Février 2021, le réveil du Secteur protestant !

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La Commission Protestante Contre la Dictature en Haïti (CPCDH)

Pour comprendre les crises politiques en Haïti, il faut être patient, méticuleux et surtout bon observateur. Il faut aussi savoir lire entre les lignes et décortiquer les déclarations des uns et des autres. C’est à l’aune des prises de positions des différents Secteurs de la société qu’on mesure l’évolution et l’ampleur d’une crise politique, économique ou sociale, dit-on en Sciences politiques. C’est aussi vrai pour un pays comme Haïti. Dans ce pays, c’est le baromètre le plus précis, le plus parlant. A chaque crise politique suscitée par un processus électoral, pré ou postélectoral en Haïti, chacun guette avec vigilance la position de chaque secteur dit organisé et surtout ceux qui sont les plus influents ou ayant plus d’emprise sur la population. Cela a toujours existé. Mais, ce phénomène a pris de l’importance depuis la chute du régime des Duvalier en 1986. C’est même devenu une sorte de marqueur : la position de chaque secteur soit apportant son soutien à un camp soit s’en désolidarisant.

 Du coup d’Etat militaire de 1991 à la fin du mandat de l’ex-Président Michel Martelly (2011- 2016), cet état de fait n’a pas varié. Aujourd’hui, avec le débat sur la fin ou non en 2021 du mandat présidentiel de Jovenel Moïse et les discours sur le retour à la dictature, le phénomène reste tel quel pour ne pas dire qu’il s’est amplifié, dans la mesure où les acteurs de part et d’autre du conflit comptent sur le soutien des secteurs organisés de la société pour faire valoir leur force, leur prétention, leur espoir et leurs ambitions. Dans le bras de fer que l’opposition plurielle a engagé avec le Président Jovenel Moïse depuis plus de quatre années consécutives, différents acteurs de la vie nationale leur avaient déjà manifesté leur soutien. D’autres, au contraire, s’étaient jusque-là abstenus de se prononcer pour l’un ou pour l’autre suivant leurs intérêts immédiats. Enfin, certains autres tentaient ou pensaient pouvoir rester à l’écart en observant une neutralité de façade jusqu’à ce que cela devienne insupportable ou intenable pour eux. 

 C’est le cas du Secteur protestant. Jusqu’au 7 février 2021, à part quelques acteurs (artistes) ou personnalités (intellectuels) peu influents de la Société civile qui avaient publiquement pris fait et cause pour les oppositions, le pouvoir pouvait se targuer qu’il n’avait rien à craindre. Ce d’autant plus que les acteurs de la Société civile qui montaient au créneau aux côtés de l’opposition étaient tous identifiés, à quelques exceptions près, comme des anti-Jovenel historiques. Mais, passé le 7 février 2021, la donne a changé. Même les acteurs qu’on ne peut pas suspecter d’être au service de l’opposition se présentent à visage découvert et se positionnent clairement pour le départ du Président de la République en se basant, eux aussi, sur l’article 134.2 de la Constitution. Ce positionnement clair et sans équivoque va changer radicalement le rapport de force, en tout cas, dans les rues. D’où, d’ailleurs, les démarches systématiques des leaders de l’opposition appelant les autres secteurs qui n’ont pas encore rallié ouvertement leur cause à se prononcer et à se joindre à eux afin de porter, selon eux, le coup de grâce à celui qui fait de la résistance au Palais national. 

Le Secteur protestant, enfin une partie, s’est prononcé de manière sans équivoque sur la crise opposant Jovenel Moïse et ses anciens adversaires politiques de toujours.

 Après le ralliement de la Conférence des Evêques d’Haïti (CEH) et de l’église catholique en général à travers la Conférence Haïtienne des Religieux et Religieuses (CHR) au fameux article 134.2, après avoir soutenu qu’elle était disposée à servir d’intermédiaire ou de médiatrice entre les deux protagonistes (opposition et pouvoir), c’est pratiquement tous les secteurs religieux qui tournent le dos au pouvoir ou plus exactement se mettent en face du Président Jovenel Moïse. Cela s’est matérialisé avec la position du Secteur de l’église protestante qui a créé une commission contre la dictature. C’est le plus significatif. Et pour cause. C’est la première fois depuis son échec à la présidentielle de 2016, période durant laquelle l’église protestante avait donné une image très peu flatteuse de sa Communauté et de ses dirigeants en particulier. Le Secteur protestant, enfin une partie, s’est prononcé de manière sans équivoque sur la crise opposant Jovenel Moïse et ses anciens adversaires politiques de toujours. 

