Le dernier film de Raoul Peck, I’m not your negro (Je ne suis pas votre nègre), continue de cartonner. Le documentaire fait partie des 10 meilleurs films aux Etats-Unis pour l’année 2017. Le réalisateur l’a révélé lors d’une projection exceptionnelle de ce documentaire historique qui a eu lieu à la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), le 24 juin dernier. «C’est un film qui se veut être actif, c’est-à-dire engagé, a-t-il dit lors du débat qui a suivi la projection. On a eu un succès rare pour un documentaire, tant critique qu’au niveau des salles. La compagnie qui a acheté le film, c’est son meilleur film depuis 27 ans, poursuit Peck, qui rappelle que sa réalisation a pris pas moins de 10 ans. Pour être sincère, un film comme ça, il est impossible normalement. D’abord pour des raisons structurelles. Tel que le monde du cinéma fonctionne, on ne vous laisse pas travailler pendant 10 ans sur un film. C’est un film qui se fabrique en le faisant. Je ne savais pas où j’allais atterrir ».
I’m not your negro traite l’histoire de trois figures emblématiques de la lutte pour l’émancipation des noirs aux Etats-Unis : Medgar Evers, Malcom X et Martin Luther King Jr, au travers de la plume et les propos de l’écrivain noir américain James Baldwin qui portait un regard critique sur la société américaine et qui les adorait énormément. «On peut reprendre chaque phrase de Baldwin, la retourner et l’appliquer directement à la réalité haïtienne. C’est cela qui fait la force de Baldwin. Il parle de choses de beaucoup plus grand», insiste Raoul Peck, qui au travers de cette dernière production voulait retourner à ses racines en tant que réalisateur de Lumumba, la mort d’un prophète (1990) et tout remettre en question de nouveau pour renouer avec sa liberté et sa subjectivité.
Ce film essentiellement visuel et musical, différent, libre, correspondant à une réalité brutale faite de racisme et d’injustice, est considéré comme un chef-d’œuvre qui marquera pendant longtemps le monde du cinéma. En attestent les mots, la forme, les images, la musique, l’humour, la poésie et le drame au travers de ce film qui utilise principalement des images d’archives à la fois publiques et privées, des extraits de classiques hollywoodiens, de documentaires, d’interviews filmées, de programmes télé populaires, de débats télévisés ou publics et des images contemporaines.
A la question de savoir s’il a d’autres projections prévues en Haïti, Peck a répondu. «Le cas d’Haïti est compliqué. J’ai au moins cinq films qui n’ont pas eu leur première en Haïti. C’est ma manière à moi de protester du fait qu’on n’a toujours pas une salle qui permet des projections. Ce sont des films qui sont tournés avec un système très sophistiqué. Moi, j’ai envie que les Haïtiens voient mes films dans de bonnes conditions», lance-t-il.
Ce qui pour lui constitue un problème, c’est le fait qu’une salle comme Triomphe, construite avec des fonds publics, soit encore fermée « pour des raisons de mauvaise gestion et de l’incapacité des dirigeants à pouvoir anticiper ce que c’est gérer une salle de cinéma. Le fait que c’est une salle de l’Etat, chaque ministère estime qu’il est dans leur droit de l’utiliser sans payer », dénonce Peck, tout en rappelant ses mille et une démarches en Haïti et à l’étranger en vue d’un fonctionnement effectif de cette salle qui au final a été reprise par la Banque centrale en attendant que les autorités se mettent au diapason.
La filmographie de Raoul Peck comprend des fictions, des documentaires et des séries. Son dernier long métrage de fiction, le jeune Karl Marx, sortira cette année. I’m not your negro a remporté de nombreux prix dont celui du meilleur documentaire à Philadelphie, le prix du Public à Toronto et Berlin (ainsi que la Mention spéciale du jury œcuménique) et était candidat aux Oscars 2017 dans la catégorie « meilleur documentaire ».