Décidément, il faut faire appel, et vite, à des psychologues si ce n’est à des psychiatres, car au pays les choses ont pris une tournure assez inquiétante, symptomatique d’une situation tellement abracadabrante, rocambolesque et saugrenue que manifestement les politiciens sont légion qui ‘‘perdent des feuilles’’. Comme dirait une vieille de ma connaissance, dans un espagnol approximatif : « la cosa ta mala ». La cosa est vraiment mala. Les choses vont mal, elles sont dans un triste état. On n’en peut presque rien espérer.
On s’attendait à n’importe quel autre gros mensonge ou fausse promesse de ‘Konpè Jo’ (Jovenel, voulais-je dire); à n’importe quel visite d’un autre gros zotobre de Washington pour corer Jovenel ; à n’importe quel autre débordement verbal, tonitruant de Me. André Michel ; mais qu’une nouvelle formation politique ait surgi en plein dans le décor burlesque, rocambolesque, funambulesque, clownesque, incohérent, dément haïtien, alors que les précédentes ont failli, eh bien là, je donne le gain. Oui, « la cosa ta mala ».
En effet, le 15 janvier écoulé, une grappe de partis politiques débordant d’« idées nouvelles » (sic) ont lancé la plateforme dénommée Lig Ayisyen pou kore Ayiti (LAKAY) dont les dirigeants entendent promouvoir le développement du pays en stimulant la croissance (resic) afin d’accomplir le rêve du bien-être des citoyens haïtiens (un troisième sic). Au dire de son président, Branly Lydent Garnier, il s’agit d’un parti qui s’engage à travailler pour améliorer les conditions de vie de tous les citoyens haïtiens. Ma parole ! La Palice, au secours !
Mais, à quoi d’autre un parti politique peut-il s’engager ? Garnier, comme les autres engageants de LAKAY, est un vrai salisseur, un bétiseur. Pourquoi ne dit-il pas, par exemple, que le parti s’engage à former, dans les villes et les communes, des comités de quartier politiquement bien organisés, de façon à former une ossature politique qui soit éventuellement un fer de lance déboulonnant, à l’assaut du système accoucheur et allaiteur de la bande à Jovenel ?
Non, il ne le dira pas, puisque LAKAY n’en a ni le souffle, ni la volonté politique, d’autant qu’il s’agit d’un projet de longue haleine, à long terme, et que les dirigeants de LAKAY ne sont pas prêts de trahir leur classe sociale. Pourquoi cet autre regroupement d’une équipe de dyòlalèlè et de dyòlalèlèz en mal de dialogue, d’une autre tablature dialoguante, sinon l’espoir de décrocher, au mieux un ministère, au pis-aller un strapontin dans l’antichambre du président. Oui, la cosa ta mala, malisima, très mal.
Un drone PHTKiste lancé des quartiers de Jomo fit tomber la passerelle dans le fleuve des élucubrations des Passerrellois.
La rentrée de LAKAY dans l’arène politique s’est inscrite, tenez-vous bien, « dans une nouvelle dynamique, celle de provoquer, d’enclencher la modernité du pays, en passant par le développement économique, politique, social et culturel », dixit Garnier. Non, mon beau, Jo va se fâcher. Cette concurrence va lui déplaire souverainement d’autant que depuis son accession au pouvoir il ne fait que « de tsa », comme disent les Québécois ; avec succès d’ailleurs, se vante le président. Non, Garnier, pour être crédible, amenez plutôt l’eau, la terre, le soleil et (n’oubliez pas) … une caravane-bluff, autrement la cosa ta mala.
Les « idées nouvelles » dont LAKAY est porteur visent l’établissement d’une société basée sur les principes du « collectivisme pluraliste décentralisateur ». Ah ! Les grands mots pompeux qui n’effraient même plus les petits chiens, encore moins qui peuvent les tuer. Avec LAKAY, il faut compter sur cinq grands axes, on pourrait même dire sur 5 wòch dife (avant c’était 3, mais les temps ont changé) qui concernent cinq protections : protection de l’environnement éducatif, de l’environnement économique, de l’environnement sanitaire, de l’environnement sécuritaire et de l’aménagement territorial. Hum ! Ça ne vous rappelle pas les 5 E de Martelly et leurs ‘‘spectaculaires’’ résultats? Oui, la cosa ta mala.
