Journaliste : À nos téléspectateurs, bienvenue dans une nouvelle édition de « News Maker », tourné dans la capitale syrienne Damas, avec une interview du président syrien Bachar Al-Assad. M. le Président, bienvenue sur RT, et merci de nous recevoir.
Président Assad : Vous êtes les bienvenus à Damas, en Syrie.
Journaliste : Merci beaucoup. Commençons M. le Président par le sujet le plus important sur la scène internationale et posons une question de nos téléspectateurs sur Arabic.RT.com : pourquoi Damas a-t-il soutenu l’opération militaire spéciale russe en Ukraine ?
Président Assad : Il y a plusieurs raisons. Premièrement, la Russie est l’alliée de la Syrie, et la Russie est confrontée à une guerre qui, à mon avis, n’est pas liée à l’expansion de l’OTAN, comme certains peuvent le penser. Cette animosité existait déjà avant le communisme et la Première Guerre mondiale, c’est une guerre permanente, et la Russie joue un rôle important pour garantir l’existence d’un équilibre international.
Nous pouvons donc considérer la Russie sous deux angles. La première est celle d’un allié : si notre allié triomphe dans la bataille, ou si sa position politique est renforcée sur la scène internationale, alors c’est une victoire pour nous aussi. D’un second point de vue, la puissance de la Russie constitue aujourd’hui un rétablissement, certes partiel, d’un équilibre international. Ce rééquilibrage que nous recherchons aura un impact sur les petits pays, y compris la Syrie. C’est ma vision stratégique du fond du problème, sans entrer dans d’autres aspects juridiques.
Journaliste : Les responsables russes disent que c’est la bataille pour un nouvel ordre mondial. M. le Président, y voyez-vous les derniers soubresauts de l’hégémonie américaine, ou sommes-nous encore loin d’un monde multipolaire ?
Président Assad : Certains considèrent cette guerre comme la fin du système unipolaire créé à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique ; c’est inexact. C’est partiellement correct si l’on se réfère à l’OTAN après la disparition du Pacte de Varsovie, ou si l’on considère la situation d’un point de vue politique et la domination des puissances occidentales, sous la direction des États-Unis, au Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, en réalité, le système unipolaire a été créé après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Conférence de Bretton Woods a établi un nouvel ordre monétaire qui a fait du dollar américain la monnaie de réserve mondiale.
Aujourd’hui, ce qui est plus important que les résultats militaires, ou du moins ce qui est tout aussi important pour ne pas exagérer, ce sont les résultats économiques de cette guerre, notamment le statut du dollar. Si le dollar continue à régir l’économie mondiale, rien ne changera, quels que soient les résultats de la guerre.
Journaliste : Pour en rester au dollar, beaucoup de gens disent que les États-Unis utilisent le dollar pour faire du chantage au monde et ceux qui s’opposent à eux. Comment voyez-vous cette guerre économique occidentale contre Moscou et peut-elle être comparée aux sanctions économiques contre la Syrie ?
Président Assad : Tout d’abord, l’utilisation du dollar n’est pas du chantage, c’est du vol pur et simple car, après la Seconde Guerre mondiale, les Américains se sont engagés à ce que le dollar reflète la réserve d’or (ils ont rattaché le dollar à l’or). Au début des années 1970, sous l’administration Nixon, les États-Unis ont décidé d’abandonner l’étalon-or, séparant le dollar de l’or, et par conséquent, il est devenu un morceau de papier sans valeur. Mais en fait, les États-Unis continuent de commercer dans le monde entier en utilisant ce morceau de papier sans valeur. C’est du vol, et cela s’applique au monde entier. Récemment, les États-Unis ont augmenté les taux d’intérêt et, en conséquence, la valeur de toutes les autres devises a chuté, affectant les pays économiquement plus faibles.
Oui, c’est un outil de sanctions. Tant que le dollar est une monnaie mondiale et qu’il continue à être réglé par les banques américaines ou ce qu’on appelle la Réserve fédérale américaine, vous êtes sous l’autorité, de ce dollar ; et donc, votre avenir en tant qu’État, pays ou société, en tant qu’économie est à la merci des États-Unis. C’est un élément central des sanctions, et sans lui (le dollar) l’Amérique ne serait pas du tout une superpuissance.
