Le calvaire d’Haïti dans les relations internationales

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Le « trident impérial » (États-Unis, France et Canada) principal responsable du calvaire d’Haïti

La MINUSTAH a dépensé 50 fois plus que la somme de toutes les autres missions en Haïti. Si cet argent avait été utilisé pour le développement social et économique, le pays de Dessalines serait certainement dans une situation différente. 

Savez-vous quel est le problème dans les Caraïbes ? Que tout le monde est venu ici pour faire ce qu’il ne pouvait pas faire en Europe, et que cette cosse devait apporter ses conséquences historiques.        Gabriel García Márquez, Bohême, La Havane, 1979.

 

Une série extraordinaire et ininterrompue d’événements historiques démontre sans conteste qu’Haïti est le pays le plus maltraité de l’histoire des relations internationales. Au lieu d’être chanté partout et par tous pour l’épopée de son indépendance, marquée par la fin du système colonial, du racisme et de l’esclavage, le pays a au contraire été isolé et méprisé.

Comme le grondement du tonnerre dans le ciel indigo du colonialisme, l’indépendance d’Haïti et son message d’égalité entre les races était un événement inhabituel. Face à la possibilité de l’indépendance de Saint-Domingue, la position des États-Unis était claire : « Haïti peut exister comme un grand village de marrons, un quilombo ou un palenque. Il ne s’agit pas de l’accepter dans le concert des nations » (1).

En plus de faire payer à Haïti des indemnités équivalentes à 27 000 millions de dollars, Paris a dû réagir et faire du cas haïtien un exemple pour montrer aux peuples colonisés l’impossibilité de se libérer. Inspiré par cette position, l’Occident colonialiste et raciste a alors défini une stratégie encore présente aujourd’hui et composée de quatre dimensions :

à. Établir un cordon sanitaire qui empêche Haïti d’établir et de maintenir des contacts internationaux ;

  1. Affaiblir l’État haïtien en rendant le pays ingouvernable ;
  2. Créer les conditions culturelles et psychologiques en Occident pour que tout ce qui vient d’Haïti soit perçu comme mauvais en soi ;
  3. Caractériser Haïti comme une société qui menace les fondements des relations internationales.

En tentant d’effacer de la mémoire collective toute trace de la responsabilité de l’Occident dans la formation dramatique de la société haïtienne, le pays s’est privé de son propre passé. Les principes qui ont donné naissance à la Révolution haïtienne se sont perpétués dans les Révolutions française et américaine. Depuis, Haïti est devenu le trou noir de la conscience occidentale.

Après l’indépendance des États-Unis en 1776, le Nouveau Monde connaît une seconde victoire contre le colonialisme européen. Mais le contraste entre l’accueil enthousiaste des indépendantistes en Amérique du Nord et le mépris et l’arrogance envers les libérateurs de Saint-Domingue était immense. Pour le premier, la gloire. Pour ce dernier, la honte. Cela a marqué le début de deux siècles de chemin de croix et de solitude internationale pour le peuple haïtien.

Les deux siècles de solitude internationale du peuple haïtien ont été interrompus début 2004 lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies, en vertu du chapitre VII de la Charte, a décidé d’envoyer une mission multidimensionnelle pour imposer la paix dans un pays qui, il faut le souligner, était pas en guerre. C’était la soi-disant Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

  1. Une opération multidimensionnelle née au forceps

Poussé vers la porte de sortie par une opposition intérieure vigoureuse et éclectique, la situation du président Aristide ne tenait qu’à un fil début 2004 : il suffisait pour le renverser d’un soutien étranger. Celui-ci est venu d’abord de Paris. Quelle était la raison principale ? La France a été indignée par la campagne marquant les deux siècles de l’indépendance d’Haïti. En effet, Aristide a étalé partout des affiches exigeant que la France restitue à Haïti la somme qu’elle avait versée pour la reconnaissance de jure de sa libération (2).

