Du genou et du cou

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Cest par un détour anatomique que je commence la rubrique de cette semaine. On sait que le foie, le cœur, le cerveau, les ovaires, les reins sont des organes, avec leur physiologie et leur structure histologique propre. Les genoux et le cou par contre n’ont pas droit à cette distinction. Ce sont simplement des parties du corps. Pourtant, le genou est une articulation importante des membres inférieurs. C’est en effet le genou qui assure la jonction entre la cuisse (de la hanche jusqu’au genou) et la jambe (du genou à la cheville). Disons tout de suite que le poids du corps se répartit en grande partie sur les genoux. Quant au cou, on le décrit simplement comme la partie du corps humain qui relie le thorax à la tête. Pourtant, le cou joue plusieurs rôles essentiels, dont le soutien, la mobilité et la vascularisation de la tête, le passage des appareils digestif, respiratoire et du système nerveux. Ce dernier assure des fonctions aussi vitales que la conscience, la respiration, le rythme cardiaque. C’est tout dire. Ainsi mis en perspective, voilà qui aide à comprendre comment et pourquoi le genou désinvolte et assassin du policier américain blanc Chauvine sur le cou du noir américain George Floyd pendant neuf minutes et vingt-neuf secondes a fait passer ce dernier de vie à trépas. Imaginez, c’est par le cou que passe l’artère cérébrale primitive dont les deux branches vertébrales, intra cérébrales, apportent du sang oxygéné à cette partie du cerveau qu’est le tronc cérébral responsable du contrôle de la respiration, du système cardio-vasculaire et plus spécifiquement du rythme cardiaque. 

Alors, pas besoin d’être un toubib diplômé d’une faculté de médecine pour comprendre que le poids du genou, de tout le corps de Chauvine en fait, pendant ces funestes neuf minutes et vingt-neuf secondes, avait privé le tronc cérébral de sang oxygéné, causant souffrance tissulaire extrême suivie d’interruption progressive des fonctions cardiaque et respiratoire jusqu’à arrêt complet de la respiration et des battements du coeur. Tout l’argumentaire, désespéré, des hommes de loi défendant le policier n’était que palabrerie, chauvinerie, policerie, avocaterie, mètdamerie, boulshiterie, diversion, parler en pile pour égarer, confondre le jury. Le profane, instruit de l’expérience et de la sagesse populaires, sait de quoi il retourne et l’exprime fort bien, le cas échéant ; en effet, quel haïtien n’a jamais entendu un compatriote dire : li te bezwen met pye l sou kou m ? Pied ou genou, peu importe, l’idée sous-jacente renvoie à une nuisance maligne, de la malfaisance outrée, une puissance incontrôlée, une force absolue, une manifestation de pouvoir sans retenue aucune, une révoltante absence d’éthique, d’humanité de la part du plus fort envers le plus faible. Genou sur le cou, pye sou kou. Mêmement, pareillement. 

L’adolescent-e qui n’a fait que ce qu’on est convenu d’appeler ‘‘le certificat’’ sait que depuis Boyer, la France a son genou de revanche, d’atroce méchanceté, de violence financière, oui, son genou néocolonial sur le cou de souveraineté du peuple haïtien, de la paysannerie plus spécifiquement pour arracher une criminelle et odieuse indemnité à titre de prétendu dédommagement de colons qui avaient infligé mille tortures et humiliations aux esclaves de Saint-Domingue, lesquels avaient été violemment dépouillés de leur humanité et de leur dignité. Le blan franse parti, suite à l’inoubliable râclée que Dessalines avait foutue aux soldats de Napoléon, l’aristocratie sociale et une bureaucratie inepte mise en place par les élites au pouvoir eurent vite fait de prendre la relève du colon en établissant un système de facto qui confinait la paysannerie dans les limites du ‘‘pays en dehors’’ avec pour seule fonction de produire pour l’exportation et de payer des taxes pour éponger l’ignominieuse indemnisation exigée par l’ancien colonisateur, maintenant fort de la puissance d’intimidation, de dissuasion et de feu de ses navires en rade des grandes villes côtières du pays. Le genou d’arrogance et de violence de la France, des États-Unis par la suite, allait peser pendant de très nombreuses années sur le cou d’un pays saigné à blanc mais qui ne mourra pas.

Sans oublier que le grand-père de George W. Bush, Prescott Bush, ancien sénateur américain, avait été aussi été le directeur et actionnaire de plusieurs sociétés qui ont tiré profit de leurs liens avec les bailleurs de fonds de l’Allemagne nazie dont Fritz Thyssen…

L’occupation américaine de 1915 à 1934 allait prendre la relève du colonialisme français débouté depuis l’étincelante apothéose de la victoire des va-nu-pieds à Vertières et poser son genou raciste sur le cou de la souveraineté haïtienne, sur le cou de la paysannerie appauvrie qui allait faire les frais de cette présence militaro-politique honnie par les masses de l’arrière-pays et combattue par la résistance caco guidée par le patriotisme de Charlemagne Péralte et de Dominique Batraville. Et ce fut la corvée, ce furent les exécutions sommaires ; ce fut Marchaterre, ce furent « les cinq mille Cacos qui donnèrent leur sang par toutes leurs blessure », ce fut l’ombre sinistre des uniformes kaki se projetant partout sur une terre mutilée par mille violences ; ce fut la botte yankee sur le cou de la paysannerie, ce fut la honteuse trahison de Jean-Baptiste Conzé ; ce fut, tristement, Charlemagne Péralte mis en croix sur une porte ; et ce fut aussi la trahison des élites, collaborant avec l’occupant et saluant la formation d’une Gendarmerie nationale surtout destinée à réprimer la paysannerie rebelle et toute tentative d’intellectuels nationalistes de résister par la plume.

