Au train où vont les choses, le Premier ministre a.i, Ariel Henry, a tout intérêt à reprendre en main la situation au plus vite tant sur le plan externe qu’interne s’il veut garder le pouvoir. En plus de nombreuses manifestations de la population contre la vie chère et pour son départ de la Primature qu’on observe ces temps-ci dans le pays, sans compter les menaces du Président du Sénat, Joseph Lambert, il faut signaler que, depuis le début du mois d’août, il y a du rififi dans son entourage politique immédiat. Le moins qu’on puisse dire, rien ne va plus entre ses plus fidèles supporters à la tête du pouvoir. Le Secteur Démocratique et Populaire (SDP), fer de lance du gouvernement et de l’Accord du 11 septembre, est dans la tourmente. Ses trois principaux dirigeants, André Michel, Marjorie Michel et Nènel Cassy sont à couteaux tirés pour des raisons diverses.
Autant les Michel (André et Marjorie) sont dans la continuité et s’accrochent aux baskets de Ariel Henry, histoire de profiter au maximum des bienfaits du pouvoir en dépit de l’échec évident de la Transition, autant l’ancien sénateur des Nippes, Nènel Cassy, plus malin et sans doute plus politique et prévoyant, pense s’en sortir à bon compte en retirant son soutien au locataire de la Villa d’Accueil. Il faut dire que cette conjoncture n’annonce rien de rassurant pour le chef de la Primature. Mise à part la contestation populaire en continu de ce début du mois de septembre, au cours du mois d’août 2022, c’est à un flot de déclarations, les unes plus violentes que les autres, qu’on avait assisté sur la conduite de la Transition par les propres alliés du régime. Dans une floraison de Conférence de presse, les partenaires du gouvernement, tous, signataires de l’Accord du 11 septembre dit de Musseau qui vient de fêter son premier anniversaire, ne cessent de reconnaître que le Premier ministre a.i a échoué dans sa façon de conduire la Transition. Ils reconnaissent tous qu’à aucun moment ledit Accord n’a été mis en œuvre selon les prévisions. Une grande partie des alliés du pouvoir admet sans ambages que l’Accord du 11 septembre est caduc.
Du Président du PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale), Liné Balthazar sur radio Magik9 à l’ancien patron du Mouvement Troisième Voie (MTV-Haïti), Dr Réginald Boulos, toujours sur Magik9 en passant par Nènel Cassy, il n’y a qu’un seul constat : l’Accord de Musseau est caduc et inopérant. Il n’y a que le duo André Michel et Marjorie Michel qui se sente confortable avec la marche du gouvernement et appelle tout le reste des signataires à continuer d’apporter leur soutien au Premier ministre qui commence à se poser sérieusement des questions sur l’avenir de la coalition, voire sur sa présence à la tête du gouvernement en cette période plus que difficile. Mais, le cas le plus emblématique demeure le départ de ce pilier qu’est Nènel Cassy du SDP, tout au moins cette brèche qu’il a ouverte au sein de ce mouvement qui a tant fait parler de lui durant la présidence de feu Président Jovenel Moïse. Si on a bien compris le sens de la déclaration de cet ancien sénateur neo-lavalassien, lors de sa Conférence de presse du mardi 2 août 2022, il semblerait que lui et ses amis ne soutiennent plus le pouvoir en place en se retirant aussi de l’Accord de Musseau.
Tout de même, l’ex-parlementaire des Nippes a laissé planer un doute sur son avenir au sein du SDP. En effet, il n’a pas dit explicitement qu’il abandonnait le navire « Moi, dirigeant du SDP, des cadres et des militants, quittons l’Accord du 11 septembre. Nous ne sommes plus liés à Ariel Henry », a avancé Nènel Cassy. Une déclaration très ambiguë dans la mesure où il n’a pas dit : nous quittons le SDP. Est-ce que ce départ signifie que lui et ses amis prennent aussi congé du parti d’André Michel ? Cela reste à clarifier, donc on est dans le flou. Sauf que, quelques minutes seulement après cette déclaration plutôt confuse de l’ancien élu des Nippes, les responsables de l’aile dure du Mouvement n’avaient pas tardé à réitérer leur attachement indéfectible au pouvoir et au passage égratigner ce groupe de dissidents.
