La BSAP, une épine au talon d’Ariel Henry

(Première partie)

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La Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), une structure armée relevant de la Direction de l’ANAP (Agence Nationale des Aires Protégées)

Incontestablement, Haïti ne sortira pas de sitôt de ses problématiques politiques et institutionnelles. Elles sont multiples et complexes. Et ce n’est certainement pas la mort de ces cinq agents de la BSAP (Brigade de Sécurité des Aires Protégées), Clersain Thomas, Mackendy Veillard, Chrisner Désir, Zéphyrin Daniel et Dorvil Jean Fontange, tués par la police à Laboule 10, le mercredi 7 février 2024, qui apaisera les nerfs. L’arrivée bientôt de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS) aussi ne changera rien.

Ces pauvres kenyans ne serviront que de sparadrap sur une blessure déjà infectée ou tout simplement de béquille pour une jambe de bois. Depuis 2021, l’année de l’assassinat du chef de l’Etat, Jovenel Moïse, le pays semble perdre de sa boussole. En tout cas, le pays est à l’arrêt. Personne ne semble être en mesure d’y apporter des solutions. Le gouvernement intérimaire ayant à sa tête le Premier ministre Ariel Henry a décidé de ne s’occuper que de sa pérennité à la tête du pays. Le reste, il n’en a cure.

Le phénomène des gangs envahissant la quasi-totalité de la métropole de Port-au-Prince et de ses banlieues est entré dans la vie quotidienne des haïtiens qui cherchent à survivre. Les autorités, en réalité, ne sont nulle part. Si les gangs quadrillent et contrôlent les territoires que la ministre de la justice, Emmelie Prophète-Milcé estime perdus, ces criminels ne peuvent aucunement apporter ce dont la population a besoin, ce qui, cyniquement, aurait pu servir à combler la défaillance de cet État failli.

En revanche, les autorités en place qui sont censées administrer le pays ne jettent pas l’éponge, mais elles n’entreprennent rien, absolument rien afin de reprendre en main la situation. Résultat, le chaos s’installe partout. Mais, dans le chaos, comme toujours, il y a la vie puisque la nature a horreur du vide. Ainsi, après plus deux années de léthargie, la population semble se réveiller et, petit à petit, elle commence à sortir de sa torpeur. De son silence. De l’attente d’un miracle qui n’arrivera jamais. Elle commence à comprendre que des deux maux – gangs et gouvernement – il n’en sortira rien. Par conséquent, elle n’a rien à gagner.

Pire, ils sont les deux faces d’une même médaille. Pile, elle se fait assassiner brutalement, en pleine face, elle meurt à petit feu. Alors, elle décide de réagir et pourquoi pas de prendre son destin en main. Tout a commencé avec la reprise de la construction du canal sur la rivière Massacre dans la plaine du Maribaroux du côté de la ville de Ouanaminthe dans le Nord-Est du pays. Contre vents et marrées : la menace du Président dominicain, Luis Abinader, le mépris et la pression des autorités haïtiennes, elle a tenu bon et avance doucement mais surement avec la réalisation du canal grâce à la solidarité du corps social haïtien de l’intérieur et de la diaspora. De ce chantier et du bras de fer entre le pouvoir et la population va naître aussi un nouvel acteur. En tout cas, cet acteur tapi dans l’ombre depuis deux ans va être mis sous les projecteurs. C’est la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), une structure armée relevant de la Direction de l’ANAP (Agence Nationale des Aires Protégées) qui, elle-même, est organisme placé sous la tutelle du Ministère de l’Environnement.

Avant le mouvement de résistance des paysans du Nord-Est face aux autorités de Port-au-Prince pour la construction dudit canal, personne ou presque n’avait entendu parler de la BSAP, encore moins de l’ANAP et pas du tout de son Directeur général, Jeantel Joseph. Pourtant, cet organisme public autonome existe depuis au moins sept ans. Créé par l’arrêté présidentiel du 10 mai 2017, l’ANAP a remplacé l’ancien organisme d’Etat s’occupant de la « Gestion de l’environnement et de régulation de la conduite des citoyennes et citoyens pour un développement durable » selon Le Moniteur du 26 janvier 2006. Pour assurer sa mission de protection de l’environnement, il a été décidé de créer, parallèlement, une branche armée composée de quelques agents établis sur tout le territoire dénommée : BSAP (Brigade de sécurité des aires protégées).

