Alix ‘’Tit’’ Pascal (Pétion-Ville, 1947)
« Un as versatile »
Propulsé musicien précoce, Tit a commencé à jouer de la musique dès l’âge de neuf ans, en s’attelant d’abord au tambour, au piano et la basse en instrumentiste épatant. Pour ensuite s’adonner à la guitare électrique et acoustique à travers lesquelles il va s’affirmer amplement pour trouver sa voie et son titre de noblesse en multi-instrumentiste autodidacte. Déjà à quinze ans, il s’impose comme maestro de son propre combo avec « Les Six As de Pétion-Ville », en compagnie du surdoué Jacquy Duroseau ; ce qui lui a permis de se frayer un chemin et, de se faire un nom grâce à son style authentique. Tout en lui valant d’être repéré par des groupes plus cotés dont l’ « Ibo Lélé » qui sollicita son service ; expérimentant alors une musique d’avant-garde combinant le jazz aux sonorités locales.
Entre temps, il trouva sur son parcours le très éclectique Herby Widmaïer avec qui il va collaborer et dont l’expertise lui a permis d’étendre ses connaissances vers d’autres horizons, sous l’influence des maitres guitaristes de jazz tels : Charlie Christian et Wes Montgomery. Notamment au sein du groupe « Ibo Combo » dans lequel un jeune et brillant guitariste imprima son jeu complexe agrémenté de jazz dans la musique de climat. Malheureusement, après avoir joué un bal avec ce groupe, un macoute lui logea une balle dans la colonne vertébrale, suite à une altercation avec ce dernier ; le paralysant pour la vie. Cette agression mit fin à son futur de pianiste, mais le guitariste pluridimensionnel s’est considérablement perfectionné.
Malgré tout, il continue de s’adonner à son apostolat musical. Spécialement comme instrumentiste au style dépouillé d’artifices ; lui ayant permis de presque tout expérimenter : jazz, bossa-nova, musique classique, populaire et autres. En 1968, après un voyage aux U.S.A, pour des soins que nécessitait son état, il revint au bercail où il mit son empreinte à la sortie du mini-jazz « Tabou combo ». Puis, il forma un Quartet de jazz en compagnie d’autres illuminés de son rang, tels que le contre-bassiste Jeannot Montès, le saxophoniste Emile Volel, et le batteur Didier Pétrus. L’année après, il laisse définitivement le pays pour les Etats-Unis où sa carrière va atteindre une dimension supplémentaire.
Participant dans diverses explorations avec des sommités du jazz comme : Charly Davis, Cecil Payne, George Coleman, Pat Patrick, Mario Riviera, James Newton, Anthony Cox et tant d’autres, et, parmi eux le célèbre batteur Andrew Cyrille avec qui il a collaboré plus près, spécialement dans l’album ‘’X-man’’ de celui-ci. Fort de traversées lui ayant permis d’emmener ses actes dans d’autres parties du monde. Il est aussi resté proche de la communauté haitienne et des exilés en participant aux randonnées expérimentales du groupe « Haitian Bells » et « Atis Endependan », politiquement engagé, lequel a grandement marqué le mouvement militant de la diaspora. Il s’est aussi constitué en arrangeur précieux pour le « Tabou Combo » durant les mid-seventies. En 1978, il sortit une œuvre solo de guitare : ‘’Determination’’ à travers laquelle son approche expérimentale n’a pas permis de faire ressortir son originalité.
Au milieu des années 1980, dans l’engouement du mouvement fusion-rasin qui faisait aussi effet boule de neige dans la diaspora, il fonda le groupe « Ayizan »,en compagnie d’autres talentueux pairs tels : Buyu Ambroise (sax), Félix Etienne (basse), Louis Celestin (tambour), Lès Barreau (batterie), Doudou Ciné (guitare), Eddy Bourjolly (piano), Albert Louis jeune (vaksin), et Myriam Augustin (vocale). Tansdisque Tit s’est attelé au vocal et au tambour, laissant au rancart la guitare son instrument de prédilection. L’album ‘’Dilijans’’ semblait de poids pour marquer la musique alternative ; mais malheureusement le groupe n’a duré que l’espace d’un cillement. D’où le talon d’Achilles de A.P qui n’a pas toujours su donner de suite à ses idées, préférant toujours aller là où le vent de l’impromptu exhale et, qui le prive le cas échéant d’une certaine identité. Néanmoins, ce musicien d’avant-garde auréolé d’une riche culture a su créer autant d’adeptes pour lesquels il a entrebâillé bien de perspectives, et qui continuent de faire prospérer sa philosophie au-delà des modes et tendances.
