Après pratiquement une semaine passée aux Etats-Unis, à l’ONU et après avoir rencontré un nombre de dirigeants de haut niveau, le Premier ministre Ariel Henry était de retour à Port-au-Prince le samedi 23 septembre 2023 chargé à bloc, prêt, semble-t-il, à affronter les vagues ou à en découdre avec ses oppositions. Depuis l’aéroport Toussaint Louverture où il avait décidé de rencontrer la presse pour faire le bilan de son voyage à New-York, c’est nouveau pour le chef de la Transition, des badauds, des DJ, des bandes de Rara suivis de nombreux partisans drapés dans le drapeau haïtien étaient venus l’accueillir.
Rassuré et sans doute confiant que c’était mission réussie, Ariel Henry s’est exprimé sur le devenir de sa demande d’intervention étrangère « Il y avait une réunion organisée par le Département d’État où 40 pays qui comprennent ce qui se passe en Haïti, décident de contribuer au rétablissement de la paix dans le pays. Beaucoup de choses ont été discutées. Pour y arriver, il faudrait que le Conseil de sécurité des Nations-Unies prenne la résolution. Nous espérons que la semaine prochaine, le Conseil de sécurité des Nations-Unies se penche sur le problème de sécurité afin que des idées précises voient le jour sur des solutions au phénomène de l’insécurité. Il y a des gens qui ne comprennent pas la différence entre intervention militaire et soutien à la police. Je ne demande à personne d’intervenir pour la police haïtienne. Nous avons demandé de l’assistance à la PNH et lui donner la capacité, l’expérience pour qu’elle puisse continuer à travailler. La situation actuelle dépasse la police qui n’a pas de formation adéquate pour surmonter le problème. C’est l’une des raisons pour lesquelles, nous demandons une assistance externe pour qu’il y ait moins de morts, moins de personnes violées et moins de désordre, pour avoir un meilleur contrôle dans le pays. Des gens parlent de ce qu’ils ne savent pas. La question de sécurité ne traîne pas dans la rue. Le problème en Haïti, chacun se comporte en spécialiste. Si je demande l’assistance externe c’est parce que notre capacité est insuffisante pour faire face à la situation. La population peut ne pas y croire. Mais, c’est la vérité », expliquait le chef de la Primature qui semble retourner avec des idées plein la tête.
Conscient peut-être qu’il a toutes les cartes en main pour mener la Transition face à des oppositions qui semblent être abandonnées par la Communauté internationale, Ariel Henry paraît dessiner des plans pour son avenir politique. Persuadé sans doute que la Communauté internationale ne le lâchera pas et pourrait même le soutenir dans les initiatives qu’il compte entreprendre, le Premier ministre avait même évoqué la question du CEP pour relancer le processus électoral. « Nous ne nous attendons pas à ce qu’il y ait un consensus général, qu’il y ait l’unanimité. Nous avons essayé de réconcilier la Nation, de regrouper les gens et de trouver une masse critique pour aller de l’avant. Maintenant, nous allons avancer, c’est-à-dire il y a des décisions que nous ne voudrions pas prendre sans l’approbation d’une grande majorité.
Par exemple, pour monter le Conseil Electoral Provisoire (CEP), nous avons mené des consultations auprès de la Société civile, nous aurions pu publier les noms des membres officiellement mais nous avons préféré attendre un plus grand consensus pour la constitution d’un CEP. Nous ne pouvons pas, après deux ans, attendre que tous soient dans l’unanimité ; cela n’arrivera jamais. Donc, il faut commencer à avancer pour aller vers les élections. » a-t-il déclaré le samedi 23 septembre à son retour de l’ONU. Il a aussi parlé de Gouvernement d’union nationale et d’autres projets qu’il compte mettre en œuvre dans les semaines et mois à venir. Un discours qui faisait dire à plus d’un que Ariel Henry aurait l’intention de se porter candidat à la présidence d’Haïti. Mais, d’ici-là, il en reste du chemin et la route sera certainement longue, très longue même pour l’équipe de la Transition.
