La dégradation des droits des migrants et réfugiés, dont des Haïtiens, en Amérique Centrale : jusqu’à quand ?

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Le secrétaire d’État des États-Unis Mike Pompeo rencontre le président mexicain Andrés Manuel López Obrador.

Les yeux du monde entier sont surtout braqués sur les mesures draconiennes, voire inhumaines, que les États-Unis d’Amérique et –dans une moindre mesure- le Mexique ont prises récemment pour contrôler d’une main de fer les flux migratoires en provenance de l’Amérique centrale ; alors que le Guatemala qui joue un rôle de plus en plus prépondérant dans cette politique de durcissement passe presque inaperçu.
      Aussi est-il important de comprendre le revirement ayant eu lieu récemment dans la politique migratoire du Guatemala et comment il a affecté des milliers de migrants et de réfugiés, dont des Haïtiennes et Haïtiens, en quête du rêve américain.     

Revirement de la politique migratoire du Guatemala

Depuis juin dernier, le Guatemala a de plus en plus durci les mesures sur toute l’étendue de son territoire contre les migrants et réfugiés, dont des Haïtiennes et Haïtiens qui transitent depuis l’Amérique du Sud vers les États-Unis. Contrôles stricts, militarisation et refoulements aux frontières- notamment celles partagées avec le Honduras et le Salvador-, chasses et violences faites aux migrants : autant d’actions que, depuis, le Guatemala a soudainement mises sur pied pour freiner les flux migratoires. Pourtant, il y a à peu près deux mois, ce pays centraméricain accordait immédiatement des sauf-conduits [appelés en espagnol orden de abandono par l’administration guatémaltèque] aux étrangers permettant à ceux-ci de continuer leur trajectoire vers le Mexique.

Ce revirement de la politique migratoire du Guatemala –du « laisser-faire » au durcissement- intervient, suite à des réunions que le chef d’État de ce pays Jimmy Morales a eues, entre mai et juin dernier, avec les deux administrations mexicaine et étasunienne. Ces deux ont convaincu le président guatémaltèque de participer activement au contrôle des flux migratoires venus de l’Amérique centrale, en échange d’une aide au développement en faveur de son pays.

Fin mai, le chancelier mexicain Marcelo Ebrard avait annoncé un plan régional de développement pour l’Amérique Centrale et le Sud du Mexique. Selon ce haut fonctionnaire, le président étasunien Trump appuierait ce plan, orienté à faire face à la crise migratoire dans cette zone par le biais de la création d’emplois, d’infrastructures et de services de base, et par la mise en place d’autres dispositifs de développement.

Trump a, à maintes reprises depuis l’année dernière, menacé de couper les aides aux pays centraméricains, dont le Guatemala

Quoique l’annonce de ce plan ait fait couler beaucoup d’encre, particulièrement au Mexique, où le président Andrés Manuel López Obrador dénoncé comme «traître à la patrie » a fait l’objet de critiques virulentes ; en revanche, le Guatemala a bien reçu la nouvelle comme une bouffée d’air frais. Rappelons que Trump a, à maintes reprises depuis l’année dernière, menacé de couper les aides aux pays centraméricains, dont le Guatemala, au cas où ceux-ci continueraient à laisser passer les migrants irréguliers se dirigeant vers les États-Unis.

L’administration de Trump a profité de l’occasion pour négocier avec le Guatemala sur une nouvelle base : faire autant de promesses que de menaces.

Le secrétaire à la Sécurité Nationale des États-Unis Kevin McAleenan a, fin mai, rendu visite au Guatemala et conclu avec le président Jimmy Morales un accord orienté à contrôler les flux migratoires dans ce pays centraméricain. Cet accord est gardé jusqu’ici secret entre les deux États.

Depuis la mise en œuvre de cette entente bilatérale, l’étau se resserre de plus en plus autour des migrants et réfugiés, en particulier les Haïtiennes et Haïtiens qui sont en transit de l’Amérique du Sud vers les États-Unis d’Amérique. Le Guatemala est en train de tout faire pour empêcher ces étrangers de fouler le sol mexicain.

Comment ce revirement affecte des migrants et réfugiés

Par ailleurs, le gouvernement guatémaltèque vient d’annoncer un train de mesures visant la mise en place de nouvelles normes et procédures migratoires concernant les contrôles aux frontières, entre autres questions brûlantes (1). Si bien les détails de ces mesures n’ont pas été fournis, à l’instar de l’accord cosigné avec les États-Unis ; cependant, force est de constater -depuis à peu près début juin dernier- un certain durcissement contre les migrants et réfugiés à travers tout le territoire de ce pays centraméricain.

Des haïtiens à Tijuana, Mexique en 2016. Les Haïtiennes et Haïtiens sont en transit de l’Amérique du Sud vers les États-Unis d’Amérique. Le Guatemala est en train de tout faire pour empêcher ces étrangers de fouler le sol mexicain.

