Le 14 Avril 1969, Adrien Sansaricq, médecin, révolutionnaire intégral était abattu à Boutilhiers, en périphérie de Port-au-Prince, lors d’un affrontement avec la soldatesque macoute du sanguinaire despote François Duvalier. Il y a 52 ans donc, Adrien Sansaricq, révolutionnaire internationaliste tombait au champ d’honneur.
Adrien Sansaricq est né à Jérémie, le 16 Août 1936. Je l’ai connu à St. Louis de Gonzague en classe de quatrième. De la seconde à la philo, un rapprochement discret et graduel s’était établi entre Karl Lévêque, Gérald Brisson, lui et moi. Nous formions une sorte de « bande des quatre », bien longtemps avant les démêlés internes au sein du PC chinois, mais nous n’avions pas encore une vraie conscience politique. Après la philo, j’ai perdu Adrien Sansaricq de vue.
De fait il était parti étudier la médecine au Mexique en 1957. Pendant ses cinq années d’études médicales, certains changements s’étaient manifestement opérés dans sa pensée sociale et politique. Le triomphe de la Révolution cubaine en Janvier 1959 eut un impact certain, définitif sur Adrien. En réponse à un impressionnant exode de médecins cubains vers les rives floridiennes, des professionnels mexicains partent à Cuba pour prêter main forte à une révolution déterminée à offrir à la population des soins médicaux satisfaisants, gratuits pour tous. Adrien est un étudiant qui a terminé sa cinquième année. Il rejoint les Mexicains. Il se rend à Cuba, où il est arrivé le 26 Août 1962, après avoir assisté en tant que délégué au VIIIè Festival mondial de la Jeunesse et des Étudiants à Helsinki en Juillet 1962, représentant la Ligue de la Jeunesse Populaire d’Haïti, et à l’Assemblée de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, à Varsovie, Pologne. Il vivra du reste la majeure partie de sa vie à Cuba.
Entièrement voué à son travail médical, il reçoit un jour la terrible nouvelle que treize membres de sa famille avaient été massacrés en Août 1964 en Haïti par les hommes de main à la solde de Duvalier
En septembre 1962, Adrien est autorisé à effectuer la sixième et dernière année de son cycle d’études médicales à l’École de médecine de l’Université de La Havane. A peine un mois plus tard, il était prêt à défendre le pays comme beaucoup d’autres Cubains pendant ”la crise des missiles”. Il s’était porté médecin volontaire dans la région de Mariel.
Adrien s’est employé à fond dans les hôpitaux de la capitale, en qualité de pédiatre. Toutefois, il se savait un militant révolutionnaire appelé tôt ou tard à confronter, de façon révolutionnaire, la situation prévalant en Haïti sous la dictature féroce de Papa Doc. Entièrement voué à son travail médical, il reçoit un jour la terrible nouvelle que treize membres de sa famille avaient été massacrés en Août 1964 en Haïti par les hommes de main à la solde de Duvalier: père et mère, frères, belle-soeur, tantes et neveux, une petite soeur âgée dix ans et des neveux de moins de cinq ans, tous victimes de la folie d’un psycopathe servilement au service des intérêts de Washington. Le révolutionnaire serre les poings. Il ne rêve pourtant pas de vengeance. Il attend son jour. L’âme internationaliste d’Adrien Sansaricq le porte à s’intégrer au contingent de Cubains commandés par Ernesto Che Guevara qui soutenait la guérilla du Congo, l’ex-Zaïre, contre les colonialistes belges.
Il s’entretient avec le Che le 26 septembre. Dès lors, il remplit des activités diverses et intenses. Il est médecin quand le besoin se présente et est un pilier important de soutien dans la communication entre la direction cubaine et les représentants congolais, à titre d’interprète. Il participe depuis son arrivée, à divers moments cruciaux de la guérilla, ce jusqu’au retrait, entre le 18 et le 21 novembre, des troupes cubaines. Che Guevara le mentionne, dans son journal de campagne, parmi les combattants qui s’étaient distingués dans cette guérilla. Adrien Sansaricq retourne à Cuba en Décembre 1965 et poursuit sa tâche médicale, tourné vers les activités de la première Conférence de solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, (la Conférence Tricontinentale) concerné par les soins de santé à prodiguer à Cuba aux révolutionnaires latino-américains ainsi qu’à divers militants.