Me André Michel, Marjorie Michel et Ricard Pierre, ministre de la Coopération et Planification du SDP dans le gouvernement, dans un Communiqué, ont profité pour dire tout le bien qu’ils pensent de l’Accord du 11 septembre et affirment avoir demandé une rencontre avec Ariel Henry afin de discuter sur divers sujets relatifs à la conjoncture politique et sociale du pays. « Le SDP, quoique insatisfait jusqu’à présent du bilan de la gouvernance actuelle, pour rien au monde, ne fera ni de saut dans l’inconnu, ni d’alliance malsaine avec des Secteurs mafieux au détriment des intérêts des masses démunies. Le SDP réitère très fermement son attachement à l’Accord du 11 septembre 2021 dont il exige encore une fois la mise en œuvre totale. Le Directoire du SDP a déjà sollicité du Premier ministre Ariel Henry une rencontre spéciale pour discuter des préoccupations de la population haïtienne, telles que : la sécurité du pays et la lutte contre le kidnapping, la poursuite du dialogue, la nécessité d’opérer des changements dans les Collectivités, les Délégations et Vice-délégations, la performance du gouvernement, la chute de la gourde et la nécessité d’accroître la lutte contre le trafic des armes et des munitions.
Le SDP réitère sa volonté de continuer à se battre pour l’application pleine et entière de l’Accord du 11 septembre 2021. Car le SDP croit fermement que ledit Accord comporte toutes les revendications populaires, les fondamentaux de la lutte du peuple haïtien (…) Le SDP demande à ses dirigeants nationaux et intermédiaires, ses militants et ses sympathisants de garder leur calme pour favoriser l’harmonie au sein de notre mouvement Politique » notent ces trois dirigeants dans leur Communiqué datant du 2 août 2022 en réponse à Nènel Cassy qui pense pouvoir détacher SDP du navire d’Ariel Henry.
Est-ce une guerre des chefs et de leadership qui s’installe au sein de ce Mouvement radical qui a été une révélation durant la présidence de Jovenel Moïse ? C’est la question que certains se posent avec cette scission qui se profile à l’horizon. D’autres se demandent si Nènel Cassy en vieux routier de la politique haïtienne ne cherche pas à tenter une OPA politique sur le SDP en essayant de casser sa radicalité en vue d’un rapprochement de l’Accord de Montana malgré la piètre performance de celui-ci depuis plus d’une année d’existence lui aussi.
En effet, plus d’un sont surpris de l’emphase et de la tonalité du discours de ce membre du SDP lors d’une Conférence de presse. Un discours qui est à l’opposé de celui de ses anciens collègues du SDP sur la Transition. Ce discours le rapproche d’avantage de l’Accord du 30 août dit de Montana s’agissant du point d’achoppement qui a toujours fait échec à chaque tentative de pourparlers entre le Bureau de Suivi de l’Accord de Montana (BSA) et le Premier ministre et ses alliés. Sans trembler, Nènel Cassy qui était accompagné d’un nombre conséquent de militants du SDP annonce : « Aujourd’hui Ariel Henry est seul avec quelques amis. Il a passé un an au pouvoir et le pouvoir monocéphale n’a donné aucun résultat. Le pays a besoin d’un Exécutif bicéphale. Le Premier ministre Ariel Henry doit tirer les conclusions. Il doit faire un choix, le meilleur pour le pays ». Personne dans la salle ne s’attendait à ce positionnement sur l’architecture du Pouvoir exécutif de la part d’un dirigeant du SDP qui a mis un point d’honneur à ne pas négocier un Exécutif nonocéphale.
Tout en mettant les deux Accords sur un même pied d’égalité estimant d’une part que l’un est « caduc » et d’autre part que l’autre est « périmé », celui-ci demande aujourd’hui aux différents secteurs de se mobiliser afin d’obtenir la démission du Premier ministre. Nènel Cassy croit définitivement que seul un pouvoir dirigé par un Président de la République et un Premier ministre, chef de gouvernement, en d’autres termes un Pouvoir exécutif à deux têtes, pourra permettre un consensus politique. « L’Accord du 11 septembre est caduc. L’Accord de Montana-Pen a expiré depuis le 7 février 2022. Nous exigeons un nouvel Accord ou un Pacte politique pour un nouveau gouvernement avec tous les secteurs, un Exécutif bicéphale afin de faciliter le retour à la paix et à la sécurité » a insisté l’ancien parlementaire.
Dans la foulée, celui qui se croyait encore dirigeant du SDP dit que son Mouvement ne reconnaît aucun membre dans le gouvernement dirigé par Ariel Henry pour répondre à une question sur la participation de Ricard Pierre au Cabinet ministériel : « Le Secteur Démocratique et Populaire ne reconnaît plus Ricard Pierre, un des membres du SDP actuel ministre de la Planification et de la Coopération au sein du gouvernement de Ariel Henry », dit-il. Alors qu’au même moment, celui-ci, avec les deux Michel signent une note pour dénoncer la sortie assez scabreuse de son ancien collègue au Sénat de la République. La scission que tente de fomenter Nènel Cassy au sein du SDP ne surprend pas tout le monde, en tout cas, pas tous les observateurs de la politique haïtienne. Le SDP est un mouvement politique dont les fondateurs ont toujours été sur le plan politique et idéologique à l’antipode les uns des autres. Rien ne lie idéologiquement un Nènel Cassy à un André Michel.
