Ce 25 novembre 2017, cela fera une année depuis que Fidel Castro est parti pour ce voyage de non retour avec la satisfaction d’avoir réussi la première et victorieuse révolution anti-impérialiste. Il a laissé un peuple fier d’avoir tenu tête à la première et plus puissante puissance du monde et une direction communiste compétente, responsable, consciente des enjeux qui a pour mission de défendre la révolution et ses acquis, et qui par-dessus tout professe son inébranlable volonté de prêcher par l’exemple et de montrer que, en vérité, “un autre monde est possible”, un monde de justice, un monde fraternel qui aboutisse un jour à l’émergence de “l’homme nouveau” du Che.
Plutôt que de présenter ce que divers observateurs, analystes, apologistes, critiques ont écrit à propos du bilan révolutionnaire du Comandante, nous avons préféré, dans cette rubrique hebdomadaire du souvenir, laisser parler Fidel, le dirigeant révolutionnaire exemplaire qui en 2006 a parlé à coeur ouvert à Ignacio Ramonet lors d’un entretien de cent heures*.
Ramonet. Certains procureurs multiplient les accusations contre la révolution cubaine. Vous êtes avocat. Quels arguments leur opposeriez-vous pour défendre la révolution?
Fidel. Je vous préviens, je vais être long, et je vais reprendre cerains arguments de mes discours du 1er mai 2003 et de celui du cinquantième anniversaire de l’attaque de la Moncada. Voyons, de quoi accuse-t-on Cuba? Quelle personne honnête trouverait des raisons de l’attaquer?
Avec les armes arrachées à l’ennemi, notre peuple a renversé la tyrannie de Batista. Soutenue par les États-Unis, elle disposait pourtant de quatre vingt mille hommes en armes. Cuba est alors devenue le premier territoire libre de la domination impérialiste en Amérique latine. Dans l’histoire post-coloniale, Cuba est le seul pays où les tortionnaires, les assassins et les criminels de guerre qui avient arraché la vie à des dizaines de milliers de personnes ont été jugés et punis de manière exemplaire.
La révolution a repris les terres et les a intégralement données aux paysans. Les ressources naturelles, les industries et les services essentiels ont été remis à leur seul vrai propriétaire: la nation. En moins de soixante-douze heures, Cuba a repoussé l’invasion de la baie des Cochons, organisée par les États-Unis, évitant ainsi une invasion directe américaine, et une guerre aux conséquences incalculables.
Cuba s’est honorablement tenue, sans faire la moindre concession, lorsqu’elle a couru le risque d’être attaquée par des armes nucléaires, en 1962. Cuba a vaincu la «guerre sale» qui s’était étendue sur tout son territoire, et qui avait provoqué la perte de plus d’hommes que nous n’en avions perdu pendant la guerre de libération. Cuba a supporté des milliers d’actes de sabotages et d’attaques terroristes organisés par le gouvernement des États-Unis. Et a déjoué des centaines de plans d’assassinat visant les dirigeants de la révolution.
Soumise à un rigoureux blocus commercial et à une guerre économique qui se sont prolongés pendant cinquante ans, Cuba a été capable d’éradiquer l’analphabétisme en un an. Durant plus de quarante ans, les autres pays d’Amérique latine, et même les États-Unis, s’en sont montrés incapables.. Seul le Venezuela y est parvenu, grâce à la révolution bolivarienne. À Cuba, l’éducation gratuite concerne 100% des enfants. Cuba a le meilleur taux de scolarisation de toutes les nations du continent américain: plus de 99% des enfants atteignent un niveau d’études de la quatrième année secondaire. Les élèves cubains occupent la première place mondiale pour la connaisance de la langue et des mathématiques. Cuba occupe aussi la première place mondiale en ce qui concerne le taux d’instituteurs proportionnellement au nombre d’habitants. Et c’est à Cuba qu’il y a le moins d’élèves par classe. La totalitédes enfants souffrant d’un handicap physique ou mental étudient dans des écoles spéciales. L’enseignement de l’informatique et l’utilisation massive des moyens audiovisuels sont à la portée de l’ensemble des enfants, des adolescents et des jeunes, que ce soit en ville ou dans les campagnes.
