Les élections du 20 novembre 2016 n’ont pas répondu aux attentes espérées. Il y avait un frileux espoir que le pays allait sortir de ce marasme protéiforme. Pourtant, ces élections ont été émaillées de fraudes et d’irrégularités de même nature, mais parfois sous des formes différentes de celles de 2015. Ajoutés à cela, le faible taux de participation de la population estimé aux environs de 20 %, l’emprise de partis politiques néolibéraux sans programme avéré, les rumeurs de trafiquants de drogue, de contrebandiers et d’auteurs d’autres actes odieux accolés au dos de la plupart de élus font que ceux-ci ont gagné leur poste avec un déficit de légitimité et d’irrespect. La nation va en souffrir pour au moins les quatre et les cinq prochaines années.
Le nouveau Conseil Électoral Provisoire n’a pas révolutionné la machine électorale.
L’organisation de ces élections n’a pas été en rupture d’avec celle de 2015, surtout d’avec la machine électorale qui renferme tous les secrets pour faciliter ou éliminer une candidate ou un candidat à n’importe quel niveau. Le nouveau Conseil Électoral Provisoire (CEP) de l’année 2016, présidé par M. Léopold Béranger qui, en dépit de la présence d’une petite minorité de personnages reconnus pour leur élan progressiste est un corps institué, n’a pas révolutionné la machine électorale. Au contraire, il a légitimé bien des actes répréhensibles orchestrés par son prédécesseur.
L’opinion publique, opiniâtre dans ses dénonciations, l’avait contraint (le CEP de 2015) à discontinuer les élections en cours. Ce qui a entraîné, conséquemment, sa dissolution. La révocation par le nouveau CEP de quelques membres des Bureaux électoraux communaux ou départementaux ( BEC, BED) et leur remplacement par d’autres même mieux formés et peut-être dotés de meilleures intentions, n’ont pas eu un impact significatif sur l’amélioration de la machine, vieille de plus d’une dizaine d’années. L’illusion que ces élections symbolisent le paradigme de la démocratie, a servi de prétexte au pouvoir exécutif pour bousculer le CEP à aller vite en besogne. On voudrait faire accroire que seules les élections quel que soit le prix, peuvent guérir les institutions étatiques de leur dysfonctionnement. Pourtant toute analyse approfondie nous persuade que ces institutions fonctionnent bien dans la logique et les intérêts des classes dominantes et jouent leur rôle dans le concert des puissances impérialistes, et cela n’est pas sans conséquence sur le processus électoral.
Quelles sont ces conséquences?
Les résultats que ce CEP a affichés au cours du dernier trimestre 2016, ont fait émerger des personnalités douteuses qui n’abandonneront pas pour un poste ou pour l’honneur leur instinct criminel. Au contraire, ces personnalités, revêtues de leur manteau d’impunité durant leur mandat, profiteront pour accroître leur fortune malodorante. Les méthodes qu’elles ont employées pour y accéder, ont bel et bien correspondu à leur état de brigands. Elles ont brandi les manières fortes telles que l’achat des électrices et des électeurs, utilisé des cartes électorales soutirées à leur propriétaire, soudoyé des mandataires et même des conseillers électoraux pour écarter leurs concurrents qui parfois se sont inscrits sous la même bannière politique ou partagent le même label idéologique. Certaines d’entre elles ont eu même la capacité de manipuler la machine électorale dans ces divers compartiments, ce, avec la complicité de ladite communauté internationale qui en a le contrôle direct. Le centre de tabulation est sa fille légitime. Le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) est le seul argentier du Conseil électoral qui doit lui fournir des pro formas pour tout achat même quand les élections sont largement financées par le gouvernement et l’État haïtiens. La United Nations Office for Projects Sevices (UNOPS) a le monopole du transport des bulletins sous l’œil bienveillant de la carapace militaire de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilité d’Haïti(MINUSTAH). Cette mission s’est illustrée dans des actes épouvantables tels que le viol, la pédophilie, et l’introduction du choléra qui a déjà plus de 10.000 morts et des centaines de personnes affectées. Bon nombre de ses soldats ont laissé des enfants au mépris du respect de la paternité responsable. Ils ne sont pas redevables de la justice haïtienne. De qui le sont-ils?