Ensuite, il est venu de Washington. Tout en reconnaissant la gravité de la crise humanitaire et la déception causée par le mandat d’Aristide, Colin Powell a déclaré à la mi-février devant la commission des relations étrangères du Sénat américain qu’il n’avait pas l’intention d’envoyer des militaires parce qu’Aristide « était le chef démocratiquement élu, et que la politique de l’administration n’était pas de rechercher son renversement » (3). Les États-Unis sont allés encore plus loin, soulignant qu’un coup d’État était inacceptable : « Nous n’accepterons aucun résultat qui tenterait illégalement de destituer le président élu d’Haïti » (4).

le kidnapping/coup d’Etat du 29 février 2004. L’arrivée de Aristide en Afrique Centrale

Bref, c’était une position similaire à celle du Groupe de Rio. Le 25 février 2004, dans un communiqué sur la situation en Haïti publié en portugais et en espagnol à Brasilia, le Groupe de Rio a soutenu les efforts de l’OEA et de la CARICOM pour « une solution pacifique », ainsi que l’offre d’aide humanitaire de l’ONU. Les pays du Groupe de Rio ont demandé aux parties de soutenir le Plan d’action préliminaire proposé par la CARICOM et de condamner les actes de violence. Enfin, le Groupe de Rio a exprimé « son soutien au président constitutionnellement élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide » (5).

La presse occidentale, en diabolisant Aristide, a joué un rôle clé dans la campagne d’intervention étrangère. Certains journaux étaient très enthousiastes, comme L’Humanité, porte-parole du Parti communiste français (PCF). Dans un éditorial incisif, Aristide a été décrit comme un « tyran maudit, cruel, despotique, grotesque et sinistre ».

Dans le journal de centre-gauche Le Monde, il était dit : Quand appliquer le droit d’ingérence ? Quand faudra-t-il ignorer la souveraineté d’un Etat, même en faillite, pour soulager la population ? A partir de quel niveau de souffrance la communauté internationale devrait-elle décider d’agir ? Comment ce que devrait être le « droit » de l’humanitarisme peut-il s’adapter à un droit international qui, selon la Charte des Nations unies, repose sur le principe quasi absolu de la souveraineté des États ?

Le journaliste admet qu’il est difficile de répondre à toutes ces questions, sauf dans le cas d’Haïti, où « l’ingérence devrait être imposée ». Le soutien du journal au renversement par la force est justifié par un pouvoir : […] totalement discrédité le président Jean-Bertrand Aristide. Elle a succombé à un tropisme maléfique qui, génération après génération, semble caractériser le pouvoir en Haïti : une dérive dictatoriale cruelle doublée d’une tendance marquée à la corruption, le tout sur fond d’incompétence absolue (6).

Bien qu’il soit connu pour ses positions de gauche, l’altermondiste Le Monde Diplomatique suit le chemin tracé par son frère aîné, mais avec moins de classe et plus de force. Aristide devient un “prêtre”, un ancien prêtre des pauvres, uniquement intéressé par le pouvoir et l’argent. Au final, il est seul responsable d’une histoire dégradante “(7).

Encouragé par une rare unanimité, le gouvernement français a décidé le 24 février d’accélérer le processus de renversement du président haïtien. Dans un discours public, Jacques Chirac a déclaré qu’« Haïti est depuis longtemps gouverné de manière désastreuse ». Le lendemain, Dominique de Villepin annonce officiellement que la France a décidé d’intervenir en Haïti.

Encouragée et convaincue par la décision française, la communauté internationale a pris position contre ce qu’elle avait déclaré précédemment. A partir de ce moment, le gouvernement d’Haïti est devenu un usurpateur, dépourvu de légalité ; Aristide est responsable de la crise. Villepin souligne qu’il “a une grande responsabilité dans la situation actuelle. C’est à lui d’en tirer les conséquences conformément à la loi”. [sic]

Le ministre ne semble pas gêné par la contradiction intrinsèque de son discours lorsqu’il affirme que la décision française est strictement conforme aux “principes démocratiques et constitutionnels”. Par conséquent, le renversement d’Aristide est une action judiciaire indispensable pour rétablir l’état de droit en Haïti. En confondant droit et pouvoir, Villepin offre un triste spectacle. Il est difficile de trouver meilleur exemple du mélange de jonglerie sémantique et d’hypocrisie démocratique.

