Il y a environ 65 ans, Nemours imposait officiellement le konpa dirèk… (3)

Dossier Musical

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Super Combo de Nemours Jean-Baptiste.

La domination de ce rythme a coïncidé aussi avec la démence duvaliériste, qui a voulu bien s’en servir comme la résonnance d’une monoculture au détriment  du pluralisme culturel. Toujours avec la complicité des programmateurs et des affairistes.  Ce qui apparemment se passait aussi en Amérique du Sud, notamment au Brésil, où les militaires au pouvoir pour minimiser la portée du bossa-nova, concocté par les musiciens engagés et exilés ont préféré faire la promotion du tropicalismo ainsi que le samba-boléro et carnavalesque avec leurs lyriques à l’eau de rose. Ce qui allait être consolidé avec la génération des ‘’mini-jazz’’ avec son fumet dadaïste.

Le duvaliérisme a infusé aussi ses extravagances dans l’arène du konpa dirèk avec la “danse du révolver,” introduite en 1959 à Cabane Choucoune. Lorsque les macoutes et militaires aux épaules carrées, dansant la main sur la gâchette, tout en s’offrant par la force les dames de ceux venus au bal. Pour eux, c’était une sorte de revanche ; lorsqu’ils ne pouvaient se permettre de mettre les pieds dans ces endroits ou danser ce groupe qui était le privilège de la gent estudiantine et des gens de bien. Et conséquemment, qui vu l’évaporation du style ‘’ball-room’’ et d’un public émancipé. Mais, malgré tout, la liesse du konpa dirèk est allé en grandissant, jusqu’à incarner une attitude et même une identité nationale. Trônant allègrement, même à l’extérieur, NJB fit de sa création un rythme à part entière, au même titre que les multiples paramètres d’Haïti.

En tout cas, le succulent konpa dirèk s’en est allé allègrement aux quatre coins du monde, pour faire jaillir le renom d’Haïti. Spécialement en République Dominicaine où le dictateur Joaquim Balaguer en avait fait son groupe de prédilection. Outre dans l’ile voisine, les “rouge et blanc” se sont taillés une certaine renommée en Amérique du sud; notamment en Colombie, Venezuela, Panama, à Paris,  New York,  Porto Rico,  Trinidad, les Bahamas et certainement dans les Antilles françaises dont: la Guadeloupe, la Martinique et les Guyanes françaises qui sont tombés folles d’amour pour le konpa. Partout où il s’est  produit l’«Orchestre de Nemours», s’est montré toujours irrésistible. Même quand il semblait vaciller, ce groupe revenait plus fort comme au beau milieu des années soixante, lorsque l’un de ses stratèges, en l’occurrence l’accordéoniste Richard Duroseau a mis fin à sa collaboration au désespoir des fanatiques de Nemours.

Mais c’était plus de peur que de mal, puisque avec la venue du pianiste et organiste virtuose Wagner Lalanne, du sang neuf fut impulsé. Ce qui nous plonge dans la phase explosive de l’«Ensemble Nemours Jean Baptiste», qui s’est installé en une grande institution nationale. Tout en faisant force commune régionalement avec «El Gran Combo», de Porto Rico, Johnny Ventura et son Combo” de la République Dominicaine (un autre mordu du konpa), composant une sorte de trinité musicale des Caraïbes. Après avoir régné durant une décennie avec son orchestre, Nemours devait faire face dès la fin des années 1960, à la montée des mini-jazz, qui éventuellement vont lui ravir son public jeunot. En fait, tout au long des sixties, la révolution musicale des « Beatles » avait changé les donnes, faisant effet de boule de neige à travers le monde. Et c’est dans ce nouveau format allégé que les nouveaux groupes : « Shleu-Shleu », « Ambassadeurs », « Fantaisistes », « Bossa Combo », « Tabou Combo » etc. composés d’adolescents vont s’affirmer.

le succulent konpa dirèk s’en est allé allègrement aux quatre coins du monde, pour faire jaillir le renom d’Haïti.

Ayant eu à administrer ce revers au «Jazz des Jeunes», Nemours savait plus que personne ce que c’était que d’être talonné par une nouvelle génération. Il l’avait d’ailleurs déclaré à Wagner Lalanne: “L’essentiel, c’est de savoir se retirer à temps.” Plutôt que de se faire emporter par la vague mini (3). C’est l’inventeur du konpa lui-même, Nemours Jean- Baptiste, qui a concocté le terme mini-jazz*. Au cours d’un bal à Cabane Choucoune où les «Shleu-Shleu» jouaient pour la première fois. Justement durant un intermède d’une prestation de l’«Orchestre Nemours Jean-Baptiste» ; en s’imposant si impeccablement, grâce à des instruments usagés de Nemours prêtés à “Dada”Djakaman, l’imprésario du groupe. Plus tard, s’adressant à ce dernier, le roi du konpa lui dit: “Tu es tellement entiché de mon orchestre que tu as formé un mini-jazz”(4). Evidemment, c’était par référence à la mode de “mini-jupe” (jupette à ras le cul, par rapport au “maxi”, robe longue de gala qui représentait les ‘’big- bands’’). Eventuellement,  il décide de s’expatrier à New York en 1969.

