Le printemps vient de nous faire ses adieux en nous laissant dans l’agonisante attente de jours meilleurs, moins sombres, moins ternes, délivrés d’un confinement qui n’en finit pas, d’une solitude qui nous vole jusqu’à la joie de nous savoir encore en vie, malgré les dangers alentour ; jusqu’au plaisir de partager avec nos proches les palpitances, les trépidances, les frissonances, les vacillances, les fibrillances d’une vie qui fuit, menacée par les caprices biologiques évolutifs d’un ennemi invisible.
« De quelle couleur sera la saison nouvelle sinon d’espoir ? », avait depuis longtemps déjà pressenti le poète. Ah ! Espoir, mot-soleil, quand tu nous tiens, quand nous te voulons principe premier de chaque pulsation de vie, de chaque précieux moment de l’aventure humaine. Espoir, toi qui portes l’humanité depuis toujours, autrement nous en serions encore à forcer Galilée à abjurer ; l’occident chrétien serait encore à mener ses folle Croisades et brûler vivants des musulmans dans des chaudrons d’huile bouillante.
Espoir, tu nous as libérés quand au Siècle des Lumières, des esprits féconds, laïques voire même athées de l’Europe du XVIIIe siècle ont donné naissance à ce mouvement philosophique, littéraire et culturel qui nous a affranchis du carcan religieux ; qui s’est opposé à la superstition, à l’obscurantisme, à l’intolérance, aux abus des Églises et des États, promouvant les connaissances, laissant ainsi libre accès à la raison, à toute une floraison, tout un épanouissement d’initiatives et de démarches en marge desquelles les différentes formes d’expression de la pensée, les sciences, allaient prendre leurs pleines lettres de noblesse.
Espoir, ce mot ensoleillé qui éclaire le chemin des marginaux, des gueux, des descamisados, des sans-logis, des sans-travail, des sans-destination, des sans-orientation, des sans-avenir, des sans-culottes, des sans-classe, des écrasés, des piétinés, des affamés, des sans-pain qu’une certaine Marie-Antoinette avait pensé ridiculiser en leur proposant de manger des brioches qui évidemment, en ce temps-là, n’étaient pas à leur portée.
Espoir, phare avancé des désespérés de l’existence en haillons, en guenilles, de ceux-là « que l’on fait taire au nom des libertés dans l’air », et qui continuent d’avancer en force, « en groupe, en ligue, en procession, de grèves en révolutions, depuis deux cents générations », à l’assaut des symboles d’injustice, d’indignité, de malédiction, de déchéance de la personne humaine. À bas les détenteurs de pouvoir, de puissance, de méchanceté qui oppriment les peuples ! À bas les prisons ! À bas les Bastille ! L’Espoir aujourd’hui, demain la liberté.
Espoir, feu de révolte, cri de liberté autour duquel la négraille à Saint-Domingue s’est mise debout dans ses sandales de dignité pour dire non à la terreur, non au fouet du commandeur, non aux supplices atroces, non au surmenage physique, non à la honte, non à l’esclavage, non à la déshumanisation de toute une race, non au viol quotidien de l’image de l’Afrique berceau de l’humanité.
Espoir, toi qui fus témoin du serment des esclaves de vivre libres ou de mourir, un soir d’orages, un soir de ténèbres mais qui fut aussi un soir de lumière qui éclaira la route vers l’insurrection généralisée. Le mouvement vif du couteau de la prêtresse fit jaillir le rouge sang de la révolte, de l’appel au feu, à la violence pour faire face à la violence du maître, à la mobilisation des masses d’esclaves pour signifier aux esclavagistes, aux représentants de la colonie que l’heure de reddition des comptes avait sonné, que la négraille à Saint-Domingue trop longtemps victime d’abus de toutes sortes, trop longtemps blessée, trop longtemps écrasée avait relevé la tête et avait dit non, non, plus jamais !