Au lendemain de la déclaration de Villepin et à la demande de la CARICOM, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni pour discuter de la crise en Haïti. Au nom de l’organisation régionale, le Ministre jamaïcain des Affaires étrangères Keith Desmond Knight a fait une déclaration surprenante :

Que le Conseil attire d’urgence l’attention sur la détérioration rapide de la situation en Haïti. La situation a atteint des proportions de crise, étant donné la perturbation continue de l’ordre public, l’augmentation de l’insurrection et des conditions de pure anarchie et de chaos, ainsi que l’aggravation de la crise humanitaire, qui, à son tour, a entraîné le déplacement de population, ce qui a entraîné des un nombre croissant de réfugiés quittent le pays […] la situation qui prévaut dans le pays ne peut plus être considérée comme un simple problème interne. La situation actuelle constitue une grave menace pour la paix et la sécurité régionales, étant donné le flux de réfugiés qui menace de submerger les ressources des États de la région (8).

Pour la première fois, la Communauté des Caraïbes soutient la thèse nord-américaine selon laquelle les crises politiques haïtiennes cessent d’être un problème strictement interne et deviennent une menace pour la paix et la sécurité internationales à partir du moment où elles provoquent ou risquent de provoquer un afflux de boat people (réfugiés de la mer).

Le plan franco-américain a commencé la veille et prévoyait (à la demande de la CARICOM) le débarquement de troupes en Haïti. Pas en réponse à une demande d’Aristide, bien au contraire. L’action était liée à la vacance du pouvoir, puisqu’Aristide avait quitté le pays.

Avec le départ d’Aristide, par la résolution 1529 du Conseil de sécurité de l’ONU (2004), une Force multinationale intérimaire (FMI) composée de soldats des États-Unis, de la France, du Canada et du Chili est arrivée dans le pays. Le gouvernement de cette dernière entretient des relations étroites avec l’Internationale socialiste et ouvre la voie à la participation, jusqu’alors impensable, de l’Amérique du Sud à la future MINUSTAH. Cette nouvelle perspective a été confirmée par le contenu des débats du Forum de São Paulo, où une écrasante majorité de partis et mouvements de gauche latino-américains et caribéens s’est farouchement opposé au président Aristide.

Hormis les critiques d’Aristide en exil et les réserves jamaïcaines, l’intervention a été unanimement saluée. Le succès de l’initiative a été tel qu’il a laissé planer des doutes sur sa véritable nature. S’agissait-il d’une intervention impériale classique ou, au contraire, d’une opération humanitaire visant à aider un peuple otage du chaos et à préserver la vie d’un président démocratiquement élu ?

La soi-disant Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH).

L’épilogue mis à part, la séquence des événements fournit les arguments pour élucider la question. L’intervention de l’Occident dans la crise constitutionnelle haïtienne de 2004 représente : […] un mélange de paternalisme, de messianisme et de naïveté qui l’amène à privilégier les idées d’intervention dans toute leur générosité et leur cynisme, à croire que tout ce qui est occidental est forcément bon pour le monde… Comme emblème principal, la liberté des idées, la démocratie et l’État de droit (9).

Orienté par les États-Unis, l’Occident pratique un multilatéralisme sélectif qui permet aux États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) d’imposer des coalitions de bonne volonté (coalitions ad hoc), ce qui donne la possibilité « aux États du Club de diriger ou monopoliser une intervention militaire mandatée par l’ONU ou, à défaut, auto-constituée et tirant sa légitimité de l’onction démocratique » (10).

Cependant, le réalisme de la stratégie américaine doit être souligné. Ainsi, Susan Rice, représentante de Washington aux Nations Unies, a été très claire sur la place des Nations Unies dans la politique étrangère de Washington : « Si les Nations Unies n’existaient pas, il faudrait les inventer ».

Parmi les fonctions de l’ONU présentant un intérêt particulier pour les États-Unis, Rice a cité celles liées aux opérations de maintien de la paix : Chaque membre des Casques bleus de l’ONU coûte une fraction de ce qu’il en coûterait pour envoyer un soldat américain faire le même travail. Alors, qu’est-ce qui vaut mieux que les États-Unis portent tout le fardeau ou partagent le fardeau des soldats de la paix de l’ONU et paient un peu plus d’un quart du coût ? Je ne sais pas pour vous, mais j’aime les endroits où ils me font 75 % de réduction (11).