Bien avant l’occupation d’Haïti par la soldatesque yankee dont bon nombre venait du Sud profond, raciste, et porté à la haine du nègre, le colonialisme lusophone et hispanophone s’était frayé un chemin à travers les terres latino-américaines, le genou conquérant sur le cou d’une ‘‘Amérique aux veines ouvertes’’ écrasée sous le poids de l’implacable pillage des ressources naturelles des pays conquis, de l’exploitation effrénée de leur sol ou de leur sous-sol (salpêtre, or, argent, pétrole, sucre, café, et fruits divers) par des colons assoiffés de richesses et plus tard relayés par des multinationales capitalistes rapaces, monstres lucifériens des temps modernes. Et en plus du genou asservissant des Empires coloniaux sur le cou de chaque pays conquis  pesait aussi et pèse encore le poids conjugué des aristocraties, églises, armées et polices locales dont les actions néfastes ont enfoncé les nations latino-américaines appauvries dans l’échec politique à répétition, le marasme économique, la misère de plus en plus profonde et déshumanisante. Entre-temps, le système mercantile glorifié par Adam Smith s’élevait avec arrogance dans toute sa splendeur et sa gloire. 

  Vint le président états-unien Monroe dont le genou fut, en un sens, politique, beaucoup plus oppressant que celui des premiers conquérants venus d’Europe, mandatés par une bulle de ‘‘sa Sainteté’’ le pape Alexandre VI (connu pour ses mœurs dissolues) à leurs Majestés Isabelle la catholique et son pieux époux Ferdinand II d’Aragon ; et une deuxième bulle du pape Nicolas V adressée au roi Alphonse du Portugal. En effet, le fait accompli des États-Unis qui avaient annexé jusqu’au mot « Amérique » avait autorisé Monroe à déployer sa flibustière et impériale arrogance en décrétant ‘‘L’Amérique aux Américains ’’ et que plume ne grouille ! Et la dépendance des pays envahis, politiquement désindépendantisés, devint totale. Le poids du genou impérialiste fut transmis par le relais d’une bourgeoisie industrielle ou semi-industrielle, classe dominante, elle-même à son tour dominée de l’extérieur, et du coup entravant l’industrialisation de l’Amérique latine. Celle-ci, par conséquent, s’identifiait chaque jour de moins en moins au progrès et à la libération. Le ‘‘progrès’’ se fait, jusqu’à présent, sous la houlette cinquante-étoilée des vertueux États-Unis. Apparemment les soumis en devraient être chanceux et heureux. C’est une assurance sortie tout droit de l’infaillibilité du président Taft (1909–1913): « Tout l’hémisphère sera, de fait, le nôtre comme il l’est déjà moralement, en vertu de la supériorité de notre race. » (sic, trois fois sic).

Recourons à une autre illustration, métaphorique certes, du rapport qui peut exister entre le genou et le cou. Il s’agit du comportement d’Israël envers les Palestiniens, du genou israélien étranglant le peuple palestinien et bénéficiant du plein appui moral, militaire, scientifique et économique de l’Occident, ce qui est carrément une prime à l’injustice et à la tolérance envers les crimes incessants commis sur les terres palestiniennes occupées par les forces israéliennes. À la source de ce pyesoukou israélien il y a les six millions de Juifs exterminés par le IIIe Reich sous le regard complaisant, cynique, malveyan, sordide, cupide et coupable des États-Unis qui s’attendaient à voir la Wehrmacht nazie défaire une fois pour toutes leur ennemi juré, le communisme, et occuper l’ex-URSS, avant d’intervenir pour « délivrer » l’Europe. Mais, anba anba, dans les coulisses d’affaires sordides, que s’était-il passé en fait ? À partir de documents déclassifiés en provenance des Archives nationales des États-Unis, les recherches de Charles Higham, ancien journaliste au NYT, ont montré que pendant la deuxième guerre mondiale, ces piliers du business américains que sont Standard Oil of New Jersey, Chase Manhattan Bank, Texas Company, International Telephon and Telegraph Corporation, Ford, Sterling Products, etc., etc. avaient collaboré avec le Reich hitlérien (1). Sans oublier que le grand-père de George W. Bush, Prescott Bush, ancien sénateur américain, avait été aussi été le directeur et actionnaire de plusieurs sociétés qui ont tiré profit de leurs liens avec les bailleurs de fonds de l’Allemagne nazie dont Fritz Thyssen, PDG de la plus grande compagnie d’acier et de charbon d’Allemagne.(2) Quand la ‘‘Première armée [USA] progressait vers l’Elbe à la rencontre des Soviétiques et pendant que les États-uniens en Amérique et les Britanniques sur les îles britanniques faisaient la queue aux pompes à essence, la Standard Oil of New Jersey envoyait du pétrole via la Suisse neutre pour remplir les réservoirs des blindés hitlériens [3].