Espoir, étincelle qui mit le feu aux poudres d’une impossible résignation à la souffrance, au malheur quotidien, à l’exploitation à outrance et qui mobilisa la masse des opprimés, la masse esclave vers les champs de bataille, vers les espaces d’affrontement avec les bataillons armés de la tyrannie esclavagiste. Et ce fut la négraille, courageuse, déterminée, héroïque, avançant avec obstination sous le feu ennemi, chantant « grenadiers à l’assaut ! » Et ce fut la butte Charrier, et ce fut le génial Dessalines, et ce fut la vaillance de Capois-la-Mort. Et ce fut la liberté.
Et l’Espoir illumina Vertières d’un feu brutal, vengeur, rageur, fulgurant, étourdissant qui aveugla le colonialisme, l’esclavagisme, pulvérisa la férocité, la hautaineté, la haine secrétée par la violence du maître et de ses serviteurs militaires recouverts de leurs habits de victoire à Austerlitz, Iéna, Marengo. Ils vinrent pour vaincre les nègres ‘‘barbares’’. Pourtant, ceux-ci leur firent mordre la poussière et boire jusqu’à la lie l’humiliation d’une cuisante et inoubliable défaite, d’une capitulation sans conditions et d’une fuite honteuse et avilissante. Que vive le 18 novembre 1803 ! Que vive la liberté !
Espoir, toi l’inspiratrice de la Commune de Paris, la première et seule expérience autogestionnaire réussie, féconde, quoique sur une courte période de temps. Car elle se proposait et avait déjà mis en pratique une « révolution communale, commencée par l’initiative populaire du 18 mars, [qui] inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la Patrie ses malheurs et ses désastres ». Il manqua seulement aux prolétaires une avant-garde organisée dotée d’une plus claire unité idéologique.
L’Espoir n’abandonna pas les défenseurs de la liberté des peuples et de leurs droits à une vie digne.
L’Espoir accourut encore, quelque 45 ans plus tard, renaissant des cendres communardes, lorsqu’en ce fulgurant matin d’octobre 1917, les bolcheviques, organisés, déterminés, conduits par un leadership à l’unité idéologique claire, mettaient en déroute l’aristocratie russe et son cortège de privations, d’abus, de violences exercés contre le prolétariat et des masses paysannes gardées en respect, dans une sorte de pays en dehors, loin de tout progrès, de toute humanité. Vladimir Ilitch Lénine avait planté les semences de l’arbre socialiste dont les racines allaient croître nombreuses et profondes.
L’Espoir n’abandonna pas les défenseurs de la liberté des peuples et de leurs droits à une vie digne. Lors de la Longue Marche de Mao, à Dien Bien Phu avec le stratège Giap, aux côtés des combattants de l’Oncle Ho, l’Espoir se montra aux premiers rangs. Et ce fut la défaite du colonialisme au Vietnam et des suppôts de l’impérialisme en Chine. Celle-ci se réveilla jusqu’à devenir aujourd’hui une grande puissance militaire, économique, technologique, rivale crainte des impérialistes.
Surtout, ce fut dans les hauteurs de la Sierra Maestra que l’Espoir, éclaireur avançant avec les rebelles de Fidel et du Che, déploya ses fanions de liberté. Les batailles furent nombreuses, à force inégale, où seuls le courage et la force morale des barbudos et de leurs leaders, ainsi qu’un encadrement politique et idéologique adéquats finirent par vaincre les suppôts de l’impérialisme yankee, par amorcer une ère de changements réels et faire de Cuba primer territorio libre de América, proclamé socialiste par la suite, après la cinglante défaite infligée à la Baie des Cochons aux gusanos de l’impérialisme meriken.
Camarade Espoir, merci de te trouver aux côtés des défenseurs de la liberté et des droits des peuples opprimés à la dignité. Une autre fois, tu rejoindras assurément les masses haïtiennes pour leur plus grand combat à venir car le souvenir de Vertières est encore vivant au cœur des Haïtiens auxquels il ne manque qu’une avant-garde éclairée, unie, démocratique, courageuse, nationaliste, progressiste sinon révolutionnaire aidée de comités de quartier vigilants, disciplinés, dotés d’une profonde conscience politique pour créer un autre territorio libre de América.
21 juin 2020