Haïti, l’ONU change de visage, Helen La Lime remplacée

Elle est remplacée par une Latino-américaine, Mme. Maria Isabel Salvador

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Mme. Helen La Lime était la vraie cheffe de l’Etat d’Haïti dans la mesure où Ariel Henry devenu chef de gouvernement de facto

En poste en Haïti depuis 2018 pour le compte de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), l’Américaine Helen Meagher La Lime a quitté son poste officiellement le 26 mars 2023, après cinq longues années. Une mandature !

Elle est remplacée à Port-au-Prince par une Latino-américaine, Mme. Maria Isabel Salvador de l’Equateur, nommée, le 1er mars 2023, par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Mme. La Lime en Haïti, c’est toute une histoire. Nommée tout d’abord Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti et cheffe de la Mission des Nations-Unies pour l’Appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) en 2018 que les Haïtiens avaient rapidement baptisé « Minijupe », cette diplomate sera de toutes les parties et a connu les multiples crises politiques qui ont jalonné la vie des Haïtiens depuis cette période.

Elle avait pris la succession d’une autre Représentante spéciale, Mme. Susan D. Page qui a été déclarée persona non grata par feu le Président Jovenel Moïse pour avoir été, à ses yeux, trop proche de l’ex-opposition qui menait, à ce moment-là, la vie dure au chef de l’Etat. Rappelée à la maison de verre à New-York à la demande du Président de la République, Mme. Susan D. Page n’a jamais remis les pieds à Port-au-Prince. Elle sera de fait remplacée par Mme Helen La Lime à cette date. Une année plus tard, la MINUJUSTH change de nom mais garde le même Cahier de charges. Elle devient Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti BINUH) et Mme. La Lime en tant que Représentante spéciale du Secrétaire général en devient naturellement la cheffe le 14 octobre 2019.

Depuis, c’est elle et elle seule qui décida de tout ou presque en matière politique dans la capitale haïtienne. Devenue grande amie du Président Jovenel Moïse, peut-être par peur de se faire « virer » comme sa prédécesseure, cette employée de l’ONU s’était employée à renforcer son pouvoir et son influence sur la classe politique et économique du pays.

C’est elle qui a donné la force et le pouvoir qu’on connaît au « Core Group », ce regroupement des principaux diplomates en poste à Port-au-Prince. Déjà, sous la présidence de Jovenel Moïse, ce syndicat d’ambassadeurs avait beaucoup d’influence sur la politique haïtienne. Après l’assassinat de celui-ci, en juillet 2021, le Core Group, sous l’autorité de Mme. La Lime, a carrément pris le pouvoir en Haïti en s’imposant comme le seul et unique vrai décideur politique. C’est cette structure diplomatique, sous l’autorité de Mme. La Lime, qui a chassé le Premier ministre a.i, le Dr Claude Joseph, de la Primature quelques semaines après l’assassinat du Président et a officialisé la nomination du Dr Ariel Henry à la tête du Palais national et de la Primature sans tenir compte de l’organigramme du Pouvoir exécutif haïtien, selon la Constitution établie.

Depuis ce mini « coup d’Etat » diplomatique, Mme. Helen La Lime était la vraie cheffe de l’Etat d’Haïti dans la mesure où Ariel Henry devenu chef de gouvernement de facto, ne dirige pas grand-chose et ne servant, en réalité, qu’à un simple paravent. De l’Accord du 11 septembre ou Musseau pour arriver à celui du 21 décembre dit Karibe, sans oublier la création récemment du HCT (Haut Conseil de la Transition), en allant chercher Mme. Mirlande H. Manigat chez elle pour venir cautionner cette initiative politique du Core Group, il y avait encore et toujours la main de la Représentante spéciale du Secrétaire général et de la cheftaine de BINUH. Tout, absolument tout relevant du domaine politique dans ce pays passait par elle ou devait avoir sa bénédiction pour être pris en compte ou validé par Washington. La demande d’une force militaire internationale pour venir secourir le gouvernement de Transition qui est en difficulté face aux bandes armées et des gangs encerclant la capitale et sa périphérie a été suggérée à Daniel Henry une nouvelle fois par Mme. La Lime.

Mme. Maria Isabel Salvador de l’Equateur, nommée, le 1er mars 2023, nouvelle cheffe du BINUH et représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Bref, les cinq années passées à la tête de ces différentes missions de l’ONU en Haïti ont été un vrai « succès story » pour cette diplomate très politisée, mais un véritable cauchemar pour les Haïtiens qui n’ont rien bénéficié de ses expériences ou de ses compétences. Car, même sa tentative de regrouper la majorité des bandes armées de Port-au-Prince et de sa banlieue dans le cadre de la politique du désarmement qu’avait initié l’Administration de Jovenel Moïse a été un fiasco dans la mesure où elle avait fait un mauvais diagnostic de la psychologie des bandits qui n’entendaient point déposer les armes. Résultat, l’opération fut un échec total. Ni le Core Group ni les différents gouvernements n’ont pas pu ramener les gangs à la raison ; pire, ils se sont multipliés sur le territoire et, un à un, ils ont pris leur autonomie et sont devenus incontrôlables d’où l’enfer que vit le pays en matière d’insécurité.