Il se marie, et, le 31 Décembre 1966, naît son fils Ernesto Adrien. L’année 1967 apporte la très mauvaise nouvelle du Che et d’autres combattants tombés au combat en Bolivie. En avril 1968, il laisse une lettre d’adieu à Faustino, le fils de sa femme qu’il a élevé, et aussi à son fils Ernesto Adrien:
Ailleurs dans le monde, il y a d’autres peuples qui doivent également se libérer et vont devoir se battre aussi fort que les Vietnamiens contre les Yankees.
«… Tu sais que, dans de nombreuses régions du monde, les gens se battent pour se libérer de l’oppression. Tu as entendu parler des Vietnamiens qui luttent contre les mauvais Yankees. Ailleurs dans le monde, il y a d’autres peuples qui doivent également se libérer et vont devoir se battre aussi fort que les Vietnamiens contre les Yankees. L’Amérique latine est un continent, donc il a besoin de se libérer et comme je suis de ce coin, je vais me battre avec tous les révolutionnaires aux côtés du peuple. Il se peut que je survive à la longue lutte qui nous attend et dans ce cas, nous nous reverrons un jour. Mais s’il m’arrive de ne pas voir la fin de la lutte, nous ne nous verrons plus, et en ce cas que cette lettre serve d’adieu ».
Sansaricq s’infiltre clandestinement en Haïti et dès les premiers moments se développe, en collaboration avec d’autres patriotes, la lutte clandestine contre le régime Duvalier. Le Parti d’entente populaire, (PEP) lance un appel le 4 Août à se soulever contre la tyrannie. Adrien est un militant convaincu de la ligne du parti et s’emploie à la mettre en pratique. Il contribue activement aux publications clandestines Voix du Peuple et Boukan, sous le pseudonyme Lilan Toutsos.
Le régime duvaliériste et la Central Intelligence Agency (CIA) déploient un travail intense de pénétration et d’extermination du mouvement révolutionnaire et démocratique en Haïti.
Le 14 Avril 1969, à Boutilhiers, en périphérie de Port-au-Prince, des troupes de l’armée de la tyrannie encerclent la maison où se trouvaient Sansaricq et d’autres révolutionnaires, suite à une délation de la part d’un Franck Eyssalem, lequel, curieusement avait pu devenir, semble-t-il, le coordonnateur général du mouvement. Pendant deux heures, les révolutionnaires se battent les armes à la main contre les soldats du tyran, réussissant à abattre plusieurs d’entre eux dont le lieutenant Hervé Magloire, à la tête des soldats.
A court de munitions, ils tentent de se frayer un chemin. Ils parviennent à quitter la maison pour gagner une route proche. Adrien est poursuivi de près. Il saute pardessus un mur et atteint la route juste au moment où avancent des véhicules de la tyrannie. En le reconnaissant portant une arme on lui tire dessus. Adrien Sansaricq est abattu, il avait alors 32 ans et près de huit mois.
Hommage à ton exceptionnel courage, Adrien Sansaricq, ancien camarade de promotion, valeureux révolutionnaire haïtien qui aura été un moment glorieux de la lutte des patriotes haïtiens, particulièrement des militants engagés et déterminés à faire triompher en Haïti les idéaux de vraie démocratie, de liberté, de justice, de socialisme pour les masses opprimées. Nous ne t’oublierons pas. Les hommes et femmes épris d’authentiques changements révolutionnaires continuent ton combat, pacifiquement, en attendant de pouvoir recourir à la violence des armes.
Principales sources.
Adrien Sansaricq, un Haitiano ejemplar. Haitianos en Cuba. Febrero 2011.
Adrien Sansaricq, An Example Of The Role Of Haitians In Cuba. Haiti Observer, June 2013.