Ce n’est pas la modestie qui a manqué au porte-parole du parti, Alix Boucicault, qui s’est donné la peine d’exposer tout le chemin (dans le noir ?) parcouru par LAKAY pour aboutir à son lancement officiel : « La cérémonie du lancement d’aujourd’hui est possible grâce à une équipe très courageuse. Malgré [que] l’année 2019 a[it] été une année difficile, des femmes, des hommes, des leaders de partis et d’organisations se montraient soucieux du bien-être collectif pour se mettre en synergie afin de monter cette grandissime force politique moderne avec pour ultime et unique objectif de guider, d’orienter le souverain peuple de la République d’Haïti”. Ou tande bèf… Le vice-président de la fortissime et nobilissime Ligue, Dolcé Dorcinvil, a fait ressortir, peut-être pour quelque esprit peu informé, que la dynamique politique exige de nouvelles structures politiques pouvant véritablement répondre aux « grands défis de l’heure », une formule ressassée depuis le soûlard Namphy jusqu’au nullissime Jovenel en passant par l’obscénissime Martelly. Selon Dorcinvil, le temps n’est pas à la discorde mais à la concorde, à la paix entre des kabrit Tomazo de même pelage qui doivent harmoniser leurs bêlements discordants en un solennel Houngan kabrit o, mwen di bè… Le genre de bè qu’aime entendre le maître impérialiste.
Dorcinvil a cru bon de mentionner que le corrompu Jovenel Moïse doit profiter de ce moment de trêve, d’harmonie, pour emprunter le chemin du dialogue (ah ! le mot sésame) avec de brillantissimes protagonistes (de LAKAY bien sûr) en vue de procéder à de nouvelles nominations (bonjour les billets verts !) et à l’installation d’un nouveau gouvernement capable de répondre aux « grands défis de l’heure » et (accessoirement) aux besoins (pressants, il ne faut pas l’oublier) de la population.
Au demeurant, il s’agit de se mettre en réserve d’un ministère, de faire savoir au président que lakay se lakay et qu’il n’y a pas mieux avec LAKAY. Voilà la raison de cette émergence champignonnante de LAKAY dont on ne sait qui tire les ficelles puisqu’à toute fin pratique, aucune plateforme politique n’est vraiment autonome. Mais oui, la vache à lait de l’État est là qui t’invite et qui te fait signe, accroche-toi à ses mamelles qu’elle t’offre toujours…et puis, dégage-toi. Si alors le dégagettisme, version « honorable » du kokoratisme doit continuer avec LAKAY, eh ! bien, oui, la cosa ta mala.
Quel nadja nou mele ! Quel galimatias ! Quel têtanbatisme ! On ne sait pourquoi ces têtes vides s’agitent ainsi sans perspective de résultats concrets. Voyez, il y a environ sept mois, le vendredi 21 juin 2019 dernier, la meute oppositionnelle, lors d’un tonitruant exercice de rejet de Jovenel, dans la cour de l’hôtel Olofson, a réclamé avec fureur sa démission. Il était question d’une «Alternative consensuelle pour une refondation d’Haïti », pendant une période de transition de juin 2019 à février 2022. Mais ce n’était que bri sapat, agitation consensuelle seulement, puisque ce beau monde n’avait vraiment pas les moyens de pousser Jovenel à la démission. La refondation a fondu.
Quatre mois plus tard, au mois d’octobre, surgissait de l’imagination fébrile et des fiévreuses magouilles des oppositionneux une troisième formation politique dénommée ‘‘Mache kontre’’. Il s’agissait d’un regroupement des partis socio-démocrates, en l’occurrence la Fusion des Socio-Démocrates que préside Edmonde Supplice Beauzile, l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) d’Edgard Leblanc Fils; les plateformes VERITE (branche de Genard Joseph), VEYE YO ; et le Mouvement chrétien pour une nouvelle Haïti (MOCRHENA).