Journaliste : Monsieur le Président, j’ai également posé une question sur la comparaison entre les sanctions contre Moscou et l’expérience de Damas à cet égard. Dans quelle mesure cette comparaison est-elle valable ?
Président Assad : Vous voulez dire les sanctions, indépendamment du dollar ? Bien sûr, c’est la même mentalité : une mentalité d’hégémonie, de colonialisme et d’arrogance. Ils croient encore que la situation est telle qu’elle était il y a plusieurs décennies et que l’Occident contrôle tout ce dont le monde a besoin.
Aujourd’hui, le monde a changé ; il y a la Russie, la Chine et de nombreux autres pays émergents. Oui, nous sommes soumis à des sanctions, mais beaucoup de nos besoins fondamentaux ne sont pas achetés aux pays occidentaux, nous avons rompu nos relations avec eux. Ces pays ont toujours la même mentalité [colonialiste et impérialiste] et cela [les] conduira au même échec. Chaque pays peut désormais assurer ses besoins fondamentaux de subsistance et de croissance sans la permission des Américains.
Journaliste : Cela pourrait être un message positif pour les citoyens russes, mais parlons aussi, Monsieur le Président, des citoyens syriens et de tous les défis économiques auxquels ils sont confrontés. Les sanctions sont-elles la seule raison de cette crise : l’effondrement de la livre syrienne, les conditions de vie difficiles et les autres défis ?
Président Assad : Non, pas du tout et je l’ai dit publiquement. Oui, les sanctions font partie du problème, car elles augmentent les coûts et ralentissent le processus économique, mais il y a d’autres raisons globales comme le Covid-19 par exemple.
L’Occident présente un récit selon lequel les problèmes actuels sont le résultat de la guerre en Ukraine et plus précisément de la politique russe. La réalité, cependant, est différente. Certains des défis nationaux sont dus à des plans économiques internes et pas seulement à des facteurs externes. Il est donc important de faire la distinction entre les défis résultant des sanctions, des plans gouvernementaux ou de l’environnement économique général, qui peuvent être dus aux politiques des entreprises ou aux habitudes des citoyens. Tous ces facteurs ont un impact positif ou négatif sur la situation économique.
Journaliste : Une partie de ce problème est également liée à la corruption ?
Président Assad : Exactement, l’économie est affectée par de nombreux facteurs, y compris la gestion également.
Journaliste : Arrêtons-nous un peu sur votre plan de lutte contre la corruption ?
Président Assad : La plupart des pays en état de guerre ont tendance à retarder ou à stopper de nombreux processus fondamentaux, dont la lutte contre la corruption. En Syrie, notre point de vue est différent : en raison de la guerre, nous devons plus que jamais lutter contre la corruption. Et ce, pour la simple raison que les guerres affaiblissent les institutions de l’État, et lorsque les institutions de l’État sont faibles, la corruption se répand. Il s’agit là d’une conséquence malheureuse de la guerre dans n’importe quel pays et elle n’est pas propre à la Syrie. C’est pourquoi, dans ces périodes, il faut redoubler d’efforts pour lutter contre la corruption et c’est ce que nous faisons. Bien sûr, il y a des obstacles : la guerre elle-même est un obstacle, la faiblesse des institutions de l’État en raison de la guerre est un autre obstacle, ainsi que le système administratif qui nécessite beaucoup de réformes et qui est le facteur le plus important dans la lutte contre la corruption.
Donc, nous poursuivons cette approche dans tous les secteurs : politique, économique et administratif, mais en raison de nos circonstances actuelles, il n’y a aucune garantie que nous serons en mesure de réaliser nos ambitions.
Journaliste : C’est vrai, d’autant plus que le peuple syrien vous a renouvelé sa confiance, Monsieur le Président. Votre slogan de campagne était « L’espoir en action », mais lors de notre tournée dans le pays et en parlant avec les Syriens, nous avons ressenti une sorte de frustration en raison des conditions difficiles auxquelles ils sont confrontés. Nous nous demandons ici dans quelle mesure cet espoir peut être ravivé dans une Syrie qui perd ses ressources pétrolières parce qu’elles sont sous le contrôle d’autres parties (nous aborderons ce point ensuite), et qui doit également faire face à d’autres défis, le blé par exemple. De quoi disposez-vous, Monsieur le Président ?