Eval Manigat (Plaisance, 1939 – St. Marc, 2011)
« Un contributeur acclamé »
Ce musicien accompli de regrettée mémoire explora diverses tendances musicales, l’ayant autorisé de s’illustrer parmi les plus innovateurs de son époque. En effet, c’est avec inventivité et exubérance que Eval s’est introduit comme étalon de la basse, la dégageant des patrons contraignants par sa touche colorée. Tout enfant, il entretint un goût inné du rythme en marquant la mesure sur toute surface disponible. De sa belle-mère, professeure de piano, il apprit les premières notions du clavier. Adolescent, il fit la ronde des groupes éphémères de Saint-Marc, tels: «Palace», «Dragon», «Crystal.» etc.
Il poursuivit successivement sa carrière et se retrouva avec l’ensemble «Caraïbes» du Cap, qui devint, en 1963, le «Tropicana», du Cap dont il fut le premier bassiste et l’un des membres originaux, présent au fameux meeting du “Yanvalou Night Club”. C’est là qu’il fut convoité par Weber Sicot qui lui fit une offre qu’il ne pouvait refuser ; pour devenir l’une des pièces maitresses de son orchestre « La Flèche D’or »; avec l’opportunité de jouer sous les projecteurs de la ville. A ce stade, il s’illustra comme l’un des facteurs déterminants de cet orchestre ; en y injectant ses bonds métronomiques aux paramètres du kadans ranpa, tout en y gratifiant des cordes florissantes, s’apparentant à de multiples dissonances instillées d’harmonies éloquentes.
Après une fructueuse étape avec le kadans ranpa, l’entreprenant Eval se retrouva dans les Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin), où il y donna toute la mesure de son talent et de son savoir-faire entre quelques chevauchées exploratrices. Et finalement, à Montréal, où il élut domicile dès 1974, sa capacité atteignit un niveau supérieur grâce aux contacts établis avec des musiciens de divers horizons. Il fonda le «Buzz», groupe éphémère composé de musiciens haïtiens et québécois. Grand protagoniste du “world beat” au Canada, il créa le groupe «Tchaka», dans l’exploration des rythmes haïtiens agrémentés d’influence exotique, des paramètres épatants qui firent de lui le fils adoptif du Canada pluriel.
C’est au comble de son impeccabilité que son premier cd: “Africa +” reçut un ‘Juno’ en 1995, la plus prestigieuse distinction musicale canadienne, l’équivalent du ‘Grammy’ états-unien. A ce carrefour, il symbolisa le summum du syncrétisme global devenu chasse-gardée d’un Canada multi-ethnique et contemporain. Propulsé célébrité de ce qu’on appelait jadis, “La belle province”, ce chef d’orchestre, arrangeur et compositeur, nanti d’une culture musicale impressionnante revint à la charge avec l’œuvre : “Back to the nation”, laquelle témoigna du sens créatif d’un multiinstrumentiste moderne, un bassiste au phrasé lyrique soucieux de s’investir dans le mouvement. Pétaradant vibraphoniste et percussionniste, il refusa toujours de se cantonner dans les sentiers battus, réévaluant le standard de climat, en vrai représentant de la musique planétaire d’essence vodou.
Innovateur inlassable, il continua de sillonner le monde, sans cesse demandé pour venir apposer sa marque d’avant-gardiste d’un bassiste et musicien inspiré avec ses notes concises, impressionnantes et bourdonnantes à la manière d’un percussionniste, en aspergeant toutes les avenues de la mesure, tout en s’installant en métronome émérite. Il était au summum de son art, lorsqu’il décida d’aller se ressourcer dans son pays à cause d’une maladie qui le fatiguait. Mais la mort était là impitoyable, inexorable, en le ravissant de l’affection de ses proches, sa famille, ses fans, ses pairs et ses supporters qui gardent de lui les plus splendides souvenirs.