Certes, les américains ont fini par gagner la bataille au Conseil de sécurité des Nations-Unies le lundi 2 octobre 2023 après un rude combat mené durant des mois, de concert avec leurs partenaires. Maintenant, il reste à gagner la guerre face aux gangs en passant à la phase finale qui est le déploiement effectif des troupes sur le terrain. Pour obtenir le vote, comme on a pu le voir, cela n’a point été facile pour Washington et ses alliés. On a assisté à des manœuvres et négociations diplomatiques dignes des grands moments de la diplomatie du temps de la guerre froide. Le suspense a été total. Jusqu’au bout, le camp interventionniste s’attendait à un échec face au camp nationaliste tant les débats faisaient rage à l’ONU, puisque, après les échecs successifs des Missions de maintien de l’ordre ou de la paix en Haïti, l’on est toujours dans cette même problématique de crise politique et d’insécurité dans le pays. Un piège dans lequel la Communauté internationale ne souhaite plus tomber. Surtout, cette Mission risque de se transformer en bourbier pour les troupes qui vont débarquer.
Nous sommes le lundi 2 octobre 2023 à New-York. Après des mois de discussions et plusieurs projets de vote non retenus, ce fut enfin la « victoire » pour Washington et Port-au-Prince qui brûlaient à la fois d’impatience et d’espoir pour que ce jour arrive. Ainsi, le lundi 2 octobre 2023, les Nations-Unies ont fini par autoriser le déploiement d’une Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) en adoptant la Résolution 2699 par 13 voix pour et deux abstentions, celles de la Russie et de la Chine. « (…) Le Conseil autorise les États Membres qui ont informé le Secrétaire général de leur participation à constituer et à déployer, dans le strict respect du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme, une Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, dont un pays prendra la tête, en coopération et coordination étroites avec le Gouvernement haïtien, pour une période initiale de douze mois à compter de l’adoption de la présente résolution (…) » peut-on lire, entre autres, dans le texte.
Contrairement à toutes les précédentes Missions de l’ONU en Haïti, celle qui sera déployée prochainement, même si c’est elle qui l’a autorisée, ne sera pas une Mission de l’ONU à proprement parler d’après la Résolution 2699 et elle n’est pas non plus financée par elle. Les financements de cette Mission viendraient des contributions volontaires des Etats et parties prenantes et les membres de la Mission sont autorisés à faire l’usage de la force. « La Résolution décide que, pour prévenir les pertes en vies humaines, la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité peut, comme l’a demandé Haïti dans sa lettre datée du 22 septembre 2023, en coordination avec la Police nationale d’Haïti, adopter à titre exceptionnel, dans les limites de ses capacités et de ses zones de déploiement, des mesures temporaires d’urgence de portée limitée, assorties de délais, proportionnelles et compatibles avec les objectifs énoncés au paragraphe 1 ci-dessus, pour aider la Police nationale d’Haïti à maintenir l’ordre public et la sécurité publique, y compris en procédant, si nécessaire, à des arrestations et à des mises en détention, dans le strict respect du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme, et prie les responsables de la Mission de l’informer de toute mesure qui pourrait être prise à ce titre. »
Le plus important, l’on constate que la force multinationale est autorisée à fournir un soutien opérationnel à la police nationale à travers la planification et la conduite d’opérations conjointes de soutien à la sécurité. Autant dire que les membres de cette force internationale participeraient aux combats au côté des membres d’unités d’élite de la police haïtienne contre les groupes armés. Une option laissant supposer que, comme les policiers haïtiens, ils seront des cibles potentielles pour les gangs. Le Kenya qui dirigera la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti, sous la supervision de Washington, devra informer le Conseil de sécurité de l’évolution de la situation sur le terrain. Enfin, selon la Résolution, la Mission a une durée initiale d’une année, comme d’ailleurs, la plupart de Mission de l’ONU à l’étranger.
