Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (9)

(9e partie)

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Ce qu’il y a au Conseil comme différend, c’est une manifestation des combats entre les différents acteurs de la société haïtienne.

Le discours du nouveau Président le mercredi 1e mai, soit le lendemain de sa désignation, s’était curieusement démarqué du choix de manière controversée du groupe majoritaire qui l’avait aussi désigné.

Cette intervention a d’ailleurs presque mis un terme aux bonnes relations qu’entretenait Edgard Leblanc Fils avec ses amis du groupe majoritaire « Depuis le 11 mars, des discussions, des négociations, des concessions entre divers acteurs ont conduit à la mise en place de ce Conseil Présidentiel de Transition. Les membres ont prêté serment le jeudi 25 avril dernier. À partir de cette prestation de serment, le CPT avait le devoir de choisir un Président et lancer tout le processus passant par l’invitation aux différents secteurs pour proposer des candidats pour être Premier ministre, former un gouvernement et engager les différentes décisions importantes permettant d’arriver à une réforme constitutionnelle et à l’organisation d’élections transparentes, crédibles, non contestées.

Ce qui nous permettrons  de remettre le pouvoir à des élus le 7 février 2026. Ce, de manière à ce que le pays soit engagé définitivement dans une période de stabilité et de relance de l’économie à partir d’institutions de l’Etat axées sur de nouvelles bases. Nous avons confiance au Conseil. Nous allons faire preuve de cohésion, de volonté, et de détermination à dépasser les querelles de chapelle, les conflits, pour adopter, par consensus, discussions, négociations et votes, les grandes décisions importantes pour le pays » disait-il.

Ce même 1e mai, c’est une floraison de dénonciations du comportement du groupe dit BMI qui s’abattait sur la présidence et qui mettait directement en cause la légitimité même du Président Edgard Leblanc Fils s’il ne réagit pas directement pour corriger le tir de Fritz Bélizaire. Outre la note du parti Fanmi Lalavas et la sortie dès le premier jour de son représentant au CPT, Leslie Voltaire, le groupe Montana qui est l’un des grands perdants de la manœuvre n’allait pas tarder pour critiquer le choix de manière déloyale de Fritz Bélizaire par le Bloc Majoritaire Indissoluble (BMI).

Le Bureau de Suivi de l’Accord (BSA) qui est une sorte d’organe de décision de l’Accord de Montana et alliés, à travers une note, a lancé une attaque en règle contre les quatre parties prenantes qui ont mijoté le coup. Ils ont plus ou moins accepté comme les Lavalassiens d’ailleurs, la désignation de Leblanc, mais ce qui ne passe pas c’est le coup de Bélizaire. Le BSA avait estimé qu’il s’agissait d’un complot contre la population dans la mesure où le BMI avait violé l’Accord du 3 avril 2023.

« Le Collectif des partis politiques du 30 janvier, le bloc EDE-RED et Compromis, l’organisation politique Pitit Dessalines, l’Accord du 21 décembre 2022 ont décidé de violer l’Accord politique du 3 avril qu’ils ont signé et le projet décret portant création, organisation et fonctionnement du Conseil en nommant, à eux seuls, sans une démarche consensuelle qui est la première étape qui devait être faite, sans se plier aux principes des urnes, un Coordonnateur du Conseil, un Premier ministre et un gouvernement en dehors du mécanisme participatif qu’ils avaient signé » déclarait le BSA.

Après ces prises de positions très suivies dans le pays, les trois Conseillers Présidents – Fritz Alphonse Jean, Laurent Saint-Cyr et Leslie Voltaire – qui se sentaient bernés dans l’affaire ont aussi manifesté leur refus d’accepter l’inacceptable, selon eux, en déclinant une invitation de la CARICOM avec les autres membres du CPT, le jeudi 2 mai qui voulait avoir des informations sur le fonctionnement et sur le choix du Président du Conseil de Transition. Les trois Conseillers formant le camp minoritaire, le temps que soit réglé cet imbroglio politique bloquant presque le fonctionnement de la présidence, avaient distillé dans les médias ces propos le jeudi 2 mai expliquant les raisons de leur refus de participer à la réunion de la CARICOM avec les membres du BMI.

