Ase dlo, mete grès

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Les Blancs débarquent: marines yankees en campagne, à la poursuite de cacos.

Par la force des choses, par la force de mon habitude à évoquer son nom, ma grand-mère paternelle est presque devenue votre grand-mère aussi, dites. Elle avait de ces formules, formulations, réflexions, considérations, déclarations, affirmations, stipulations, énoncés, qui souventes fois ont inspiré cette rubrique. Quand on venait lui rapporter un zen, un fait, un événement, une histoire vécue, une anecdote dont elle croyait difficilement ses oreilles, il lui arrivait d’opiner: «Ase dlo, mete grès», en d’autres termes: ne m’en dites pas plus, quelle affaire! On aura tout entendu.

Je prends un exemple pour illustrer le propos: la fuite nocturne, échevelée, livide, de Baby Doc et de sa maîtresse-femme Michèle Bennett Duvalier. Après avoir bien suivi les diverses péripéties, épisodes, bonds, rebonds, bondissements et rebondissements précédant le sauve-qui-peut précipité, bride sur le cou du couple présidentiel kleptomane et kleptocrate, elle opina, interdite, stupéfaite, médusée, renversée, éberluée, soufflée par le naufrage, la débâcle, la déconfiture, la déplumature des deux chatmimi: « Ase dlo, mete grès!».

L’Histoire est ponctuée de ces incidents, événements, épisodes, faits divers, faits moins divers qui auraient sûrement intéressé Grand-mère. Après les avoir bien suivis et compris, elle ne pourrait que s’exclamer: ase dlo, mete grès! Voyons-en quelques-uns.

La guerre hispano-américaine

On peut se rappeler comment, forts de la doctrine de Monroe énoncée en 1823 par le président du même nom, les États-Unis n’arrêtaient pas de convoiter les territoires coloniaux de l’Espagne: Guam, les Philippines, Porto Rico et plus particulièrement Cuba. Il n’était pas question pour l’empire-malfini de laisser les insurgés cubains gagner leur indépendance après une guerre meurtrière de plus de dix ans avec la métropole espagnole: la fameuse «Guerre des dix ans» qui débuta en 1868 et fit quelque 200 000 victimes.

En 1898, les États-Unis interviennent dans la guerre d’indépendance de Cuba contre l’Espagne.  À la suite d’émeutes à La Havane, et pour «protéger leurs intérêts», ils y envoient le cuirassé USS Maine. Tragique surprise, le navire explose mystérieusement et coule dans le port de La Havane emportant avec lui près des trois quarts de l’équipage. Des cris de “Mort à l’Espagne” fusèrent des cercles bellicistes de la presse. La guerre hispano-américaine fut déclenchée le 25 avril 1898. Jusqu’à ce jour, on ne sait toujours pas pourquoi le cuirassé a coulé. Secret d’État. Crime d’État? Il ne faut pas être trop fouyapòt.

C’est l’occasion donc rêvée pour les gringos d’entrer en guerre contre l’Espagne, car un tel crime ne peut être que le fait du méchant empire espagnol. Le débarquement de troupes américaines facilite la victoire des Cubains sur les forces espagnoles. L’Espagne capitule. Lors du Traité de Paris, en décembre 1898, les Espagnols renoncent à leur souveraineté sur Cuba, Porto Rico, Guam et les Philippines.

Quelle curieuse et intéressante coïncidence! L’aigle impérial fait savoir aux puissances européennes colonialistes, rapaces et agripates que l’Amérique du nord et l’Amérique du sud ne sont  plus ouvertes à la colonisation européenne. Les États-Unis considèrent désormais toute intervention de leur part dans les affaires du continent américain comme une «menace pour leur sécurité et pour la paix» (sic) . En contrepartie, les États-Unis n’interviendront jamais dans les affaires européennes (resic).

Voilà qui est clair, comme eau de canari. Les puissances européennes se le tiennent pour dit. Mouche ne doit voler, plume ne doit grouiller. Implicitement, sinon explicitement, c’est Sweet Micky bien longtemps avant la lettre: sa k pa kontan, anbake. Toutefois, un esprit alerte, critique, devrait s’interroger, se demander si l’explosion du navire de guerre n’avait pas été l’occasion créée, provoquée plutôt que l’occasion rêvée d’entrer en guerre avec l’Espagne, d’autant que l’Armada espagnole ne faisait pas le poids  face à la marine américaine. Grand-mère, édifiée par une considération critique aussi osée, aurait sûrement réagi pour dire: ase dlo, mete grès.