Président Assad : Tout d’abord, ce que vous dites est correct. J’ai suggéré « espoir » parce qu’il y a de la frustration ; j’ai reconnu cette frustration qui m’a conduit à adopter ce slogan. Deuxièmement, ces mots ne sont pas un slogan, ils sont le titre d’une solution.
L’espoir ne vient pas en restant assis les bras croisés et en attendant, il vient de nos tentatives d’être proactifs et productifs. Avons-nous les outils nécessaires pour être productifs ? Oui, bien sûr, nous les avons, sinon, l’État n’aurait pas perduré. Les soins médicaux en Syrie sont toujours gratuits malgré le déclin des services ; l’éducation est toujours gratuite malgré le déclin de la qualité de l’éducation en raison des circonstances ; les subventions sont toujours disponibles, malgré le taux décroissant de ces subventions. Tous ces services de base sont toujours disponibles, sans aucun changement dans notre politique. De même, y a-t-il de nouvelles installations et entreprises qui se développent ou émergent pendant cette période de guerre ? Bien sûr, il y en a. Il y a beaucoup de gens qui aiment leur pays et qui sont prêts à prendre des risques et à investir dans ce climat actuel, qui n’est pas le plus propice aux investissements.
Journaliste : Qu’attend-on des citoyens syriens ? Comment peuvent-ils s’accommoder de satisfaire leurs besoins quotidiens dans des conditions de vie dégradées pour une cause qu’ils considèrent comme patriotique ?
Président Assad : Si nous sommes d’accord sur le fait qu’une augmentation de la productivité est la meilleure solution pour améliorer les conditions de vie et les services, alors nous devons identifier quels sont les obstacles. Le principal obstacle est l’électricité, et à ce titre, notre objectif depuis 2021 est de trouver des solutions à la pénurie d’électricité, qui est le résultat des sanctions. Nous avons réussi et nous pouvons affirmer qu’en 2022, nous assisterons à une amélioration dans ce domaine, ce qui aura sans aucun doute un impact positif sur nos capacités de production.
Le problème et la solution ont donc été clairement identifiés et nous allons dans la bonne direction, mais nous ne devons pas avoir des attentes trop élevées et croire que tous nos problèmes seront résolus ; pas du tout. Il y aura une amélioration et elle sera progressive, mais nous devons être conscients que certaines circonstances ne jouent pas en notre faveur. Il y a des tentatives pour saper chaque pas que nous faisons vers le développement. Nous devons faire face à chaque problème tel qu’il se présente et continuer à trouver des solutions durables ; cela fait partie de la guerre. Et quand je dis qu’il y a de l’espoir, cela signifie que nous avons les outils et les capacités pour faire face à toutes les tentatives des forces extérieures de saper la croissance en Syrie.
Journaliste : Ces tentatives s’appliquent également aux réformes politiques. Je parle peut-être ici de la commission constitutionnelle. Pourquoi ne progresse-t-elle pas, selon vous ?
Président Assad : Non, c’est totalement différent et cela n’a rien à voir avec les sanctions. Si nous faisons référence au comité constitutionnel, alors l’exigence est de parvenir à une constitution. Une constitution qui exprime les désirs, les valeurs, les aspirations et la culture du peuple syrien ; une constitution qui soit un terrain d’entente entre tous les différents segments et courants qui existent dans notre société. Si tel est le résultat auquel nous aspirons, nous parlons logiquement d’un dialogue entre Syriens, ou de ce que nous pourrions appeler un dialogue syro-syrien, en partant du principe qu’il y a deux parties.
En ce qui concerne le Comité constitutionnel, nous parlons également de deux parties. Le premier parti a été proposé par le gouvernement syrien. Ses membres ne sont ni des diplomates ni des employés du gouvernement, mais ils représentent les vues du gouvernement syrien.
Le second parti est désigné par la Turquie. La question logique est donc de savoir comment il est possible d’avoir un dialogue syro-syrien lorsqu’une partie est syrienne et l’autre turque. Tel est le problème. C’est pourquoi nous n’arrivons à rien, parce que tout simplement, la première partie exprime les aspirations du peuple syrien, tandis que l’autre partie exprime les aspirations du gouvernement turc.
Journaliste : Néanmoins, Monsieur le Président, parlons de ce que dit l’autre partie. Certains disent que le gouvernement syrien craint que le comité constitutionnel ne produise quelque chose qui interfère avec les pouvoirs du Président. Qu’en dites-vous ?