En effet, selon Chantale Élie, une militante des droits humains, pendant la présence de Mme. Helen La Lime : « La situation d’Haïti a empiré à tous les points de vue. Les gangs se sont renforcés, Port-au-Prince est assiégé et devenu la capitale du kidnapping et la police est inefficace. Toutes les institutions, l’État de droit et de la justice en Haïti ne sont que l’ombre d’elles-mêmes. Elles sont plus corrompues, plus inefficaces que jamais. Pas d’élections, pas de Parlement, pas de justice, pas de police, le Président de la République assassiné, en plus la mission de Mme La Lime était de contribuer à renforcer le bilan de la Police nationale d’Haïti en matière de droits de l’homme et de respect des obligations internationales » dit-elle. Le 26 mars Mme. La Lime a passé le témoin à sa successeure Maria Isabel Salvador, qui est arrivée à Port-au-Prince le dimanche 16 avril 2023 pour le meilleur et pour le pire à la tête du Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti, du Core Group et bien entendu comme Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres à Port-au-Prince.

Quelle sera sa politique vis-à-vis des dirigeants de la Transition, qui, le moins que l’on puisse dire, ne sont pas du tout à la hauteur d’une crise dont ils refusent de prendre  l’ampleur ? En tant qu’Equatorienne, saura-t-elle faire la différence entre Port-au-Prince et Washington comme elle aurait pu le faire pour Quito, la capitale de l’Equateur et Washington ? Sera-t-elle plus attentive et plus compréhensive aux problèmes du peuple haïtien ou donnera-t-elle, comme l’ont fait ses prédécesseurs, priorité aux intérêts des grandes puissances, notamment les Etats-Unis d’Amérique en Haïti ? Il faudra attendre pour pouvoir faire une première évaluation. Porter un jugement. Certes, elle aura à mener la politique que lui demanderont l’organisation internationale et le Conseil de sécurité. Mais, en confrontant au quotidien sur le terrain les problématiques, elle doit pouvoir avoir sa propre vision des choses.

En tout cas, le lundi 3 avril, lors de sa prise de fonction à ce poste, tout en remerciant le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres pour cette nomination, Maria Isabel Salvador paraissait impatiente de rencontrer les protagonistes de la crise en déclarant « J’ai hâte d’écouter le peuple haïtien, de continuer à soutenir les efforts pour résoudre la crise actuelle et travailler au renforcement d’un consensus pour la restauration de la démocratie». Après avoir pris contact avec le gouvernement, le personnel politique haïtien et diverses entités – Société civile et acteurs économiques – impliqués dans la Transition, la nouvelle cheffe de BINUH et de Core Group, compte tenu qu’elle vient de l’un des sept pays andins partageant pratiquement les mêmes problèmes sociaux et autrefois les mêmes difficultés politiques pour instaurer la démocratie avec l’influence américaine dans la région qui tend d’imposer sa politique sur le reste du monde, saura-t-elle peser le pour et le contre afin d’aider réellement et concrètement les Haïtiens à sortir de l’impasse sociopolitique dans laquelle ils  se trouvent sans passer par une occupation étrangère comme le pensent certains à l’OEA et à l’ONU? En tout cas, si certains disent déjà n’attendre aucune évolution sur le comportement du Core Group et de sa nouvelle Présidente, d’autres, au contraire, sont plus réservés et disent préférer attendre avant d’anticiper sur l’attitude de la remplaçante de Mme. Helen La Lime qui laisse derrière elle un pays en complète décomposition après cinq ans d’une présence catastrophique.

C’est le cas de Me. Camille Occius, le dirigeant de l’Organisation des citoyens pour une nouvelle Haïti, qui préfère rester optimiste tout en pensant que la nouvelle cheffe du BINUH sera différente que sa prédécesseure : « Je salue la nomination de Maria Isabel Salvador comme nouvelle cheffe des Nations-Unies en Haïti. Je souhaite qu’elle va œuvrer rapidement afin de mieux coordonner les efforts des Nations-Unies dans la résolution de la crise haïtienne. L’heure est à l’urgence » dit Me. Camille Occius. Les dossiers qui attendent Mme. Maria Isabel Salvador sont nombreux et surtout brulants, à commencer par la question de l’insécurité qui pousse la population à vivre terrer comme des termites par peur de se faire égorger, kidnapper, violer, tandis que la police haïtienne est asphyxiée par les gangs. Elle aura aussi à gérer l’incompatibilité des Accords de Montana et du Karibe alors que chacun des protagonistes campe sur sa position sur la question, justement, de la gouvernabilité de la Transition. On le sait, le véritable soutien du Premier ministre de facto, Ariel Henry, dans le bras de fer opposant les deux camps sur l’organigramme de l’Exécutif était Mme La Lime  qui, dès le début, s’opposait à un Pouvoir exécutif bicéphale.

Une position qui a permis à son « élu » Ariel Henry, de faire de la résistance face à l’Accord du 30 août qui ne conçoit point, en tout cas, jusqu’à la nouvelle Constitution, un Exécutif à gouvernance unique. Une posture donnant prétexte au chef de la Transition de refuser toutes discussions sur une éventuelle présence d’une Présidence provisoire de la République à la tête du pouvoir de Transition secondé par un chef de gouvernement intérimaire. Sur ce point, y aura-t-il une évolution de la part de Maria Isabel Salvador qui pourrait desserrer ce nœud gordien et par la même occasion permettrait enfin un consensus entre les deux groupes ? Le défi est de taille pour la nouvelle Représentante spéciale du Secrétaire général en Haïti, dans la mesure où cela va faire bientôt deux ans déjà depuis que le pays vit dans cette crise post-assassinat, alors que rien ne semble indiquer que les acteurs sont prêts à faire des concessions  de part et d’autre afin de trouver un compromis pour la gouvernance de la Transition. Madame Maria Isabel Salvador commence à rencontrer les autorités haïtiennes dès le lundi 17 avril 2023 entre autres, le chef de la diplomatie Jean Victor Généus, le Directeur général de la police nationale Frantz Elbé et bien sûr le chef de la Transition Ariel Henry à la Résidence officielle du Premier ministre à Mussau.

 

C.C

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