Ceux-ci y sont désormais poursuivis, capturés, appréhendés et parfois refoulés vers le Honduras ou le Salvador [deux pays où ils transitent, avant d’arriver au Guatemala], où ils s’éloignent un peu plus du Mexique et donc des États-Unis. Ils se trouvent tout à coup dans l’obligation de chercher d’autres routes, parfois beaucoup plus dangereuses et avec moins d’argent et d’énergie, pour retourner au Guatemala et ainsi continuer leur trajectoire vers le nord.

Par exemple, la Police Nationale Civile vient de lancer l’opération appelée « Operación Gobernanza » (dont le nom ne laisse aucun doute sur son objectif de contrôle) dans plusieurs zones du Guatemala, pourchassant les migrants et réfugiés en situation dite irrégulière. Dans le cadre de cette opération, en seulement deux jours, les 3 et 4 juillets derniers, la police guatémaltèque a fait état de 154 et 101 migrants appréhendés respectivement, dont des Haïtiens : soit un total de 255 « sans-papiers ». L’offensive anti-immigrante est de plus en plus musclée.

Depuis juin dernier, plusieurs reportages et informations, diffusés notamment par des médias internationaux et aussi haïtiens, ont montré comment des mères, des enfants et des migrants haïtiens, complètement exténués, supplièrent les autorités guatémaltèques, impassibles, de ne pas les refouler au Salvador ou au Honduras.

Donc, cette transition vers de nouvelles mesures migratoires, annoncées par le gouvernement guatémaltèque et dont la mise en œuvre est coordonnée par l’Institut Guatémaltèque de Migration (IGM), commence déjà à affecter des centaines –voire des milliers, selon des rumeurs- d’Haïtiennes et Haïtiennes qui se trouveraient bloqués au Guatemala, au bord d’une crise humanitaire. Leurs droits, ainsi que ceux d’autres migrants et réfugiés centraméricains, cubains et africains [se trouvant dans la « caravane »], sont sacrifiés sur l’autel du « développement » ou, mieux encore, de la « promesse d’aide au développement » faite au Guatemala par le Mexique et les États-Unis.

L’administration de Trump se vante d’être le leader de cette stratégie migratoire tripartite- conjointement avec le Mexique et le Guatemala-, par laquelle elle veut à court terme faire de ceux-ci deux « tiers pays sûrs », c’est-à-dire des pays où elle peut transférer des réfugiés en provenance de l’Amérique Centrale pour que ceux-ci leur demandent l’asile et y soient accueillis. Ce qui réduirait de manière significative la pression migratoire sur les États-Unis d’Amérique.

face au projet de loi de l’administration de Trump consistant à faire du Mexique et du Guatemala deux « tiers pays sûrs », le chancelier de la nation aztèque a déjà réagi en qualifiant ce projet d’ «unilatéral »

Ponctuée par des menaces de sanction commerciale et des promesses d’aide au développement, cette diplomatie économique, développementiste, financière, voire douanière, a donné des résultats dans les négociations migratoires des États-Unis avec ces deux pays centraméricains, en mettant ceux-ci dos au mur.

Si bien, face au nouveau projet de loi de l’administration de Trump consistant à faire du Mexique et du Guatemala deux « tiers pays sûrs », le chancelier de la nation aztèque Marcelo Ébrard a déjà réagi en qualifiant ce projet d’ «unilatéral » et la Cour constitutionnelle du Guatemala s’est opposée catégoriquement à cette démarche du grand voisin du nord ; cependant, ces deux pays centraméricains se trouvent entre l’enclume et le marteau. Pour l’instant, ils sont forcés à contenir, voire brutaliser –sans état d’âme- les flux de migrants et de réfugiés venus de l’Amérique Centrale, en vue de montrer à l’administration de Trump qu’ils font le boulot avec efficacité en vue de ne pas être sanctionnés sur le plan commercial et économique. Quitte à fouler aux pieds les droits des migrants et réfugiés.

En ce sens, depuis juin dernier, le gouvernement guatémaltèque du président Jimmy Morales a emboîté le pas. Peu importe les critiques qui lui ont été adressées, le jeu du « développement » en vaut la chandelle. Après tout, ce sont les droits des étrangers qui ne sont pas respectés sur son territoire et non pas ceux de ses concitoyens. La « nation » avant l’ « humanité ». Les intérêts économiques et financiers au-dessus de la « famille humaine », dont parle de façon solennelle le Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : famille dont tous les membres auraient « leur dignité inhérente» et « leurs droits égaux et inaliénables », selon ce document fondateur, resté pourtant jusqu’ici lettre morte en matière de migrations.

La situation des migrants et réfugiés, dont des Haïtiennes et Haïtiens, en Amérique Centrale et en particulier au Guatemala est un exemple éloquent de la dégradation généralisée des droits de l’homme « universels » dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Jusqu’à quand ?

Wooldy Edson Louidor est professeur et chercheur à l’Institut des Études sociales et culturelles PENSAR- Pontificia Universidad Javeriana.

Notes

[1] Lire la note du gouvernement guatémaltèque sur ce lien actif: http://mingob.gob.gt/director-de-migracion-se-reune-con-cuerpo-consular-acreditado-en-el-pais/

Paris, 20 juillet 2019

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