Honneur à la mémoire de Gérald Brisson, révolutionnaire marxiste

(1936 – 1969)

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Gérald Brisson sur la Place Rouge à Moscou devant le Mausolée de Lénine

Gérald Brisson est né à Port-au-Prince le 10 février 1936, d’une famille aisée, lettrée, humaniste. Gérald et moi étions de la même promotion à St. Louis de Gonzague, de la onzième à la philo. Grand de taille, mince, il était le prototype du parfait athlète. Il excellait dans toutes les catégories sportives pratiquées dans l’établissement des Frères de l’Instruction chrétienne. Son agilité de félin faisait de lui un sportif imbattable et inégalé dans trois domaines en particulier: le saut à la perche, le saut en hauteur et le saut en longueur.

Comme je l’ai mentionné antérieurement, dans cette rubrique même, Gérald Brisson, Adrien Sansaricq, Karl Lévêque, Ernest Caprio, et moi, à l’école, étions un peu “différents” des autres. En effet, de la classe de seconde à la philo nous manifestions certaines tendances à contre-courant de l’ambiance conservatrice de l’institution que nous fréquentions. Nous n’avions aucune formation politique ou idéologique, certes, il n’empêche que nous étions un peu “différents” du reste de la classe. Ainsi, alors que notre professeur de philo s’en prenait bêtement au “péronisme communiste”, nous éprouvions une certaine sympathie pour Perón et surtout pour sa femme Evita.

À part ces tendances peu conventionnelles du groupe des cinq, Gérald et moi avions un intérêt marqué pour la musique cubaine de l’époque. Les deux, comme quelques rares autres camarades de promotion, nous écoutions la fameuse station Radio Progreso où se présentaient chaque soir de la semaine, le non moins fameux ensemble Sonora Matancera et la grande vedette Celia Cruz. Un soir, celle-ci avait été rejointe, lors d’une présentation spéciale, par Martha Jean-Claude pour une interprétation de Choucoune et de Gede zarenyen que Gérald et moi, le lendemain sur la cour de récréation, n’avions pas manqué de commenter abondamment et joyeusement. Saxophoniste dans la fanfare de l’école, Gérald avait voulu m’intéresser à rejoindre un petit ensemble musical dont il faisait partie, mais n’ayant jamais joué aucun instrument, je m’étais abstenu.

Gérald et moi avions fait la section B à St. Louis et de ce fait n’avions pas l’espagnol comme matière d’examen. N’empêche, nous étions tous les deux intéressés à cette revue cubaine, Bohemia, dans laquelle nous suivions, entre autres choses, les démêlés des étudiants de l’Université de la Havane avec la police de Batista, tyran que nous détestions cordialement. C’est d’ailleurs dans les colonnes de Bohemia que lui et moi avions fait, en quelque sorte, connaissance avec Fidel Castro. Ce dernier, une fois, avait fait la une de la revue alors qu’il était à la tête d’un large contingent d’étudiants qui protestaient contre la violation de l’ambassade d’Haïti par les sbires de Batista qui délogèrent, violemment, des opposants du régime qui y avaient pris asile.

Il avait un penchant évident pour les malere de son pays, les descamisados d’Evita Perón, les petites gens dont il voyait le calvaire à travers des familles nécessiteuses qui cherchaient de l’aide auprès de nos parents mieux lotis dans la vie.

Raymond Magloire, le fils du président Paul Magloire, était notre condisciple depuis la classe de onzième. Gérald et moi connaissions bien les frasques de son père Kansonfè mais n’en parlions pas d’un point de vue strictement politique. Nous ne faisions qu’enregistrer ce que nos parents respectifs, les miens en tout cas, disaient à propos des dérives présidentielles, de la “Petite Junte” formée des militaires jouisseurs proches de Magloire: Lataillade, Perpignan et Péan; des “Twa Bebe”, trois coquettes demeures au haut de Turgeau réputées propriété du président Magloire; de la violence exercée, à l’occasion, sur le journaliste estimiste Jean Magloire. Gérald et moi avions l’habitude de faire des gorges chaudes à propos des zen politiques qui allaient bon train à Port-au-Prince. Nous avions le sentiment que quelque chose ne tournait pas rond, mais je n’ai toutefois pas souvenance que lui et moi, nous ayons jamais vraiment discuté de politique.