Au “state”, il trouve une communauté en gestation, que Raymond et Wébert Sicot, Raoul et Raymond Guillaume  (en exil), les Duroseau: Mozart, Richard et Kretzer, Pepe Bayard, Garry French entre autres, avaient déjà fait leur nid. Il forme un combo qui a fait les délices de ses anciens admirateurs immigrés et exilés. Notamment, au club “Casa Borinquen” de Brooklyn (à l’endroit où se trouve ‘’Lindo Furniture’’ sur Pitkin avenue), et au “Casa Caribe” à Manhattan. Pourtant, Il revient bien vite au pays. En essayant tant bien que mal de reconstituer un groupe sous le nom de «Super Combo», et se payait même le luxe d’un ultime succès avec les morceaux aux refrains contagieux: ‘’Gason nou nan ka, fanm fèm karate…’’ et ‘’Nou pral kontrole mini yo, pou moun ka jwenn bèl mizik…Remettant toute son énergie pour reconquérir son trône dans l’effervescence des mini jazz qui menaient la danse.

Ce relais musical qui va pourtant le perpétuer avec sa vogue éphémère ; tout en pointant du doigt  les limites d’une monoculture. En fait, les mini jazz vont aussi faire face à l’invasion antillaise de kadans lipso et de la biguine. Une occasion heureuse pour prouver les autres dimensions de la diversité rythmique native. C’est l’époque où le « Septent » et surtout le « Tropic » vont finir par s’affirmer sur tout le territoire national, avec la meringue pastorale ’’boule de feu’’ et le ‘’kadans plake’’ ; en cessant d’être des groupes régionaux. Puis, après un fabuleux début comme troubadour à la tête de son trio, Gesner Henri apporte avec son « Ensemble Select » son rythme koupe au répertoire public ; devenu depuis patrimoine national. C’est aussi l’instant où « Les Frères Déjean sont reconnus après une décade à se prouver avec un horn section sorti de l’ordinaire et qui va laisser son empreinte globale. Puis, les troubadours ‘’Rodrigue et Toto’’ sont révélés. L’honneur citoyen est donc sauf. Mais la fin de cycle de la génération des mini- jazz allait en même temps renouveler le konpa dans sa multiplicité.

Tout cela dans la germination d’une sonorité en état de fusionnement, dominée par les résonances de la musique soul, aux multiples effets de la ‘’motown sounds ‘’, de la culture pop ; aux prémices de la musique funk. En plus de la bossa nova et de la samba brésiliennes et du disco français. Des percées africaines de Makeba, de Masakela  et de Dibango. Et des multiples sonorités latines et caribéennes. Pour cela, il a fallu passer par les grands moyens. A commencer par s’étoffer de motifs et d’un retour au format full band. En plus de la venue de vrais instructeurs et arrangeurs pour mettre un point final à l’amateurisme et retrouver les notions de base. Dans cette veine, seul le « Bossa Combo » au pays, en s’accommodant d’un professeur aussi célèbre en la personne de Michel Desgrottes a pu passer le cap des mini jazz et maintenir un konpa de souche en ‘’big band’’, au moins jusqu’à la débâcle de NY. Quant au « Caribbean Sextet » sorti des mêmes épanchements fusionnés et de sensibilités jazzy explorés par l’« Ibo Combo » depuis les sixties, le groupe a préservé cette tradition qui est resté bien vivace autour d’un super élaborateur nommé Régi Policard. Et un groupe au sommet de son art. Quant aux « DP Express » avec sa meringue (lipso) en liesse, et à partir de Ti Manno un konpa compassé. Et le « Scorpio » avec son konpa tous-azimuts ; ne furent qu’une réponse instantanée à l’invasion antillaise.

A suivre

Notes : Tirés des ouvrages : ‘’Tambours Frappés…’’-2001. Les 100 Plus Influents…’’-2011.Ed Rainer Sainvill.

3- Le mot “mini” s’est imposé dans la deuxième moitié des sixties sous l’impulsion de la styliste nord-américaine, Mary Quint avec sa fameuse invention du “mini-skirt” (mini-jupe). 

4- Voir ‘’La chanson d’Haïti’’ de Ralph Boncy.

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