Jill Martin Ives: une révolutionnaire qui aimait les gens

11 juillet 1935 - 22 avril 2019

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En dépit d’une éducation riche et privilégiée, Jill Ives a consacré la plus grande partie de sa vie à la libération des êtres exploités et opprimés de l’humanité, en particulier du peuple haïtien.

Elle était la petite-fille d’un chevalier britannique, à la tête de la plus grande ligne de navires transatlantiques de passagers, et la fille du rédacteur en chef du magazine Time.

En dépit de cette lignée, qui lui a apporté une éducation riche et privilégiée, Jill Stuart Martin a consacré la plus grande partie de sa vie à la libération des êtres exploités et opprimés de l’humanité, en particulier du peuple haïtien.

Elle est décédée paisiblement dans le Bronx le 22 avril à l’âge de 83 ans.

Vivant dans la «petite Haïti» de Brooklyn pendant la seconde moitié de sa vie, elle était bien connue et aimée des habitants et des commerçants des quartiers populaires de Flatbush Avenue, où on la voyait souvent conduire des fourgonnettes ou des break remplis de l’hebdomadaire Haïti Progrès. Elle y travailla près de trois décennies depuis sa fondation en 1983.

Jill aimait les gens, et les gens aimaient Jill, qui passait des heures à se renseigner sur leurs problèmes et à essayer d’aider de son mieux ceux qu’elle pouvait. Elle était véritablement fascinée par l’histoire de la vie de chacun et semblait connaître tous les commérages dans un rayon de trois kilomètres autour du bureau d’Haïti Progrès.

Ayant élevé de nombreux enfants, elle était une mère consommée, préparant à manger et nettoyant après le flot incessant de journalistes, de militants et de visiteurs qui passaient par le bureau pendant les journées enivrantes suivant la chute de la dictature Duvalier jusqu’à la montée de Jean-Bertrand Aristide et les coups d’État ultérieurs.

Jill aimait les gens, et les gens aimaient Jill, qui passait des heures à se renseigner sur leurs problèmes.

Elevée dans les villes de la Côte d’Or de Long Island de Locust Valley et d’Oyster Bay, elle a fréquenté un pensionnat d’élite pour filles du Maryland avant de fréquenter le Wellesley College de Boston. Mais elle a coupé court à ses études universitaires après deux ans pour épouser Kenneth Appleton Ives, Jr, un étudiant qui sortait de Yale. Le couple eut cinq fils en six ans et s’installa finalement en 1960 à Bedford, dans le comté de Westchester de l’état de New York.

Là-bas, Jill Martin Ives a commencé par mener la vie traditionnelle d’une femme au foyer de la petite bourgeoisie des banlieues, conduisant ses enfants à l’école et à l’église, participant à des réunions de l’association de parents et enseignants, faisant du bénévolat à l’hôpital local et organisant les activités caritatives du club de garçons du Mount Kisco.

Mais depuis qu’elle était jeune fille, Jill avait une conscience de classe innée. Elle était gênée d’arriver à l’école primaire dans une limousine conduite par un chauffeur, au plus profond de la Grande Dépression, et était devenue amie avec les serviteurs qui travaillaient dans les demeures où elle avait grandi.

À Bedford, elle a commencé à aider les jeunes de la classe ouvrière issus de quartiers pauvres et de maisons brisées, les invitant à vivre dans les chambres de la maison de sa jeune famille. Alors que ces jeunes se multipliaient et apportaient le drame de leur propre vie agitée (voitures écrasées, affrontements violents, visites du shérif, etc.) dans son foyer, le mariage de Jill a commencé à s’effriter.

Jill Ives a commencé par mener la vie traditionnelle d’une femme au foyer de la petite bourgeoisie des banlieues, conduisant ses enfants à l’école et à l’église, participant à des réunions de l’association de parents et enseignants, faisant du bénévolat à l’hôpital local et organisant les activités caritatives du club de garçons du Mount Kisco.

« Vous êtes en train de réparer des pneus crevés sur une route recouverte de clous », lui a dit un ingénieur haïtien travaillant sur une autoroute interétatique en construction près de chez elle. « Le problème est systémique. Vous ne pourrez jamais sauver toutes les vies des victimes du capitalisme ».

C’est alors que la vie de Jill a commencé à prendre une tournure révolutionnaire. Cet Haïtien était Ben Dupuy, un leader communiste du mouvement visant à renverser le dictateur François «Papa Doc» Duvalier. Quelques années plus tard, en 1970, elle quitta son mariage et Bedford pour fonder une sorte de commune avec Dupuy à Hopewell Junction, dans le comté de Dutchess. Jill avait amené ses cinq fils, et Dupuy un de ses fils et ses deux filles. Se joignaient à eux des révolutionnaires haïtiens et de jeunes militants étatsuniens qui organisaient des stands d’informations sur le campus voisin de SUNY New Paltz ou lors de manifestations contre la guerre du Vietnam à Poughkeepsie ou à New York. Bien que l’accent était mis sur la lutte haïtienne, le collectif est également devenu partie intégrante du Mouvement de soutien à la libération (LSM), qui soutenait les luttes de libération africaines. Les réunions et les débats d’éducation politique se déroulaient tard dans la nuit, parfois pendant des journées entières, et les tâches ménagères étaient divisées en brigades chargées des achats, de la cuisine et du nettoyage.

