Le feuilleton kenyan en Haïti (7)

(7e partie)

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Le ministre haïtien des Affaires étrangères Jean Généus lors de la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU, le 2 octobre 2023. Photo ONU/Evan Schneider

En Haïti, le vote de la Résolution 2699 de l’ONU a été accueilli, évidemment, de diverses manières. A bras ouvert par le Premier ministre Ariel Henry et son équipe gouvernementale, très réservé pour certains acteurs sociopolitiques et franchement contre pour d’autres. Attendu depuis plus d’un an, les autorités haïtiennes ont poussé un grand ouf de soulagement après ce vote crucial permettant aux américains d’activer leur plan B.

Sur son compte X, le locataire de la Primature disait « Merci au pays frère, le Kenya, qui a accepté de prendre la commande de cette Mission. Merci déjà à tous les pays qui acceptent d’intégrer cette Force. Nou pat ka tann ankò (On ne pouvait plus attendre)! » écrit Ariel Henry. Avant lui, son ministre des Affaires Etrangères, Jean Victor Généus, depuis New-York où il assistait aux Nations-Unies à la réunion qui devait sceller le sort d’Haïti en cette année 2023, avait, dans une longue intervention, remercié le Conseil de sécurité et dit son contentement.  « (…) Le vote de ce texte constitue une avancée significative vers la résolution de la crise multidimensionnelle que traverse Haïti. C’est une lueur d’espoir pour le peuple qui subit depuis trop longtemps les conséquences d’une situation politique, socioéconomique, sécuritaire et humanitaire difficile. J’en profite donc pour, publiquement ici, saluer son courage et sa résilience. Le Conseil de sécurité a pris la mesure de la crise et a compris la nécessité d’agir en urgence pour donner espoir à des millions de femmes, d’hommes et d’enfants désarmés, qui ont besoin de recouvrer la liberté, la paix et la sécurité et qui ont appelé longtemps la Communauté internationale à leur secours. Les membres du Conseil, en adoptant la Résolution autorisant le déploiement d’une Mission Multilatérale de Soutien à la Sécurité, ont pris aujourd’hui une décision à la hauteur des défis (…). »

D’autre part, divers acteurs politiques ont réagi sur le vote de l’ONU autorisant le déploiement de la force militaire internationale. En fait, les avis sont très partagés. Invité à donner son avis sur l’arrivée prochaine des troupes étrangères, l’ancien Directeur général de la police nationale haïtienne (PNH), Mario Andrésol, a pris une position mi-figue mi-raisin sur le sujet. Devenu depuis quelques années un leader actif dans le paysage politique haïtien, cet ancien officier de l’ancienne Forces Armées d’Haïti (FADH) a tenté de dire ce qu’il pense de la situation politico-sécuritaire et de ce qu’il pourrait attendre de l’arrivée des militaires kenyans et des autres. Le lendemain du vote, il était l’invité de la radio Magik9 pour commenter la chance de réussite de la Mission en tant qu’ex-militaire, ex-chef de la police et leader politique  « Le climat de terreur imposé par les gangs ne cesse d’augmenter. 

Forcément, dans la force multinationale il y aura une composante militaire pour répondre à la réalité du terrain. Il est aujourd’hui prématuré de pronostiquer sur l’effectif approprié pour un renversement de la situation en termes de sécurité. Si nous n’esquissons pas nos besoins en matière de sécurité, nous compromettrons nous-mêmes l’efficacité de la Mission multinationale de sécurité. Je dois souligner que la protection des installations est secondaire par rapport aux besoins de sécurité en matière de démantèlement des bandits dans leur retranchement. À la vérité, si nous avions mis nos ressources à notre disposition, il n’aurait pas été aussi compliqué que cela en a l’air au point de vue stratégique et tactique, de mettre un terme aux exactions des bandits. 

