Jovenel Moïse, une nouvelle Constitution quoi qu’il en coûte !

(1e partie)

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Depuis la première intervention du Président français Emmanuel Macron au mois de mars 2020 annonçant un confinement général de la population française en vue de faire face à la pandémie de la Covid-19 qui sème la mort et la souffrance à travers le monde, un terme de son discours s’est imposé comme preuve de la volonté des autorités sanitaires et politiques françaises de tout faire pour protéger la santé de la population et aussi le maintien de l’emploi des salariés qui devaient être tous au chômage partiel. 

 Ce terme est : quoi qu’il en coûte. Il peut se traduire tout simplement par : quel que soit le prix à payer, le gouvernement demeurera aux côtés de la population et les entreprises ne devraient avoir aucun souci sur le plan financier. Au fil des mois, ce fameux « quoi qu’il en coûte » devient le terme générique des conversations et différents débats qui se font sur des thèmes divers à travers le pays et dans la société. Toute la classe politique et la Société civile française s’accaparent de ce « quoi qu’il en coûte » pour dire qu’elles ne renonceraient jamais à leur engagement ou à leur conviction. Aujourd’hui, c’est ce terme fort signifiant qu’on ne reculera pas devant les obstacles et ce, quel que soit le prix politique, social ou économique, pourvu que le résultat soit au rendez-vous. C’est à cette transversalité qu’on assiste en Haïti avec la démarche du Président Jovenel Moïse avec son projet de reforme constitutionnelle. 

 Cette affaire de nouvelle Constitution est même devenue une obsession pour le chef de l’Etat. Il est prêt à tout pour y arriver et ce, quoi qu’il en coûte, pourvu qu’avant son départ du Palais national il arrive à imposer au pays et ses douze millions d’habitants une nouvelle Constitution qu’il croit conforme ou adaptée aux mœurs et à la culture de ses concitoyens. Jovenel Moïse est comme envahi par l’esprit et ne vit que pour ce projet dont il est persuadé que ce serait le meilleur héritage qu’il puisse léguer à la Nation. Par cette obsession, il est disposé à transgresser toutes les règles, toutes les lois et tous les tabous quitte à prendre une certaine liberté avec ce qui existe déjà c’est-à-dire : la Constitution de 1987, les institutions pérennes, le Parlement, etc et sans même se soucier du jugement de la postérité. 

 L’essentiel pour le locataire du Palais national est que son rêve devienne réalité dans la mesure où, selon lui, cette reforme constitutionnelle était inscrite dans le marbre et faisait partie intégrante de son programme électoral de 2016. Au départ, rares étaient ses adversaires politiques qui croyaient vraiment qu’il serait capable d’aller aussi loin dans cette démarche. Encerclé de toute part par l’opposition depuis son arrivée à la présidence du pays, pas grand monde, en effet, ne s’imagine que ce soit ce projet constitutionnel qui aura tant d’importance pour ce Président qu’on ne donnerait pas cher de sa capacité à atteindre ce point qui paraît sans limite pour lui aujourd’hui. Dans cette affaire de nouvelle Constitution, le plus incroyable que cela puisse paraître, Jovenel Moïse veut sceller son destin présidentiel avec celui du pays. Pour cela, il est loin de suivre les traces de ses prédécesseurs qui ont tous rêvé de vivre dans l’ère d’une nouvelle Charte fondamentale et marquer le pays de leurs empreintes réformatrices, sans pour autant prendre le moindre risque politique. 

 Jovenel Moïse prend un autre chemin. Il suit le parcours d’un autre modèle, celui qu’on a déjà évoqué dans d’autres textes ici même, celui du Dr François Duvalier. Pas de long discours ni de débats sans fin. Il se donne seulement les moyens politiques en créant le vide institutionnel autour de lui et dans le pays. Et il agit. Avant lui les Préval, Martelly ont gouverné sans un contre-pouvoir constitutionnel en faisant tout pour obtenir la caducité du Parlement. Après ils se sont amusés à faire uniquement des dilatoires politiques et institutionnels ; alors qu’ils avaient les mains libres. Lui n’entend pas rester les bras croisés. Quoi qu’il arrive, il veut mettre à profit ce vide qu’il a sciemment construit autour de lui pour faire ce qu’il veut, ce qu’il voulait ou ce qu’il avait prévu dans son plan qui se révèle pour le moment diaboliquement efficace contre ses adversaires politiques. 

Quoi qu’il arrive, il veut mettre à profit ce vide qu’il a sciemment construit autour de lui pour faire ce qu’il veut, ce qu’il voulait ou ce qu’il avait prévu dans son plan

 Cette reforme constitutionnelle, au départ, personne ne voulait y croire, en tout cas, pas avec Jovenel Moïse qu’on croyait incapable de défier la classe politique et la Société civile tout entière. Certes, quelques bribes d’informations arrivaient de temps à autre de la part de certains Conseillers du Président sur son intention de changer la Constitution. Mais, à la vérité, même les observateurs politiques ne s’émeuvent pas plus que cela. L’opposition, quant à elle, s’arc-boute sur son envie de voir le Président partir avant le 7 février 2021 mais ne se soucie guère de ce nouveau piège qui s’apprête à se refermer sur elle. Plus tard, malgré des signes évidents démontrant que Jovenel Moïse est beaucoup plus courageux, d’autres diraient audacieux politiquement que ses prédécesseurs, aucun des leaders de l’opposition ne prend au sérieux les déclarations des Conseillers de la présidence sur la nouvelle Constitution puisque l’intéressé lui-même n’a jamais été très loquace sur la question.