 

2..Succès relatif (2004-2009)

La perception du CSNU qu’un conflit politique strictement interne menacerait la paix régionale influencera de façon permanente et indélébile les actions de la communauté internationale en Haïti. A partir du moment où sont lancées ces prémisses équivoques, qui bénéficient du pouvoir et du droit indiscutables des résolutions du CSNU, le complexe dilemme haïtien devient une simple question de sécurité militaire. Le chapitre VI (établir la paix par le règlement pacifique des différends) est écarté au profit de l’imposition de la paix – même par la force – en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Compte tenu de la précarité de la Police nationale haïtienne et de l’incompétence de l’UNPOL, il a été décidé d’utiliser le contingent militaire pour des actions répressives à caractère strictement policier. Cependant, le commandement militaire de la MINUSTAH, qui est brésilien, s’est opposé à l’utilisation de troupes afin de ne pas « créer des blessures pires que celles déjà existantes »(12).

La réaction à la proposition brésilienne de ne pas utiliser le personnel militaire à des fins autres que la guerre et le combat a été négative, immédiate, généralisée et vigoureuse. Si l’objectif n’était pas de faire la guerre, pourquoi envoyer des militaires en Haïti ? Quel serait le rôle du Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) dans ces circonstances ? D’autre part, les débats au Conseil de sécurité ont indiqué que la Russie et dans une moindre mesure la Chine soutenaient l’opération de paix en Haïti, à condition que les paramètres du Chapitre VII de la Charte soient respectés. Sinon, Moscou a menacé d’user de son droit de veto.

Le « trident impérial » (États-Unis, France et Canada) a renforcé les réserves et les critiques du DOMP à l’égard de la Doctrine 6½. Dans une déclaration publique devant le Congrès national du Brésil en décembre 2004, le général Ribeiro Pereira a déclaré qu’il était « soumis à de fortes pressions pour recourir à la violence, pour être plus ferme dans l’usage de la force, notamment par les pays les plus intéressés par la région et dont l’action en tant que force de maintien de la paix diffère de la nôtre » (13).

En mai 2005, l’ambassadeur américain au Brésil, John Danilovich, a fait pression sur le gouvernement. Il a même menacé d’envoyer des Marines américains en Haïti si aucune initiative n’était prise pour contrôler les gangs qui « n’ont plus peur ». Le « trident impérial », quant à lui, conditionnait tout investissement socio-économique à l’existence préalable d’une improbable situation de sécurité absolue.

Enfin, la pression exercée sur la MINUSTAH n’a pas été sans effet. Le 6 juillet 2005, à bord d’hélicoptères et de chars Urutu, des centaines de militaires ont envahi Cité Soleil. 22 000 coups de feu ont été tirés, et certains habitants ont même parlé de coups d’hélicoptères survolant le quartier. Médecins sans frontières rapporte que l’attaque a fait 50 morts, dont des femmes et des enfants, et plus d’une centaine de blessés (14).

Suite au renouvellement du mandat de la MINUSTAH en 2008, le débat s’est poursuivi sur la nature de la présence de l’ONU en Haïti. Au vu des progrès réalisés dans le domaine de la sécurité, il a été recommandé d’abolir le concept de zone rouge, adopté pour désigner les régions supposées en guerre. Mais les bureaucrates de l’ONU ont réagi avec véhémence à cette suggestion, qui permettrait de réduire les coûts et d’éliminer les avantages supplémentaires tels que la sécurité sociale et les vacances supplémentaires.

Interrogé par un journaliste de l’époque, j’ai moi-même déclaré qu’il y avait eu une militarisation excessive de la MINUSTAH, aggravée par l’absence d’une cohérence systémique, centralisée et planifiée : La décision a des origines multiples. Les pays donateurs préfèrent concentrer leurs ressources sur le maintien de la sécurité. L’histoire de l’ONU, qui envisage ces conflits essentiellement d’un point de vue militaire. Enfin, la faiblesse des pays du Sud, qui ne parviennent pas à convaincre les pays donateurs que la question sociale est à l’origine des problèmes de sécurité15.

Incapables de passer d’une situation de recours à la force, comme prévu au chapitre VII, à la construction du développement, les Nations Unies et le « trident impérial » ont préféré maintenir la paix des cimetières en Haïti.

Face à la situation politique apaisée et à la reprise économique encore timide, le Core Group – un groupe en charge de la coordination internationale en Haïti composé de représentants de l’Argentine, du Brésil, du Canada, du Chili, de l’Espagne, des États-Unis, de la France, des Nations Unies , l’Organisation des États américains et l’Union européenne – ont poursuivi, fin 2009, ses débats sur la définition et les paramètres d’un modèle de sortie de crise. En d’autres termes, les discussions ont porté sur les modalités, le calendrier et les conditions nécessaires pour mettre fin à la présence de la MINUSTAH en Haïti. Trois éléments ont alors été proposés : d’abord, accroître les capacités humaines, techniques et matérielles de la Police nationale haïtienne ; deuxièmement, consolider à tout prix les institutions de l’État ; et troisièmement, définir un modus vivendi entre Haïti et la communauté internationale à travers un plan d’aide au développement socio-économique à long terme.