La situation sécuritaire du pays aujourd’hui était évitable. On n’a pas pris les bonnes mesures quand il le fallait », a estimé le mardi 3 octobre 2023 l’ancien Directeur général de la police nationale, Mario Andrésol sur Magik9. Ce même 3 octobre, diverses organisations de la Société civile se sont prononcées sur le vote, notamment, le Centre d’Analyse et de Recherche en Droit de l’Homme (CARDH). Pour cet organisme, il n’y a pas doute, ce vote est un premier pas vers la résolution de la problématique de l’insécurité en Haïti avec les gangs. Les dirigeants de CARDH, ont exprimé leur attente et leur espoir dans cette force multinationale. Dans une note de presse datée du 3 octobre 2023, ils estiment que « La venue d’une force multinationale est déjà un souffle de soulagement pour le peuple haïtien, en proie à la violence des gangs. Le CARDH rappelle qu’actuellement, il y a entre 30 000 à 35 000 déplacés internes dans 45 Sites de la zone métropolitaine de Port-au-Prince qui vivent dans des conditions inhumaines et dégradantes en raison de la violence qui s’étend dans toute la partie nord de Port-au-Prince. L’adoption, ce lundi 2 octobre 2023, par le Conseil de sécurité, de la Résolution autorisant le déploiement d’une force multinationale en appui à la Police nationale d’Haïti est une étape importante vers la protection de la population haïtienne, notamment les plus vulnérables, au nom du ‘’ principe de la responsabilité de protéger’’ qui incombe à la Communauté internationale dans son ensemble. Au niveau de la gouvernance, des dispositions doivent être prises pour engager certaines réformes et protéger la population. En outre, il faut poursuivre l’application des régimes de sanctions contre ceux qui financent les activités criminelles, tout en se rapprochant des principes de l’État de droit et de la gouvernance démocratique », croient les dirigeants du CARDH.

Après ledit vote, et sur cette même thématique, dans un seul micro-trottoir réalisé dans la capitale haïtienne, par le quotidien Le National, auprès d’un nombre indéterminé de gens, la réponse d’une seule personne a été retenue, celle d’un homme qui s’il n’accueille pas à bras ouvert les soldats étrangers, croit qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. D’après lui trop de souffrances, de pleurs et de cris. Difficile d’après lui de continuer à vivre ainsi. « Nous sommes fatigués de vivre avec la peur au ventre, fatigués de voir nos filles, nos femmes, nos sœurs violées sous nos yeux impuissants, nous ne pouvons plus vivre avec une crainte constante et fuir incessamment nos demeures par peur d’être victimes des assauts des gangs criminels. Les soldats auraient dû être là, je veux me sentir libre de traverser les routes nationales numéros 1 et 2, être capable de rendre visite à mes parents et pouvoir me détendre au bord d’une plage publique » disait ce monsieur à Le National du 4 octobre 2023 dont on regrette que le micro-trottoir n’ait pas porté sur un plus grand nombre d’interviewés, ce qui eût mieux reflété l’opinion de la métropole, les petites gens en particulier.

L’ancien Directeur général de la police nationale haïtienne (PNH), Mario Andrésol

C’est par un Communiqué signé des principales associations du Secteur privé haïtien des affaires qu’on apprend que les dirigeants de ces associations appellent tous les Secteurs à se reconnaître dans la Résolution 2699 du 2 octobre des Nations-Unies qui, d’après eux, pourrait « Contribuer aux changements profonds et durables pour le bien-être du peuple haïtien ». Dans leur Communiqué, on peut lire entre autres, « (…) Les soussignés, mandataires des principales associations et regroupements du Secteur privé haïtien tiennent à saluer de manière solennelle le vote en date du 2 octobre courant de la Résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies approuvant le déploiement en Haïti d’une Mission internationale de support à la Police nationale d’Haïti, en réponse à l’appel lancé en octobre 2022 par le Premier ministre Ariel Henry à ses partenaires internationaux en vue d’aider son gouvernement à remplir sa fonction régalienne d’assurer la sécurité des vies et des biens sérieusement mise à mal par la prolifération de gangs armés de plus en plus violents. 

Leur action constitue  une puissante entrave à toute tentative de normalisation de la vie publique et à la tenue d’élections démocratiques et de relance de l’économie nationale (…)  Les signataires jugent utiles de réitérer ici l’appel lancé dans leur note de presse du 25 avril dernier à l’ensemble de leurs concitoyens et plus particulièrement aux femmes et hommes politiques, élites économiques et intellectuelles et à l’ensemble de la Société civile haïtienne à faire preuve de compréhension, de réalisme et de patriotisme, en vue de transformer cette nouvelle assistance sécuritaire étrangère en opportunité pour accompagner la reconstruction effective et durable de nos institutions républicaines (…) » Le Communiqué daté du 9 octobre 2023 porte les signatures de : M. Wilhelm Lemke, Président de l’ADIH ; Martine L. Cuvilly, 1ère Vice-Présidente de CCIO ; Jean-Philippe Boisson, Président de AmCham Haiti ; Raina Forbin, Présidente de l’Association Touristique d’Haïti (ATH) ; Gérard Laborde, Président de CCIHC ; Edouard Baussan, Président RPH.