Président Assad : Ce n’est pas un problème. La Constitution syrienne n’exprime pas l’opinion du Président, du gouvernement ou du parti au pouvoir ; elle exprime l’opinion unanime du peuple syrien. Donc, tout ce qui est convenu par les Syriens est correct, et tout État créé sous quelque forme que ce soit doit être aligné sur la nouvelle constitution ; c’est définitif.
Il ne peut y avoir de stabilité avec une constitution qui est en désaccord avec les souhaits du peuple. C’est pourquoi, quel que soit le résultat obtenu par le comité constitutionnel, maintenant ou plus tard, ou dans toute autre circonstance, il doit être soumis à un référendum populaire ; il ne sera pas adopté par le gouvernement. C’est définitif. Elle doit refléter le peuple et ses souhaits, et donc le peuple approuve ou rejette la constitution.
Journaliste : Construire un consensus entre les Syriens pourrait être l’objectif de l’amnistie générale publiée (décret n° 7) qui a ouvert la porte au retour des réfugiés syriens en Syrie et à d’autres décisions réformistes. Néanmoins, il existe une critique selon laquelle tous ceux qui se sont opposés et s’opposent au maintien au pouvoir du Président Bachar al-Assad seront traités comme des traîtres à la patrie.
Président Assad : Non, il y a des lois en Syrie. Nous n’avons pas ce que l’on appelle communément des « prisonniers politique » ; ce terme n’existe pas. Il y a des données nationales et nous devons faire attention à ne pas confondre la liberté politique avec la transgression des lois nationales. Quelqu’un pourrait dire pourquoi nous ne cédons pas nos territoires occupés à Israël. C’est punissable par la loi, c’est une question nationale, pas politique.
Le même principe s’applique à d’autres choses comme l’opposition au Président. Il y a beaucoup de Syriens en Syrie qui ne sont pas d’accord avec moi sur de nombreuses politiques. S’opposer à une personne ou à un gouvernement est une chose, mais transgresser les règles nationales en est une autre. Ceux qui s’opposent peuvent le faire, il n’y a pas de problème et cela ne m’affecte pas personnellement.
Journaliste : Cela s’applique-t-il également aux forces kurdes ?
Président Assad : La question kurde est différente. Si nous l’examinons d’un point de vue national, les Kurdes constituent une ethnie qui a existé en Syrie tout au long de l’histoire ; la majorité d’entre eux sont patriotes. Cependant, il y en a qui ne le sont pas, tout comme il y a aussi des Arabes et des non-Arabes qui ne sont pas non plus patriotes et qui agissent comme des agents pour d’autres, notamment les Américains. La question n’a rien à voir avec le président ou l’opposition politique, la question ici est l’unité de la patrie syrienne.
La notion d’ethnies multiples prenant la forme de cantons ou de fédérations est le début de la division, alors que la diversité syrienne dans un cadre d’unité nationale est enrichissante, et nous la considérons positivement. La diversité ethnique, religieuse et sectaire enrichit la société syrienne, et non l’inverse. Cependant, lorsqu’elle est présentée dans un mauvais cadre, elle devient une malédiction et c’est quelque chose que nous ne permettons pas.
Journaliste : La porte est ouverte au dialogue avec tout le monde, à l’exception de ceux que vous avez qualifiés d’agents, notamment des Etats-Unis.
Président Assad : Parfois nous devons dialoguer même avec des agents.
Journaliste : Néanmoins, je voudrais me concentrer sur les forces kurdes, en particulier celles qui contrôlent les puits de pétrole avec le soutien américain. Quelle est votre opinion à ce sujet, et quelles sont les cartes dont dispose Damas pour restaurer ses biens et ses territoires ?
Président Assad : Le problème de toute occupation d’un pays ou de toute invasion n’est pas l’invasion elle-même, quelle que soit la taille de l’armée ; le problème réside dans les agents qui soutiennent l’envahisseur. C’est là le problème et il existe en Syrie. Il y a des forces qui agissent sous l’autorité des Américains et en leur nom, contre l’unité de la société syrienne.
La réaction normale, et c’est ce que nous commençons à voir dans ces zones (la zone orientale), est la résistance populaire puisque la grande majorité de la population n’accepte pas ces déviations et refuse de traiter avec l’occupant et cette trahison. Cela a déclenché un conflit entre ces forces et la population locale.