Volontairement, la Résolution 2699 n’a pas mentionné si c’est renouvelable ou non, mais tous les observateurs doutent que les américains ne mettent pas autant d’ardeur à obtenir l’aval des Nations-Unies pour déployer une armada militaire internationale en Haïti juste pour une durée de douze mois seulement. Alors que point n’est besoin d’être un expert militaire ou des conflits armés pour savoir qu’il est impossible de déloger tous les gangs dans leurs repaires dans ce laps de temps. Après le vote du 2 octobre 2023 relatif à la Résolution 2699 des Nations-Unies autorisant le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS), les Etats-Unis ont été les premiers à saluer ce premier pas vers la sécurité en Haïti. Le Secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, et la Représentante des Etats-Unis à l’ONU, Mme Linda Thomas-Greenfield, se sont donné un satisfecit et ont immédiatement remercié les gouvernements équatorien et kenyan pour leur soutien et leur partenariat solide dans cet effort.
Les deux responsables américains ont constaté qu’« Aujourd’hui, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a adopté une Résolution historique (co-écrite par les États-Unis et l’Équateur) pour autoriser une Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS) en Haïti. Le Gouvernement haïtien et la Société civile, l’ONU et d’autres partenaires internationaux réclament depuis longtemps cette Mission, qui fournira une aide internationale essentielle à la Police Nationale d’Haïti pour lutter contre la violence des gangs et ouvrir la voie à une stabilité à long terme dans ce pays. La Mission témoigne de la capacité de l’ONU à galvaniser l’action collective, mais le vote d’aujourd’hui n’est que la première étape : maintenant, le travail de lancement de la Mission commence. Nous devons agir de toute urgence, car le peuple haïtien ne peut et ne doit pas attendre la paix et la stabilité qu’il mérite » soutient le gouvernement américain.
De leur côté, à Nairobi au Kenya, les autorités ont vite réagi et se sont enthousiasmés de ce mandat qu’accorde le Conseil de sécurité pour intervenir sur le sol haïtien. Dans un long Communiqué publié sur son compte X, anciennement twitter, le ministre des Affaires Etrangères, Alfred Nganga Mutua, se faisait le porte-parole du gouvernement kenyan et du Président William Ruto et salue « L’adoption de cette Résolution qui donne le mandat d’intervenir en Haïti pour aider nos frères et sœurs qui souffrent. Ce vote est le début d’un nouveau chapitre pour les pères, les mères et les enfants d’Haïti. Un vote pour la prospérité d’Haïti et une force du bien pour la paix et la sécurité mondiale.
Ce mandat ne concerne pas seulement la paix et la sécurité, mais aussi la reconstruction d’Haïti, sa politique, son développement économique et sa stabilité sociale » affirme le chef de la diplomatie kenyane. D’autres acteurs internationaux de la crise haïtienne et engagés dans le déploiement de la force militaire étrangère en Haïti ont, eux aussi, exprimé leur satisfaction après le vote de l’ONU. C’est le cas de la Représentante en Haïti du Secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, et cheffe du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH), Maria Isabel Salvador pour qui c’est une étape décisive « Le Conseil de sécurité vient d’approuver le déploiement en Haïti d’une Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité (MMSS).
C’est une étape positive et décisive pour ramener la Paix et la stabilité en Haïti. Cette décision fait suite à un long plaidoyer du Gouvernement haïtien, relayé par le Secrétaire Général des Nations-Unies, partant du constat que le pays ne sortira pas de la situation sécuritaire actuelle sans un soutien international fort à la Police Nationale d’Haïti. Il est important de souligner que, contrairement aux missions internationales récemment déployées en Haïti, la MMSS n’est pas une mission onusienne (pas de casque bleus).» Le Président dominicain Luis Abinader, bien sûr, n’est pas en reste. Militant sans répit pour cette intervention étrangère, pour le chef d’Etat dominicain qui réagit quelques minutes après les autorités de la Transition en Haïti : « Le vote de cette Résolution résonne comme des progrès significatifs pour la pacification d’Haïti. Elle doit être un processus définitif de développement institutionnel et économique pour les Haïtiens » avait déclaré Abinader.
(A suivre)