Crise, la CARICOM entre en scène

(1ere partie)

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« Photo de famille » de la Quarante-quatrième (44e) réunion ordinaire de la Conférence des chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), jeudi 16 février 2023

Il demeure évident pour les Haïtiens que la crise politique post-Jovenel Moïse est devenue un champ d’expérimentation pour la Communauté internationale. Pour certains pays, Haïti est même devenue un théâtre grandeur nature pour tester leur capacité à se projeter dans des opérations extérieures. Après avoir tout fait pour mettre Haïti à genoux, une fois parvenus, les Etats-Unis d’Amérique estiment aujourd’hui qu’ils peuvent donner ce pays en franchise à d’autres, notamment, au Canada cherchant à exporter sa politique et sa diplomatie vers ces contrées servant de terrains d’expérimentation en tout genre.

Portant à bout de bras pour Washington le dossier de l’intervention militaire demandée par les autorités de Port-au-Prince, le gouvernement canadien, dirigé par le Premier Justin Trudeau, semble lui aussi à bout de souffle. En dépit d’un prosélytisme à outrance auprès de la quasi-totalité des Etats des Amériques, Ottawa n’y arrive pas.

Mais, refusant de lâcher le dossier par peur de passer aux yeux de Washington pour un partenaire peu crédible et incapable de conduire cette « petite escapade » dans un Pré-carré de l’Oncle, le Canada tente de vendre l’affaire à un petit Etat frère et voisin d’Haïti : la Jamaïque. Cet ancien Confetti britannique dans les Caraïbes fut dans les siècles passés une base de refuge pour les anciens réfugiés politiques haïtiens et tous ceux ayant des comptes à rendre à la justice haïtienne.

Plusieurs chefs d’Etats haïtiens y ont trouvé refuge, même y sont morts pour certains quand d’autres l’ont utilisé juste comme base de transit avant de se réfugier vers d’autres altitudes plus accueillantes. Plus près de nous, c’est l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide qui y avait transité en 2004 suite au coup d’Etat qui l’avait chassé du pouvoir quelques mois auparavant.

Après un court séjour à Bangui, capitale de la République centrafricaine, le chef de l’Etat avait pris ses quartiers à Kingston, la capitale, le 15 mars 2004, avant de prendre la route de l’exil en Afrique-du-Sud durant longtemps. Naturellement, l’on pensera aussi à l’un des présumés complices dans l’assassinat du Président Jovenel Moïse, l’ancien sénateur John Joël Joseph, qui s’y était réfugié clandestinement pendant un laps de temps avant son arrestation et son transfert vers la Floride, aux USA l’année dernière.

Jean Bertrand Aristide, centre, et sa femme Mildred Trouillot, sont accueillis à l’aéroport de Kingston, en Jamaïque, par le ministre du Commerce extérieur, Delano Franklin le 15 mars 2004.

On n’oubliera pas non plus que Kingston, entre 1992 et 1994, avait joué un rôle de premier ordre dans les négociations entre les militaires du général putschiste, Raoul Cédras, les émissaires du Président Aristide et les représentants du gouvernement américain. Négociations qui allaient déboucher sur l’intervention militaire américaine en Haïti en 1994 et le retour du Président Aristide au Palais national au cours de la même année. Bref, depuis toujours, la Jamaïque n’est jamais ni trop loin ni trop près des crises politiques à répétition en Haïti.

après certainement des promesses mirobolantes de la part d’Ottawa, le Premier ministre jamaïcain, Andrew Holness, se fait le porte-parole de son homologue, Justin Trudeau

A la vérité, les dirigeants de ce petit Etat ne sont pas aussi présents que leurs homologues de la République dominicaine dans les affaires intérieures haïtiennes. Ils ne demandent pas à tout bout champ à la Communauté internationale d’intervenir ni de prendre en charge la gestion d’Haïti comme le font les autorités dominicaines, estimant que Haïti est un Etat failli. Il est vrai, n’ayant pas les mêmes problèmes d’immigration à gérer que les Dominicains avec des centaines de milliers d’Haïtiens à leurs frontières, les Jamaïcains demeurent plus à l’écart. Mais, curieusement, la Jamaïque sert fort souvent de courroie de transmission entre les grandes puissances qui tentent de s’imposer en Haïti, voire d’imposer leur politique et leur diplomatie. Il n’est donc point étonnant qu’après l’échec du gouvernement canadien auprès des Etats plus conséquents de l’Organisation des Etats Américains (OEA), qu’il oriente sa diplomatie vers Kingston afin de faire de ce petit pays un « joint-venture » dans sa visée impérialiste sous commandement des Etats-Unis d’Amérique.

