Donne-nous donc une petite lòsyè, docteur Yves Cadet

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Dr Yves Cadet

C’est devenu un truisme de dire que le phénomène de l’insécurité a pris des proportions extrêmement alarmantes en Haïti. Nul n’est à l’abri. Les criminels agissent pratiquement à visage découvert, se font de plus en plus menaçants, de plus en plus dangereux, de plus en plus sinistres, de plus en plus terrifiants, de plus en plus agressifs. Ce sont de véritables monstres qui se mêlent à la foule, terrorisent la population et tuent partout, à toute heure, n’importe qui, n’importe quand, n’importe comment. Nul ne peut se dire être à l’abri. On sort de chez soi, la peur au ventre, habité par cette étrange et presque paralysante sensation qu’on pourrait être une énième cible des malfrats. Le pire c’est qu’on se sent totalement impuissant face aux violences et à l’insécurité. Et seulement exceptionnellement arrive-t-on à mettre la main au collet des assassins pour les livrer à la justice. Plus souvent que non, l’enquête se poursuit…

Il serait à la fois fastidieux et douloureux de procéder à rapporter le nombre des victimes d’une violence criminelle galopante dont on ne voit pas comment elle va finir par s’arrêter. Le cas le plus emblématique et qui a aussi le plus révolté et indigné la société est sans doute celui de la jeune étudiante de 23 ans, Lencie Mirville, kidnappée le jeudi 3 décembre 2015. Elle a été torturée et assassinée, malgré une rançon versée en partie aux ravisseurs. Le corps meurtri était retrouvé au fond d’un ravin le mardi suivant.

Les meurtres crapuleux les plus récents – du moins au moment où nous écrivons – sont ceux de Michel Stéphane Bruno et de Pierre Yves, respectivement employés par la Sogebank et la compagnie Digicel, sans oublier celui de Whilems Edouard, poète, avocat et journaliste, survenu le 8 juillet écoulé, à Pétion Ville. À ces trois là, il faudrait assurément ajouter plus d’une cinquantaine de victimes, dont des policiers, entre 2012 et juillet 2016. Il ne fait aucun doute que l’impuissance des autorités concernées à démasquer les malfrats, à les neutraliser à temps, à les livrer à un système judiciaire décrié du reste et suspect de complicité à certains échelons, suscite dans la société haïtienne méfiance et terreur. La peur de l’escalade des crimes ne peut que terrifier le citoyen et entretenir une paranoïa bien compréhensible.

Mon propos, en évoquant ces cas de violence criminelle, n’est pas de me livrer à une analyse même limitée des causes de l’insécurité au pays. D’autres l’ont fait avant moi. J’ai voulu plutôt m’intéresser aux considérations relatives à cette insécurité ainsi qu’elles ont été exprimées à diverses reprises par un confrère, le docteur Yves Cadet, connu pour être un expert en matière de police et de justice criminelle. Deux entrevues, l’une accordée à Wendell Théodore au cours de sa rubrique Le Point, sur Radio Télé Métropole, en décembre 2014, l’autre à Marie Lucie Bonhomme Opont, sur Vision 2000, le 11 juillet dernier, m’ont permis de cerner la pensée dudit expert et aussi de débusquer pourquoi le confrère s’acharne à plaider sa cause sans pouvoir être entendu par les instances de l’État supposé être concerné par la problématique de l’insécurité.

De façon globale, l’impression qui se dégage de ces deux interviews, c’est qu’en matière de sécurité, en matière de mise à profit, d’efficacité de la police, Cadet serait –semble-t-il – le mieux placé, sinon le seul à pouvoir juguler le phénomène insécuritaire, du moins sur le court terme: « moun ki konnen k ap mete ak lapolis pou devlope estrateji à court terme». Par moun, il doit sous-entendre un expert comme lui. Cette impression est d’autant plus claire que le docteur Cadet avance que les éléments administratifs qui forment le Conseil supérieur de la Police nationale (CSPN), soit le premier ministre, le ministre de la Justice, le Secrétaire d’État à la Sécurité publique «ne savent qu’écrire le mot sécurité, parce que c’est un mot français».