 Après la prise de position des autres secteurs religieux, l’opposition plurielle croyait que les chefs des différentes chapelles de l’église protestante se rallieraient au pouvoir ou du moins cautionneraient la politique du chef de l’Etat. Finalement, c’était une fausse alerte. Puisque ce silence relevait d’une stratégie qui consiste à prendre le pouls de la situation avant de se prononcer ouvertement. Voyant que de jour en jour le Président paraît isolé sur le plan intérieur et de plus en plus mis à l’index par des Secteurs dits organisés de la société, les leaders protestants ont estimé que c’est le bon timing et qu’il était temps de sortir du bois et réagir. C’est ce qu’ils ont fait le mercredi 17 février 2021. En effet, les quatre plus puissantes organisations du Secteur protestant du pays : Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH),  Conseil National Spirituel des Eglises d’Haïti (CONASPEH), Fédération des Pasteurs Haïtiens (FEPAH) et la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) ont lancé la création d’une structure dénommée : Commission Protestante Contre la Dictature en Haïti (CPCDH). 

 Les leaders religieux se donnent pour mission, par le biais de cette Commission, deux objectifs : (1) « Travailler avec toutes les institutions religieuses et organisations de la Société civile en vue de l’intensification de la mobilisation pacifique pour le respect de la Constitution, particulièrement l’article 134-2.» (2) « Sensibiliser toutes les églises protestantes à travers tout le pays, afin que les chrétiens, citoyens haïtiens à part entière, puissent s’engager résolument dans la lutte contre la dictature en Haïti.» D’après les principaux Révérends Pasteurs à l’origine de ladite Commission Protestante Contre la Dictature en Haïti (CPCDH) à savoir : Jacques N. Janvier, Dr Gerald Bataille, Ernst Pierre Vincent, Gérard Forges, Françoise Saint-Vil Villier et Ismaël Baptiste, il ne s’agit point d’un ralliement à l’opposition mais simplement « d’un engagement contre la dictature ». 

 Il faut tout de même rappeler qu’à la fin du mois de janvier 2021, ce même secteur avait déjà publié une note de presse dans laquelle il avait exprimé sa crainte d’une « Situation dangereuse exacerbée par l’entêtement de Jovenel Moïse à se maintenir au pouvoir après le 7 février 2021 ». En fait, ces leaders de l’église protestante, pour la plupart très connus du pays, ont eu l’idée de la création de cette Commission après avoir été surpris par l’ampleur qu’a eu la marche contre la dictature et le kidnapping organisé le 14 février 2021 par des artistes et intellectuels soutenue par les oppositions au pouvoir. Plusieurs milliers de personnes dont des figures connues du monde politique et de la Société civile opposées au Président Jovenel Moïse avaient parcouru les rues de la capitale. Parmi ces visages marquants on avait remarqué la présence de la journaliste Liliane Pierre-Paul de radio Kiskeya, Remarais Jean-Baptiste animateur de radio, le journaliste Jean-Monard Metellus animateur de l’émission Ranmase sur radio Caraïbes FM. 

D’anciens parlementaires comme : Serge Jean-Louis, Youri Latortue, Antonio Cheramy dit Don Kato, Abel Descollines et Steven Benoit, etc ; tous estiment que le chef de l’Etat « a perdu toute légitimité et doit laisser au plus vite le Palais national ». Après cette manifestation réussie de la Société civile, contre l’insécurité et contre Jovenel Moïse, même avec quelques casses ça et là durant le parcours, le Secteur protestant qui avait participé à cette marche pacifique s’est réellement réveillé. En effet, touchée dans leur orgueil, cette pléiade de Pasteurs fondateurs de la Commission Protestante Contre la Dictature  en Haïti (CPCDH) voulait aussi apporter son empreinte. Ils entendent démontrer que l’église protestante, à l’instar de l’église catholique et des autres secteurs de la Société civile organisée, peut aussi constituer une force pour faire barrage à la toute puissance du pouvoir et aux velléités du Président Jovenel Moïse de s’imposer comme le seul maitre à bord dans le pays. Ainsi, quinze jours après, la Commission, à travers différentes communautés protestantes, avait appelé à une grande marche pacifique pour le 28 février 2021 à Port-au-Prince et dans d’autres villes de province contre le kidnapping, l’insécurité et surtout contre la dictature. Incontestablement, ce fut une réussite. 