Tant qu’il y aura des gens qui agissent comme des agents, l’occupant restera fort. Donc d’abord, ces agents doivent être purgés. Ils devraient être affaiblis, et alors l’occupant partira automatiquement parce que la résistance populaire augmentera contre eux. La solution pour faire face à toute invasion, en particulier lorsque vous ne disposez pas des capacités militaires nécessaires, est la résistance populaire.
Journaliste : Nous ne parlons pas ici uniquement du défi américain, car vous avez également la Turquie qui ne cache plus son ambition de créer ce qu’elle décrit comme une zone de sécurité à l’intérieur des territoires syriens. Quels sont vos plans pour empêcher cela ?
Président Assad : C’est dans le même cadre. S’il y a une invasion, il y aura une résistance populaire en premier lieu. Bien sûr, l’armée syrienne n’est pas déployée sur l’ensemble du territoire syrien, mais dans les zones où elle est déployée, et lorsque les conditions permettront une confrontation militaire directe, nous n’hésiterons pas. C’était le cas il y a deux ans et demi, lorsqu’il y a eu un affrontement entre les armées syrienne et turque, et que l’armée syrienne a détruit certaines cibles turques qui s’étaient déplacées en territoire syrien. La même chose se reproduira dans la mesure où les capacités militaires le permettront.
Journaliste : Qu’en est-il d’Idlib, quelle est votre vision de la situation là-bas ?
Président Assad : Comme tout territoire occupé, il est soumis aux plans militaires et politiques syriens de libération. Il n’y a aucun doute à ce sujet ; tout territoire occupé par les Turcs ou par les terroristes sera libéré en temps voulu.
Journaliste : Malgré cela et avec l’existence de tous ces dossiers problématiques, il y a ceux qui parlent de reconstruction. Existe-t-il des plans urgents à cet égard ? Y a-t-il des États qui ont exprimé leur volonté d’y participer ? Il y a aussi ceux, Monsieur le Président, qui ont fait le lien entre ce dossier et votre visite dans la capitale des EAU, Abu Dhabi.
Président Assad : Il y a des entreprises de différents États arabes (et non les États eux-mêmes) qui ont exprimé le désir de participer. Si nous tenons compte de la pression extrême exercée par l’Occident par le biais de sanctions sur toute entreprise susceptible d’investir en Syrie, nous reconnaissons que le processus sera lent et risqué pour beaucoup d’entre elles. Néanmoins, il y a ceux qui se préparent à investir en Syrie en contournant les sanctions.
Si nous voulons parler de reconstruction au sens large, je ne peux pas dire que la situation politique, économique ou sécuritaire actuelle permette une reconstruction à grande échelle. Néanmoins, un processus de reconstruction a commencé, même s’il est limité. Cela se fait en partie grâce aux investisseurs, aux entreprises ou aux particuliers qui reconstruisent leurs installations et leurs infrastructures, et en partie grâce à l’effort de l’État pour reconstruire les artères qui constituent le cœur de la vie économique dans certaines grandes villes.
Journaliste : Je voudrais m’arrêter un peu sur votre visite à Abu Dhabi et sur le retour de la Syrie par cette grande porte, telle qu’elle a été décrite. Comment le voyez-vous vous-même ?
Président Assad : Je ne sais pas comment on définit une grande porte et ce que signifie le mot retour, car nous ne sommes jamais partis. La Syrie est restée à sa place, avec les mêmes positions et les mêmes conditions, en les traitant à sa manière et selon ses principes et ses perspectives. Cependant, je voudrais dire que dans leur essence, les relations syro-arabes n’ont pas beaucoup changé pendant la guerre ; la plupart des États arabes ont maintenu leurs relations avec nous et se sont tenus à nos côtés.
Journaliste : Même ceux qui ont retiré leurs missions diplomatiques ?
Président Assad : Oui, même ceux qui ont retiré leurs missions diplomatiques ont maintenu les relations et gardé des sentiments positifs à l’égard de la Syrie, bien qu’ils ne puissent rien faire. Leur position est la même, avec quelques changements formels dans cette relation suite à l’évolution des circonstances, qu’elles soient régionales, mondiales ou autres, mais je ne peux pas parler en leur nom. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait un grand changement sur le fond, le grand changement qui se produit est en termes de forme.
Journaliste : Demandons honnêtement : Damas a-t-elle une quelconque rancune envers les pays qui l’ont abandonnée pendant sa crise ?