Lyndon Johnson, président américain qui a menti au monde entier à propos d’attaques de navires américain par des torpilleurs nord-vietnamiens, ce qui s’est révélé un gros mensonge.

Avec l’explosion très suspecte du USS Maine, les États-Unis n’en étaient sûrement pas à leur  dernière forfaiture, leur dernier brigandage, leur dernière filouterie, leur dernière perfidie, leur dernier acte de banditisme, de terrorisme. Tant s’en faut. Après avoir mis leur nez dans les affaires cubaines sans y avoir été invités, ils allaient s’immiscer dans les affaires de plusieurs pays d’Amérique latine et de la Caraïbe. Jetons-y un petit coup d’œil.

Les  Blancs débarquent

De mai 1913 à juillet 1915, quatre gouvernements éphémères en Haïti s’épuisent, apparemment, à combattre quatre révoltes de cacos. En fait, ils règlent leurs affaires de classe, leurs affaires de grandons. Il en résulte une anarchie permanente, généralisée, menaçant de mener le pays au bord de l’abîme. Le 27 juillet 1915, le Palais National est attaqué par les ”révolutionnaires”. Le commandant militaire de Port-au-Prince, le général Oscar “Chaloska” Étienne, fait massacrer les prisonniers politiques enfermés dans les cachots du Pénitencier National.

La population de Port-au-Prince exaspérée s’empare du militaire, le passe à l’infinitif, met le feu à son cadavre qu’elle abandonne dans la rue. Le 28 juillet, dans la matinée, après les funérailles de Oscar Étienne, et suite à ce violent homicide, la populace hors d’elle-même, en furie, chauffée à blanc, s’en va arracher le président Vilbrun Guillaume Sam de la Légation de France où il s’était réfugié, l’accusant à tort ou à raison d’avoir ordonné la boucherie chaloskate et le tue. Le cadavre est hâché, détaillé, comme du ti sale, traîné dans les rues de la capitale. Dans l’après-midi du 28, le «Washington» arrive dans la rade de Port-au-Prince. Le soir même, les Blancs débarquent.

L’Histoire officielle rapporte, certes, que Port-au-Prince, sinon le pays tout entier, était en proie à une anarchie permanente, généralisée durant le règne des “Quatre présidents en deux ans”. Pourtant, à voir le criminel chambardement en cours actuellement au Venezuela, bouleversement dont on sait qu’il est organisé, payé par les forces obscurantistes des États-Unis; à se rappeler la déstabilisation sauvage créée au Chili de Salvador Allende par la CIA, elle-même encouragée et conseillée par le satanique Henry Kissinger; à se rappeler également le chaos littéralement organisé en Iran par la CIA pour renverser le premier ministre Mossadegh qui nationalisa le pétrole de son pays aux mains anglo-américaines, on est en droit de se poser des questions.

En effet, qui peut nous assurer que secrètement, savamment, cette “anarchie permanente” n’avait pas été préparée, stimulée, entretenue en sous-main, à des fins inavouées, par la Légation des États-Unis, repaire d’habiles et diaboliques manœuvriers en déstabilisation et coups d’État? Qui pourrait nous dissuader de penser qu’il y a pu avoir manipulation du commandant Étienne pour provoquer la tuerie  des prisonniers politiques enfermés au Pénitencier National, cause de la violation d’une Légation étrangère  pour en arracher le président Sam? Finalement, la haine, la vengeance, le chaos ainsi établis  ne justifieraient-elles pas alors le débarquement des marines? Questions osées à contre-courant de l’Histoire officielle? Grand-mère aurait vite répondu: ase dlo, mete grès!

Incidents du Golfe du Tonkin

Les têtes vides, les mémoires trouées peuvent avoir oublié les “incidents du golfe du Tonkin”  survenus les 2 et 4  août 1964. Rappelons-les. Le 2 août 1964, le destroyer américain USS Maddox, au cours d’une mission de reconnaissance dans le golfe du Tonkin, déclare avoir été attaqué dans les eaux internationales par trois torpilleurs nord-vietnamiens. Le 4 août, les destroyers américains USS Maddox et C. Turner Joy entament une patrouille en direction de la côte nord-vietnamienne. Ils reçoivent des signaux sonar et radio qui sont interprétés comme une autre attaque de torpilleurs nord-vietnamiens. Pendant près de deux heures, les navires américains ont fait feu sur des cibles prétendument détectées au radar.