 Bien sûr, il parlait de référendum devant approuver une nouvelle Constitution ; sans oublier le Conseil Electoral Provisoire (CEP) mis en place le 22 septembre 2020 avec pour mission d’organiser ce référendum. Même après l’installation du Comité Consultatif Indépendant (CCI) placé sous la présidence de l’ancien Président de la Cour de cassation, Me Boniface Alexandre, et de l’ex-général Hérard Abraham qui doit élaborer le texte constitutionnel. Mais, comme d’habitude, certains n’y prennent garde croyant que le chef de l’Etat tente de brouiller les pistes, histoire de gagner du temps dans son bras de fer sur la fin de son mandat. Pourtant, Jovenel Moïse concoctait en silence son plan jusqu’à cette fameuse allocution surprise à la nation prononcée le vendredi 23 octobre 2020. Une allocution durant laquelle il s’est livré à un véritable réquisitoire contre la Constitution de 1987 avant d’annoncer officiellement sa disparition prochaine. Jovenel Moïse a pris quatre exemples dans la Constitution de 1987 pour justifier sa volonté de changer la Loi mère. 

 (1) Le Premier ministre qui exécute une politique qui, très souvent n’a rien à voir avec les promesses du chef de l’Etat lui-même est élu sur un programme politique. « Prezidan Repiblik la eli nan sifraj inivèsèl dirèk. Sa vle di Pèp la ba Prezidan pouvwa dirèkteman. Pèp la mande l kont dirèkteman. Pèp la ap tann anpil bagay nan men Prezidan ki pran angajman ak li nan kanpay elektoral. Poutan Prezidan oblije genyen yon Premye Minis ki se Chèf gouvènman k ap egzekite yon pwogram ki pafwa pa genyen angajman Prezidan an te pran nan kanpay la… » (2) Trop de déséquilibre entre les trois pouvoirs : Exécutif, Législatif et Judiciaire. Selon le Président Jovenel Moïse, le Parlement n’est pas toujours à la hauteur de ses responsabilités et ne joue pas toujours son rôle de contrôle du gouvernement. « Palman an pa toujou jwe wòl kontwole Gouvènman an. Gen yon gwo dezekilib ant pouvwa Palman an genyen ak sa Egzekitif la epi Jidisyè a genyen. Mwen pa bezwen fè okenn rapèl, ni bay okenn egzanp sou deriv ak move bagay ki deja pase. Nou tout konnen yo deja. Jodia Palman an trouve l disfonksyonèl… » 

Ayisyen nan dyaspora sa yo kap pote peyi a sou do yo ekonomikman.

(3) Dans son discours du 23 octobre, Jovenel Moïse a mis l’accent sur une quasi impossibilité pour les anciens serviteurs de l’Etat de jouir de leur droit politique vu les difficultés pour eux de trouver décharge après avoir servi un temps la République. «  Lè yon sitwayen tap sèvi Nasyon an kòm Minis, Direktè Jeneral, Majistra ou nenpòt fonksyon ki te fèl òdonatè, li pa ka jwenn dechaj menm si li te kòrèk nan jesyon li. Li vi n yon moun ki mouri politikman. Gen enstitisyon ki itilize kesyon dechaj la pou elimine tout moun ki ta vle vin kandida oubyen vin retounen minis. Nou paka chwazi touye politkman yon gwoup moun paske yo te dakò vin sèvi Larepiblik… »

(4) Enfin, le Président de la République prend à témoin les Haïtiens de la diaspora, qui, selon lui, sont exclus de la vie politique nationale compte tenu de leur éloignement de la terre d’Haïti. Il entend réparer cette injustice que certains articles de la Constitution de 1987 ont mis de côté d’après lui. « Yon Konstitisyon pa ka chwazi ekskli yon gwoup moun nan zafè politik peyi l malgre konpetans yo, entegrite yo, kapasite yo pou yo kontribye nan devlopman sosyal, politik ak ekonomik peyi a. Se yon kokennchenn enjistis pou kèk atik nan konstitisyon 1987 la mete akote tout ayisyen ki trouve yo andeyò peyi a, pandan se menm Ayisyen nan dyaspora sa yo kap pote peyi a sou do yo ekonomikman. ». En écoutant l’intervention du Président Jovenel Moïse, les dirigeants de l’opposition plurielle sont tombés des nues. Ils ne croyaient point leurs oreilles. Ils ne s’attendaient pas à ce que le Président soit aussi précis et confiant dans ses démarches surtout en donnant une foultitude d’informations sur la marche de son projet. Or, ils avaient bien entendu, les prochaines élections n’auront lieu qu’après l’adoption de la nouvelle Constitution a déclaré le chef de l’Etat. « Au cas où le peuple haïtien le décide, les prochaines élections seront organisées sous l’égide de cette nouvelle Constitution » dit-il. Un vrai pied-de-nez à l’opposition qui va devoir se battre maintenant sur deux fronts distincts : contre la nouvelle Constitution en préparation et contre les élections sous la présidence de l’élu du parti PHTK. Une nouvelle Constitution n’a rien à voir avec une simple reforme constitutionnelle qui, le plus souvent, se contente d’un amendement de la Constitution en vigueur en rajoutant un ou deux articles tout en modifiant quelques autres. 

(A suivre)

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