spectre de l’insécurité avec l’aide de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMSS) dont notre pays frère le Kenya a accepté de prendre la direction. »
Certains croisent les doigts pour que sa déception ne soit pas plus grande que ses souhaits. Non content d’attendre l’aide extérieure sans essayer lui-même de commencer à baliser le terrain avec les moyens dont dispose le pays, histoire de démontrer que le pays regorge de potentiels humains et ce sont les moyens logistiques qui font défaut, comme l’année dernière, Ariel Henry qui se complaît dans son rôle de « marionnette » ou d’« exécutant » de Washington avait commencé par remercier la Communauté internationale pour son rôle de soutien dans cette gageure qu’est devenue Haïti simplement parce que les soi-disant pays amis ont laissé ouvertes leurs Missions diplomatiques à Port-au-Prince en dépit de l’état d’insécurité.
« Nous savons que nous pouvons compter sur les pays amis de la Communauté internationale qui continuent de nous apporter un soutien significatif dans notre quête de stabilité et de bien-être pour nos concitoyens. Je vous demande de transmettre aux dirigeants des pays et des organisations que vous représentez nos remerciements pour avoir gardé ouverts vos ambassades, vos consulats et vos bureaux, malgré les défis posés par l’insécurité et les aléas du quotidien. » C’est plus que lamentable cette posture, c’est comme si la présence de ces diplomates dans le pays sert à quelque chose pour la population qui affronte chaque jour sur les routes haïtiennes des hordes de hors-la-loi bien souvent de connivence avec, justement, ces ambassades. Personne, à ce jour, n’oublie comment a été réglée et gérée l’affaire des missionnaires religieux américains kidnappés par le gang 400 Mawozo du côté des communes des Croix-des-Bouquets et Ganthier.
Comme par miracle, tous les religieux ont été libérés sains et saufs au pied de morne à Cabris sans que ni le gouvernement haïtien ni l’ambassade et les autorités américains n’avançaient la moindre explication sur la libération de ces otages. Alors même qu’aucun kidnappeur n’a été arrêté ni tué, voire inquiété. Bizarre non ! A l’occasion des vœux de fin d’année, le Premier ministre n’a point oublié la branche économique et d’affaires qui le soutient depuis la signature de l’Accord du 21 décembre.
Là encore, c’est particulier dans l’histoire de ce curieux pays où les élites économiques et politiques soutiennent rarement les régimes issus de vote populaire. Ces entités se font toujours un devoir de financer tous les mouvements subversifs contre les gouvernements ayant bénéficié de l’onction des suffrages universels. Elles se sentent moins confortables avec des régimes nés sous l’empire des Constitutions et des institutions ; en revanche, plus confortables avec des gouvernements intérimaires ou de Transition fonctionnant dans l’opacité générale, puisque évoluant sans aucun contre-pouvoir, genre Parlement, etc.
On ne s’étonne point de la complicité et du soutien de l’oligarchie haïtienne à ce gouvernement de Transition qui n’a de compte à rendre qu’à lui-même et surtout qui bénéficie du soutien et de l’appui des Etats-Unis qui l’ont installé sans tenir compte de la Constitution encore moins des Haïtiens. Signataires de l’Accord du 21 décembre qui vient d’avoir une année d’existence en cette fin de 2023, les Secteurs économiques et d’affaires qui, par ailleurs, sont membres du Haut Conseil de la Transition (HCT) à travers leur représentant Laurent Saint-Cyr sont des éléments indispensables dans le dispositif et le maintien d’Ariel Henry au pouvoir bien qu’il est prouvé qu’il n’a rien réalisé ni tenté de faire quoi que ce soit au cours de ces deux dernières années passées à la tête du pays. D’où le remerciement du Premier ministre à ces entités lors des vœux de fin d’année le 14 décembre 2023. « Je reconnais que l’année qui touche à sa fin a été remplie d’obstacles et d’épreuves. Je sais que la plupart d’entre vous font face à des situations qui auraient pu ébranler votre capacité à résister aux aléas d’une conjoncture politique instable, alimentée par une insécurité galopante. Malgré ces difficultés, vous, entrepreneurs, chefs d’entreprises et acteurs du secteur privé formel et informel, avez démontré une détermination à continuer à offrir des services à la population et à contribuer à la croissance économique. Vous êtes la clé de cette croissance, les créateurs d’emplois et les partenaires clés dans la construction d’une économie forte », leur disait le chef de la Transition.