C’est une politique pour faire capituler le peuple cubain par la pression économique, en limitant l’approvisionnement de Cuba en pétrole et autres marchandises.

Ah ! ti pap, konnen w pat konnen. ‘‘Quand les soldats [américains et soviétiques] avançaient vers l’Elbe [pour fraterniser], Walter Schellenberg, le chef du SD, le service de contre-espionnage de la Gestapo, était à la même époque l’un des directeurs de… l’International Telephon and Telegraph Corporation (ITT) états-unienne. Higham, l’auteur de Trading with the Enemy a établi que pendant la guerre, le patron d’ITT, Sostenes Behn, s’était rendu de New York à Madrid et à Berne pour envisager les moyens à mettre en œuvre pour affiner les systèmes de communication de l’armée allemande [4]. Il y a eu donc double jeu des États-Unis jusqu’à la fin du conflit : d’un côté l’action héroïque de ses soldats contre la Wehrmacht, de l’autre le commerce secret de son grand patronat avec le Reich. De ce débordement de sordide et honteux double jeu, naquit un sentiment collectif de culpabilité au niveau des plus hautes instances civiles et militaires états-uniennes coupables d’homicide duplicité et de répugnante complicité dans l’extermination de six millions de Juifs. Ce sentiment de culpabilité fut récupéré par les agents du sionisme ultrareligieux anxieux de récupérer, par la violence, des terres séculairement palestiniennes, ‘‘leur terre’’ selon La Torah. L’Europe joignit les États-Unis dans un strident concert de soutien aveugle d’Israël. Depuis, c’est une agression permanente, impunie, contre le peuple palestinien victime aujourd’hui d’un humiliant apartheid source de multiples souffrances tant physiques que morales.

Pour terminer cette pyesoukouterie, l’embargo économique et les multiples agressions physiques contre Cuba, contre le peuple cubain, contre une révolution anti-impérialiste exemplaire, représentent la plus belle et signifiante illustration du genou du puissant sur le cou du plus faible. Depuis plus d’un demi-siècle les forces du mal capitaliste états-unien se sont liguées contre la Révolution cubaine. Cette ligature (pardonnez ce néologisme osé) trouva toute sa perversité dans le fameux mémorandum de Lester Mallory, un bureaucrate du département d’État des États-Unis en 1960. Le con disait, en substance, que la révolution cubaine avait un large soutien au sein de la population cubaine, que pour renverser la révolution cubaine, les États-Unis se devaient de faire capituler le peuple cubain par la faim, en imposant des pressions économiques, un blocus quoi.

L’embargo a commencé avec le président John F. Kennedy dont le principal argument justificatif concernait les relations entre Cuba et la République populaire de Chine ainsi que l’ancienne Union soviétique. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’Union soviétique et la Chine est le plus grand partenaire commercial des États-Unis. Quelle ironie ! Et tous les gadgets sont ‘‘made in China’’. Epi epi, anyen! De la pure propagande. Sous la gouverne de Trump, Cuba a eu à faire face à environ 235 nouvelles initiatives dans une variété de secteurs. C’est une politique pour faire capituler le peuple cubain par la pression économique, en limitant l’approvisionnement de Cuba en pétrole et autres marchandises. Soixante ans de blocus, de conneries, de présidenterie, de torricellerie, d’entataderie, de tromperie et de trumperie, non, c’est trop. Soixante ans d’une politique ratée, d’un fiasco, d’une conneritude qui n’en finit pas. Il est plus que temps de lever le genou impérialiste sur le cou de la Révolution cubaine.

Sans aucun doute le genou du policier Chauvine sur le cou de George Floyd a interféré avec la circulation de sang et d’oxygène dans son cerveau. Et comme il était seul contre la perversité d’un malfecteur, son système cardio-vasculaire n’a pas pu résister. Mais nous en sommes certains, les peuples haïtien, latino-américain, palestinien, africains et d’autres peuples sous le genou d’exploitation des puissants, locaux et internationaux, ne mourront pas, car ils ne sont pas seuls.  

  1. Trading with the Enemy. An Exposé of the Nazi-American Money Plot. 1933-1949. (Commerce avec l’Ennemi. Révélation du complot financier américano-nazi de 1939-1949). Charles Higham, Delacorte Press, New York.
  2. Comment le grand-père de Bush a aidé Hitler à accéder au pouvoir. The Guardian. 25 septembre 2004
  3.  « Exxon-Mobil, fournisseur officiel de l’Empire » par Arthur Lepic, Voltaire, 26 août 2004.
  4. The Sovereign State. The Secret History of ITT par Anthony Sampson, Hodder and Soughton éd., 1973.

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