Mes rapports avec Gérald m’ont laissé le souvenir d’un jeune homme généreux, toujours prêt à aider et qui était déjà sensibilisé à certaines difficultés de la condition humaine. En ce sens, il avait un penchant évident pour les malere de son pays, les descamisados d’Evita Perón, les petites gens dont il voyait le calvaire à travers des familles nécessiteuses qui cherchaient de l’aide auprès de nos parents mieux lotis dans la vie. Rétrospectivement, je me rends compte qu’avant même de se lancer dans un combat politique inspiré de principes marxistes, Gérald était partie prenante, avant la lettre, de la Belle Amour Humaine née du plus bel humanisme de Jacques Stéphen Alexis.

Nos études terminées à St. Louis de Gonzague, nous ne nous sommes pas revus. Par l’intermédiaire d’un proche camarade à la Faculté de Médecine, feu Yves François Flavien, j’ai su que Gérald était avocat et qu’il avait participé à la création du Parti d’Entente Populaire (PEP) à l’initiative de Jacques Stéphen Alexis, vers la fin de 1959. C’est d’ailleurs Flavien qui m’avait initié aux idées de gauche. Manifestement, Gérald m’avait nettement devancé en matière de  politique et de choix idéologique. C’est sans doute à cause d’activités jugées “subversives” par les autorités de l’époque qu’il fut arrêté, maltraité par la police, et expulsé du pays en janvier 1960.

Éventuellement, Gérald Brisson est parti en Union Soviétique où il a décroché un doctorat en économie à la Faculté des Sciences Economiques de Moscou. Après un séjour à Cuba, il aurait quitté La Havane en 1966 pour Paris d’où il s’est rendu en Haïti pour mener la lutte contre la tyrannie sanguinaire de Duvalier. Apparemment, quatre groupes opéraient dans la clandestinité: l’un à Fontamara, un second à Cazale, un troisième à Bouthilliers, un autre à la ruelle Nazon dont faisaient partie Gérald Brisson et Daniel Sansaricq. On peut soupçonner que les communications entre les quatre groupes de militants révolutionnaires ne devaient pas être faciles.

Une trahison à mettre au compte d’un certain Franck Eyssalem “formé en Israël … [étrangement] coordonnateur général du mouvement” fit avorter l’entreprise révolutionnaire qui espérait en finir avec l’atroce nuit de violence et de barbarie de François Duvalier. La maison où se trouvait Gérald Brisson fut encerclée le 2 juin 1969 et l’assaut donné. Ce fut un massacre au cours duquel Gérald se défendit bravement, héroïquement, les armes à la main. Mortellement blessé et sans doute à court de munitions, il est finalement tombé au champ d’honneur. Selon certains témoignages, il aurait rendu l’âme aux casernes Dessalines le même jour. Il était âgé de 32 ans.

Notre propos, ici, n’est pas de disséquer les raisons de cet échec qui fut aussi celui des trois autres groupes, particulièrement celui de Cazale qui donna lieu presqu’à un génocide. Notre propos est plutôt de saluer la mémoire d’un courageux patriote, marxiste convaincu, militant actif motivé par de nobles idéaux de solidarité, d’humanisme, de progrès, de partage équitable des ressources et de grandeur de la Patrie renouant, dans la souveraineté, avec l’héritage révolutionnaire dessalinien.

Magnanime, passionnément et profondément ancré dans son engagement révolutionnaire, impatient d’en finir avec la honte, l’obscurantisme et l’opaque obscurité duvaliériste, Gérald Brisson est mort, sans doute terrassé par l’inattendu de l’assaut donné par la soldatesque macouto-militaire, le coeur éclaté en mille morceaux d’impuissance de n’avoir pas pu conduire à terme une entreprise généreuse qui eût pu être victorieuse, libératrice et annonciatrice d’une seconde indépendance.

Le jour viendra où le peuple haïtien, révolutionnaire, victorieux, réservera, au panthéon de la reconnaissance nationale, une place méritée à ses héros et martyrs morts pour la cause suprême de l’émergence d’une Haïti souveraine, d’un peuple souverain qui fera bel accueil à notre immortel révolutionnaire marxiste, Gérald Brisson.

 

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