Un titre à première vue étrange, mais il faut bien commencer un texte par un titre quelque étrange qu’il puisse paraître. Celui-là m’est passé par la tête comme ça, et je lui ai fait bon accueil tout bonnement, car lorsque l’inspiration passe il faut la saisir par les pattes, par le cou, par la tête ou par les ailes; c’est l’oiseau qui passe, c’est la chance qui passe, c’est l’occasion qu’il ne faut pas rater, c’est le rendez-vous avec des idées, des mots, des phrases, des paragraphes qui ne demandent qu’à venir faire un kabicha mérité.
Avant d’en venir à mon propos de cette semaine, permettez que je vous tienne un peu en haleine. Ce n’est pas pour me donner de l’importance, je serais bien pèmèt. Non. L’idée, c’est que avant de me mettre à parler de politique – c’est une nécessité quotidienne – il me faut trouver un cadre, un décor, pour donner une toile de fond, un tant soit peu de relief à ces messieurs et dames, politiciens et politiciennes qui n’en ont absolument pas. Ils sont, ma foi, tellement fades, tellement insipides, tellement peu attirants, tellement insignifiants, tellement rasants, tellement blêmes, tellement fastidieux, tellement ennuyeux que je me sens plus disposé à en parler, lorsque je les associe à quelque chose accessible à tous et valable.
Alors, quid de ces «ite, ose et ome»? Ce sont simplement des suffixes propres au jargon médical. Le suffixe «ite» se rapporte aux inflammations, aux infections qui sont du reste des processus inflammatoires causés par un agent infectieux.. Elles peuvent être aiguës, une méningite par exemple, ou chroniques, telle la lèpre. Le suffixe «ose» indique généralement un processus dégénératif, telles les arthroses (maladies des articulations), les dermatoses (maladies de la peau), l’athérosclérose. Quant au suffixe «ome», il se rapporte à une tumeur, bénigne ou maligne. Il existe aussi certaines maladies de type apparemment inflammatoire ou dégénératif et dont la cause exacte est mal connue ou même incertaine. On dit qu’elles sont de nature «idopathiques».
C’est en période électorale que nombre d’individus sont atteints d’une infection aiguë : la candidatite ou encore l’électionite. L’individu est touché par un virus neurotrope, un agent infectieux qui touche le cerveau. Il devient alors comme fou, c’est une affaire effrayique. La chose tout simplement lui monte à la tête. Fort heureusement, la maladie n’est pas mortelle. Aussi, peut-on assister à des cures apparentes, parfois suivies de récidives, tous les cinq ans. Ainsi un candidat évincé en 2010 dans les conditions que l’on sait, que lui-même sait, et qui se porte candidat en 2015. S’il-elle n’est pas assuré-e du piston de l’ambassade américaine, il faut croire que monsieur ou madame fait une encéphalite dont, fort heureusement, il-elle guérira lors de la proclamation des résultats.
Ce qui est atterrant, c’est de voir le nombre de «partis» et «plateformes» politiques qui acceptent de se mettre au chevet de tels malades. Il n’y a au sein de ces structures aucune tête pensante pour dire à l’animal qu’il-elle ferait mieux d’aller péter dans les fleurs, surtout que tout le monde sait que les dés sont pipés alapapòt, c’est à dire que Sandra Honoré, Pierre-Louis Opont et l’anbasadèz américaine Pamela White (alias Ti manman Lala) sont déjà sans doute de mèche. Qui sait si ce frère à Hillary, celui-là qui a signé des contrats lui concédant l’exploitation de mines d’or n’est pas le mec qui a fait fabriquer les dés. Avec ces orpailleurs, ces décherpilleurs, ces pillageurs, il faut toujours être sur le qui-vive.
Je dois dire que parmi ces candidats il y en a qui ne sont pas tout à fait des fous à lier. Car les virus de l’électionite sont de virulence très variable. Les plus virulents donnent lieu à des symptômes très sérieux dont la «déparlance», «l’obnubilance», l’extravagance, la jactance, l’ennivrance. Ainsi le candidat fou à lier peut promettre une université dans chaque ville du pays, voilà, il déparle, il s’enivre. Mais, même aux États-Unis, une telle extravagance n’est pas encore à l’ordre du jour. C’est la preuve que l’encéphalite (atteinte cérébrale) du mec est grave.
Les moins touchés par le virus – il s’agit alors d’un agent infectieux de faible virulence – savent qu’ils n’ont aucune chance de gagner. Ils n’ont pas d’argent, pas de piston, pas de saxophone, pas même une flûte. N’étant pas proches du pouvoir, ils n’auront même pas droit à une pitance des fonds débloqués à l’intention des candidats. Mais ils «se livrent en aveugles au destin qui les entraîne». Sur leur carte de visite ils pourront écrire «ancien candidat à» ci ou à ça. À l’occasion, ils liront dans les journaux: «candidat malheureux», «candidat évincé» aux dernières élections. Et ils en seront heureux, puisque non yo nan jounal. Quelle infection! Quelle maladie!