Diverses organisations relevant de la Société civile, outre les principaux associations et regroupements du Secteur économique, ont porté leur soutien au déploiement des soldats étrangers en Haïti en saluant le vote du 2 octobre 2023 des Nations-Unies. Citons entre autres, le CNSCA (Conseil National de la Société civile haïtienne) et le FONSOC (Forum National de la Société Civile) qui réclament, dans le plus bref délai, l’arrivée de cette force multinationale. Ces acteurs de la Société civile réclament même l’élaboration d’une feuille de route sur la mise en place et les actions de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS).

Selon Joseph Domingue Orgella, Coordonnateur du CNSCA parlant au nom de ces deux organisations de la Société civile, « Le CNSCA et le FONSOC estiment qu’il est impératif pour le gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour travailler avec les forces vives de la nation afin de renforcer la cohésion nationale dans le but de faciliter le déploiement efficace, dans le plus bref délai, de cette mission dans le strict respect des droits fondamentaux du peuple haïtien. » Une position qui n’est pas de l’avis de tout le monde en Haïti et l’on dirait même qu’elle est loin de faire consensus parmi la nébuleuse d’organisations que compte la Société civile haïtienne organisée. En effet, les sons de cloche sont nettement différents du côté d’autres acteurs politiques et de la Société civile. Prenant le contre-pied des supporters de la Résolution 2699 de l’ONU, le parti politique Alyans Pèp est formel, ces militaires étrangers n’apporteront rien de bien pour le pays, estimant même que les dirigeants haïtiens et la Communauté internationale sont responsables de ce qui arrive au pays ces dernières années.

L’un des responsables de ce parti, Jean Fritznel Pierre-Louis, ne croit pas à un résultat positif et demeure très sceptique. Selon le Coordonnateur national adjoint de Alyans Pèp, « La Communauté internationale et une frange de la classe politique haïtienne sont les principales responsables de cette crise multidimensionnelle. Elles n’ont rien fait au départ pour éviter l’aggravation de la situation. Elles ont en effet cautionné l’insécurité, la misère et l’instabilité dans le pays. En ce sens, on ne peut pas s’attendre à la solution de la crise par ses provocateurs ». Tandis que, pour la Direction du Sant Karl Levêque, « C’est aux Haïtiens de faire un Front commun pour sortir le pays de cette impasse occasionnée par l’hégémonie des gangs. Aucune mission étrangère ne viendra solutionner les problèmes auxquels nous faisons face aujourd’hui. Une Mission Multinationale pourrait apporter une solution de façade, mais rien de plus. Nous ne croyons pas en eux, nous ne pourrons avoir confiance en eux jusqu’à preuve du contraire. Nous croyons dans l’autodétermination. Il revient à la population de prendre son destin en main pour sauver la patrie » a martelé Jean-Gardy Maisonneuve, le Coordonnateur général du Sant Karl Levêque.

D’autres organisations sociopolitiques vont encore plus loin pour rejeter la présence d’une Mission militaire internationale en Haïti pour combattre l’insécurité. C’est le cas d’un mouvement comme Nou Pap Konplis qui s’est prononcé catégoriquement contre cette mission qui ne sera pas à la hauteur des enjeux politiques et sociaux haïtiens. A travers une note envoyée à la presse le jeudi 5 octobre 2023, les dirigeants de Nou Pap Konplis certifient que l’organisation est : « Contre cette force multinationale qui sera dirigée par le Kenya en Haïti, compte tenu de la réalité du peuple kényan qui traverse actuellement une crise similaire à celle d’Haïti et les reproches lancées contre la police kenyane par l’opposition et les organismes internationaux de défense des droits humains ». Ce mouvement revient aussi sur les précédents échecs des Missions onusiennes dans le pays. Il estime qu’elles n’ont jamais apporté de réponses aux différentes revendications de la population.

D’où sa position ferme et entière « Nou Pap Konplis croit que sans une volonté politique manifeste entre les différents acteurs pour trouver une entente nationale, aucune force étrangère ne peut produire les résultats souhaités par la population. Nous devons procéder à un dépassement de soi et en même temps faire appel aux filles et aux fils du pays qui ont une compétence avérée en politique internationale et diplomatie internationale pour s’asseoir sur la feuille de route de la Mission Multinationale afin de ne pas répéter les mêmes erreurs du passé. Enfin, Nou Pap Konplis souhaite qu’un leadership éclairé soit dégagé au sein d’un gouvernement d’unité nationale axé sur la bonne gouvernance », avancent les responsables de Nou Pap Konplis dans leur note de presse du 5 octobre 2023.

(A suivre)

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