« Femme vaillante. Michaëlle Jean en Francophonie »de Romuald Sciora !

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Paru en France à la fin de l’année 2021, sous la plume de l’essayiste Romuald Sciora

Voilà un petit livre qui devrait intéresser tout particulièrement les partisans de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie). Paru en France à la fin de l’année 2021, sous la plume de l’essayiste Romuald Sciora, « Femme vaillante. Michaëlle Jean en Francophonie », comme son nom l’indique, est un petit pamphlet qui jette un regard plutôt amical sur Michaëlle Jean. Il se lit d’un trait. Il est consacré plus à la non réélection de l’ancienne Secrétaire générale de cette institution, en 2018, qu’à son bilan réel durant son mandat de quatre années à la tête de l’organisme de tous les peuples ayant la langue française en partage. Ce petit livre précis et concis sur l’ancienne Gouverneure générale du Canada nous donne une idée de ce qu’a été le passage de l’haïtiano-canadienne au sommet de l’OIF. Il révèle surtout qui décide réellement qui peut devenir son Secrétaire général. À la fois récit, document historique, c’est un pamphlet, somme toute, d’un a priori très partisan. L’auteur ne s’en cache pas d’ailleurs.

Celui qui nous a expliqué pourquoi Michaëlle Jean n’a pas été reconduite au secrétariat général de l’Organisation Internationale de la Francophonie est un habitué du fonctionnement et des intrigues au sein des grands organismes internationaux. C’est un Français, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), mais surtout un fin connaisseur de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour avoir écrit plusieurs ouvrages y relatifs. Il s’appelle Romuald Sciora, spécialiste du multilatéralisme. Il vit en plein cœur de Brooklyn, New-York, depuis de nombreuses années et connaît parfaitement le milieu haïtien. Auteur de « Planète ONU » et réalisateur de plusieurs grandes interviews avec pratiquement tous les Secrétaires généraux de cette institution mondiale, Sciora ne pouvait ne pas s’intéresser à Mme Michaëlle Jean au moment où elle dirigeait l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Il a cherché à comprendre pourquoi la France, plus précisément, son Président, Emmanuel Macron, a préféré une anglophone quasiment anti-française au lieu d’appuyer la réélection, comme il est de coutume dans ces grandes organisations mondiales, de sa Secrétaire générale sortante. À titre de préambule, d’entrée de jeu, l’auteur nous a donné un aperçu de ce qui s’annonçait comme une chronique d’un échec annoncé pour la campagne de réélection de la Secrétaire générale. Ecrivain et documentaliste de talent, Romuald Sciora nous a fait vivre une Conférence sur la Francophonie qu’il devait animer en septembre 2018 à New York University (NYU) en présence de la Secrétaire générale dont le but était de porter les américains à bien comprendre, sinon, les sensibiliser sur le travail de l’OIF. D’après son récit, cette soirée fut pathétique. Alors que, pour la première fois depuis la création de cette institution francophone, hormis le siège des Nations-Unies, sa Secrétaire générale devait intervenir devant l’intelligentsia newyorkaise dans une grande université américaine en plein cœur de New-York, ce fut la déception suprême pour sa responsable.

Michaëlle Jean

Aucun diplomate de la grande famille francophone installée dans la grosse Pomme n’a daigné ou même osé venir assister à la conférence. Pire, même pas le Consul général de France à New York. Pour l’auteur de « Femme vaillante. Michaëlle Jean en Francophonie », c’était le signe que les dés étaient jetés pour la Secrétaire générale sortante. Et que le Président du Rwanda, Paul Kagame, avait déjà gagné l’élection pour sa candidate, sa cheffe de la diplomatie, Louise Mushikiwabo, pour laquelle Paris avait donné son feu vert. En effet, selon le récit de Romuald Sciora, il ne fait aucun doute que Michaëlle Jean a été sacrifiée sur l’autel de la realpolitik franco-rwandaise dans le cadre des retrouvailles des deux pays après des années de brouille sur fond de guerre civile entre Hutus et Tutsi faisant des milliers de morts et dont la France de François Mitterrand était un acteur clé dans ce conflit.

Mais la campagne de boycott de la politique de Michaëlle Jean à la tête de l’OIF ne s’arrêta point à ce qu’on pourrait qualifier de détail. On apprend, en effet, toujours dans le livre de Sciora, que toute l’année 2018, l’année où devait se dérouler à Erevan, en Arménie le XVIIe Sommet de l’Organisation de la Francophonie avec en point d’orgue l’élection du nouveau Secrétaire général de l’OIF, a été une période de trahison, de coups bas et de lynchage médiatique de la part des Etats africains qui, sous l’influence du Palais de l’Élysée, donc du Président Emanuel Macron, devait faire tomber Michaëlle Jean. Pour Paris qui avait fait une croix sur la Secrétaire générale sortante, selon l’auteur, il était hors de question que Michaëlle Jean fasse un second mandat à la tête de l’OIF. Le chef de l’Etat français avait jeté son dévolu pour des raisons politiques sur la ministre des Affaires Etrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, en gage de réconciliation de la France avec Kigali. C’était aussi une exigence du Président rwandais, Paul Kagame, lors de sa visite officielle en France au cours de l’année 2018.