Ainsi, après certainement des promesses mirobolantes de la part d’Ottawa, le Premier ministre jamaïcain, Andrew Holness, se fait le porte-parole de son homologue, Justin Trudeau, qui peine à donner de bons résultats à son Oncle d’Amérique dans le dossier haïtien. Avant même que la CARICOM ne s’était donnée la mission d’intervenir dans le dossier d’intervention étrangère en Haïti, Andrew Holness s’était déjà fait l’un des plus chauds partisans d’une intervention militaire en Haïti sous couvert de venir au secours d’un pays frère en détresse. A maintes occasions, il avait laissé apparaître sa préférence pour cette option dans le cadre de l’aide que la Communauté internationale entendait apporter au gouvernement haïtien suite à sa demande d’aide dans la crise politique et sécuritaire rendant le pays invivable. Il se trouve que c’était la Jamaïque, dans le cadre de la présidence tournante de cet organisme sous-régional, qui présidait la CARICOM. Profitant de son statut de Président sortant, avant de passer la main à son homologue bahaméen, Philip Davis, le Premier ministre jamaïcain, avait officialisé sa préférence lors de la 44e Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation ayant eu lieu les 15 et 16 février 2023 à Nassau, Bahamas.

Le Premier ministre jamaïcain, Andrew Holness

Alors que, historiquement, les dirigeants de la CARICOM sont toujours ou presque opposés à toute intervention étrangère dans les affaires intérieures de l’un des Etats membres de cette institution, sans qu’on sache pourquoi et comment, le Premier ministre Andrew Holness a pu convaincre ses collègues à adhérer à la vision qu’il fait de la crise haïtienne et aux suppliques du chef de la Transition en Haïti, Ariel Henry. Celui-ci espère toujours voir une force militaire multinationale évoluée sur le terrain en Haïti afin de combattre, selon lui, les gangs et autres groupes armés qui contrôlent une bonne partie du territoire depuis pratiquement son arrivée à la tête du pays. Une semaine après l’adoption d’une Résolution en faveur d’une intervention militaire en Haïti, une délégation de la CARICOM était à pied d’œuvre dans la capitale haïtienne. Conduite, évidemment, par le plus chaud partisan de cette intervention, Andrew Holness, le lundi 27 février 2023 la délégation de la CARICOM avait entamé des discussions marathons avec les protagonistes de la crise en Haïti.

Curieusement, et c’est une première, le Premier ministre jamaïcain s’était fait accompagner, comme par hasard, d’un diplomate canadien dans le cadre de cette Mission de moins de 24 heures à la recherche de solutions et d’un compromis entre les différents acteurs et Secteurs impliqués dans les pourparlers. En effet, cette Mission de haut rang comprenait les représentants de plusieurs Etats membres de la CARICOM. Dans la délégation présidée par Andrew Holness, l’on retrouvait, outre la Jamaïque avec son Premier ministre et son chef de la diplomatie et de Commerce extérieur, Kamina Johnson-Smith, Dennis Moses, Haut-Commissaire de Trinidad and Tobago au Canada ; Wayne Munroe, ministre de la Sécurité nationale des Bahamas et Keith Bell, ministre du Travail et de l’Immigration ; le chef de cabinet du Bureau du Secrétaire général de la CARICOM, Très-Ann Kremer ; et Michael Jones, Lieutenant-Colonel Responsable de l’Agence de mise en œuvre de la CARICOM pour la criminalité et la sécurité (CARICOM IMPACS).

Bref, une belle brochette de personnalités pour une Mission qui, en somme, ne devait servir à rien, puisque, après les multiples visites de différents envoyés spéciaux et de diplomates américains sur le terrain à Port-au-Prince, notamment, le Sous-Secrétaire d’Etat Brian A. Nichol’s toujours en quête d’un consensus introuvable entre les acteurs des Accords suivi des Missions canadiennes dont celles conduites par l’ambassadeur Bob Rae, le moins que l’on puisse dire, on n’a pas avancé de la taille d’un pouce, dans la mesure où des deux côtés, la mauvaise foi triomphe et chacun trouve une bonne raison pour faire durer la souffrance de la population servant toujours de bouc-émissaire par les uns et par les autres des protagonistes.

(A suivre)

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