Au départ, leur effectif ne dépassait pas 300 hommes, des anciens militaires pour la plupart. Avant l’assassinat de Jovenel Moïse, ces agents armés étaient cantonnés dans les localités de leur affectation, plus souvent à la campagne et passaient quasi-inaperçus dans la population. A dire la vérité, tout au début, on avait enregistré quelques petits incidents entre les citoyens et quelques brebis galeuses comme dans tout corps armés. Mais, les premiers mouvements de rébellion des agents de la BSAP contre le pouvoir se portent sur une affaire de salaire qu’ils n’avaient pas reçu depuis leur recrutement. C’était une opération menée au pied de Morne Cabrit, sur la route nationale N° 3, en bloquant la circulation pour faire passer leur revendication. On est encore sous la présidence de Jovenel Moïse, donc cela remonte à loin. Une fois cette histoire de solde résolue, le pays n’en avait plus entendu parler. Puisqu’entretemps, il semble que l’administration de Jovenel Moïse et ensuite celle des autorités de la Transition et le Directeur de l’ANAP, Jeantel Joseph, avaient une autre mission pour ces hommes armés. Certains disent que la BSAP allait devenir, dans le futur, une sorte de « milice armée » pour les autorités en perspective des élections.

Ashley Laraque, porte-parole de l’association des anciens militaires

Invité de la radio Magik9 le vendredi 26 janvier 2024, Ashley Laraque, porte-parole de l’association des anciens militaires estime que les gouvernements d’hier et d’aujourd’hui sont complices de ce qui est arrivé avec la BSAP. Il avance que son association avait fait des démarches pour former et prendre en charge les agents de cette structure armée, mais personne n’a daigné lui répondre. « Nous avons écrit aux anciens et à l’actuel ministre de l’Environnement, au Président Jovenel Moïse, à l’actuel ministre de la Défense, au haut Etat-major des FADH à ce sujet, pour que l’association des anciens militaires puisse former les agents de la BSAP afin d’empêcher que la situation ne dégénère. Durant cette formation, il y aurait eu un vetting pour assurer l’intégrité des membres et de leurs capacités, faire une présélection des personnes qui feront partie de ce corps. Toutes les correspondances sont restées lettres mortes. Toutes les démarches sont restées lettres mortes. Personne ne s’intéressait à mettre de l’ordre dans la BSAP » a fait remarquer Ashley Laraque.

En effet, en l’espace de deux ans et demi, l’effectif de la BSAP a grimpé en flèche. Selon les informations disponibles, ils sont passés de 130 agents à leur création en 2017 à près de 1500 aujourd’hui. Mais, en réalité, il paraît que personne ne sait avec certitude combien ils sont exactement en début d’année 2024 et qui leur a procuré l’armement dont ils disposent et qui les financent. Ce qu’a confirmé l’association des anciens militaires par la bouche de son porte-parole le vendredi 26 janvier 2024 qui, pour l’occasion, souligne la responsabilité des autorités « Personne ne sait combien de personnes légales compte la BSAP, à combien s’élève son effectif réel, le budget prévu par le gouvernement et sa mission. Nous attendons de la Commission de restructuration de cette structure pour que nous puissions connaître son véritable statut. Jeantel Joseph n’est pas le seul à blâmer. On peut être complice de deux façons en laissant faire les choses ou en les favorisant. Je crois que le gouvernement est responsable » soutient cet ancien militaire qui dit lutter pour l’intégration ou le placement de la BSAP sous la tutelle des FADH depuis la présidence de Jovenel Moïse.

La Brigade de Sécurité des Aires Protégées va refaire surface en 2023 avec le canal de Ouanaminthe. C’est à ce moment que les autorités, notamment, Ariel Henry et son ministre de l’Environnement, vont constater qu’ils ont perdu tout contrôle sur la BSAP et réaliser qu’ils se sont trompés sur le compte de ces agents prenant fait et cause pour la population face à la décision du Premier ministre qui voulait arrêter les travaux du canal pour satisfaire la volonté des autorités dominicaines. Comme nous le disons plus haut, c’est ce mouvement populaire qui va révéler au pays l’existence d’un vrai corps armé que personne ne soupçonnait. Lorsque le Président dominicain, Luis Abinader, a envoyé des milliers de soldats pour intimider les paysans haïtiens sans défense sur la frontière et qui se préparaient même à pénétrer sur le territoire d’Haïti, ce sont les agents de la BSAP qui sont accourus de partout pour voler au secours de la population contre la volonté du gouvernement d’Ariel Henry.

Alors que, à aucun moment, la police nationale, la Direction de la PNH, en dépit de la devise de l’institution policière qu’est : « Protéger et Servir », n’ont manifesté leur volonté de protéger ni sécuriser la population. Le haut Etat-major des Forces Armées d’Haïti (FADH), cantonné dans son QG (Quartier général) sur le Champs de Mars, non plus, n’a levé le petit doigt devant l’agression verbale et les menaces du Président dominicain. Ainsi, abandonnés par le gouvernement haïtien, l’armée haïtienne et la police nationale, les paysans étaient livrés pieds et mains liés aux soldatesques du Président Luis Abinader. Quand la population de Ouanaminthe et de la plaine de Maribaroux, en particulier, a appelé au secours et à l’aide, ce sont les gars de la BSAP qui sont arrivés en nombre, certes peu équipés comparativement à l’armement des militaires dominicains qui entendaient faire respecter le diktat de leur pays. Mais, devant la détermination, le courage, le sang-froid, il faut le souligner, des agents de la BSAP, les militaires dominicains ont baissé d’un cran leur velléité, comprenant que les Haïtiens ne reculeront jamais et ont l’intention de poursuivre les travaux du canal sur la rivière Massacre.