Président Assad : Tout d’abord, avoir de la rancune est une preuve de faiblesse. Deuxièmement, la rancune ne mène nulle part et ne crée aucun résultat positif, surtout dans les relations avec les pays. Troisièmement, nous devons faire la distinction entre les erreurs politiques commises par les États et les personnes dans ces États. Nous recherchons des relations arabo-arabes, c’est-à-dire des relations entre les personnes ; et dans ce cas, il n’y a pas de rancune. Quatrièmement, nous savons que les pays arabes ont leurs propres circonstances. Nous sommes capables de dire non sur de nombreuses questions, peut-être que de nombreux pays arabes ne sont pas en mesure de faire de même.
Ce n’est pas une justification, mais c’est un fait accompli, et nous devons y faire face. Blâmer et se plaindre ne donne aucun résultat. C’est pourquoi nous devons nous tourner vers l’avenir et c’est ce que nous disons dans toutes nos discussions. Nous regardons vers l’avenir, ce qui s’est passé dans le passé est dans le passé. Blâmer ne change rien : la destruction a eu lieu, les pertes ont été subies et le sang a été versé ; parlons donc de manière positive. C’est l’approche syrienne.
Journaliste : Dans un avenir proche, le sommet arabe sera accueilli par l’Algérie. Beaucoup de gens parlent de votre participation à ce sommet. Des mesures ont-elles été prises à cet égard ?
Président Assad : Le seul poids de ce sommet est peut-être le fait qu’il se tienne en Algérie. C’est un fait, je ne suis pas diplomate ici. Les relations de la Syrie avec l’Algérie, en toutes circonstances et depuis son indépendance de la France au début des années 1970, ont été constantes. Il y a quelque chose de solide entre les deux peuples, peut-être parce que l’histoire est similaire malgré les différentes périodes.
Mais si nous nous adressons à la Ligue arabe, indépendamment du sommet d’Algérie, la question n’est pas le retour ou le non-retour de la Syrie, et le mot retour est erroné car la Syrie est toujours dans la Ligue arabe. Son adhésion a été suspendue, et la Syrie n’est pas partie.
La question est : que fera la Ligue arabe à l’avenir, que la Syrie soit dans la Ligue ou non. Réalisera-t-elle l’une ou l’autre des aspirations des citoyens arabes ? Je ne pense pas qu’elle ait réalisé quoi que ce soit au cours des trois dernières décennies ; et certainement, au cours des dix dernières années, elle a servi de couverture à l’agression contre la Libye, contre la Syrie et à toute autre agression. La question est donc de savoir si elle sera en mesure de changer cette politique ou non. Si la Ligue arabe continue avec cette approche, rien ne changera. En fin de compte, les États arabes sont soumis à des pressions extérieures dans tous les domaines. Tant que ce sera le cas, le résultat sera le même et il sera négatif. Par conséquent, le retour de la Syrie ou la fin de la suspension est quelque chose de formel. Cela pourrait avoir quelques avantages, mais nous ne comptons pas dessus.
Journaliste : Grâce aux mesures prises récemment, y compris votre visite à Abu Dhabi, et le discours positif ou le ton positif du discours médiatique dans de nombreuses capitales arabes, cela va-t-il s’ajouter en Algérie et ensuite par cette entrée pour mettre fin à la suspension comme vous l’avez dit ?
Président Assad : Je serai heureux de visiter n’importe quel pays arabe. C’est certain, mais cela ne peut se faire sans invitation. Il est normal et intuitif de penser à visiter des pays arabes, car malgré l’état de délabrement total du monde arabe, nous devons limiter les dégâts et éviter un plus grand déclin. Le dialogue avec les pays arabes et les responsables arabes est essentiel.
Journaliste : Nous pourrions ici souligner quelque chose de très important. Beaucoup de gens disent que tout retour à des relations normales avec les États arabes passe par la relation avec l’Iran, et cela ne sera pas parfait tant que les relations étroites entre Damas et Téhéran se poursuivront. Comment la Syrie peut-elle équilibrer ses relations avec l’Iran, d’une part, et disons, avec l’Arabie Saoudite, d’autre part, si les relations étaient restaurées ?