Malgré tout le CEP, autonome dans les lettres, n’a pas saisi la perche tendue par le pouvoir exécutif.
Le CEP a commis une faute irréparable quand il n’a pas saisi l’opportunité des premiers moments où il jouissait ou disons mieux où certains de ses membres jouissaient de la confiance populaire pour redresser la situation qui s’annonçait déjà sombre. Cette faute s’est répercutée insidieusement sur la conjoncture politique. Le président provisoire Jocelerme Privert et son premier ministre Enex Jean- Charles lui ont offert une occasion en or pour nettoyer les élections entachées de fraudes et d’irrégularités d’août et d’octobre 2015 et pour orienter positivement la machine électorale. La Commission Indépendante d’Évaluation et de Vérification (CIEV) auquel le pouvoir exécutif a participé à la mise en place malgré l’hostilité de ladite communauté internationale, a dévoilé de façon évidente tous les écarts qui ont plombé ces joutes. Malheureusement, les responsables électoraux ont écarté certaines pièces frauduleuses et ont blanchi ou accepté beaucoup d’autres d’après leur vision politique et ou idéologique et leur attache ou non au système dominant. Il est difficile de comprendre la façon dont le CEP a accepté le résultat de certains candidats au Sénat, à la députation et même celui des maires et a rejeté celui des présidentielles de 2015 ; alors que le tout a eu lieu au cours du même processus. Un autre lourd dossier qui sommeillait depuis 2013 est brusquement sorti de sa léthargie. C’est un dossier qui intéresse le public national et toutes les sections internationales qui suivent pour une raison ou pour une autre la réalité haïtienne.
En effet, pendant la campagne électorale qui a précédé les élections du 20 novembre, l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) a dévoilé quatorze comptes bancaires qu’elle assimile à des blanchiments d’argent au nom et au profit du président élu Jouvenel Moïse.
Le CEP pour les mêmes raisons politiques et idéologiques n’en ont fait aucune considération. Le système judiciaire haïtien a, une autre fois, exhibé sa force contrairement aux opinions qui critiquent sa faiblesse.
Cette force qui a su le maintenir comme l’un des trois pouvoirs depuis plus de 200 ans en punissant les masses populaires qui constituent la plus grande majorité du pays même pour des peccadilles et en dorlotant les principaux suppôts des classes dominantes même après avoir commis des crimes abominables. Il est vrai que l’impunité existe et perdure. Il est aussi vrai qu’elle ne sévit qu’à l’avantage d’une couche certaine de la population. Un exemple clair pourtant qui serait une erreur de M. Jovenel Moïse du fait de s’être présenté sans être convoqué, par devant le juge d’instruction Breddy Fabien le mercredi 25 janvier, se veut une preuve de ce fonctionnement/dysfonctionnement de nos institutions juridiques. D’éminents juristes ont déclaré que le président élu, par ce geste impromptu, est devenu automatiquement un inculpé. Etant qu’inculpé, est-il apte, au moins sur l’angle éthique, à recevoir de l’Assemblée nationale l’investiture et l’écharpe présidentielles? Est-il libre de ses mouvements?
L’élection à la première magistrature de l’Etat, de M. Jovenel Moïse, ne le concerne pas exclusivement. Il représente un courant de droite, néo-duvaliériste qui détient les principaux leviers financiers et économiques, y compris ceux impliqués dans le trafic de drogue et la contrebande. M. Moïse dans sa vison néolibérale ne signifie pas non plus qu’il est un épouvantail pour la communauté internationale qui, comme une pieuvre, ne refusera jamais d’étendre ses tentacules sur tous les espaces du pouvoir politique en vue de s’approprier toutes nos ressources naturelles. C’est ce compromis qui a investi le nouvel élu de toute sa puissance et de son outrecuidance.
