Covid-19-Haïti Entre parole inutile et action : les raisons de la défiance

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Les raisons de la méfiance populaire à l'endroit des gouvernements phtkistes ont plusieurs causes et origines.

Les passions politiques des peuples pour la transgression ou la désobéissance viennent de connaitre leurs limites : le covit-19 les met entre parenthèses. Ni la lâcheté, ni le renoncement à l’engagement n’expliquent ce changement d’attitudes. Il est sans doute lié à la peur et à l’emballement émotionnel visant à dissimuler les responsabilités de la fabrication et de la propagation du virus. Et, en Haïti, l’inquiétude s’installe et le fossé entre les mesures annoncées par le pouvoir de Port-au-Prince et leur application renforce l’angoisse. Sa tentation de reproduire des mesures occidentales est forte, son irréalisme saute aux yeux comme si Haïti dispose autant des mêmes atouts que les sociétés occidentales, mais cette tentation ne vise qu’à noyer le poisson, qu’à cacher les incompétences, les irresponsabilités, les défaillances, l’impéritie haïtiennes, qu’à illustrer une nouvelle façon pour les élites dirigeantes de se définir par rapport à la politique au sens de la recherche du bien commun. Il y a de quoi donc à en être méfiant. Comment l’expliquer ?

M. Moïse n’a pu redonner confiance aux haïtiens crédules qui sont dupes de ses promesses de transformer leurs conditions de vie…

Les raisons de la méfiance ont plusieurs causes et origines : la première ne date pas d’hier. Elle remonte aux faiblesses congénitales de la présidence du président actuel. Doté d’une faible légitimité issue de la distance prise par les haïtiens avec la politique, M. Moïse n’a pu redonner confiance aux haïtiens crédules qui sont dupes de ses promesses de transformer leurs conditions de vie par une politique incitative à la création d’emplois et à la relance d’investissements. Ensuite, la deuxième  raison de la méfiance est le prolongement de la contestation contre le pouvoir impotent et faible du pouvoir en place qui, à force de tergiverser pendant les trois années de son règne, n’a pu répondre aux défis des populations : jugement des  ministres, présidents de la République et des premiers ministres soupçonnés de détournement des fonds de Petro Caribe, mise en œuvre d’une politique qui prenne en compte les souffrances physiques et cognitives des populations, rupture avec la politique de captation des ressources de l’Etat en faveur d’une tribu aux pratiques mafieuses, incapacité d’une définition et application d’une politique sécuritaire qui saperait les dynamiques interactionnistes entre les gangs et les acteurs politiques.

La troisième raison de la méfiance des populations : c’est l’importance désormais accordée à la santé chez les haïtiens. La valorisation de ce bien précieux bute sur le faible intérêt du régime mickiste de 2011 à nos jours et d’autres régimes qui l’ont précédé. Il suffit de se rendre compte du gaspillage et des mauvais choix qui ont guidé les différents gouvernements de 2008 à 2016 qui ont eu accès à la manne pétrolière du Venezuela. Elle a été mobilisée dans différents secteurs, peu soutenue par une vision politique au point où les usages des fonds de petrocaribe ont été associés au saupoudrage. Construire çà et là un tronçon de route, un viaduc devant la marine haïtienne, une construction d’un pont sur la rivière gauche sur la route Jacmel (par exemple)…ne forment pas une politique ambitieuse capable d’accompagner le développement. Ce sont des opérations qui visent à jeter de la poudre aux yeux et qui dissimulent plutôt des techniques de détournement des fonds.  Les dirigeants haïtiens ne se sont pas inspirés des idéaux avant-gardistes de l’après -Vertières qui ont séduit les indépendantistes latino-américains, par leur vision de bâtisseurs, d’inventeurs de l’histoire d’Haïti. Ce sont pourtant les réalisations, expressions de leur utopie de grandeur qui ont ranimé la flamme de reconnaissance portée par Hugo Chavez.

Jovenel Moïse n’a pu redonner confiance aux haïtiens crédules qui sont dupes de ses promesses de transformer leurs conditions de vie par une politique incitative à la création d’emplois et à la relance d’investissements.

Il faudrait ajouter que les dirigeants haïtiens gestionnaires des fonds de Petro Caribe se sont plutôt inspirés des pratiques des acteurs de la politique humanitaire qui recherchent des résultats éclatants, portés par une vision compassionnelle de court terme. Les projets d’investissement dans des secteurs prioritaires   porteurs de retombées sur l’humain ont été négligés au profit des dépenses qui ne visent qu’à répondre à une demande sociale, dans un contexte politique qui privilégie les fins électoralistes.