« Nous, Leslie Voltaire, Fritz Alphonse Jean et Laurent St-Cyr, n’avons pas pris part à la rencontre de ce jeudi 2 mai avec la CARICOM. Ils se sont mis à quatre au Conseil pour reproduire la pratique de la majorité au Parlement en vue de contrôler le Conseil. Il n’y a pas que ça. Il ne doit pas y avoir non plus de distribution de postes au Conseil Présidentiel », avaient déclaré les trois Mousquetaires.

D’autre part, invité sur radio Magik9 le jeudi 2 mai, le Représentant de l’Accord du Montana, Fritz Alphonse Jean, qui n’est pas toujours sur la même longueur d’onde que sa mouvance s’était quelque peu démarqué de la position très radicale du Bureau de Suivi de l’Accord du groupe Montana. Certes, lors de l’interview, il confirmait qu’il n’était pas d’accord avec la façon dont les choses s’étaient passées sur la désignation de Fritz Bélizaire, mais il avait modéré ses propos vis-à-vis du Secteur d’affaires et du monde économique que certains au Montana avaient qualifiés de « groupe mafia » ou de forces mafieuses qui tenteraient de contrôler le CPT et le gouvernement dans l’espoir de poursuivre leur mission qui consiste à contrôler l’État. Sur Magik9, l’ancien Gouverneur de la BRH (Banque centrale) qui connaît parfaitement le monde des affaires et le secteur économique haïtien avait préféré formuler d’autres propositions ou concepts pour sortir la présidence de la crise.

Le conseiller présidentiel Fritz Alphonse Jean

En effet, Fritz Alphonse Jean proposait de passer à la place de « majorité insoluble » à « majorité qualifiée » qu’il croit plus adaptée au bon fonctionnement du Conseil. « Ce qu’il nous faut au CPT, c’est une majorité qualifiée. Ce qui veut dire que tout le monde doit participer aux prises de décision. À défaut d’un consensus, une majorité qualifiée reste la voie idéale pour trancher sur les grandes décisions du pays. Majorité qualifiée est un concept statistique qui veut que, pour la résolution d’une crise, elle soit fixée à deux tiers ou aux trois quarts dépendamment des décideurs. Dans le cas du CPT, elle doit être entre cinq et six sur les sept membres votants. Ce qu’il y a en réalité dans le CPT, c’est une confrontation entre deux projets. L’un qui est en phase d’expiration, mais en pleine résistance et un autre qui lutte pour son émergence. Notre appel ne concerne pas en premier chef les représentants des secteurs du CPT avec qui on a de très bons rapports de travail, mais les secteurs derrière les membres délégués au Conseil, qu’ils soient Montana, le secteur privé des affaires, Fanmi Lavalas, Accord du 21 décembre, EDE/Compromis historique, entre autres.

Ce qu’il y a au Conseil comme différend, c’est une manifestation des combats entre les différents acteurs de la société haïtienne. Cette manifestation est l’essentiel. Il n’y a pas un seul secteur aujourd’hui, de par lui-même, qui peut prendre les rênes du pouvoir pour imposer son projet. En ce sens, une mise en commun devient une nécessité historique. L’Accord du 30 avril met le Conseil Présidentiel dans un corset où il va y avoir des distributions de postes à partir d’une certaine majorité, comme c’est la pratique au Parlement haïtien. On s’y oppose catégoriquement. On est pour une collégialité où les décisions seront prises sur la base de consensus. Ce qui a été fait le 30 avril doit être révisé », avait théorisé l’économiste. En vérité, très peu, tout au moins quelques rares membres des parties prenantes, avaient manifesté l’envie de continuer à soutenir le choix de Bélizaire comme Premier ministre qui, d’ailleurs, avait disparu du radar dès que son nom était devenu un « irritant » pour le processus de désignation d’un chef de gouvernement.