Bien sûr si le mec ne réussit pas au premier coup – car premye kou pa kou – il se rattrapera aux prochaines (s)élections. Le mal existe. Il pourra aller se prévaloir d’un pwen kandida. S’il le faut il filera un chitatann à un adversaire dangereux. Tous les coups se justifient, d’autant que le type est assuré, persuadé, qu’un dernier coup finira par tuer le coucou. Il s’agit ici du candidat «en réserve de la république». Candidat à la présidence depuis Duvalier, ce dernier l’a émasculé. «Dégrainé» et interdit alors de faire campagne en Haïti, il va battre la campagne en exil, poursuivi par ses lubies. Le 7 février 86 le ramène au pays. Li nan eleksyon kin jusqu’en 2010. Déjà il se prépare pour les (s) élections annoncées cette année. C’est le cas classique de l’individu atteint d’électionite chronique. Seule la mort le guérira.
Il n’y a pas que les candidatites, il y a aussi les candidatoses. Il s’agit de processus atteignant des hommes et des femmes politiques dekrenmen, atteints de dégénérescence de leurs processus mentaux, de leur capacité d’analyse. L’âge en est le premier facteur causal. Ainsi, le mec se prêtera à n’importe quelle mascarade politicienne. Par exemple, il acceptera un poste de ministre à l’issue d’une rencontre bouyivide tenue dans un grand hôtel dans les hauteurs surplombant la capitale; il sera alors nommé ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique, aller voir, gwo non pou touye ti chen; ou encore ministre de l’Information. Candidat malheureux en 2010, il faut s’attendre à le voir poser sa candidature à la présidence, cette année, d’autant que les processus dégénératifs sont incurables, j’ai failli écrire «inguérissables». N’en déplaise à mon ami Larousse, «inguérissables» la t a pi bèl.
Les cas vraiment alarmants sont ceux de «candidatome». Il s’agit de tumeurs, malignes pour la plupart. Le personnage malade a la grosse tête, c’est d’ailleurs un Professeur, avec un gros P majuscule. Pour le malheur du peuple haïtien il peut être né «coiffé». On a l’impression qu’il faudrait parler de «tumeur coiffée». Le bonhomme prendra le pouvoir soit par une «percée louverturienne», soit en jouant de ses influences auprès du FMI ou de la Banque mondiale. Seule la mort le délivrera de sa tumeur et de ses ambitions. Avis à ceux qui prétendent accéder au «fauteuil» par une quelconque «troisième voie». En Haïti, un seul chemin, une seule voie mène à Rome, pardon, à l’ambassade américaine, la seule voix autorisée en matière électorale.
Notre pays est plein de malades qui s’ignorent. J’ai lu quelque part qu’il y aura(it) une soixantaine de candidats à la présidence en lice. Le Ciel préserve Haïti! Parmi eux, il y a des cas de candidadite aiguë ou chronique, des cas de candidatose accélérée et même deux ou trois cas de candidatome. Bien entendu, il n’y a pas que les candidats à la présidence. Des sénateurs, des députés, des maires, des Asecs et Casecs doivent faire partie de la grande comédie électorale. On risque bien d’avoir un bon millier de candidats, non pas à des postes électifs mais bien des candidats au magot, aux combines et avantages matériels que procurent ces postes.
On ne chantera plus comme Aznavour Que c’est triste Venise! On chantera Que c’est triste Haïti, au temps de la Minustah, quand les hommes politiques laissent l’avenir du pays aux mains de l’occupant, aux mains d’une puissante ambassade étrangère. Que c’est triste Haïti, quand la Nation se trouve affligée d’un musicien obscène, ubuesque et grotesque pour président, des parlementaires qui se vendent pour quelques dollars, des abrutis et des voyous dans les couloirs du Palais national, des fainéants sans colonne vertébrale qui «conseillent» le président, une famille présidentielle poursuivie en justice pour accusations de corruption et de détournement de fonds.
Que c’est triste Haïti! On ne pleurera pas comme dans la chanson d’Aznavour, non pas parce qu’«on ne peut plus», mais parce qu’on tient bien le coup, parce que nous savons que «lit la di anpil e l ka dire lontan». Et «lò Ayiti va libere», il faudra guérir le pays de ces malades candidateux, comateux, tuberculeux, pesteux, morpionneux. Haïti rejoindra alors le rang des nations qui comme Cuba, le Venezuela, la Bolivie peuvent se dire enfin souveraines. Nous y croyons de toute la force de résistance et de persévérance du peuple haïtien.