Président Assad : Tout d’abord, les relations de la Syrie avec n’importe quel pays ne font l’objet d’aucune discussion avec quiconque. Personne ne décide pour la Syrie avec qui elle peut ou ne peut pas avoir de relations. Personne ne décide pour nous, et nous ne décidons pour personne d’autre. Personne n’interfère dans nos décisions et nous n’interférons pas dans celles des autres. Cette question n’est pas sujette à discussion et n’est même pas sur la table. Même si elle était soulevée avec nous, nous la rejetterions tout de suite.
C’est la première chose. Deuxièmement, de nombreux pays qui avaient l’habitude de soulever cette question dans le passé ne l’ont pas fait depuis des années, car ils sont eux-mêmes engagés avec l’Iran, ce qui est une contradiction. Troisièmement, l’Iran est un pays important. Si nous voulons parler de stabilité au Moyen-Orient, nous avons besoin de relations avec tous ces pays. Mais, si nous voulons parler de l’équilibre entre les relations, le principe est faux.
Journaliste : D’autant plus que Damas y est parvenu pendant de nombreuses années.
Président Assad : Exactement, mais pas sur la base de l’idée d’équilibre, car l’équilibre implique qu’il y a des parties contradictoires entre lesquelles nous devons trouver un équilibre. Nous ne voyons pas les choses de cette façon. Nous pensons que tous ces pays ont des intérêts communs. Et en tant que tel, le processus n’a pas besoin d’équilibre dans les relations, mais plutôt d’une ouverture et de bonnes relations. Actuellement, il y a un dialogue entre les pays du Golfe et l’Iran, et nous voyons cela de manière positive, indépendamment de nos relations avec ces pays du Golfe.
Journaliste : Pourrions-nous assister à une médiation après le retour à la normale des relations entre Riyad et Téhéran ?
Président Assad : Bien sûr, la logique de base implique que s’il y a un désaccord entre des parties avec lesquelles vous avez de bonnes relations, il est normal que vous jouiez le rôle de médiateur pour aider à surmonter les différences ; cela sert les intérêts individuels et collectifs de tous les pays de la région. Actuellement, nous n’avons pas ces relations normales avec toutes les parties et nous ne sommes donc pas en mesure de jouer ce rôle pour le moment.
Journaliste : Il y a eu des relations normales, ou une normalisation, de la part d’un certain nombre de capitales arabes avec Israël. Comment suivez-vous la normalisation des relations entre ces pays et Israël ? Et il y a eu des rumeurs, qui n’excluent pas la Syrie, selon lesquelles Damas normaliserait à condition de restituer le Golan occupé. Cela pourrait-il se produire ?
Président Assad : Tout d’abord, le terme est erroné. En Syrie, nous avons rejeté le terme de normalisation depuis le début du processus de paix dans les années 90, car la normalisation, en tant que terme linguistique, implique une relation normale. Et une relation normale doit se déplacer en douceur, comme l’eau, sans obstacles ; elle ne peut être contrainte ou artificielle. Le terme de normalisation, cependant, est artificiel dans la mesure où il vise à pousser les Arabes à faire des concessions à Israël en échange de rien ; tel est l’objectif.
Pour nous, en Syrie, le terme est relations normales et cela est lié à un processus de paix, qui est lié à la restitution des droits ; c’est définitif. En revanche, nous sommes contre une relation avec Israël, qu’on l’appelle normalisation ou autre chose. Cela a été le cas dès le début, depuis que ce processus a commencé avec l’Égypte au milieu des années 70, et aujourd’hui notre position reste la même.
Nous ne sommes d’accord avec aucun de ces processus et nous pensons que tous ces processus ont nui à notre cause syrienne, sans parler de la cause palestinienne. Cependant, la plus grande faille dans ce sujet est l’Accord d’Oslo, qui a accordé tous ces avantages à Israël par le propriétaire (la Palestine) de cette cause, et qui fournit par conséquent une justification à n’importe quel pays du monde pour normaliser les relations ou faire la paix avec Israël (appelez-le comme vous voulez, cela n’a pas d’importance car le propriétaire de la cause l’a abandonnée). Donc, nous sommes contre la normalisation parce qu’elle nous affecte.
La Syrie ne changera jamais sa position tant qu’il y aura des terres occupées, c’est-à-dire le Golan. Quand le Golan sera restitué, nous pourrons discuter. Et cela ne s’inscrit pas dans le cadre de la normalisation mais plutôt dans le cadre d’avoir des relations normales entre deux États quels qu’ils soient. Des relations normales ne signifient pas des relations chaudes ou froides, des relations normales signifient ce que les gens veulent qu’elles signifient de la manière qu’ils déterminent.
