Nous voici déjà en 2025, dans quelques mois nous approchons de la commémoration des 200 ans d’anniversaire de la rançon de l’indépendance imposée par la France à son ancienne colonie, la République d’Haïti ci-devant Saint-Domingue. C’est le Baron de Mackau, émissaire du roi de France, qui le 17 avril 1825, avait transmis au Président d’Haïti de l’époque, Jean-Pierre Boyer, l’Ordonnance de Charles X.
Cette ordonnance criminelle est un coup de poignard à la face du peuple haïtien dans la mesure que cette rançon odieuse a justement cassé dès l’adolescence du pays les reins de son développement économique. Selon un article du New-York Times à ce sujet « les paiements à la France ont coûté au développement économique d’Haïti entre 21 et 115 milliards de dollars de pertes sur deux siècles, soit une à huit fois le produit intérieur brut du pays en 2020
L’astuce utilisée par cette ancienne puissance esclavagiste et coloniale est de dédommager les anciens colons en échange de la reconnaissance de notre existence en tant qu’État-nation indépendante et souveraine. En fait, le premier pays libéré de l’esclavage par ses propres forces et fondé une nation libre, indépendante, souveraine et libéré de l’esclavage a été justement forcé de payer pour sa victoire et sa contribution à l’humanité.
Ces 150 millions de francs payés à la France évaluent en valeur actuelle maintenant à quelque 525 millions d’euros. Haïti a dû emprunter de l’argent à une série de banques françaises avec des intérêts énormes pour payer le fait qu’il avait mis fin à une activité barbare et inhumaine.
Pour la vérité historique, faut-il rappeler qu’à l’occasion du Bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004, le gouvernement Lavalas qui dirigeait L’Etat haïtien avait dans une plaidoirie sollicité à la France de restituer cet argent à Haïti. En guise de réponse, Jacques Chirac, le président de la France et son homologue Georges Bush des États-Unis ont préféré faire un coup d’État au pays, le dimanche 29 février 2004.
Ils ont arrêté le président d’alors Jean Bertrand Aristide et l’envoyer en exil en Afrique. Le président haïtien destitué s’était transporté contre lui-même à Bangui, capitale de la République centrafricaine. Et le message caché derrière ce symbolisme est vivant et très significatif de sorte qu’une telle manifestation ne se fasse plus. Et pour consolider leur forfaiture la France, les Etats-Unis et le Canada ont déployé des centaines de militaires en Haïti comme une forme dune nouvelle recolonisation.
C’était bien compté, mal calculé puisque depuis l’année dernière, la question de la restitution de la dette à Haïti a refait surface. Et également le bicentenaire de cette rançon en 2025 devra être une année de mobilisation à haute portée pour défendre cette cause humanitaire.
A cet effet, même le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Volker Türk s’est obligé de déclarer que : « Je fais confiance à la France, pays des droits de l’homme, pour qu’elle réalise l’inhumanité de ce qu’elle a fait, restitue la dette et paie des réparations à Haïti. Quand vous regardez l’état d’Haïti et comment le paiement de cette dette a appauvri le pays, demander réparation et restitution est un appel au respect des droits humains, ceux des Haïtiens ».
D’ailleurs à ce sujet sur les réparations et restitutions de la rançon de l’indépendance, le Comité National Haïtien sur la Restitution et la Réparation (CNHRR) avait organisé du 17 au 20 octobre 2024 à Port-au-Prince pour dévoiler les principales recommandations qui serviront de feuille de route pour cette année 2025.
« 1. Déclaration de l’année 2025 comme Année de la Restitution Française :
Avril 2025 ramènera le bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, qui a imposé à Haïti de payer 90 millions de francs pendant plus d’un siècle. Il est recommandé de demander au Gouvernement Haïtien de déclarer l’année 2025 comme « l’Année de la restitution Française à Haïti ».
2. Note Formelle au Gouvernement Français :
Le CNHRR recommande au Gouvernement Haïtien de transmettre officiellement par voie diplomatique une Note formelle au Gouvernement Français pour la demande de restitution de la « rançon de l’indépendance » et les intérêts et dommages composés. Le Gouvernement Haïtien est encouragé à initier rapidement un dialogue officiel avec la France pour la mise en place d’une « Commission Mixte pour la restitution de la rançon de l’indépendance. »
3. Révision des documents et archives nécessaires :
Le CNHRR facilitera à ses différents experts l’accès aux archives les plus pertinentes pour la documentation nécessaire au travail du Comité. En plus, le CNHRR établira une collaboration fonctionnelle avec les services compétents de la Banque de la République d’Haïti pour les calculs actuariels et actualisés des montants pour les restitutions et les réparations.