Si ces principales conditions étaient réunies, il serait possible de définir un calendrier de retrait progressif lors de l’entrée en fonction du remplaçant du président René Préval. Cependant, le 12 janvier 2010, un terrible tremblement de terre a détruit toute possibilité de mettre en œuvre ce qui était prévu. Le retrait des troupes a été reporté sine die. Puis la descente aux enfers de la MINUSTAH a commencé.

  1. La MINUSTAH devient une catastrophe (2010-2017)

L’année 2010 a été l’annus horribilis d’Haïti, marquée par trois événements majeurs : 1) le tremblement de terre catastrophique qui a détruit la plupart des infrastructures du pays, tuant plus de 220 000 personnes ; 2) l’arrivée sans précédent du choléra apporté par les militaires népalais au service de la MINUSTAH, qui a fait 50 000 morts et infecté 800 000 personnes ; et 3) une nouvelle crise politique provoquée par les machinations internes et externes qui ont entouré les élections présidentielles de novembre 2010 (16).

L’aide internationale d’urgence est arrivée en masse en Haïti. La communauté internationale a promis 11 milliards de dollars pour la reconstruction du pays. Selon les données les plus optimistes, la moitié a effectivement été décaissée. Cependant, seulement 2% de ce montant a été acheminé par les institutions étatiques haïtiennes. Ainsi, l’aide est allée aux « ONGATs » (17) et au système onusien. En conséquence, l’État s’est encore affaibli.

Ne faisant pas confiance à la MINUSTAH, Washington a envoyé 20 000 Marines et occupé des points stratégiques. Face à la discipline haïtienne, l’armée américaine a quitté le pays quelques mois plus tard.

À la mi-octobre 2010, le choléra est soudainement apparu en Haïti pour la première fois de son histoire. Une enquête indépendante a rapidement trouvé la source de l’épidémie mortelle : la base militaire de la MINUSTAH dirigée par des soldats népalais à Mirebalais. Malgré les preuves, l’ONU a nié sa culpabilité. Enfin, en décembre 2016, lorsqu’il l’a admise, il a immédiatement blanchi son nom car, selon l’organisation, les opérations de paix sont protégées par le principe d’immunité. Ils étaient donc “coupables mais non responsables” !

Si l’ONU avait rapidement reconnu sa culpabilité, de simples mesures sanitaires auraient pu avoir un grand impact et réduire le nombre de victimes. Ainsi, plus qu’une négligence coupable, l’attitude des Nations Unies peut être comparée à une volonté expresse de provoquer la mort (18).

C’est dans l’arène politique et électorale que la puissance des Nations Unies en Haïti s’est encore manifestée de façon inacceptable. Et ce en deux instants précis.

Le Core Group – un groupe en charge de la coordination internationale en Haïti

En premier lieu, Edmond Mulet – représentant du secrétaire général de l’ONU – a fait pression sur le président Préval pour qu’il quitte son poste et s’exile. Cette initiative a été prise le 28 novembre 2010, jour du premier tour de l’élection présidentielle. Sans mon intervention personnelle nous aurions assisté à un putsch promu par les Nations Unies !

Puis, lorsque l’ONU et l’OEA ont soutenu l’initiative d’Hillary Clinton de modifier le résultat du vote pour laisser Jude Célestin hors du second tour au profit de Michel Martelly. Comme c’est trop souvent le cas ailleurs (le Congo sous Mobuto, le Libéria sous Charles Taylor et le Cambodge sous Hun Sen, au pouvoir depuis 1998), une opération de maintien de la paix des Nations Unies laisse en place un régime autoritaire et non démocratique. . Haïti rejoint cette liste.

En matière d’emballage, l’échec de la MINUSTAH est flagrant et la situation actuelle en Haïti est aussi voire plus difficile que celle qui existait à la veille de son intervention. Les sommes colossales dépensées par la MINUSTAH auraient dû donner d’autres résultats.