Dans la polémique, seul l’OPL avait trouvé normal que « le consensus était préférable aux élections » en tout cas, c’est ce qu’avait déclaré Danio Siriac, porte-parole de cette organisation politique sur Magik9 le 1e mai 2024. « En politique, le consensus dépasse le niveau des élections. Dans une élection, il peut y avoir des choix émotionnels. Dans un consensus, avec surtout l’apposition de signatures, c’est le fruit total de la conviction. Il n’y a aucun règlement qui n’a pas été respecté. Chaque candidat était à la recherche de 4 voix pour présider le Conseil. C’est ce qui a été fait, mais par consensus. Les valeureux Conseillers ont compris dans le contexte qu’ils travaillent, qu’ils devaient utiliser une formule qui n’est pas compliquée. Il s’agissait d’une proposition d’un chef de gouvernement et non d’un choix arrêté. Les sept membres du Conseil ont droit de vote. Ils ont tous la latitude pour continuer à travailler sur le choix du Premier ministre » disait Danio Siriac, fervent partisan de Edgard Leblanc Fils.

Prudent, il avait laissé une porte ouverte pour d’éventuelles négociations et le partage du gâteau de la République. En outre, au fur et à mesure que le débat continue sur cette affaire, les acteurs, notamment, au sein même des Conseillers Présidents du BMI, on sentait qu’il y a une envie de sortir par le haut. Certains prenaient carrément leur distance avec Fritz Bélizaire, tandis que d’autres distillaient par-ci par-là des mots apaisants et proposaient de revenir à l’Accord du 3 avril. Louis Gérard Gilles, l’un des favoris du scrutin, mais qui avait donné son accord pour la désignation de Edgard Leblanc Fils, s’était, après réflexion démarqué de la position du BMI. Dans un entretien accordé le vendredi 3 mai à Magik9, il disait qu’il était favorable à une correction et qu’il était prêt à embrasser l’article 6 de l’Accord du 3 avril.

C’était clairement une fissure dans la belle entente qui avait conduit à la désignation par consensus de Leblanc Fils. Sans ambages, il reconnaissait que c’était une « erreur » de la part des protagonistes de ne pas respecter les procédures. Louis Gérard Gilles saluait même le courage des protestataires, Fritz Alphonse Jean et Leslie Voltaire, d’avoir dénoncé ce qui s’était passé. Il allait appeler des postulants certainement frustrés de venir déposer en masse leur dossier pour le poste de Premier ministre. Certains disent qu’il s’agit d’un désaveu complet de la méthode utilisée par ses collègues pour écarter les autres candidats. Durant l’émission, Gilles n’arrêtait pas d’envoyer des fleurs pour les membres du groupe minoritaire qui, de leur côté, s’activaient pour obtenir la fin du Bloc Majoritaire Indissoluble. « C’était une erreur dans les procédures que nous avons nous-mêmes tracées dans l’Accord du 3 avril. Nous avions eu le mot des trois autres conseillers votants.

Ils ont avancé que ce n’était pas la peine de réaliser une élection. On regrette de n’avoir pas pu faire l’exercice démocratique des urnes, comme annoncé officiellement, pour mettre fin à cette étape. Le problème des Conseillers minoritaires est réel. D’ailleurs, leur crainte est même légitime si l’on se réfère au concept d’abus de la majorité, qui est un principe dans toute collégialité. Les Conseillers Présidents reçoivent beaucoup de dossiers de candidature de Premier ministre par courriel. Je les encourage à acheminer leurs dossiers en dur au Président du CPT pour analyser leurs dossiers. Je reste convaincu que d’ici la semaine prochaine le pays doit avoir un chef de gouvernement. Je ne sais pas de qui il s’agira » indiquait Louis Gérard Gilles sur Magik9 le 3 mai 2024.

Finalement, des personnalités de la Société civile comme politique dénonçaient la formule de majorité indissoluble.

De Me Eugène Pierre-Louis, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti qui avait qualifié de dangereuse « la logique de groupe majoritaire dans le fonctionnement du CPT » tout en déclarant que « la logique de groupe majoritaire n’existe pas dans un Pouvoir exécutif collégial » à l’ancien Premier ministre, Robert Malval, qui a pris la plume dans le quotidien Le Nouvelliste, tout le monde avait compris qu’il fallait fermer la parenthèse de BMI et trouver autre chose pour apaiser la tension, enlever la méfiance et faciliter le fonctionnement de la présidence de la Transition surtout que le Premier ministre du BMI était déjà écarté depuis longtemps. Bref, tout le monde appela au calme quitte à mettre dans la balance la tête du nouveau Président, Edgard Leblanc Fils.

(A suivre)

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