Le mouvement Pati Ayisyen Tèt Kale (PHTK) a raflé le Sénat et la Chambre basse. Les trois principaux candidats à la présidence ont saisi la perche de l’UCREF pour réclamer l’invalidation de la victoire de Jovenel Moïse. L’on se demande pourquoi ces candidats ont-ils attendu ce moment ultime pour évoquer le dossier de blanchiment d’argent de M. Moïse ; tandis que les données sont disponibles depuis le mois d’août?
Cette attitude cache certaines choses que nous ne connaissons pas encore. M. Moïse a donné des signes prémonitoires de sa présidence. Son premier discours au lendemain de la proclamation de sa victoire par le CEP est empreint de menaces. Ses mots-clés sont Ordre, Respect, accompagnés d’une promesse de proposition de loi sur la diffamation. Un projet qui sera le bienvenu au parlement parce qu’il contribuera non seulement à limiter ou à réduire les accusations portées contre le président, mais aussi contre la plupart des parlementaires soupçonnés par l’opinion publique d’avoir commis des crimes et des délits. Ses promesses électorales sont subordonnées à un réajustement de nos institutions. Plus d’un craint un retour à la répression duvaliériste dans une version post guerre froide. D’ailleurs, écoutons son apostrophe quand il annonçait l’organisation du carnaval national à la ville des Cayes
« Le président a parlé. Point barre’ ». Il n’avait pas encore prêté serment par devant l’Assemblée Nationale formée de la majorité des membres de chacun des deux corps du pouvoir législatif. À l’instar de son mentor prédécesseur Michel Martelly, il compte détrôner Port-au-Prince de cette activité traditionnelle qu’est le carnaval au profit de l’une des villes la plus touchée par le cyclone Matthew.
Les prochaines années s’annoncent sombres!
Ce n’est pas parce que le nouveau président ne bénéficie d’aucune expérience politique que nous n’augurons pas bien de l’avenir immédiat. La suspicion de ce dossier de blanchiment d’argent va entacher et fragiliser toute sa présidence. Il est vrai qu’il compte détenir presque le pouvoir absolu grâce au soutien de la majorité des parlementaires dont la plupart d’entre eux sont frappés de la même mauvaise réputation que lui.
Ainsi sera-t-il affranchi de toute contrainte pour continuer la politique de liquidation des ressources naturelles du pays aux multinationales tout en pavant la voie au dépouillement des fonds publics dans la lignée du Pati Ayisyen Tèt Kale (PHTK). Il a les mains libres pour protéger ses acolytes corrompus et préparer le retour de Michel Martelly au pouvoir à la prochaine élection présidentielle, lui qui l’a impulsé sur la scène politique, il ya a à peu près trois ans. Ce pool réactionnaire s’apprête à changer la Constitution dans le sillage de la quarante-huitième législature qui dans toute illégalité l’a amendée et a enlevé au peuple certains aspects qui garantissaient sa participation.
Une telle politique ne lui laissera pas le sommeil léger. De toute façon, avec moins de possibilités dont il disposera avec l’indisponibilité certaine du fonds Pétro Caribe, il n’aura pas tous les moyens de sa politique. Les revendications populaires endormies par des promesses électorales insatisfaites se réveilleront bientôt. Les politiciens traditionnels même parmi ceux qui lui ont déjà tendu la béquille de la réconciliation dans une optique opportuniste, ne s’embarrasseront pas comme d’habitude de reprendre à leur avantage les demandes populaires pour assouvir leur faim politicienne. La gauche révolutionnaire a comme devoir de s’unifier en s’appuyant sur des principes idoines pour accompagner les masses populaires dans leurs luttes et leur offrir la vraie alternative.
2 février 2017