Des intellectuels et des «zentellectuels»: Fortitude versus kolokentude

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Frankétienne et Michel Martelly: Les vrais intellectuels ne devraient rien à voir avec un serviteur attitré de l’impérialisme.

Je sais bien que lorsqu’on parle d’intellectuels, il faut séparer le bon grain de l’ivraie, je veux dire séparer les vrais intellectuels des pseudo-intellectuels.  Tel écrivain, tel poète, tel journaliste, tel artiste, ne saurait être considéré comme un véritable intellectuel, si, pour reprendre Anthony Lespès «il ne traduit sans ambages la condition d’existence des masses, leurs aspirations, leurs combats, leurs revendications légitimes. S’il ne met en lumière, d’une manière tranchante et décidée, le drame immense qui domine notre temps: l’oppression des peuples et leurs poussées irrésistibles vers la clarté». S’il ne prend non plus position en faveur des protestations pacifiques de rue des catégories sociales opprimées.

Les vrais intellectuels savent que c’est un devoir de défendre les revendications populaires, la légitimité populaire, le vœu populaire, les règles du jeu démocratique. Ils savent que la démocratie se construit avec le peuple qui, lui-même, sait observer, juger et décider. Cette démocratie se construit patiemment, d’autant qu’elle doit s’établir dans un pays délabré par des pratiques autoritaires, dictatoriales, rétrogrades, remontant à l’aube de la nation haïtienne ; ce pays est également dévasté par la rapacité d’un petit groupe-sangsue acharné à s’accrocher à des privilèges révoltants et scandaleux, au tout-pouvoir économique agrémenté du tout-pouvoir politique.

Les vrais intellectuels savent d’instinct, et aussi par expériences accumulées, que des forces extérieures occultes, et parfois pas tellement occultes, se sont mises en travers d’un développement rationnel de notre pays, de concert avec des éléments intérieurs obscurantistes et rétrogrades, accapareurs des richesses nationales et profiteurs sans vergogne. De sorte que les vrais intellectuels sont prompts à dénoncer les méfaits et agissements souterrains des complices locaux des forces extérieures décidées à nous voler notre souveraineté, à effacer d’un trait de plume, que dis-je, d’un trait d’occupation permanente notre glorieuse histoire.

Ils sont aussi prompts à voler au secours de tout défenseur de la démocratie, de tout défenseur des droits de la nation, de tout défenseur des revendications populaires en danger de mort. Par contre, les faux intellectuels, les «zentellectuels», quant à eux, n’en ont cure. Ponce Pilate coriaces et indécrottables, ils ne se contentent pas seulement de s’en laver les mains, mais aussi ils font là-dessus le silence le plus complet, silence complice, silence de mort.

Les vrais intellectuels savent que c’est un devoir de défendre les revendications populaires, la légitimité populaire, le vœu populaire, les règles du jeu démocratique.

Les «zentellectuels» feront tout un chahut, tout un raffut, tout un tohu-bohu, un vacarme infernal, un tapage à tout casser quand un des leurs vient à être victime de violence d’origine douteuse. On peut se rappeler l’assassinat crapuleux de tel journaliste associé au journal Le Matin et qui avait fait couler des larmes de crocodile et pousser de hauts cris, des cris d’orfraie à des zentellectuels amateurs de zen politiques et de désinformation. Ils ne se soucient guère de traquer les faits, de les passer au peigne fin d’un minimum d’intelligence et de neutralité d’esprit. L’effet d’intempestives propagandes désinformatrices passé, nos très grands «zentellectuels», journalistes, membres d’organisations des droits de l’homme, analystes, commentateurs se sont vite tus et sont retournés à leur tour d’ivoire en attente de la prochaine violence, en attente du chèque en provenance de Washington, du Quai d’Orsay ou de l’UE.

Mais voilà, quand la prochaine victime de violence n’est pas de leur camp, de leur chapelle politique, peu leur chaut que cette violence ait causé de douloureux moments d’insupportable attente, de folles inquiétudes aux parents, amis, défenseurs du droit du peuple haïtien à la stabilité, à la sécurité, à la paix. On n’a qu’à se rappeler des réactions, ou plutôt de l’absence de réactions, dans l’immédiat et longtemps après, de la part de ces «zentellectuels» et soi-disant défenseurs des droits de la personne au lendemain du kidnapping de Lovinsky Pierre-Antoine. De leur côté on n’a eu droit qu’à un silence assourdissant à crever le tympan des gens honnêtes.