Pourquoi ne dit-il pas que le parti s’engage à former, dans les villes et les communes, des comités de quartier politiquement bien organisés?
Ces ‘‘marcheurs pour rencontrer’’ assurément ne voulaient point rester en dehors du partage du gâteau, au cas où Jovenel démissionnerait. « Mache Kontre » proposait la formation d’un Conseil de Transition qui aurait la charge de nommer un président provisoire et un Premier Ministre, alors que l’Alternative pour la Refondation d’Haïti prônait le choix d’un juge de la Cour de Cassation pour jouer le rôle de Transitionneur : une situation évidente de cosa ta mala.
En effet, la cosa fut mala puisque les ‘‘marcheurs rencontrèrent’’ un Jomo bandé à l’avant avec les ouistitis du Core Group, et à l’arrière avec Helen La Lime, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et Chef de la Mission des Nations Unies pour l’appui à la justice en Haïti (MINUJUSTH), femme djanm prête à limer toute tentative de rejet de dialogue avec Konpè Jomo. Ce fut une pitoyable chutance pour les marcheurs.
L’Alternative consensuelle pour la refondation de la Nation semblait avoir le vent en poupe puisqu’elle avait imprudemment enfanté une Commission de Facilitation pour la passation de pouvoir, d’autant que Mache kontre avait fait bec à l’eau après avoir, politiquement parlant, rencontré les os de sa grangrann sur le parvis du palais national. Sans que personne s’y attendît, et, comme par enchantement, une ‘‘Passerelle’’ fut jetée entre les crabes de l’opposition et le pouvoir chancelant de Konpè Jomo.
Au grand étonnement de plus d’un, le jeudi 10 octobre 2019, une autre structure, ‘‘Passerelle’’, justement, fit son apparition sur la scène politique. Faite de 107 organisations de divers secteurs dont des organismes de défense des droits humains, les principales associations patronales, les syndicats, des organisations paysannes et quelques insignifiances politiques, elle avait fait paraître un génialissime, brillantissime document pompeusement nommé ‘‘Déclaration de Sauvetage National’’.
Que pensez-vous qu’il arriva ? Un drone PHTKiste lancé des quartiers de Jomo fit tomber la passerelle dans le fleuve des élucubrations des Passerrellois. La foudroyance de la tombance de Passerelle fut telle qu’elle emporta avec elle une autre plateforme d’hurluberlus qui s’était baptisée ‘‘Bloc démocratique pour le redressement national’’, un agglomérat prétendument de 21 partis et organisations. L’eau baptismale n’avait en effet pas été bénie par le grand maître des magouilles nocturnes, le Nonce apostolique ; aussi, le Bloc s’émietta. Un constat de cosa ta mala était évident.
La chutance des marcheurs, la tombance de la Passerelle et l’émiettance du Bloc redressant laissèrent un vide que Mère Nature, vidophobe, s’empressa de combler. D’où l’émergence inattendue, le 15 janvier écoulé, de la Lig Ayisyen pou kore Ayiti (LAKAY), une plateforme qui s’est empressée de se liguer contre le malheur et la fatalité en vue de promouvoir le développement du pays. Comment ? En stimulant la croissance, un thème cher au néolibéralisme, dût-elle (la croissance) péter le fiel des citoyens. Encore qu’il se soit toujours agi de simulance, de simagrances et non de stimulance.
Mais soyez-en sûr, « je [vous] le dis en vérité, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois», une autre plateforme aura surgi. Et si au terme de ce déplotonnage de manifestations fantasques, abracadabrantes, clownesques, irrationnelles, presque démentielles de la part de la gente politicienne, vous, lecteurs, n’êtes pas convaincus de la nécessité (urgente) de faire appel à des psys pour mettre les abracadabrants sur les rails d’un développement mental sain, eh ! bien alors, la cosa ta mala.
Et telefòn ne lâchez pas.
18 janvier 2020