Jill se rendait à New York par la Taconic Parkway pour animer une émission radiophonique sur Haïti sur 99,5 WBAI-FM de Pacifica Radio et une émission télévisée similaire produite à la Downtown Community Television (DCTV) avec Jon Alpert et Keiko Tsuno. Elle est également devenue une proche amie du chanteur légendaire Pete Seeger et de son épouse Toshi, qui vivaient dans la ville voisine de Beacon.

Au cours des 15 années suivantes, le foyer collectif de révolutionnaires et de militants de solidarité s’est installé dans différentes maisons de Valley Cottage et de Spring Valley, dans le comté de Rockland de l’État de New York. Au cours de cette période, Jill et Ben ont formé les Amis d’Haïti, qui œuvrait à la sensibilisation et au soutien des étudiants, des groupes religieux et des organisations progressistes. Il publiait un bulletin mensuel en anglais, Haiti Report, et contribuait à la production de livres et de pamphlets pour le Mouvement de libération haïtien (MHL).

De plus en plus, Ben et Jill voyageaient en Europe, où d’autres révolutionnaires étaient recrutés, et dans des pays comme l’Algérie et Cuba, qui soutenaient les luttes anti-impérialistes.

Jill aidait aussi à organiser la bibliothèque grandissante d’Haïti Progrès et sa collection de coupures de journaux et de photos.

En 1983, Dupuy et ses camarades ont fondé à Brooklyn l’hebdomadaire Haïti Progrès, avec le slogan «le journal qui offre une alternative» à l’autre grand hebdomadaire haïtien, Haïti Observateur, qui était anti-duvaliériste mais non anti-impérialiste.

Le journal progressiste grandit rapidement dans le ferment révolutionnaire qui régna durant les dernières années de la dictature Duvalier. En plus d’entretenir le bureau, Jill aidait aussi à organiser la bibliothèque grandissante d’Haïti Progrès et sa collection de coupures de journaux et de photos. On pouvait souvent la trouver assise avec un thé tard dans la nuit coupant, collant et marquant des articles de journaux sur des feuilles de papier blanches, puis les classant dans des dossiers, qui se retrouvaient dans des classeurs géants qu’elle organisait avec des onglets à code de couleur.

Pendant des années, elle était également la principale personne qui allait aux petites heures du mercredi matin à l’imprimerie de Long Island City pour charger des milliers de journaux dans des cartons, puis les conduire aux aéroports, où ils étaient embarqués sur des vols à destination d’Haïti, de la Floride, du Canada et de la France. La vue de cette petite femme mince chargeant des dizaines de cartons de 25 kilos dans une camionnette pendant des nuits d’hiver glaciales étonnait plus d’un assistant.

Mais la principale contribution de Jill à la lutte haïtienne a été «la sensibilisation». Sa responsabilité officielle était d’obtenir un soutien financier pour le travail politique, ce qu’elle faisait avec habilité. Cependant, au cours de ce travail, elle a recruté de nombreuses personnes qui n’avaient rien à donner que leur travail.

Elle était vraiment intéressée et émue par les luttes auxquelles les gens étaient confrontés dans leur vie. Comme elle avait fait à Bedford, elle s’efforçait de trouver un logement pour une jeune mère célibataire ou un médecin pour une personne souffrant d’une maladie grave. En même temps, elle essayait de les engager dans la lutte.

Étonnamment, pendant toutes ces années, elle ne s’est rendue qu’une fois en Haïti pour l’inauguration présidentielle d’Aristide, en février 1991. Elle était le comble du sacrifice de soi, toujours prête à soutenir les autres alors qu’elle-même «tenait le fort» à Brooklyn.

Jill Ives a commis ce que le leader révolutionnaire de la Guinée-Bissau, Amilcar Cabral, a qualifié de «suicide de classe».

Vers 2010, cette femme dont la vie consistait à parler avec des gens a commencé à avoir des difficultés à parler. Elle attribuait le problème à la moisissure qui ravageait un appartement en sous-sol où elle avait brièvement vécu. Méfiante vis-à-vis de la médecine pharmaceutique occidentale, elle a essayé des remèdes à base de plantes et alternatives, mais en vain.

Bientôt, elle n’a plus été capable de travailler, devenant désorientée et constituant un danger pour elle-même et les autres. Ses fils ont trouvé Kittay House, une communauté de personnes âgées du Bronx, où elle a passé ses dernières années alors que son état empirait. Au cours des cinq dernières années, elle a complètement perdu la capacité de parler ou de marcher. Mais ses yeux bleus expressifs riaient, se rétrécissaient, s’élargissaient et parfois même pleuraient en écoutant les histoires de nombreux membres de la famille élargie qui venaient la voir. Ces regards et les pressions de sa main devinrent le dernier moyen de communication pour une femme dont la vie avait été alimentée par la conversation.

En résumé, Jill Ives a commis ce que le leader révolutionnaire de la Guinée-Bissau, Amilcar Cabral, a qualifié de «suicide de classe». Elle a troqué une vie de loisir et de confort pour les rigueurs et la privation des tranchées de la lutte démocratique en Haïti. Au fil du temps, elle en a inspiré beaucoup et a touché la vie d’innombrables personnes qui se souviendront de sa grande beauté, de son esprit désintéressé et de son amour sans bornes pour l’humanité.

Un hommage à la vie et à la mémoire de Jill Ives aura lieu le samedi 4 mai de 10h00 à 13h00 à la Maison Funéraire Guarino, 9222 Flatlands Ave. à Brooklyn, NY. Une réception se tiendra ensuite au journal Haïti Liberté, 1583 Albany Ave. à Brooklyn de 13h à 15 heures. Tous ceux qui ont connu et aimé Jill sont les bienvenus.

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