De l’avis de Cadet, le CSPN est une structure «fictive», encore que «l’esprit constitutionnel de ce Conseil soit bon». Les mecs qui prennent les décisions au plus haut niveau exécutif sont «dépourvus de connaissance en matière de police». Ils sont à leur poste sur des bases  politiques, claniques. À titre d’exemple, il cite le cas de Réginald Delva qui «se faisait passer pour un spécialiste en matière de police alors qu’il n’en était rien». Cadet s’interroge: « Quelle stratégie a-t-il mis en place? Quels résultats?» Par la suite, il a été même «récompensé», il a été nommé ministre de l’Intérieur.

À la vérité, Delva et d’autres avant ou après lui, n’ont pas donné de résultats non pas parce que «dépourvus» des capacités techniques rattachées à la fonction du «spécialiste», mais pour d’autres raisons que je développerai plus loin. Pour illustrer mon propos, je prends le cas de feu Auguste Maingrette, en passant, qui n’était pas médecin. Pourtant, il a été, dans les années 40, un excellent administrateur de l’hôpital de Petit Goâve, selon feu le docteur Henri Domond qui fut notre médecin de famille. Quelque vingt-trois ans plus tard, en tant qu’externe puis interne des hôpitaux d’Haïti, j’ai connu l’excellent et efficace administrateur du sanatorium de Port-au-Prince que fut Maingrette, un homme honorable, consciencieux, droit.

Cette institution hospitalière n’avait rien à envier – pour l’essentiel administratif et technique – à n’importe quel hôpital de moyen calibre canadien ou états-unien. Le Sana ne manquait de rien. Il a commencé à péricliter lorsque, en 1961, Duvalier fit remplacer Maingrette – trop honnête à son goût – par un type qui décherpilla  le budget du sanatorium à bride abattue. Du nom de Wilfrid Noncent, je connaissais très bien le mec; en effet il avait épousé une de mes cousines. C’est dire que l’efficacité, ou l’inefficacité des membres du CSPN n’a rien à voir, forcément, avec leur connaissance technique des affaires de police et de justice criminelle.

Le docteur Cadet a raison de dire que le «concept de sécurité poko ateri en Haïti, [d’autant qu’] aucun gouvernement n’a jusqu’ici présenté de politique de sécurité». Selon lui, «La sécurité est une affaire trop complexe pour être du seul ressort de la police. Il revient à l’État, au plus haut niveau, de charpenter une politique de sécurité publique qui prenne en compte tous les éléments», y compris, et surtout, «l’apport populaire». «Nous avons exclu la société du problème, [or] kriminèl la se nan sosyete a li ye, se sosyete a ki konnen sa k ap fè krim yo». Avouons que le docteur Cadet n’a pipé mot du mode éventuel d’articulation entre sosyete a et l’État pour faciliter le travail de détection et d’arrestation des malfrats par la police.

Le docteur Cadet m’a laissé sur ma faim quand Wendell Théodore lui a demandé: « À voir l’état des choses, doit-on conclure qu’on a affaire à un État faible, un État en faillite? » Et le toubib de répondre sur un ton très politicien: «Se ou k konnen, mwen pa nan leta a». Lui qui sait mieux que quiconque que Martelly a laissé en héritage au prochain président (légitime et permanent) non seulement un État en faillite, mais encore un État en décomposition.

Toutefois, nous apprenons que Cadet avait approché le gouvernement Martelly pour lui proposer d’éliminer le poste de Secrétaire d’État à la Sécurité publique, une position «fictive», pour le remplacer par celui de Secrétaire à la Sûreté publique. Martelly, antinational, antipeuple comme il l’est, n’était intéressé ni à l’un ni à l’autre. Comment l’idée même d’un tel changement, par le truchement de Micky, a-t-elle pu traverser le cerveau de Cadet qui devait assurément savoir que Martelly, un «bandit légal» essentiellement immoral, n’avait aucun penchant à renforcer l’institution policière en comptant sur «l’apport populaire»?