D’après ce qu’on apprend dans ce très instructif document sur cet organisme, la Secrétaire générale, Michaëlle Jean, a été victime de pseudo scandales très médiatisés durant ses quatre  années de mandat allant de 2015 à 2019 passées à l’avenue Bosquet dans le 7e arrondissement de Paris où siège l’Organisation Internationale de la Francophonie. En lisant « Femme vaillante. Michaëlle Jean en Francophonie », l’on s’étonnera d’apprendre que l’ancienne Secrétaire générale a été, entre autres, attaquée pour ses idées d’ouverture et progressistes. Elle voulait sortir cette organisation de référence de la torpeur dans laquelle elle est enfermée en lui donnant un rayonnement mondial avec des projets qui ne se confinent pas seulement à la défense de la langue française dans le monde. Elle voulait donner plus de visibilité, de notoriété et d’autorité à l’OIF à travers le monde selon l’auteur. Michaëlle Jean entendait donner aussi plus d’indépendance à l’OIF par rapport à la politique française vis-à-vis de ses anciennes colonies.

D’après l’auteur, cette vision avait été mieux comprise par le prédécesseur d’Emmanuel Macron à l’Élysée, François Hollande, qui encourageait et soutenait la Secrétaire générale dans ce sens. D’où une certaine liberté d’action qu’avait l’ancienne Secrétaire générale pour mener certaines réformes et une politique plus conforme à l’émancipation des peuples. La francophonie sous la gouvernance de Michaëlle Jean ne se cantonnait point à servir uniquement de miroir pour la politique de la France dans le monde vue à travers le prisme de Paris mais à permettre aux autres peuples ayant la langue française en commun d’entrer dans le XXIe siècle avec des projets adaptés à leurs besoins, à leurs cultures, à leur environnement. Une vision universelle et émancipatrice, d’après l’auteur, qui n’a pas du tout plu ou qui a été très mal comprise du nouveau locataire de l’Élysée qui, dès son arrivée en 2017, l’avait fait savoir à Michaëlle Jean.

Autant les relations étaient plus que cordiales, franches et constructives avec le Président François Hollande, autant elles ont été exécrables, sinon inexistantes avec la présidence d’Emmanuel Macron qui n’a jamais manifesté le moindre intérêt ni son goût pour cette institution. Selon Annie Dyckmans-Rozinski qui fut conseillère des trois premiers Secrétaires généraux de l’OIF : « En réduisant la Francophonie à la promotion de la langue française, la Francophonie se perdra. Michaëlle Jean en était bien consciente en arrivant à l’OIF ». Sauf que, l’Élysée, sous Emmanuel Macron, ne l’entend et ne le voit pas sous cet angle. D’où sa décision, dès le départ, de se débarrasser d’une Secrétaire générale que le Palais avait estimée encombrante et trop indépendante à son goût. Pour l’actuel Président français, c’est la vision « Françafrique » qui doit primer et demeurer le principal guide de l’OIF. Tant que cette ligne paternaliste ne bouge pas ou ne dépasse pas la ligne jaune, il n’y a aucune raison pour les dirigeants de l’OIF de s’inquiéter.

Malgré un discours laissant croire que la France applique une politique différente à l’égard de ses « Pré-carrés » africains, ce qui est un anachronisme politique et culturel de nos jours, il ne reste pas moins vrai que les vieilles habitudes ont la vie dure. D’ailleurs, il suffit de lire un autre ouvrage collectif sous la Direction de Thomas Borrel : « L’Empire qui ne veut pas mourir. Une Histoire de la Françafrique » pour comprendre que le récit de Romuald Sciora sur Michaëlle Jean à la tête de l’OIF et le complot mené contre elle par le Président français, Emmanuel Macron, en faveur de la rwandaise Louise Mushikiwabo pour lui succéder en 2019 n’est qu’une goutte d’eau dans un océan. Nous vous conseillons vivement la lecture de ce petit ouvrage qu’on peut lire en l’espace de quelques heures. Facile à transporter, il est surtout très prenant vu la façon dont l’auteur présente les faits. En réalité, on apprend plein d’autres choses sur la vie et le parcours de Michaëlle Jean depuis son arrivée au Canada jusqu’à ses grandes fonctions internationales.

De la Représentante de la reine d’Angleterre en tant que Gouverneure générale du Canada jusqu’à ses fonctions à l’UNESCO auprès de la Directrice générale de cet organisme, l’ouvrage de Romuald Sciora fourmille d’informations sur les années que Michaëlle Jean a passées en tant que Secrétaire générale à la tête de l’OIF, ses collaborateurs, ses principaux discours, ses principaux voyages à l’étranger durant son unique mandat, sa rencontre avec l’émissaire du Président Emmanuel Macron venu lui annoncer «  Qu’on ne veut pas de vous » et qu’elle ne sera pas reconduite, etc. Enfin, l’ouvrage se termine avec le texte de la Charte de la Francophonie en intégralité. Un document utile non seulement pour la compréhension de l’objectif de cette institution internationale mais aussi pouvant porter un éclairage sur la vision de ses Pères fondateurs. À mettre entre toutes les mains.

« Femme vaillante. Michaëlle Jean en Francophonie » de Romuald Sciora est publié aux Éditions CIDIHCA, France et Canada, septembre 2021.

 

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