4. Collaboration avec le MENFP pour la réforme de l’enseignement :
L’accent sera mis sur la réappropriation de l’histoire nationale par le renforcement de l’enseignement dès le primaire, valorisant la participation des esclaves, des femmes, et des masses anonymes à la révolution. A l’occasion de la réforme curriculaire en cours dans le programme scolaire haïtien, le CNHRR devra faciliter la révision de certains contenus de l’école haïtienne.
5. Organisation d ‘Ateliers de sensibilisation :
Des ateliers pédagogiques seront organisés à l’intention d’auteurs de manuels scolaires, d’écrivains, d’artistes, d’historiens et de jeunes créateurs pour explorer des thèmes liés à l’esclavage et à la colonisation (résistance, mémoire de l’esclavage, femmes en esclavage, etc.).
6. Production d’œuvres culturelles :
La production d’œuvres culturelles (poésie, fiction, musique, danse, théâtre, peinture) sera encouragée pour sensibiliser la population à ces enjeux. Le CNHRR entreprendra avec le cinéaste Arnold Antonin la production d’un film documentaire sur les restitutions et les réparations.
7. Restauration de monuments historiques et muséification du territoire :
Afin de préserver le patrimoine national et de renforcer le sentiment d’appartenance populaire, le CNHRR accompagnera le Gouvernement haïtien dans sa mission de restauration des monuments historiques (Citadelle, Palais Sans Souci, Palais des 365 portes à Marchand Dessalines, etc…) Par la même occasion, les collectivités territoriales seront encouragées à identifier et à valoriser les sites historiques de leur territoire. Les Ministères de la Culture, du Tourisme et de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales pourront être mis à contribution dans cette perspective.
8. Plan de communication et engagement communautaire :
Un plan de communication stratégique doit être mis en œuvre pour sensibiliser et impliquer les différents segments de la population haïtienne dans les démarches de réparation et de restitution. Des partenariats avec des organisations populaires et féministes sont essentiels pour aborder les séquelles de la colonisation, en particulier l’impact sur les femmes.
9. Organisation de Conférences et de Webinaires publics :
Le CNHRR organisera sur une base régulière des conférences et webinaires afin d’informer et de sensibiliser le grand public sur les différents aspects des restitutions et réparations.
10. Organisation de rencontres avec les Professeurs et les Étudiants de l’UEH :
Le CNHRR organisera des rencontres d’échanges et de discussions avec les différentes composantes de l’UEH afin de créer plus d’adhésion de cette démarche au sein de l’UEH.
11. Organisation de colloques :
Le CNHRR mettra rapidement en place les comités d’organisation pour 2 colloques, le premier en Mai 2025 sur « Mémoires de l’Esclavage, Pensée Haïtienne et Réparations » et un 2ème en juillet 2025 sur « Restitutions, Réparations et Santé Publique » afin de coordonner les efforts de réflexion sur ces questions essentielles.
12. Renforcement des liens avec la CRC :
Le CNHRR renforcera ses relations de travail et de collaboration avec la Commission des Réparations du CARICOM (CRC) afin de faire front commun pour constituer le plus large consensus possible face aux anciennes puissances colonialistes.
13. Construction d’Alliances et de Partenariats :
L’Université d’État d’Haïti veillera à constituer un réseau autour du Comité National en invitant différents groupes et regroupements d’universités, des organisations inter-universitaires et académiques, des organisations religieuses, des organisations de la société civile organisée en Haïti et à l’étranger afin de renforcer les forces de pression du CNHRR dans la lutte pour les restitutions et les réparations.
14. Approche juridique et collaborations internationales :
Il est conseillé de combiner des procédures judiciaires et non judiciaires pour aborder la question des réparations. Le CNHRR envisage de renforcer sa collaboration avec de nombreux partenaires et alliés internationaux tels par exemple : le Mouvement International des Réparations (MIR) de la Martinique, la Clinique de Droit de CUNY, l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti aux USA, etc…
15. Utilisation des produits de la restitution :
Un élément crucial du dossier global et de la négociation avec la France consistera en l’utilisation prévue des sommes à restituer, des modalités et du rythme de la restitution ainsi que de la nécessaire transparence à assurer. Dans cette perspective, le Comité devrait aborder rapidement cette question et proposer un plan y relatif. Une quête des plans d’investissement déjà existants sera lancée et leur harmonisation dans la perspective d’un plan global sera initiée. Evidemment, les Ministères et organismes de l’Etat concernés seront appelés à fournir leur collaboration en ce sens.
En conclusion, le peuple haïtien doit soutenir un tel projet national, mais il faut être clair là-dessus que sauf un gouvernement populaire, progressiste peut aider à le faire aboutir dans l’intérêt de la majorité de la population. Que la vigilance s’impose pour empêcher à ce que cette restitution ne soit pas sabotée, sinon pillée ou volée par les classes dirigeantes du pays.