Nous apprenons également que ce changement de terminologie (Sûreté versus  Sécurité), selon Cadet, «permettrait à l’État de rantre yon pakèt lajan», ce qui aiderait à «mettre de l’ordre» (sic) dans le désordre insécuritaire. Martelly avait-il soupçonné, à tort ou à raison, que Cadet comptait peut-être gérer à son profit ce paquet d’argent? Un peu comme lui, Martelly, gérait la poule aux oeufs d’or qu’était (et est encore) son Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire (PSUGO). Impossible à savoir. Comme, sans doute, Cadet n’avait pas révélé le modus operandi de sa proposition génératrice de billets verts, Micky l’aurait envoyé péter dans les fleurs.

Éventuellement, Cadet en est venu à parler du communiqué du ministère de la Justice enjoignant aux policiers d’exercer un contrôle plus strict sur les motos, largement associées à la criminalité qui fait rage dans le pays. Apparemment, la PNH aurait dépossédé nombre de propriétaires de leurs motos sur simple soupçon d’être des présumés malfaiteurs. Cadet a expliqué que ce n’est pas la meilleure façon de s’y prendre, car les activités des motards donnent à manger à des centaines de familles. Il a alors avancé qu’il a sa propre stratégie après avoir étudié le problème. «Même avec 4 millions de motos, li pap(sic) menm, il ne devrait pas y avoir autant de criminalité», a assuré le doc.

  • Alors, quelle est cette stratégie? demande madame Bonhomme.
  • Non, ah! Marie-Lucie. Une stratégie comporte yon pakèt eleman. Je ne peux pas avoir une stratégie et l’étaler ainsi à la radio, devant le monde entier. C’est une stratégie à discuter avec les responsables. Je lui fais confiance d’ailleurs.

Quelle discrétion! Quelle réserve! Quelle réticence! Quelle retenue! Pour quoi faire?

Toutefois, Cadet s’empresse d’ajouter que sa stratégie n’apportera pas de solution soutenue au problème de l’insécurité qu’on ne peut solutionner dans l’urgence. Il faut de bonnes bases structurelles, des mesures structurelles appropriées pour résoudre le problème sur le long terme. Ce avec quoi nous sommes absolument d’accord. Et là je reviens à Reginald Delva et aux autres qui sont sans doute «dépourvus de connaissance en matière de police». Il y a pourtant de bonnes raisons à leur incompétence et inefficacité. Contrairement à Auguste Maingrette, ils ne sont pas honnêtes: ils sont venus s’emplir les poches, ils n’ont aucun sens administratif, et surtout, aucune volonté de prendre – de concert avec un Yves Cadet par exemple – les mesures qui sur le long terme conduiraient à un minimum de résultats qui feraient baisser un tant soit peu, sinon considérablement l’insécurité.

Je donne à Cadet le bénéfice du doute. Je crois qu’il est sincèrement intéressé à voir de vrais techniciens s’intéresser à la chose publique, à kwaper le banditisme et la criminalité. Toutefois, son inconscient l’a trahi quand il a laissé tomber: « Si minis lajistis la vlem pap (resic) chèche djòb, m pap (sic) chèche pozisyon, m pa bezwen djòbm ap chita avè l, n ap diskite men la façon de faire». S’il n’a pas besoin de position dans l’État, si l pa bezwen djòb, de quoi se défend-il? Pourquoi se défend-il? C’est peut-être, là, la vraie raison pour laquelle le confrère s’acharne à plaider sa cause sans pouvoir être entendu par les instances de l’État supposément concernées par la question de l’insécurité. Grosse affaire.

Donne-nous donc encore une petite lòsyè, docteur Yves Cadet.

18 juillet 2016

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