Pour l’Histoire, nous partageons la lettre de Tony Bloncourt – écrit de la Prison de la Santé quelques heures avant qu’il ne soit fusillé. Il avait 21 ans et dix jours. Tony Bloncourt, est né en 1921 à Jacmel en Haïti. Ce jeune résistant d’origine haïtienne était étudiant à Paris lorsqu’il fut l’un des premiers Résistants à prendre les armes contre l’occupant nazi. Par humanisme, il épargna un officier allemand qu’il devait abattre au métro Bastille. Arrêté au quartier latin en janvier 1942, il fut jugé avec six de ses camarades, par un tribunal militaire allemand qui réalisa un simulacre de procès au Palais-Bourbon. La France était alors occupée par les Nazis (Regime de Vichy). Tony Bloncourt fut exécuté quelques semaines plus tard au Mont-Valérien. Il est le grand frère de l’écrivain, poète et photographe haïtien Gérald Bloncourt qui a milité en Haïti aux côtés du célèbre écrivain Jacques-Stephen Alexis contre les régimes des Duvalier père et fils, né en 1926 à Bainet, Gérald Bloncourt est décédé le 29 octobre 2018. Il a été président du Collectif Haïti Lutte Contre l’Impunité.
Paris – Prison de la Santé – 9 mars 1942
Maman, papa chéris,
Vous saurez la terrible nouvelle déjà, quand vous recevrez ma lettre. Je meurs avec courage. Je ne tremble pas devant la mort. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas si cela a pu servir mon pays et la liberté !
Je regrette profondément de quitter la vie car je me sentais capable d’être utile. Toute ma volonté a été tendue pour assurer un monde meilleur. J’ai compris combien la structure sociale actuelle est monstrueusement injuste. J’ai compris que la liberté de vivre, ce que l’on pense, n’est qu’un mot et j’ai voulu que ça change. C’est pourquoi je meurs pour la cause du socialisme.
J’ai la certitude que le monde de demain sera meilleur, plus juste, que les humbles et les petits auront le droit de vivre plus dignement, plus humainement. Je garde la certitude que le monde capitaliste sera écrasé. Que l’ignoble exploitation cessera. Pour cette cause sacrée, il m’est moins dur de donner ma vie.
Je suis sûr que vous me comprendrez, Papa et Maman chéris, que vous ne me blâmez pas. Soyez forts et courageux. Vous me sentirez revivre dans l’œuvre dont j’ai été l’un des pionniers.
Mon cœur est plein de tendresse pour vous, il déborde d’amour. Je vois toutes les phases de cette enfance si douce que j’ai passé entre vous deux, entre vous trois car je n’oublie pas ma Dédé chérie. Tout mon passé me revient en une foule d’images. Je revois la vieille maison de Jacmel, le petit lycée, les leçons de latin et M. Gousse. Ma pension au petit séminaire et le retour des vacances, mon vieux Coucoute que j’aurais voulu guider à travers la vie et mon petit Gérald.
Je pense à vous de toute ma puissance, jusqu’au bout, je vous regarderai. Je pleure ma jeunesse, je ne pleure pas mes actes. Je regrette aussi mes chères études, j’aurais voulu consacrer ma vie à la science.
Que Coucoute continue à bien travailler, qu’il se dise que la plus belle chose qu’un homme puisse faire dans sa vie, c’est d’être utile à quelque chose. Que sa vie ne soit pas égoïste, qu’il la donne à ses semblables quelle que soit leur race, quelles que soient leurs opinions. S’il a la vocation des sciences qu’il continue l’œuvre que j’avais commencé d’entreprendre ; qu’il s’intéresse à la physique et aux immortelles théories d’Eistein, dont il comprendra plus tard l’immense portée philosophique. Que mon petit Gérald, lui aussi, travaille bien et arrive à quelque chose. Qu’il soit toujours un honnête homme.
Maman chérie, je t’aime comme jamais je ne t’ai aimée. Je sens maintenant tout le prix de l’œuvre que tu as entreprise en Haïti, continue d’éduquer ces pauvres petits Haïtiens. Donner de l’instruction à ses semblables est la plus noble tâche ! Papa chéri, toi qui es un homme et un homme fort, console Maman, sois toujours très bon pour elle en souvenir de moi. Maman Dédé chérie, tu as la même place dans mon cœur que Maman. Tous, vivez en paix et pensez bien à moi. Je vous embrasse tous bien fort comme je vous aime. Tout ce que j’ai comme puissance d’amour en moi passe en vous. Papa, sois fort. Maman je te supplie d’être courageuse. Maman Dédé, toi aussi. Mon vieux Coucoute et mon vieux Gérald, je vous embrasse bien, bien fort. Il faut aussi embrasser maman Tata bien fort. Pensez à moi. Adieu !
Votre petit Toto.