La résolution : Devoir de réserve du CU et du CE, résolution de la honte à l’UEH, résolution-baboukèt

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Le professeur Hérold Toussaint au cours d’une conférence de presse le jeudi 26 octobre à l'hôtel Oasis à Pétionville sur « les conflits à l'UEH

Le Conseil de l’Université d’Etat d’Haïti vient de rendre publique une résolution de plus, ce 29 octobre. Cette résolution de quatre articles a été adoptée par ledit Conseil pour empêcher toute prise de parole publique des membres du Conseil Exécutif (CE) et du Conseil de l’Université (CU) sur « les dissensions et les contradictions internes ». Cette résolution arrive au moment où le « vice-recteur aux affaires académiques contesté », le professeur Hérold Toussaint venait de donner une conférence de presse le jeudi 26 octobre à l’hôtel Oasis à Pétionville sur « les conflits à l’UEH et crise politique en Haïti : urgence d’une médiation ».

  1. Contexte de cette résolution

Dans cette conférence de presse, le vice-recteur fait état de conflits ouverts « au sein du Conseil Exécutif  depuis un an et quatre mois » entre le « recteur contesté » Fritz Deshommes et les vice-recteurs contestés Hérold Toussaint et Jacques Blaise. « Ils ne travaillent pas ensemble, ils ne travaillent pas en harmonie », a martelé le professeur d’université. Ces conflits auraient, d’après le responsable, des conséquences fâcheuses sur les jeunes de ce pays qui sont en train de laisser le pays pour l’Amérique du Sud, tout en admettant que les conflits font partie de la vie humaine. Par ailleurs, il croit que l’université doit s’élever pour résoudre les conflits.

Dans cette conférence de presse, le vice-recteur fait état de conflits ouverts « au sein du Conseil Exécutif  depuis un an et quatre mois » entre le « recteur contesté » Fritz Deshommes et les vice-recteurs contestés Hérold Toussaint et Jacques Blaise. « Ils ne travaillent pas ensemble, ils ne travaillent pas en harmonie », a martelé le professeur d’université.

Le professeur dénonce la « tiédeur » ou la précarité de la vie académique des étudiants, ce qu’il appelle « l’assassinat académique des jeunes de ce pays » qui développent « une culture du désespoir ». Il pointe du doigt « l’inexistence d’un corps de professeurs », le problème des « professeurs contractuels », « un personnel administratif qui vit des jours sombres ». Il ne mâche pas ses mots pour dénoncer aussi « une crise de confiance dans le pays depuis la mort de Dessalines », des « pratiques autoritaires et totalitaires à l’Université », la fermeture de plusieurs entités de l’UEH.

Face à ces problèmes, le vice-recteur fait appel à la médiation. Il croit dur comme fer qu’il faut y avoir une réconciliation à l’université, et cette réconciliation n’est possible que par « le chemin de la médiation », martèle-t-il. Et pour terminer, il affirme qu’« il est inhumain de faire de l’université un espace de marchandages politiques et de manipulations malsaines ». Pour lui, « la non-synchronisation des actions du recteur et des vice-recteurs a des effets néfastes sur la santé académique de l’UEH et la vie des étudiants ».

Que signifient ces cris du professeur ? Veut-il tout simplement se dédouaner des crises de l’UEH? Ou veut-il affirmer tout simplement son incapacité ou son impuissance à la résolution de cette crise? Ou même, l’incapacité ou l’impuissance de ce « Conseil contesté » auquel il appartient? Dans ce cas, ne leur faut-il pas en bloc tirer la révérence? Nous n’oublions pas que celui-ci (le vice-recteur aux affaires académiques) était même prêt à aller en enfer pour participer aux élections pour le renouvellement du Conseil Exécutif. Maintenant qu’il y est, il demande à Lazare de tremper son doigt dans l’eau pour le rafraîchir comme le dit la parabole biblique (Luc 16, 24). Beaucoup de professeurs reprochent au vice-recteur d’avoir cautionné ces élections que certains qualifient à tort ou à raison d’« élections chanpwèl », d’« élections pike-kole » ou d’« élections bout mamit ».

  1. La résolution sur le devoir de réserve des membres du CE et du CU, une baboukèt

Voici les articles de la résolution tels que publiés dans le document qui nous est parvenu : « (1) Aucun membre du Conseil Exécutif (CE) et du Conseil de l’Université (CU) n’est autorisé à prendre des positions publiques sur les dissensions et les contradictions internes intervenues au sein de l’une ou l’autre des instances. (2) Une fois que le CU s’est prononcé sur une question quelconque, les points de vue opposés ou minoritaires doivent impérativement se garder de s’exprimer publiquement. (3) Le devoir de réserve s’impose à tous les membres du CU et du CE. (4) Le Conseil de l’Université se réserve le droit de sanctionner les contrevenants conformément aux règlements internes. »

Nous estimons  que cette résolution est très mal venue pour plusieurs raisons. D’une part, dans le contexte politique actuel, le président Jovenel Moïse vient de  lancer, il y a quelques mois de cela, cette formule d’un ton autoritaire, « à l’allure d’un diktat » d’après certains, « le président a parlé point barre » qui n’est plus de mise dans une société démocratique. Dans un système démocratique, l’opposition constitue un contre-pouvoir, un balancier, «une alternance politique», «elle permet d’éviter que la majorité, une fois parvenue au pouvoir, n’ait la tentation de mener une politique portant atteinte aux droits et libertés». Elle permet aussi de contrer les dérives du pouvoir, la tentation de réprimer par la force abusive. La parole de l’opposition peut nuancer ou faire l’équilibre de la parole du pouvoir. Le « recteur a parlé point barre » ou le « Conseil a parlé point » est symptomatique d’un manque de tolérance et semble être le signe de l’émergence d’un pouvoir totalitaire à l’UEH. L’Université doit être le centre ou l’épicentre d’idées plurielles et non d’une parole unique et uniforme.