Les études rémunérées par l’État sont devenues, pour la première fois au monde, une chance pour tous les jeunes de dix-sept à trente ans qui n’étudiaient pas et se trouvaient sans emploi. Tout citoyen cubain peut étudier, de la maternelle au doctorat ès sciences, sans débourser un centime. Notre nation compte aujourd’ui trente fois plus de diplômés universitaires, intellectuels ou artistes professionnels qu’avant la révolution. Le nivau moyen des connaissances d’un citoyen cubain atteint actuellement le niveau de la quatrième année des études secondaires. L’analphabétisme fonctionnel est inconnu à Cuba.
Des écoles de formation artistique et d’instructeurs en art se sont multipliées dans toutes les provinces du pays. Plus de vingt mille jeunes y suivent des études. Des dizaines de milliers d’autres le font dans des pépinières de vocations, gisements d’étudiants pour les écoles professionnelles d’art. Des universités existent sur l’intégralité du territoire. C’est la plus grande révolution éducative et culturelle qu’il y ait jamais eu au monde. Cuba demeure accrochée à cette profonde conviction de Martí selon laquelle sans culture, la liberté est impossible.
La mortalité infantile a été réduite de 60% enfants né vivants en 1959 à un chiffre qui fluctue entre 6 et 6,5%. Si l’on excepte le Canada, c’est le taux le plus bas du continent; inférieur à celui des États-Unis. L’espérance de vie, dpuis 1959, a progressé de presque dix-huit ans. Des maladies infectieuses transmissbles comme la polyomyélite, le paludisme, le tétanos néonatal, la dyphtérie, la rougeole, la parotidite, la coqueluche et la dengue ont été éradiquées. D’autres, comme le tétanos, la méningite par méningocoque, l’hépatite B, la lèpre, la méningite à haemophilus et la tuberculose sont totalement sous contrôle. Aujourd’hui, dans notre pays, les gens meurent des mêmes maux que dans les pays plus développés: maladies cardio-vasculaires et tumorales, accidents…
Il y a une profonde révolution sanitaire en cours, dont l’objectif est de rapprocher les services médicaux de la population, de faciliter l’accès de celle-ci aux centres d’assistance, de préserver des vies et de soulager des souffrances. Des études approfondies ont pour but de briser la chaîne, de réduire les problèmes d’origine génétiques, prénataux, ou associés à l’accouchement. C’est à Cuba que le taux de médecins est le plus élevé au monde; presque deux fois plus que le pays qui arrive en deuxième place.
Les centres de recherche travaillent sans répit pour trouver des solutions préventives ou thérapeutiques contre les maladies les plus graves. Les Cubains ont l’un des meilleurs systèmes de santé au monde, et ils en bénéficient à titre absolument gratuit. La sécurité sociale prend en charge 100% des citoyens du pays.
85% de la population est propriétaire de son logement, libre d’impôt. Les autres payent un loyer sybolique qui atteint à peine 10% de leur salaire.
L’usage de drogues ne touche qu’un nombre infime de personnes, et nous livrons à cet égard une lutte acharnée. La loterie et les autres jeux d’argent ont été interdits dès les premières années de la révolution, pour que nul n’abandonne ses espoirs de progrès entre les mains du hasard.
Notre télévision, notre radio et nos médias n’ont pas de publicité commerciale. On n’y affiche d’autres promotions que celles concernant la santé, l’éducation, la culture, l’éducation physique, le sport, une saine distraction, ou la défense de l’environnement. Nos moyens de communication de masse éduquent; ils n’empoisonnent pas et ils n’aliènent pas le public. On n’y exalte pas les valeurs de la société de consommation.
À Cuba, il n’existe pas de culte de la personnalité de révolutionnaires vivants, avec des manifestations telles que des érections de statues, des photos officielles, et des attributions de noms de rue ou d’institutions. Les hommes et femmes qui dirigent le pays sont des personns et non des dieux.
À Cuba, il n’y a pas de forces paramilitaires, ni d’escadrons de la mort. Le peuple n’a jamais subi de violences, il n’y a pas d’exécutions extrajudiciaires, et la torture est inconnue. Nous cultivons la fraternité et la solidarité entre les êtres que ce soit ici ou ailleurs.