Le traitement de la crise sanitaire du Covid-19 : résultat des initiatives rachitiques

La crise sanitaire qu’a connue Haïti dans la période contemporaine-antérieure au covid-19 -est le résultat des initiatives rachitiques qui contrastent avec les besoins des populations en matière de santé. Deux périodes d’alerte qui auraient dû réveiller la conscience des dirigeants haïtiens durant les 20 dernières années ont été négligées : la première manifestation est la crise du sida, vite transformée en opportunité économique pour certains pirates de la communauté scientifique en Haïti d’avoir fait fortune au détriment de la vie des haïtiens sacrifiés à titre de cobayes aux fantaisies de la puissance. Non seulement Haïti a vécu dans l’humiliation l’accusation facile d’être aux origines du VIH mais également elle a payé un lourd tribut à son traitement. Puis, Haïti a dû faire face sans moyens aux épidémies mortelles de Zika, du chikungunya, maîtrisées par les pratiques créatrices des haïtiens livrés à leur invention heureuse de la médecine. Composée avec les connaissances empiriques, celle-ci prend ses distances avec ce que l’on peut appeler l’aristocratie des soins, c’est-à-dire la minorité qui, à la moindre toux décide de se faire soigner aux Etats-Unis, à la Havane ou en République dominicaine, et les disparitions soudaines de René Préval, du fondateur d’une marque de boisson nationale, d’une ancienne ministre de la justice n’y ont rien changé. Cette aristocratie doute des compétences de la médecine haïtienne et la discrédite par les insuffisances de ses moyens, l’intrusion des pratiquants allogènes, les faibles incitations salariales et les investissements réalisés par ces différents gouvernements fabriquent à terme une médecine médiocre, une médecine indigente au service des indigents.

La deuxième alerte aussi ignorée que la première est le choléra, introduit en Haïti, suite aux négligences de l’Organisation des Nations Unies et l’instrumentalisation qui en résulte. Les élites locales ont renoncé une fois de plus à leurs responsabilités de protéger leurs concitoyens, il a fallu la détermination et le courage de l’épidémiologiste français, Dr. Renaud Piarroux,(auteur de « cholera en Haïti 2010-2018 :histoire d’un désastre,CNRS,2019) pour montrer, après avoir conduit des enquêtes en Haïti, que les Nations Unies ont été aidées par des chercheurs scientifiques qui ont manipulé et falsifié des données pour montrer que le cholera en Haïti s’est propagé en Haïti sous les effets des liens entre l’environnement et le tremblement de terre. Alors qu’il ne s’agit que d’une falsification pensée à souhait pour humilier Haïti et répondre par le mépris la demande de réparation des victimes.

Les usagers de la capitale, en quête d’un service d’urgence n’ont d’yeux que pour l’hôpital Mews qui tente de survivre à un déficit important.

Les deux crises ont été gérées non pas par des autorités nationales imbues de leurs responsabilités de protéger mais par les organisations internationales qui se sont professionnalisé dans l’humanitaire. Elles n’ont de comptes à rendre qu’à leurs bailleurs étatiques et appliquent des politiques sanitaires constituant une alternative facile à la démission des autorités nationales. Au risque de rendre obsolètes les structures sanitaires locales, les ONG gardent une ascendance sur l’Etat en Haïti et contribuent à son affaiblissement, alors qu’elles s’en plaignent, de façon paradoxale. Elles se substituent à l’Etat qu’elles prétendent restaurer, pour la faible place qu’il occupe dans la politique sanitaire en Haïti. Certes, elles contribuent à limiter les excès de la politique d’humiliation et du mépris par une offre de soins aux catégories les plus pauvres. Elles répondent aux soins notamment dans les quartiers populaires où se déploient certains groupes armés « blessés par balle, par lacérations ou par d’autres actes de violence ».

La société haïtienne ne pourrait pas se désengager face à la crise du covid-19, en s’en remettant aux ONG.

Par ailleurs, l’implantation des ONG diffuse également des valeurs éthiques en matière d’accès aux soins de santé : la santé est devenue un bien précieux en Haïti auquel ont accès les catégories les plus fortunées, comme nous l’avons souligné précédemment. C’est grâce aux ONG que des exclus de la santé peuvent se faire soigner et répondre aux défaillances de l’offre publique. En effet, le plus grand centre hospitalier de Port-au-Prince en construction depuis 2013 malgré une enveloppe budgétaire de 83,2 millions de dollars américains n’est toujours pas en mesure de répondre à sa mission d’un établissement hospitalier universitaire. Les usagers de la capitale, en quête d’un service d’urgence n’ont d’yeux que pour l’hôpital Mews qui tente de survivre à un déficit important. Pour d’autres moins pressés, c’est l’hôpital Mirebalais, bénéficiaire des dotations budgétaires des mécènes américains ou c’est l’hôpital Sainte Boniface à Fonds des Blancs qui viennent au secours des millions d’haïtiens.

La crise sanitaire mondiale du covid-19 renseigne sur l’état des élites locales qui devraient  repenser la communauté nationale autour des valeurs d’égalité et de respect de la vie. La société haïtienne ne pourrait pas se désengager face à la crise du covid-19, en s’en remettant aux ONG. Cette crise sera sans doute un épisode vide de sens pour les figures du conservatisme les plus moisies. Elles continueront à se réfugier dans les pratiques discriminantes pour se protéger des attaques du virus en gardant les tests et autres matériels de soins dans leur microcosme protégé. L’épidémie ne les changera pas. De même, tant que les haïtiens accepteront les bras croisés d’être traités en soumis à qui l’on impose des dirigeants impropres à la fonction, la crise sanitaire actuelle, comme celle qui a atteint antérieurement, les populations haïtiennes, n’est que le basculement annonciateur d’autres tragédies moins mortelles, mais aussi destructrices que celle du corona virus.

Jacques NESI

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