Le 30 novembre 2005, la National Security Agency a rendu publiques des centaines de pages de documents secrets sur “les incidents”. Leur volumineux rapport indique qu’il n’y avait pas eu d’attaque nord-vietnamienne les 2 et 4 août. Il a d’ailleurs été ainsi établi  que les “incidents du golfe du Tonkin” avaient été instrumentalisés pour permettre une escalade de l’intervention des États-Unis dans le conflit indochinois. Pire, les célèbres Papiers du Pentagone [1] ont révélé que le texte de la résolution d’escalade dudit conflit avait été rédigé par l’administration Johnson plusieurs mois avant même que lesdits «incidents» aient eu lieu. En clair, le président d’alors des États-Unis avait menti effrontément au monde entier.  Ase dlo, mete grès, mezanmi!

Un vice-président discrédité

En 1966, l’avocat et homme d’affaires américain Spiro Agnew est élu gouverneur de l’état de Maryland. Républicain réputé “modéré”, il ne s’en prend pas moins aux adversaires de la politique américaine au Vietnam. En 1968, il est élu vice-président des États-Unis au côté de Richard Nixon; ils sont tous deux réélus en 1972. Accusé de corruption passive et d’évasion fiscale durant son mandat de gouverneur du Maryland, il ne conteste pas l’accusation d’évasion fiscale. Il est condamné à payer 10 000 dollars et à trois ans de mise à l’épreuve. Le 10 octobre 1973, il devient le second vice-président de l’histoire américaine à démissionner en cours de mandat.

Discrédité, couvert d’opprobre, il se retire de la vie politique. N’empêche, il devient… dirigeant de sociétés. Faut-il bien manger pour vivre et se dégajèt pour s’acquitter de ses factures.  Mieux, Agnew est invité par des universités à donner des  conférences (grassement rétribuées) sur le thème… Gestion financière et carrière politique (sic). Le mec a toujours soutenu que les accusations d’évasion fiscale et de corruption étaient une tentative de Nixon pour détourner l’attention, croissante, du scandale du Watergate. Et comme il avait le cœur plein de hargne, de fiel contre “le système”, il publie, en 1980,  des mémoires dans lesquels il écrit que Nixon et son chef de cabinet, Alexander Haig, avaient menacé de l’assassiner s’il refusait de démissionner de la vice-présidence. Koubaba! On aura tout entendu dans cette démoncratie américaine, ase dlo mete grès!

Sténio Vincent le magouilleur

L’ancien président Sténio Vincent, politicien retors par excellence fait appel à J.P un avocat de renom, de la haute. Il lui fait part de son intention de révoquer le juge A.T qui lui donne du fil à retordre suite à son assignation par Milo Rigaud [2] en remboursement d’une dette de $5 500. J.P fait remarquer à son Excellence que les juges sont inamovibles, ce que sait d’ailleurs Vincent. Le scepticisme du premier Magistrat de la nation ne lui échappe pas. J. P court dans son cabinet d’avocat, en sort trois volumes et prend audience auprès de Vincent. Il lui montre, noir sur blanc, les preuves de l’inamovibilité des juges. Le président l’en remercie vivement.

Mais Vincent est un “méchant” au sens haïtien du terme. Il fait venir B. L, un souflantyou aussi “méchant” que lui. Il lui dit qu’il a fait chercher J. P. Voici ce que je lui ai demandé et voici ce qu’il m’a répondu, quel couillon! J’allais faire de lui mon ambassadeur à Paris, il m’a terriblement “déçu”. B. L qui connaît bien son patron va informer J. P de sa couillonnerie. Vite, ce dernier réalise sa couillonarderie. Il demande à voir Vincent en audience privée. Audience accordée. Il emmène avec lui huit volumes, les étale sur une grande table et “prouve” au président que dans tel cas particulier, un juge peut être “movible”, c’est à dire que le président a le droit, garanti par les jurisprudences européennes, de se défaire d’un juge “encombrant”.