En ce jeudi 14 décembre 2023, l’on était à une journée à peine du quatrième échec des émissaires de la CARICOM dans leur démarche de trouver un consensus entre les protagonistes haïtiens de la Transition. Donc, tout le monde attendait ce que Ariel Henry, l’acteur clé de la crise, avait à proposer pour remédier à la situation. Les Eminentes Personnalités de la Communauté caribéenne étaient encore dans la capitale haïtienne en train de se bagarrer comme des diables dans un bénitier pour arracher un Accord entre les acteurs sociopolitiques, après leur échec, quand Ariel Henry, donnait son show à sa Résidence officielle de Musseau.
Dans un luxe exubérant et sous haute sécurité de l’armée pendant que les membres de la population se faisaient égorger par les gangs à deux pas du Centre-ville sans qu’aucune autorité ne se soucie de leur sort. Naturellement, les observateurs attendaient son discours sur la conjoncture politique et l’année qui s’achève. Comme l’année dernière, ils ont été servis. Le Premier ministre les a entraînés dans un discours fourre-tout dans lequel rien ou presque n’a été oublié. Ariel Henry promet tout et son contraire : sécurité, élections, consensus politique, nouveaux élus, futurs dirigeants, remerciement aux tuteurs étrangers et aux secteurs qui le soutiennent, etc. Cependant, parmi toutes les annonces et promesses faites, nous avons retenu qu’il n’a donné aucune date, aucune échéance pour passer le pouvoir à ces futurs dirigeants ni pour lancer les chantiers et les travaux qu’il comptait réaliser.
Comme pour s’en convaincre, il a lui-même rappelé ce qu’il avait dit lors des vœux de 2023 et les a prononcés en guise de vœux pour 2024. « Depuis la Jamaïque j’ai pris des engagements pour associer le plus de secteurs possibles dans la gestion de la période intérimaire. Je tiendrai cette promesse en associant les acteurs qui le souhaitent, à tous les niveaux. Il est indispensable de rassembler le plus de compatriotes possibles autour de l’idée qu’il est indispensable que dans les meilleurs délais de remettre la direction des affaires du pays à des élus. Nous avons mis deux longues années à chercher à en convaincre l’ensemble des parties prenantes. Maintenant il nous faut aller de l’avant et créer les conditions pour redonner la parole au souverain qui aura le dernier mot dans le choix de ses futurs dirigeants », répétait le chef par intérim du Pouvoir exécutif.
De l’avant, les oppositions n’y croient guère. Certains leaders de ladite opposition lui ont répondu dans les minutes et jours qui ont suivi ces vaines promesses. De Nélus Nérius, un responsable d’une petite formation politique dénommée : Debloke Ayiti, à l’ex-Parlementaire Serge Jean-Louis sans oublier André Raphaël de la Direction de MOPOD, tous se disent sceptiques et renvoient le Premier ministre à ses promesses de l’année dernière. Serge Jean-Louis qui balaie les déclarations du locataire de la Villa d’Accueil, a déclaré «Je ne fais pas partie des signataires de cet accord, mais je prends acte de sa déclaration, il doit céder la gouvernance du pays à quelqu’un d’autre s’il veut être crédible. » Alors que, pour le Groupe de Montana, les déclarations de Ariel Henry sont une manœuvre pour tromper la population et les acteurs de l’opposition. Les signataires de l’Accord de Montana estiment que cela devient une habitude chez M. Henry.
James Beltis, un des dirigeants du Groupe Montana, prenant la parole au nom de cette structure politique collégiale, disait «C’est une habitude, M. Henry ne tient jamais compte de ses engagements. Ni la classe politique ni les citoyens ne prennent à cœur cette déclaration. C’est tout à fait normal qu’il change de promesse à chaque début d’année, pour tromper la population en faisant semblant d’entreprendre de nouvelles choses au bénéfice des citoyens, ce qui n’est pas vrai. Personnellement, je me méfie de cette promesse», a-t-il affirmé.
C’est aussi la position de la Force Nationale pour la Démocratie (FND) soulignant que, depuis plus de deux ans, c’est l’insécurité et le gaspillage qui font la force de l’administration du Premier ministre Ariel Henry sans parler qu’il n’a respecté aucun point de l’Accord du 21 décembre dont il est instigateur. En tout cas, le moins que l’on puisse dire, la confiance que demande le chef de la Transition ne sera pas facile à obtenir au cours de l’année 2024 tant son bilan durant cette année écoulée est synonyme de frustration, de peur, de pauvreté, d’insécurité. En clair, les Haïtiens ont le sentiment d’être trompés par le docteur incapable de les soulager des maux qui les détruisent à petit feu.