Journaliste : Néanmoins, pendant que nous parlons, les bombardements israéliens se poursuivent sur de nouvelles cibles, dont la dernière était dans les environs de l’aéroport de Damas. Nous aimerions entendre votre commentaire à ce sujet.
Président Assad : Il s’agit d’une question différente, bien qu’elle mène finalement au même sujet qui pousse la Syrie à faire des concessions. L’ingérence israélienne au début était directement liée au moment où les terroristes se sont effondrés en Syrie, car le terroriste pour nous, c’est l’armée israélienne, même sous le couvert d’une identité syrienne ou autre. Ainsi, lorsque les terroristes ont commencé à battre en retraite et que leur moral s’est effondré, l’intervention israélienne était nécessaire pour remonter leur moral et les remobiliser. Ce qu’Israël fait maintenant s’inscrit dans ce cadre et rien d’autre.
Journaliste : La dernière question par laquelle je voudrais conclure avec votre Excellence concerne l’image que l’Occident projette du Président Bachar al-Assad. Ils disent que le Président se dresse contre son peuple et contre les puissances régionales et internationales. Aujourd’hui, après environ un an de votre élection par le peuple syrien et le ton positif, comme je l’ai dit, de nombreuses capitales arabes et occidentales, ou permettez-moi de dire capitales internationales, cette image a-t-elle changé ?
Président Assad : En ce qui concerne le grand public, oui, elle a changé. Non pas parce que nous avons été capables de nous adresser à l’Occident en utilisant un langage différent ou grâce à des capacités médiatiques différentes, mais plutôt parce que le gros mensonge que les responsables occidentaux ont utilisé au début, et les exagérations illimitées, les ont mis dans une position difficile. Ils sont montés trop haut dans l’arbre et ne savaient pas comment en redescendre.
Si nous suivons les canaux officiels des principaux médias occidentaux qui continuent à diffuser ces mensonges et qui ont des affiliations politiques étroites, nous remarquons que de nombreux commentaires écrits par leurs propres citoyens montrent qu’ils ne croient plus à ce récit.
Si nous voulons parler de la supposée révolution, quelle est cette révolution qui se poursuit depuis onze ans, avec le soutien des pays les plus forts et les plus riches du monde ? Une révolution qui représente soi-disant le souhait du peuple contre l’État, et pourtant l’État n’est pas tombé ? Cet État est-il composé de surhommes ? Ce mensonge n’est pas convaincant. Aucune révolution ne dure aussi longtemps. Ceci s’ajoute à de nombreux autres mensonges, que leurs citoyens ont découvert au fil du temps.
Donc, oui, je peux dire que le tableau a changé, mais non, cela ne signifie pas que les gens vivant en Occident savent ce qui se passe ; ils savent qu’il y a un gros mensonge, mais ils ne connaissent pas nécessairement la grande vérité dans notre région.
Journaliste : Nous attendons de connaître la grande vérité.
Président Assad : Aucun doute là-dessus.
Journaliste : Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour cette interview, d’autant plus que RT traverse des moments difficiles et subit beaucoup de harcèlement. Merci beaucoup de nous recevoir.
Président Assad : Merci de votre visite en Syrie. Je voudrais profiter de cette occasion pour féliciter le peuple russe pour sa fête nationale qui sera célébrée dans quelques jours, le 12 de ce mois.
Vous avez mentionné les sanctions contre RT. Vous faites partie de cette bataille et vous êtes l’une de ses armes. Nous sommes engagés dans une bataille similaire, bien que sous des titres différents. Aujourd’hui, l’arme n’est plus seulement associée à un fusil ou à un missile, elle est aussi associée à la vérité. Au cours de la dernière décennie, la plus grande victime de tous les problèmes présentés a été la vérité. J’espère donc que cette interview n’est qu’un élément d’une structure plus grande, la structure de la vérité, dont la construction prendra de nombreuses années.
Journaliste : Nous vous remercions beaucoup, Votre Excellence, le Président syrien Bashar al-Assad. Et merci à nos téléspectateurs. Au revoir!
Syriana Analysis, 10 juin 2022
Traduction : lecridespeuples 11 Juin 2022