D’autre part, les parlementaires viennent de voter à l’unanimité en mars 2017  une loi sur la diffamation, « en dehors des consultations  préalables avec les associations de presse et patrons de média ». La loi sur la diffamation, d’après de nombreux journalistes et hommes de média, n’a rien de mal en soi ; mais le contexte ne s’y prêtait pas parce qu’il y avait de graves accusations/allégations contre des membres haut placés, des hauts fonctionnaires au plus haut sommet de l’Etat. Pour eux, il s’agit tout simplement d’une couverture pour ceux ou celles qui sont ou seront épinglés par des enquêtes ou investigations. Vous vous direz peut-être, quel est le rapport avec l’Université. Justement, par cette résolution, il s’agit de mettre une baboukèt à une frange minoritaire ou à un individu du CU qui exprimerait son désaccord sur la manière de gérer les crises et les conflits à l’UEH ou sur des décisions importantes entreprises par ledit Conseil, en l’occurrence le CU qui, la plupart du temps, ne se distingue pas du CE. On se doit d’interroger de la sorte: A qui profite cette résolution? Cette résolution ne vient-elle pas entraver la liberté d’expression ou la parole publique d’un membre du CE ou du CU que l’on veut absolument museler ? Par cette résolution, la majorité au sein dudit CU est en train de dire à la minorité : Fermez votre gueule et laissez-nous faire.

On peut s’interroger aussi sur la légalité et la légitimité de cette résolution. Combien de membres du CU ont voté cette résolution? Y avait-il une majorité (quorum) à cette réunion ordinaire? Pourquoi tous ceux qui ont voté cette résolution n’ont pas leur signature apposée au bas de cette résolution? Qui sont les signataires d’une telle résolution? Autant de questions qui nécessitent des réponses. Dans tous les cas, cela paraît suspect.

De plus, l’Université est embourbée depuis plusieurs années dans la plus grande crise qui n’a jamais existé à l’UEH : fermeture de l’ENS depuis deux ans et demi environ, fermeture de la FASCH et de la FE depuis plusieurs mois, allégations sur la détention de « faux diplômes », de « détournement de fonds ». Ledit Conseil vient de nommer, pardon, former une commission pour les états généraux de l’UEH sans aucune consultation. Pourquoi des membres du CU et du CE ont-ils été évités? N’ont-ils rien à dire dans la nomination, pardon, dans la formation de cette commission? Le CE ne devrait-il pas montrer sa capacité à gérer d’abord ses conflits intestins avant de mettre en route le processus d’états généraux de l’UEH? Malgré les protestations… tèt dwat. Pourquoi cet entêtement? Cette commission peut-elle sauver l’UEH? Nous l’espérons vivement, car c’est notre plus grand souhait.

Alors que certaines questions graves et les scandales récents ne sont pas traités dans les réunions du CU, mais sur cette résolution, le CU a été assez rapide pour ne pas dire que ses membres ont été dans l’urgence, l’urgence de mettre la baboukèt aux opposants des méthodes arbitraires, de décisions unilatérales dans les deux conseils. Pourtant, les allégations sur la détention de «faux diplômes», de «détournement de fonds» sont passées comme un non-événement. L’accusé en la personne du « recteur contesté » F. Deshommes n’a apporté aucun démenti formel aux allégations du professeur Berg P. Hyacinthe. Aucune enquête n’est enclenchée. Aucune sanction contre l’accusateur, dans le cas où il s’agirait d’allégations mensongères (à moins que ces sanctions ne soient parvenues à notre connaissance).

Pour terminer, nous disons que le 7 février 1986, les foules qui ont investi les rues après le départ de Jean Claude Duvalier, dans leur euphorie, lançaient des cris : ke makak la kase, baboukèt la tonbe! Les gens muselés depuis près de trente ans étaient heureux de retrouver leur liberté d’expression comme un aveugle aurait été heureux de recouvrer la vue. Jusqu’à il y a quelques jours, on croyait que la baboukèt, le muselage n’était pas au goût du jour à l’UEH ; mais non, ledit CU vient de nous prouver le contraire. Cela dit, les professeurs et les étudiants de l’UEH doivent convoquer le CU dans l’urgence pour faire retrait de cette résolution. Dans ce contexte de grandes crises au sein de l’UEH, une médiation s’impose comme l’ont proposé bien avant le vice-recteur aux affaires académiques contesté, certains professeurs de plusieurs facultés de l’UEH, depuis août 2016. Le CU ne doit pas être un club d’amis pour régler des comptes aux opposants, sinon on ferait mieux de l’appeler «CAFE DES COPAINS». L’espace universitaire doit rester un espace de propositions, de débats d’idées ou d’idée de débats, d’une parole libre et un modèle de démocratie. Certes, l’Etat central ne peut pas intervenir dans la gestion et les décisions importantes de l’UEH vu que c’est une institution autonome et indépendante (Constitution de 1983, 1987) ; mais il a un droit de regard parce que l’UEH est financée avec l’argent du trésor public. Il peut demander d’auditer à tout moment. La société civile a également son mot à dire. Dans le contexte mondial actuel et à ce carrefour de notre histoire, nous devons construire une Université libre, inclusive où la recherche, l’innovation scientifique, la raison et le dialogue règnent.

Ethson Otilien
Professeur FASCH/UEH

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