Dans sa seule mise en œuvre, la MINUSTAH a dépensé 50 fois plus que la somme de toutes les autres missions en Haïti. Si cet argent et les promesses d’aide non tenues de la communauté internationale avaient été utilisés pour le développement social et économique, le pays de Dessalines serait certainement dans une situation différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Rappelons qu’actuellement 4,5 millions d’Haïtiens souffrent d’insécurité alimentaire.

En fait, le peuple haïtien n’a pas tort. Une enquête de 2013 a montré que seulement 10,9% de la population haïtienne faisait confiance et respectait la MINUSTAH (19). Nous pouvons souscrire à la conclusion de la préface du professeur Robert Fatton Jr. à l’édition anglaise de mon livre : La communauté internationale a échoué en Haïti. Non seulement les puissances étrangères ont mal compris le pays et l’ont présenté comme plus violent qu’il ne l’était en réalité, mais leurs politiques ont affaibli un État déjà faible et privilégié les ONG étrangères qui n’étaient pas préparées à faire face aux problèmes d’Haïti. En d’autres termes, l’aide étrangère ignorait les préférences et les connaissances des Haïtiens et imposait ses propres idées préconçues sur ce dont le pays avait besoin. Le résultat est la transformation d’Haïti en un protectorat dysfonctionnel de facto sous l’égide des Nations Unies.

 

Notes

1 Casimir, Jean, Préface in Dubois, Laurent, Les Vengeurs du Nouveau Monde, Éditions UEH, Port-au-Prince, 2009, p. 12.

2 Voir Esclavage et indemnités (http://esclavage-indemnites.fr/public/), une base de données en ligne sur le sujet et un projet de recherche mené par Thomas Piketty pour étudier les indemnités, réparations et compensations pour esclavage.

3 BBC News, 14/02/2004.

4 Idem.

5 Groupe de Rio, Documents du Secrétariat pro tempore, Brasilia : FUNAG, 2005, p. 289.

6 Éditorial du Monde intitulé « La question d’Haïti », Paris, 18 février 2004.

7 Voir Lemoine, Maurice, « Aristide : une demeure na propria armadilha », Le Monde Diplomatique Brasil, 1/9/2004.

8 Nations Unies, Conseil de sécurité, 4917e session, 26 février 2004. Les italiques sont de l’auteur.

9 Seitenfus, Ricardo « Politischer Kannibalismus », Der Spiegel, 3 janvier 2011, p. 71.

10 Badie, Bertrand, La Diplomatie de la connivence : les dérives oligarchiques du système international, La Découverte, Paris, 2011, p. 140.

11 Rice, Susan, Facing 21st-Century Threats: Why America Needs the UN, conférence au World Affairs Council of Oregon, Portland, 11 février 2011.

12 Lieutenant Capitaine Carlos Chagas, bras droit du Commandant en Chef, dans : Keeping peace, no Haïti ? Harvard Law Student Advocates for Human Rights, Cambridge et Centro de Justiça Global, Rio de Janeiro et São Paulo, 2005, p.46.

13 Folha de S. Paulo, 3 décembre 2004.

14 Sur cette opération de guerre, voir le documentaire https://itstayswithyou.com/

15 “False Guerra Rende Salarios Mais Altos”, Etat de São Paulo, 12 octobre 2008.

16 Comme la plupart de ce texte, ces trois événements sont décrits et discutés en détail dans mes deux livres mentionnés ci-dessus.

17 Concept pour définir les organisations non gouvernementales de portée transnationale. Avant le tremblement de terre, il y en avait une cinquantaine. Après la catastrophe, le nombre est passé à 10 000 selon Hillary Clinton.

18 Voir l’interview de Ban Ki-moon dans laquelle il dit que le scandale du choléra a fait « détruire à jamais l’image des Nations Unies en Haïti », sur https://www.nytimes.com/2021/06 /06 /world/americas/cholera-haiti-ban-ki-moon-memoir.html. Certainement le vôtre aussi.

19 Sondage réalisé par Newlik Company of Miami, Le Nouvelliste, 12 juillet 2013.

Ricardo Seitenfus a été Représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) en Haïti (2009-2011) et au Nicaragua (2011-2013).

 

 Movement Magazine n°553 : « Haïti, au-delà des mythes » 08/06/2021

Alainet 1er Septembre 2021

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