Les «zentellectuels» préfèrent se la couler douce, se faufiler à quatre pattes, en fait à deux pattes, dans les couloirs menant aux officines d’intrigue du Palais national, des ministères et de quelques ambassades bien connues. Ne s’intéressant qu’à engraisser leur bedon et à remplir leur bidon, ils n’ont cure des accrocs à la démocratie, des atteintes à la sécurité physique de citoyens pris en otage ou même menacés de mort à cause de leur credo politique. Ils n’ont cure de la tragédie des parents de victimes sacrifiées sur l’autel des renouvellements de contrat des forces étrangères, en l’occurrence une MINUSTAH haïe, occupant le sol national et avides de réduire en charpies les petites gens des quartiers populaires debout dans leurs sandales d’héroïsme et de résistance, manifestant contre d’indésirables présences, contre l’acharnement dans la corruption et la répression de tel pouvoir honni.

De même, ils n’ont jamais formé un faisceau moral pour dénoncer l’ONU qui longtemps a refusé de reconnaître ses responsabilités dans l’introduction du choléra en Haïti par ses soldats de nationalité népalais, malgré des preuves irréfutables, internationales, venues de source scientifique. Encore moins ont-ils rejoint les rares organisations progressistes des droits humains, nationales et internationales, pour réclamer et exiger les dédommagements auxquels ont droit les familles victimes d’un mal qui continue encore de répandre la terreur quoiqu’en dise tel représentant officiel de l’ONU.

Présentement, il est du devoir des vrais intellectuels de se joindre aux voix qui dénoncent un régime corrompu dont le chef exécutif est inculpé pour «Blanchiment d’argent provenant du trafic de la drogue » (Tout Haïti, 6 avril 2017) et n’a pas encore répondu de cet acte d’accusation devant les instances compétentes et appropriées.  Il est de leur devoir de défendre «sans ambages la condition d’existence des masses, leurs aspirations, leurs combats, leurs revendications légitimes» spoliés, trahis depuis trop longtemps et totalement ignorés sinon réprimés au cours d’un précédent gouvernement étiquetté tèt kale qui, tragiquement, s’est prolongé à travers l’actuel régime.

Présentement, il est de leur devoir de dénoncer la collusion, le tetelang goulu entre les détenteurs actuels du pouvoir et les éléments d’une bourgeoisie anti-nationale, patripoche dont on sait qu’elle a financé la campagne électorale d’un candidat inculpé pour activités criminelles. Il est de leur impérieux devoir de prendre fait et cause pour les travailleurs-euses en général, ceux et celles du textile en particulier, qui reçoivent des salaires de misère, et envers qui le gouvernement, l’actuel chef de l’État inculpé surtout, n’accorde aucun respect, ne manifeste aucune protection, aucune attention.

Il est de leur devoir de dénoncer un parlement dont les membres, dans une large majorité, sont entrés en service par la petite porte arrière de transactions et tractations honteuses et déshonorantes. Peu ou absolument pas portés à introduire des projets de loi qui défendent les intérêts de la nation, les intérêts des couches moyennes et des catégories défavorisées, marginalisées, on les a vus accepter de voter sans en enlever une virgule un texte de loi de finances scélérat concocté par la présidence, ne répondant nullement aux aspirations de la société, aux besoins des strates laborieuses du pays.

Les vrais intellectuels doivent résolument se démarquer des faux jetons de l’intellectualité haïtienne.

Il est de leur impérieux devoir d’interpeller la conscience et rigueur administrative supposée du chef de l’État pour savoir à quoi de concret, en définitive, sert tout ce déploiement démagogique, tout ce futile arsenal de discours creux, de déplacements inutiles et coûteux accompagnant une « Caravane de changement » que tout le monde doit suivre tête baissée, sans poser de questions. Déployant une rare arrogance, le président inculpé qui a réussi à se faufiler à travers les mailles d’un système corrompu entend construire un pays «où cohabitent les Noirs et les Blancs» (sic) et « personne ne peut (l’) en empêcher».

