Au fait où en est le Président Jovenel Moïse avec cette affaire d’électrifier tout le territoire haïtien 24/24 avant la fin de son quinquennat? Même s’il y a beaucoup de retard à l’allumage dans ce programme, le chef de l’Etat y croit toujours. Le week-end dernier il a pris à témoin la ville de Jérémie dans la Grand’Anse, comme la preuve qu’il peut y arriver. Certes, le locataire du Palais national a revu à la baisse ses ambitions présidentielles en annonçant maintenant qu’il compte illuminer au moins toutes les grandes villes d’Haïti. C’est déjà plus raisonnable. Et pour cela, s’il le faut, il se mettra en quatre en tordant le cou de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) en reléguant cette noble institution au rang d’une banale administration consultative. Il lui retire la prérogative constitutionnelle de donner son accord définitif pour les dépenses contractées par la puissance publique par le biais de la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP).
En fait, c’est une punition. Et là Jovenel Moïse a tenu parole. On oublie qu’il avait menacé, par le biais de son Premier ministre Jouthe Joseph, la Cour des Comptes de la sanctionner par le fait qu’elle était un peu sceptique sur son projet de donner du courant 24/24 en Haïti avant qu’il quitte le Palais national. Les juges de la Cour des Comptes rejetaient les contrats qui leur étaient adressés par le gouvernement sur ce sujet, entre autres les contrats avec l’entreprise américaine Général Electric. Froid et sans scrupule, par un simple décret en date du 6 novembre 2020, Jovenel Moïse trancha dans le vif. Dorénavant, la Cour des Comptes n’a qu’un simple droit de regard sur les contrats du gouvernement, son avis ne compte que pour des prunes. Accord favorable ou pas, les contrats seront exécutés et financés par le Ministère de l’Economie et des Finances. Les membres de la Cour ont eu beau protesté contre cette violation de la Constitution, les dirigeants du Barreau de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince et ceux de la Fédération des Barreaux d’Haïti ont eu beau crié au scandale, rien n’y fit. Le Président continua d’ignorer leur protestation.
Le décret présidentiel du 6 novembre 2020 demeure d’actualité et n’a pas été annulé. Libéré de la contrainte constitutionnelle de la Cour des Comptes, Jovenel Moïse reprend le dossier de l’électricité en signant un contrat avec une Entreprise turque qui devait envoyer en Haïti deux bateaux-usines transformés en centrale électrique dans le cadre du projet d’électricité 24/24 dans le pays. C’est comme si le chef de l’Etat s’engage dans une course contre la montre. Fin octobre 2020, il avait déjà nommé une cohorte de diplomates à Ottawa, Paris, Washington, Montréal, etc. Moins d’un mois plus tard, il récidive. Dans un arrêté publié le 16 novembre 2020 dans Le Moniteur, le journal officiel, on a appris que 12 nouveaux ambassadeurs ont été nommés dans différents pays et organismes internationaux. Seul décideur sur son territoire, Jovenel Moïse n’en fait qu’à sa tête. La République c’est lui. D’ailleurs, cette série de nominations se fait dans l’illégalité la plus absolue puisque cela se fait sans tenir compte des prescrits de la Constitution qui lui font obligation que les nominations des ambassadeurs d’Haïti auprès des puissances étrangères soient ratifiées par le Sénat de la République.
une Entreprise turque qui devait envoyer en Haïti deux bateaux-usines transformés en centrale électrique dans le cadre du projet d’électricité 24/24 dans le pays.
Bien sûr, le Pouvoir législatif est suspendu faute d’organiser de nouvelles élections à temps pour remplacer les élus en fin de mandat. Mais, faudra-t-il pour autant que le Président de la République marche ainsi sur les lois du pays en ignorant royalement les principes et les règles de fonctionnement des Pouvoirs établis ? Oui, répond son ministre des Affaires Etrangères, Claude Joseph, estimant que le Président veut tout simplement « professionnaliser la diplomatie haïtienne en nommant des ambassadeurs Extraordinaires et Plénipotentiaires dans les Missions diplomatiques d’Haïti à l’étranger ». Selon le Chancelier, Claude Joseph, « la nomination des Chargés d’Affaire devrait rester rare et exceptionnelle ». De même que Jovenel Moïse s’arroge le droit de nommer et révoquer, comme cela l’arrange, les chefs de la police nationale sans même tenir compte des règlements de l’institution policière.
En allant chercher jusqu’à Washington un ancien DG qui avait démissionné de la police et devenu depuis diplomate à l’OEA pour prendre la succession à Port-au-Prince de Normil Rameau limogé pour incapacité et tout en faisant fi des principes généraux de la PNH et ignorant tous les cadres en service actif de ce corps, Jovenel Moïse n’a-t-il pas été finalement trop loin? Certes, personne en Haïti, à commencer par ses confrères, n’a regretté l’ex-Directeur général qui, depuis sa nomination à la tête de la PNH et jusqu’à son limogeage plus d’un an plus tard, n’a pas été à la hauteur de ses responsabilités dans le contexte où il était arrivé. Mais, son successeur, Léon Charles, dans ce climat de kidnappings en série et d’assassinats au quotidien dans tout le pays pourra-t-il faire mieux sans le plein soutien des Commissaires divisionnaires et des Directeurs centraux de la PNH qui doivent êtes très déçus et certainement frustrés de n’avoir pas été choisis pour succéder à Normil Rameau ? C’est la question que l’on continue à se poser dans certains milieux de la capitale.
