Je me demande, il y a déjà belle lurette, pourquoi je porte aussi profond dans mon cœur mon pays, en dépit des années écoulées depuis que je vis en Espagne. Indépendamment du fait que ce soit le lieu où je naquis, parce que c´est là que ma mère me mit au monde, j´ai une grande intimité, une solide complicité avec cette terre.
De plus, quelle que soit la métamorphose dont je souffrais, ou la perverse gymnastique intellectuelle que je ferais pour me distancer d´elle, il me serait excessivement difficile de changer mon être, d´altérer ma personnalité, de modifier mon essence, d´effacer mes souvenirs, d´annuler mes expériences et mes sentiments. Je lui suis fidèle á cause de la dette morale que j´ai envers elle et pour la gratitude que je lui voue.
J´essaie d´établir, et ce n´est pas anodin, une relation comparative entre ma mère spirituelle ou ma patrie qui est Haïti, et ma mère biologique. Les nouvelles en provenance de mon pays ne sont pas flatteuses; le peuple sans défense, fatigué de tant de vexations et d´injustices, s´est vu contraint de prendre la justice par la main, réagissant ainsi à l’extrême violence dont elle est victime, protagonisée par des bandes armées qui, rivalisant en cruautés, perpètrent depuis quelques années les meurtres les plus atroces et qui, en outre, jouissent d´une impunité manifeste et totale.
Mais en dépit des circonstances si convulsées, de cette image explosive qu´il offre, je ne cesse de réaffirmer ma nationalité. Face à sa situation de décadence accélérée, serait-il admissible, licite et esthétique de lui tourner le dos, de l´abandonner, de le répudier ? Franchement ma réponse est non. Est-ce que je laisserais ma mère biologique, ou je la négligerais si on lui aurait diagnostiqué une maladie grave ? Je répète non avec la voix haute, ferme et sans crainte de me tromper. Au contraire, je resterais à ses côtés aussi longtemps que nécessaire, je la comblerais de câlins et de tendresse, j´essaierais de l’encourager, de la divertir, de l´accompagner et de lui parler de sujets agréables. Mon regard lui transmettrait de l´ affection, je lui démontrerais l´amour que je sens pour elle, mon soutien lui serait vital, providentiel. Je n´ai pas le moindre doute de que ma présence à ses côtés, mon attitude d´attention et de compréhension atténueraient en grande mesure son inquiétude, son angoisse et ses sautes d´humeur dérivées de cette sombre circonstance existentielle.
Avec notamment de remarquables différences, c´est évident, entre les deux amours, le filial et le spirituel, je n´éprouve aucune honte à dire que dans le scénario actuel, me référant au second, je me sens envahi par une grande préoccupation pour les nombreux maux qui harassent mon pays. Je fuis la tentation, dans ce contexte malheureux, d´évoquer et de me récréer, dans notre histoire glorieuse, dans la magnifique geste de nos ancêtres. A quoi cela me servirait-il ?
Et par conséquent je préfère me concentrer sur l´actualité bruyante, sur les évènements tragiques qui le dévastent. Je veux être à ses côtés, lui apporter mon réconfort, ma solidarité et ma confiance en un avenir prometteur, bien que je ne caresse pas la chance de le voir et d’en jouir. Il a besoin de notre aide, de notre soutien, il lui manque le travail en équipe, la lutte contre les mesquineries et l´ égoïsme, l´effort en hauteur et de dépassement de ses fils. Haïti souffre également d´une maladie grave, une pathologie qui le ronge depuis plusieurs années, mais qui, du fait de sa force, sévèrement brisée, résiste contre vents et marées.
C´est le moment de lui consacrer notre considération, nous ne pouvons pas le négliger, encore moins l´ enlaidir, il attend le meilleur de nous, nous lui devons plus que lui à nous, montrons à ce peuple souffrant qu´il n´est pas oublié, qu´il peut compter sur nous.
Je comprends qu´il y ait de nombreuses gens qui ont perdu l´espoir, mais levons-nous. Dans mon cas, de l´amour que je professais pour ma mère biologique, décédée il y a déjà plusieurs années, il me reste un doux et ineffable souvenir, tandis que ma mère spirituelle, ma patrie, Haïti, désire avec véhémence se soigner de sa maladie et je ne veux pas lui fausser compagnie dans ce chemin ardu.
En guise de conclusion à l´écrit, je confesse que j´ai succombé ingénument à l´idée de partager avec vous quelques vers tirés du poème intitulé “Mon pays” de l´écrivaine haïtienne, Marie-Thérèse Colimon et qui se lit comme suit :
S´il me fallait au monde présenter mon pays.
J´enflerais ma voix d´une ardeur plus guerrière.
Pour dire la vaillance de ceux qui l´ont forgé
Je dirais la leçon qu´au monde plus qu´étonné
Donnèrent ceux qu´on croyait des esclaves soumis.
*Alix Coicou, médecin-psychiatre. Article traduit en français, publié par le journal digital espagnol «El Correo de Andalucía» et par «La Estrella de Panamá» les jours 2 et 4 mai derniers.
Séville, le 14 mai 2023