L’inculpé, toute honte bue, affirme qu’un «pays qui se respecte prêche par l’exemple», ce qui est assurément vrai. Mais quid du  premier dirigeant de ce pays? Ce président ne devrait-il pas aussi prêcher par l’exemple ? Or, celui qui est actuellement au sommet du pouvoir est un inculpé. Le chef de l’État se pare de toutes les vertus et qualités et ne donne assurément pas dans l’humilité quand il déclare urbi et orbi que « Ce qui n’a jamais été fait depuis 40 ans, je vais le faire en 45 jours. Voilà ce qu’on appelle de la volonté politique ». Quelle audace! Quelle jactance! Quelle extravagance! Quelle aplombance ! Quelle délirance ! Quelle rodomontance ! Quelle impudence! Quelle effrontance!

Les vrais intellectuels doivent résolument se démarquer des faux jetons de l’intellectualité haïtienne. S’ils ne le font pas on est en droit de les considérer comme étant du même sac enfarinant que l’ivraie qui s’est mêlée à ce qui semble être le bon grain. Les vrais intellectuels doivent être à l’avant-garde de l’avancement moral du pays. Ils ne peuvent plus se contenter d’écrire pour le plaisir d’écrire, pour plaire, pour montrer leur talent – généralement réel – tout juste pour espérer gagner des prix littéraires. Autant le dire, une telle légitime et honorable ambition ne contredit nullement l’appartenance au camp progressiste qui «met en lumière, d’une manière tranchante et décidée, le drame immense qui domine notre temps : l’oppression des peuples et leurs poussées irrésistibles vers la clarté», l’oppression du peuple haïtien.

Les vrais intellectuels – et il en existe au sein de notre intellectualité – doivent déserter le camp de l’autosatisfaction, de la routine de se regarder dans le miroir de leur production littéraire, de leurs textes paraissant à la semaine ou occasionnellement dans la presse, de leur tendance inconsciente à se croire ou se savoir au-dessus de la mêlée alors qu’ils font sûrement et justement partie  de cette mêlée, qu’ils le veuillent ou non, d’autant qu’ils savent que nou mele. Ils doivent donc se mêler résolument de «la condition d’existence des masses, leurs aspirations, leurs combats, leurs revendications légitimes». C’est là leur raison d’être et non pas le sentiment de vivre dans une sorte de béatitude intellectuelle qui les déconnecte de certaines éprouvantes réalités sociales.

Quant aux «zentellectuels», les faux intellectuels, les semi-intellectuels, les intellectuels ratés, les intellectuels déplumés, les intellectuels plume-sans-encre, les intellectuels raz, les intellectuels rasants, les intellectuels décousus ou mal recousus, les intellectuels tikoulout, les intellectuels à la rongnaille, les intellectuels sousou, les intellectuels à deux sous, ils ne changeront jamais, ces hommes et femmes de peu de conscience patriotique, de convictions bâtardes, généralement issus des classes moyennes si ce n’est parfois de catégories pauvres et qui ont vendu leur âme, l’essence de leur être, leur plume, leur quotidien, leur avenir et toute leur vie à une minorité sociale repue et corrompue, elle-même vendue à Belzébuth, le dieu par excellence de la violence et de la vengeance exercées sur les plus faibles, les démunis, les sans-recours, les sans-papier, les sans-abri, les sans-assurance médicale, les sans-logis, les sans-travail, les sans-avenir.

«Genoux ployés devant le dieu-papier à l’effigie de Washington», les «zentellectuels» resteront longtemps encore à la traîne du grand maître blanc et du  tout petit et mesquin commandeur local dont ils tirent  subsistance, toute leur légitimité, leur dignité et même leur fierté.

Ma parole, les «zentellectuels», ce sont de vrais zen. Face au courage, à la fortitude des vrais intellectuels conséquents, on a même envie de parler d’intellectuels kolokent, de leur aptitude à la kolokentude.

12 novembre 2017

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