Mais, le Président Jovenel Moïse n’a pas vraiment le temps pour ce genre de questionnement. Il a d’autres préoccupations et ambitions. Ces nominations sont déjà rangées aux rayons des accessoires. Il se concentre sur les élections à venir et surtout sur le référendum populaire du mois de juin prochain sur sa nouvelle Constitution en préparation, le clou de sa nouvelle politique depuis qu’il s’est symboliquement débarrassé de l’opposition. Une opposition qui nous présente chaque jour ou presque de nouvelles organisations ou regroupements politiques. La dernière en date est : Forces Nationales pour la Démocratie (FND), il ne manque que le « C » du feu FNCD (Front National pour le Changement et la Démocratie) pour que le pays soit totalement « rassuré ». Il a été mis en place juste avant le 7 février 2021. A propos, les grandes marches ou manifestations monstres de la population organisées contre l’insécurité et les kidnappings par différents acteurs de la Société civile depuis le début de l’année apportent un peu d’espoir aux dirigeants des oppositions qui comptent profiter de ces grands rassemblements populaires pour pousser le Président à la démission. Celle du dimanche 28 février 2021 appelée par les églises protestantes et d’autres secteurs de la vie nationale, par son ampleur à Port-au-Prince, étant une totale réussite.
Jovenel Moïse, lui, malgré tout n’entend point changer de braquet. Il a de nouvelles idées. Une nouvelle stratégie laquelle consiste à prendre les médias à témoin. Il rejette d’un revers de main et par un haussement de tête le conseil de l’ancien Premier ministre Evans Paul (KP) qui lui demandait d’être moins présent sur le podium. Prenant le contrepied de la demande de cet allié, le Président avait consacré le mois de novembre 2020 à parcourir les studios de radio et plateaux de télévision de la capitale pour expliquer sa politique aux incrédules. Entre le 1er et le 15 novembre, celui qui n’a jamais fait grand cas des médias locaux se découvre soudain une envie folle d’aller à la rencontre des leaders d’opinion de grande écoute. La quasi-totalité des émissions matinales et « invité du jour » a eu l’honneur de la présence du chef de l’Etat dans leur studio en direct. Jovenel Moïse avait des choses à dire. A clarifier. A rectifier.
« Nèg yo bare m toupatou. Yo bloke m tout kote. Mwen te ka mouri wi nan afè Karavàn sa a »
Puisque sa démarche politique demeure incomprise de la plupart des journalistes et de la population, il veut les convaincre et les rassurer qu’ils n’ont rien à craindre. Il a une réponse à toutes les questions. La Caravane du changement n’est pas arrêtée, sauf qu’elle ne fait plus de propagande pour être plus efficace. Surtout pour échapper aux puissants du « Système » et « Oligarques corrompus » qui veulent le renverser voire sa mort. « Nèg yo bare m toupatou. Yo bloke m tout kote. Mwen te ka mouri wi nan afè Karavàn sa a » déclare Jovenel Moïse. Mais, selon le chef de l’Etat, tout ce qui se fait dans le pays : routes, électricité, barrages, nominations, irrigation des champs, curage, carnaval, etc. sont les œuvres de la Caravane. La nouvelle Constitution, d’après lui, est une chance pour le pays. Elle lui apportera la stabilité politique et institutionnelle. Finie la corruption avec la bonne gouvernance que la nouvelle Constitution engendra. Les élections deviendront un jeu d’enfants moins compliqué pour les acteurs : partis politiques, CEP, gouvernement, etc. tout sera plus facile.
En plus, il n’y a pas de raison d’avoir peur de la nouvelle Constitution, il ne sera pas candidat pour un second mandat, donc il ne sera pas le bénéficiaire. Le Président a mené un vrai pèlerinage au cours de ce mois de novembre en vue de vendre et, si possible, de faire adhérer à sa manière de conduire le pays depuis des mois. Avec Jovenel Moïse, c’est la carotte et le bâton. D’un côté, il piétine les règles, les normes et la Constitution pour imposer ses idées. A ceux qui le critiquent il déclare : Le Président Jovenel Moïse n’a aucune velléité dictatoriale. « C’est la démocratie à la Jovenel. » De l’autre, il tente d’amadouer les acteurs sociaux influents, les journalistes et leaders d’opinion pour l’aider à faire avaler la pilule. Curieusement, la méthode marche. Au cours ces deux semaines de charme médiatique du Président vis-à-vis de la presse, on a vu certains journalistes connus pour leur opposition par rapport au régime PHTK, leur proximité à l’opposition plurielle et leur position arrêtées sur Jovenel Moïse entrer dans son jeu, voire appuyer tout ce qu’il dit sans aucune contradiction. En tout cas, au cours de ce mois de novembre 2020, le Président Jovenel Moïse avait tenté de se faire passer pour le plus grand réformateur politique haïtien du siècle et le moins que l’on puisque dire, en face de lui, les contradicteurs étaient, faute de courage et par lassitude, peu nombreux. (Fin)
C.C