Pareil pour Marjorie Michel et André Michel que tout sépare politiquement. L’union de ces personnalités politiques est une alliance contre nature qui s’est fabriquée au plus fort des mouvements de contestation contre la présidence de Jovenel Moïse. Rien sur le plan idéologique ou philosophique ne les unit, seul l’anti-PHTK et Martelly et leur opposition acharnée contre le feu chef de l’Etat les rapprochent. Purs produits du Mouvement Lalavas des années 90, Nènel Cassy et Marjorie Michel, politiquement parlant, sont à mille années-lumières de Me André Michel. Alors que celui-ci vient de la droite extrême, Marjorie Michel et Nènel Cassy sont des fille et fils légitimes et enfants gâtés du Mouvement Lavalas historique, c’est-à-dire Lavalas des premières heures aux côtés du Président Jean-Bertrand Aristide. Ce sont ces deux-là, devenus des fils prodigues avec ceux qui sont restés fidèles à l’ancien Président, qui menaient les combats contre, justement, le Groupe des 184 dit Mouvement GNB dirigé par André Apaid Jr et André Michel à l’époque étudiant et militant actif et ultra-mouvant. Jusqu’à la fin de son mandat de sénateur, Nènel Cassy était un des membres influents du Directoire du parti de Jean-Bertrand Aristide.
Quant à Marjorie Michel, lavalassienne extrémiste dans le temps, elle a été non seulement un haut cadre du parti mais a occupé des fonctions gouvernementales durant la présidence de Titide comme elle l’appelait aussi. Mais, par pur opportunisme politique, Marjorie et Nènel se sont fourvoyés et ont pris dans un premier temps des trajectoires inverses avant de se retrouver au sein de l’organisation de Me André Michel qui lui n’a jamais varié ni changé de cap politique. C’est un homme de droite qui assure son positionnement politique sans jamais renier son passé. Ce sont les deux girouettes qui sont venus le trouver soi-disant pour mener une lutte commune contre le feu Président Jovenel Moïse. En réalité, Marjorie Michel et Nènel Cassy n’ont rien à voir avec André Michel qui les considère toujours comme étant des lavalassiens pur sucre. Ce sont les conjonctures politiques et leur opportunisme qui les ont amenés à accepter le leadership de leur pire et ancien adversaire politique. Tout le monde le sait, ces alliances de circonstance n’amèneront nulle part.
Tôt ou tard, cela se disloquera et il ne restera que les décombres. Nènel Cassy qui est un vrai politique et peut-être ayant du flair sent que ce mariage forcé avec Me André Michel et son SDP qui s’accroche à un pouvoir sans avenir juste le temps de faire un peu d’argents a tout simplement préféré prendre les devants en annonçant avoir quitté l’Accord du 11 septembre sans pour autant spécifier qu’il tourne aussi le dos au SDP. Une façon de semer la confusion et l’ambigüité au cas où le vent tourne dans les jours et mois à venir. Ainsi, il a pris le soin de prétexter « Nous avions signé cet Accord politique pour l’instauration d’un climat sécuritaire, pour le procès PetroKaribe, la réalisation de la Conférence nationale souveraine, le traitement de l’affaire Dermalog. Mais, en guise d’amélioration de la situation, les gangs ont proliféré. Il n’y pas de sécurité. Lors des discussions pour la signature de l’Accord, Ariel Henry avait donné pleine garantie de la satisfaction des revendications ».
Ce départ très médiatique de l’Accord du 11 septembre entre indiscutablement dans une stratégie de l’ancien lavalassien qui, comme l’a écrit Haïti Liberté, l’ancien sénateur des Nippes prépare déjà le terrain pour une nouvelle candidature au Sénat au moment opportun. N’empêche, Nènel Cassy et ses amis, entre autres Abel Loreston de Force de l’Opposition Radicale pour le Changement (FORC), signataire aussi de l’Accord de Musseau, ont sonné, sans doute, le début de la fin de l’« Accord politique pour une gouvernance apaisée et efficace » plus connu sous le nom de l’Accord du 11 septembre. C’était la première zone de turbulence pour la Primature.