Les nouvelles générations et le peuple tout entier sont formés à la protection de l’environnement. Les moyens de communication de masse s’emploient à former une conscience écologique. Notre pays défend son identité culturelle, assimile ce que les autres cultures ont de meilleur, et lutte résolument contre tout ce qui déforme, aliène et avilit. Le développement du sport sain et non professionel a conduit notre peuple à une place prédominante: on ne compte plus les médailles et les trophées au niveau international.
La recherche scientifique, au service de notre peuple et de l’humanité, s’est accrue selon un multiple à trois chiffres. D’importants médicaments nouveaux, fruits de cet effort sauvent des vies à Cuba et ailleurs. Jamais aucune recherche n’a été menée pour obtenir des armes biologiques. Ce serait en contradiction avec la formation que notre personnel scientifique a reçue et la conscience dans laquelle il a été formé.
L’esprit de solidarité internationale n’est nulle part enraciné comme à Cuba. Nous avons soutenu les patriotes algériens dans leur lutte contre le colonialisme français, sans craindre de mettre en péril nos relations avce ce grand partenaire européen. Nous avons envoyé des armes et des combattants pour défendre l’Algérie contre l’expansionnisme marocain le jour où le roi Hassan II a voulu s’approprier des mines de fer de Gara Djebilet, à proximité de la ville de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie.
À la demande de la Syrie, le personnel d’une brigade de chars a monté la garde face aux hauteurs du Golan, lorsque cette portion de pays lui a été arrachée.
Tout juste après l’indépendance du Congo, Patrice Lumumba, harcelé, a reçu notre soutien politique. Lorsqu’il a été assassiné par les puissances coloniales, en janvier 1961, nous avons poursuivi notre collaboration avec ses successeurs. Quatre ans plus tard, en 1965, le sang cubain a coulé dans la zone occidentale du lac Tanganyka, où Che Guevara et plus de cent instructeurs cubains ont prêté main forte aux rebelles congolais qui se battaient contre des mercenaires blancs au service de Mobutu, l’homme de l’Occident. Mobutu dont les quarante milliards de dollars sont placés dans on ne sait quelle banque européenne, entre les mains d’on ne sait qui.
Le sang d’instructeurs cubains a coulé tandis qu’ils entraînaient et épaulaient les combattants du parti africain pour l’indépendance de Guinée et du cap-Vert. Sous le commandement d’Amilcar Cabral, ils luttaient pour l’indépendance de ces anciennes colonies potugaises.
Le sang cubain a aussi coulé dix ans durant en Angola, où nous avons soutenu le MPLA d’Agostinho Neto dans sa lutte pour l’indépendance. Durant quinze ans, des centaines de milliers de volontaires cubains ont participé à la défense de l’Angola face à l’attaque des troupes racistes sud-africaines. En collaboration avec les États-Unis, les forces de l’apartheid ont utilisé la «guerre sale», semé les mines par milliers, rasé des villages entiers, et assassiné plus d’un demi-million d’hommes, de femmes et d’enfants angolais. À Cuito Cuanavale, et à la frontière namibienne, dans le sud-ouest de l’Angola, des forces angolaises et quarante mille soldats cubains ont porté un coup fatal aux troupes d’élite sud-africaines, qui disposaient pourtant de bombes atomiques fournies par Israël ou fabriquées conjointement avec ce pays, avec la complicité des États-Unis. Cette victoire de Cuito Cuanavale a signifié la libération immédiate de la Namibie, et a entraîné la fin de l’apartheid.
Pendant presque quinze ans, Cuba a été solidaire du peuple du Vietnam dans une guerre imposée par les États-Unis. Deux millions de Vietnamiens y ont perdu la vie, les blessés et les mutilés de guerre y sont innombrables. Les amériains ont innondé le sol du Vietnam de produits chimiques dont les dommages se manifestent encore.
Le sang d’ouvriers cubains de la construction qui parachevaient un aéroport international d’une importance vitale pour la Grenade, un petit pays qui vit du tourisme, a coulé au combat lorsque la Grenade a été envahie par les États-Unis sous des prétextes fallacieux.