Vincent sourit, J. P sourit aussi. Les deux sourissent (excusez la nouvelle conjugaison de ce verbes), J.P ne se doutant pas que c’est lui la souris, et, Vincent, le chat qui va le croquer tout cru. Le président resourit, cette fois d’un petit air sarcastique. Il sait qu’il tient entre ses mains une souricière dans laquelle J. P s’est introduit sans faire attention. Vincent le regarde et lui dit: « Je voulais seulement mettre votre honnêteté à l’épreuve, et vous êtes tombé dans le panneau. Je suis édifié». Ase dlo, mete grès, madanm, aurait réagi Grand-mère.

François Duvalier: vengeance féroce

François Duvalier est un makyavèl de la même eau saumâtre que Vincent. À la Faculté de Médecine, Dadou X, l’un de ses condisciples de promotion, né d’une grande famille de la société port-au-princienne, par accident, lui avait laissé comprendre à demi-mot, peut-être à quart de mot, que tous les deux n’étaient pas de même souche, de “même rang”, d’autant que l’un était de couleur “café au lait” et l’autre “ma kafe”. François n’oublia pas la “galanterie” de Dadou. Parvenu au pouvoir, il prit son temps d’éliminer toute une série de “café au lait” jugés nuisibles à son gouvernement. Puis, il se souvint de Dadou.

Duvalier savait que Dadou était un francolâtre et un adorateur de l’Hexagone. Il lui fit savoir qu’il allait faire de lui son ambassadeur à Paris. Grosse affaire, hein! Dadou donna un grand et très élégant “cinq-à-sept” qui rassembla, chez lui dans les hauteurs de Pétion-Ville, la crème du chic bourgeois port-au-princien pour célébrer cette “réussite”, cette marque d’attention méritée du président de la république à un humble collègue, ancien condisciple de promotion du chef de l’État. Le champagne coula à flots, de délicieuses bouchées, de la dinde rôtie frottée au sel, des billes de melon au fromage frais, du gratin de poireaux au jambon, des gâteaux renversés à l’ananas firent les délices des convives. On dansa jusqu’aux petites heures du matin.

La nouvelle des agapes dadoutes arriva sans doute aux oreilles de Duvalier qui s’en réjouit d’autant qu’il préparait son mauvais coup. En effet, le surlendemain des ripailles entre bourgeois,  un ami, un des ripailleurs de l’avant-veille, consterné, appela Dadou: as-tu écouté la radio, ce matin? Non, répond Dadou, le président a-t-il fait disparaître un des nôtres encore? C’est pire, lui dit l’ami. Morille Figaro [3] a annoncé au cours de son émission de propagande macoute que Duvalier a nommé un tel comme… son nouvel ambassadeur à Paris… Un mec de la ripaillerie bourgeoise,  qui était en visite chez Dadou ne put s’empêcher de lâcher, avec raison: ase dlo, mete grès.

Là ne s’arrêta pas la mésaventure de Dadou, encore moins la perfidie vengeresse de Duvalier. Une semaine plus tard, alors que  l’humble collègue, l’ancien condisciple de promotion du chef de l’État cuvait son humiliation, sa déception, son indignation, un militaire du Palais National vint frapper au cabinet du Dr. Dadou, porteur d’une missive du président de la république à l’intérieur de laquelle Duvalier, féroce dans sa vengeance, avait glissé une note “d’excuse” pour “une erreur involontaire” et… un chèque de mille dollars, que Dadou ne pouvait manifestement pas refuser, au risque d’aggraver sa déchéance. Il dut boire son calice jusqu’à la lie…

Chers amis, je me sauve, ase dlo, mete grès.

28 août 2017

[1] La majorité des 7 000 pages de textes et d’analyses des “Papiers du Pentagone” couvrant la période 1945-1967 fut clandestinement communiquée à la rédaction du New York Times  au début de l’année 1971 par Daniel Ellsberg, un ancien analyste de la RAND Corporation, avec l’aide de son ami Anthony Russo, du linguiste Noam Chomsky et de l’historien progressiste Howard Zinn.

[2] Milo Rigaud a étudié le droit, l’ethnologie, la psychologie et la théologie en France. Il est l’auteur de l’ouvrage classique “La Tradition Voudoo et le Voudoo haïtien”.

[3] Morille Figaro ancien ministre de l’Intérieur du sanguinaire Papa Doc et responsable de la propagande macoute sur les ondes de la Radio nationale.

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