Ces faits d’armes, il faut le reconnaître, ont apporté du prestige, de la sympathie, une reconnaissance nationale et une certaine confiance aux agents de la BSAP qui, tout naturellement, sont devenus les « chou-choux » de la population. Assez curieusement, c’est l’attitude héroïque de cette structure armée à l’égard de la population du Nord-Est qui va porter les autorités de la Transition à rompre les bonnes relations entretenues avec l’organisme mère de la BSAP qu’est : l’Agence Nationale des Aires Protégées et son chef Jeantel Joseph. En fait, depuis le début du mouvement dans le Nord-Est, le torchon brûle entre la Primature, le Ministère de l’Environnement et la direction de l’ANAP qui a toujours refusé d’appliquer les sanctions réclamées par le Premier ministre Ariel Henry à l’encontre des agents de la BSAP qui ont porté leur soutien aux paysans à l’initiative du canal sur la rivière Massacre. Malgré les menaces réitérées de Port-au-Prince, à aucun moment, la direction de l’ANAP n’a rappelé à l’ordre la BSAP. Mieux, le Directeur de l’ANAP, Jeantel Joseph, qui est en théorie le chef des BSAP a même manifesté sa solidarité envers les paysans de Ouanaminthe, qu’il a visités comme tous les politiques et haïtiens conscients du bien-fondé du canal pour le pays.

Depuis, les relations entre le dirigeant de l’ANAP et le gouvernement ont tourné au vinaigre. Tandis que, partout sur le territoire, les bases des BSAP prennent de plus en plus leur autonomie par rapport aux autorités de la capitale et se rallient l’une après l’autre au camp du Directeur général. Mais, en dépit de toute cette désobéissance publique, Ariel Henry et son gouvernement n’avaient pas osé attaquer de front ni Jeantel Joseph ni les BSAP, attendant certainement l’occasion propice pour frapper. C’est Guy Philippe, celui qui prétend déclencher une révolution contre ce qu’il appelle le « système » qui va donner l’opportunité à Ariel Henry de sévir contre la BSAP et son Directeur général. C’est la goutte d’eau. En effet, depuis le retour en Haïti fin novembre 2023 de l’ancien prisonnier d’Atlanta et ex-sénateur de la Grand’Anse, le paysage politique haïtien est en ébullition.

En quelques semaines, le pays est passé d’un attentisme déroutant à un déterminisme rassurant. Haïti est frappée par une vague de manifestations qui veut tout emporter sur son passage. Guy Philippe s’installe rapidement en leader de ce mouvement donnant l’impression que la population l’attendait. Si la Grand’Anse, son fief politique, est conquise par avance, le reste du territoire semble lui faire les yeux doux. Partout, il est proclamé et s’impose comme le meneur naturel d’un processus qui n’attendait que le signal du départ.

Après plusieurs démonstrations de force à travers les dix départements, Guy Philippe, l’ancien chef rebelle qui conduisait la lutte armée en 2004 pour le compte du Groupe des 184 contre le Président Jean-Bertrand Aristide, semble aujourd’hui transcender les clivages politiques et se place comme le seul capable de faire vaciller Ariel Henry et l’ancien GNBiste André Michel à la tête du pays.

D’où des alliances en cascades des leaders de l’opposition, notamment, l’ex-Premier ministre Claude Joseph, l’ancien sénateur Jean-Charles Moïse et bien entendu Jeantel Joseph ex-DG de l’ANAP qui ne se cachent plus pour reconnaître être des alliés de l’ancien homme fort de 2004. L’ex-sénateur fait peur au Premier ministre Ariel Henry et à tous les chefs politiques qui le soutiennent. Pourtant, Pierre Espérance qui n’est pas à une contradiction près s’inquiète de l’adhésion d’une bonne partie de la population à l’appel de l’ancien Commissaire de police. Le Secrétaire exécutif du Réseau National des Droits Humains (RNDDH) réclame l’interpellation de Guy Philippe qui serait impliqué dans l’attaque du Commissariat des Cayes en 2016. « Dès son arrivée au pays, il devrait faire l’objet de poursuites judiciaires, ce qui n’a pas été fait. Mais, aujourd’hui, il doit être interpellé pour ses actions dans plusieurs villes du pays » insiste Pierre Espérance. Or, la révolution proclamée par Guy Philippe paraît intéresser les hommes de la BSAP qui avaient fait une démonstration de force en accueillant celui-ci à Ouanaminthe venu visiter le canal en construction.

(A suivre)

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