Le sang d’ouvriers cubains a coulé au Nicaragua, lorsque des instructeurs de nos forces armées entraînaient les soldats nicaraguayens qui combattaient contre la «guerre sale» organisée et armée par les États-Unis contre la révolution sandiniste.
Je me suis abstenu de citer tous les autres exemples. Plus de deux mille combattants internationalistes cubains ont sacrifié leur vie en remplissant le devoir sacré de soutenir la lutte de libération des peuples frères. Cuba n’a aucune propriété dans ces pays. Nous sommes le seul État au monde qui puisse s’enorgueillir d’une aussi brillante page de solidarité désintéressée.
Cuba a toujours prêché par l’exemple. Elle n’a jamais monnayé son aide à la cause d’un autre peuple. Elle n’a jamais fait de concession. N’a jamais trahi ses principes. Ce n’est pas pour rien que, en juillet 2003, notre pays a été réélu, par acclamation, au sein du Conseil économique et social des Nations unies, membre pour trois ans supplémentaires de la commission des droits de l’homme [commission remplacée, le 15 mars 2006, par le conseil des droits de l’homme]. Cuba intègre cet organisme de manière ininterrompue depuis quinze ans.
Plus d’un demi-million de Cubains ont rempli des missions internationales en qualité de combattants, d’instituteurs, de techniciens, ou de médecins et de personnel de santé. Depuis quarante ans, des dizaines de milliers de médecins cubains cubains ont sauvé des millions de vie. En ce moment même, plus de trois mille spécialistes en médecine générale et d’autres professionnels de santé travaillent dans les coins les plus reculés de dix-huit pays du tiers monde. Ils sauvent chaque année des centaines de milliers de vie, et préervent ou restaurent la santé de millions de personnes, sans toucher un centime pour leurs services.
Sans les médecins cubains proposés à l’ONU, sous réserve que celle-ci obtienne les fonds nécessaires, les indispensables programmes de lutte contre le sida ne pourraient pas être menés à bien.
Cuba a développé des techniques pour enseigner la lecture et l’écriture par radio, et nous avons désormais des programmes rédigés en cinq langues: créole, portugais, français, anglais et espagnol. Ces cours ont déjà été mis en pratique dans certains pays. Nous avons aussi élaboré un programme télévisé d’alphabétisation en espagnol d’une rare qualité. Ce sont des programmes cent pour cent cubains. Nous ne sommes pa intéressés par la vente de la licence. Nous sommes disposés à les offrir à tous les pays du tiers monde, qui sont ceux où se concentre le plus grand nombre d’analphabètes. Sans demander un centime en échange. En cinq ans, le nombre des analphabètes de la planète, qui est de huit cents millions, pourrait se réduire de 80%, et pour un coût minime.
Je m’arrête ici, je ne veux pas lasser, mais je pourrais poursuivre...
Un bilan révolutionnaire impressionnant à n’en pas douter et qui a continué à s’enrichir depuis 2006, date de ce segment de conversation de cent heures entre Ramonet et Fidel. On sait que suite à de sérieux problèmes de santé, le leader incontesté de la glorieuse Révolution cubaine a dû passer le bâton à Raúl qui a pris la relève. Personne n’a flanché. La révolution continue, glorieuse, fière de ses principes révolutionnaires. Cette course de haies que représente l’extraordinaire et exemplaire expérience révolutionnaire cubaine ne manquera pas de citoyens cubains et de citoyennes cubaines bien préparés, possédant un haut degré de conscience patriotique, révolutionnaire, authentiquement communiste qui mèneront à bien la lutte anti-impérialiste jusqu’à l’émergence de “l’homme nouveau” dont rêvait le Che.
Camarade Fidel, nous te saluons en ce premier anniversaire de ton départ pour retrouver les révolutionnaires partis avant toi. Nous rejoignons tous les “insoumis” de la terre pour te renouveler notre attachement et te dire: ¡Hasta siempre! Avec le souvenir du bel exemple que tu nous a laissé, les peuples vaincront.
* Ignacio Ramonet. Fidel Castro. Biographie à deux voix. Édition Galilée pour la traduction française.2007.