 Au moins un million de personnes avait répondu à cet appel qui était soutenu par d’autres secteurs de la Société civile et bien entendu par l’opposition plurielle qui vogue depuis quelque temps sur une vague médiatique anti-Jovenel. Ce dimanche 28 février 2021 a été une démonstration de force. L’église protestante avait fait le plein de fidèles. Les leaders politiques profitant de cet appel s’étaient engouffrés dans la brèche et avaient convié leurs partisans et sympathisants à venir en masse manifester leur opposition contre le pouvoir. Vite débordés, les dirigeants religieux ont été pratiquement relégués au second plan. Les chefs des oppositions tels : Dr Réginald Boulos du Mouvement Troisième Voie (MTV), les ex-sénateurs Jean Renel Sénatus du Parti Lod Demokratik), Youri Latortue de Ayiti An Aksiyon  et Jean-Charles Moïse du Parti Pitit Dessalines, ont été remarqués. Le monde littéraire et artistique était aussi bien représenté avec des artistes, des intellectuels et écrivains entre autres Syto Cavé, Lyonel Trouillot, etc. 

On sait que les fidèles en général sont toujours mobilisables par leurs Pasteurs quand il s’agit des affaires religieuses. Sur le plan politique, c’est une autre paire de manche.

 Mais, si les dirigeants de l’église protestante se faisaient doubler par les politiques, les membres des différentes chapelles et Fédérations protestantes avaient pour autant répondu à l’appel de leurs Prédicateurs. Ils étaient là en grand nombre, venus scander les mots d’ordre  des organisateurs. Sans oublier les non croyants qui, sans être pour autant des partisans de l’opposition, étant victimes comme tout le monde de l’insécurité galopante qui envahit le pays, la capitale et ses faubourgs en particulier, avaient eux aussi fait le déplacement pour venir dire assez aux kidnappings, à l’insécurité et crier leur ras-le-bol à l’impunité. En tout cas, le Secteur protestant voulait démontrer qu’il s’est réveillé et de quelle manière ! Sur le plan organisationnel, les dirigeants protestants ont fait  preuve de leur capacité non seulement à organiser de grandes marches ou manifestations pas forcément religieuses mais qu’ils étaient capables de mobiliser leurs suaves (fidèles) pour défendre une cause. On sait que les fidèles en général sont toujours mobilisables par leurs Pasteurs quand il s’agit des affaires religieuses. Sur le plan politique, c’est une autre paire de manche. 

 Les multiples campagnes électorales auxquelles des candidats protestants ont pris part ces dernières années se sont terminé le plus souvent en catastrophe électorale pour eux. La très forte mobilisation de la population le dimanche 28 février 2021 à l’appel du Secteur protestant démontre que les protestataires font bien la différence entre une marche pacifique contre un pouvoir établi et une éventuelle mobilisation politique en faveur d’un ou plusieurs dirigeants de ce secteur. Pasteur Chavannes Jeune plusieurs fois candidats à la présidence d’Haïti en sait quelque chose. Somme toute, la Commission Protestante Contre la Dictature en Haïti (CPCDH) placée sous l’égide des Révérends : Jacques N. Janvier, Dr Gerald Bataille, Ernst Pierre Vincent, Gérard Forges, Françoise Saint-Vil Villier et Ismaël Baptiste, des Pasteurs très en vue dans le pays a réussi son pari qui était de lancer un message fort au pouvoir en place mais aussi à l’ensemble des oppositions : il faudrait compter avec eux dans les moments de crises politiques aigües comme celle que traverse le pays. 

 En tout cas, cette démonstration de force n’est pas passée inaperçue aux yeux des autorités puisque, quelques jours après, le Président de la République, Jovenel Moïse, son chef de gouvernement, Jouthe Joseph, son Directeur général de la police nationale, Léon Charles et même l’ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, Michèle J. Sison ont annoncé un train de mesures visant à combattre plus efficacement le kidnapping, les gangs et l’insécurité plus généralement dans le pays. Pour certains, la sortie très spectaculaire du Secteur protestant contre le pouvoir arrive à un moment où l’opposition qui a déjà épuisé pratiquement toutes ses cartouches contre le Président Jovenel Moïse avait besoin de ce renfort pour poursuivre la lutte avec l’espoir que celui-ci capitulera bien avant 2022. 

 

C.C

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