Dès l’arrivée du Premier ministre a.i Ariel Henry à la tête du pouvoir, il est mis en difficulté par un ensemble de facteurs prévisibles. Les impondérables, en fait. Non seulement il est contesté par une très large partie des oppositions, arrive aussitôt la catastrophe naturelle dans le Grand Sud du pays. Le séisme du 14 août 2021. Les critiques sur la gestion par le gouvernement de cette catastrophe de trop pour Haïti flambent. Tandis que les gangs tiennent la région métropolitaine de Port-au-Prince sous leur coupe alors que la capitale haïtienne n’a jamais si bien porté son ancien nom de Port-aux-Crimes. La police nationale ne fait même plus l’effort d’aller déloger les chefs de gangs. Les agents des forces de l’ordre lâchent carrément l’affaire. C’est trop pour eux. On revit le Far West des années 1800 dans le Grand Ouest américain. La ville a peur. Les citoyens ont peur. Le pays aussi.
Du coup, Ariel Henry, en tant que chef du gouvernement, se devait de faire quelque chose pour prouver son utilité aux yeux du Core Group qui se trouve en plein désarroi devant l’avancée de la Société civile avec un « Accord » qui aurait eu l’assentiment de l’Envoyé spécial américain pour Haïti, le diplomate Daniel Lewis Foote. Mais coup de théâtre, deux mois plus tard, celui-ci jette l’éponge. Haïti, trop compliquée pour lui et surtout le Core Group, ce « machin » comme l’aurait dit le Général de Gaulle, lui mettait les bâtons dans les roues. Pris de vitesse par l’Accord de la Société civile et des entités de l’opposition plurielle, Ariel Henry, sans doute conseillé par ceux qui ont eu plus d’intérêts à ce qu’il reste à la tête du Pouvoir exécutif, se précipite, lui aussi, dans un hôtel de Pétion-Ville avec un groupe d’OP (Organisations Populaires) et sort de son chapeau un document pré-rempli qui va se transformer plus tard en un Accord dit de la Primature. Le paradoxe, c’est avec ceux qu’on appelait naguère, les radicaux, qu’il va refaire surface et tenter d’exister.
Tenter d’exister puisque la bataille est rude entre un Ariel Henry qui a une mission précise, dit-on, du Core Group: l’organisation des élections et cette partie de l’opposition qui veut à tout prix faire une captation sur le Pouvoir exécutif sans jamais bénéficier de la moindre onction populaire comme le Premier ministre d’ailleurs. Dans cette bataille pour prendre la tête de la Transition, il est intéressant d’observer le comportement des uns et des autres parmi les signataires de l’Accord du 11 septembre 2021. Contrairement à l’idée que peuvent se faire les radicaux qui entourent le chef du Pouvoir exécutif, ils n’ont pas encore gagné la partie. Loin sans faut. Les diplomates du Core Group veillent aux grains. Tant que leur poulain occupe le plancher, la direction des affaires demeurera entre ses mains. Car, le pire pour le Core Group aura été un dérapage de la part ces radicaux qui prétendent pouvoir parler aux oreilles d’un Premier ministre qu’ils pensent prendre en otage.
En effet, en lançant depuis quelques jours un ultimatum et des « oukases » à Ariel Henry pour l’application de l’Accord dit de Bourdon ou de la Primature, les radicaux du SDP pensent mettre le Premier ministre au pied du mur. Ils vont même à le mettre en garde contre une idée de fusion des deux Accords – Primature et Montana – histoire d’avoir le plein contrôle sur la Transition. Somme toute, certains s’interrogent sur cette attitude. Et pose la question, et si le Core Group avait un plan pour briser les reins de ces radicaux qui pensent avoir gagné haut la main le pouvoir sans passer par la « case » élection ? En Haïti, tout le monde connaît tout le monde. Les diplomates du Core Group aussi connaissent l’influence et la popularité de chacun des acteurs ou leaders politiques en Haïti pour ne pas dire de Port-au-Prince. Ils connaissent la capacité de nuisance de chacun. On peut toujours se tromper. Mais, et si l’objectif était, finalement, de réduire l’influence de certains radicaux avant l’organisation des élections ? On le sait, l’échec politique du Président Jovenel Moïse jusqu’à son élimination physique ne vient pas des leaders politiques responsables et réalistes. Encore moins de ces organisations politiques qui auraient pu présenter une alternative à l’ancien pouvoir.
Il vient surtout de ces radicaux et groupuscules politiques qui entourent, aujourd’hui, Ariel Henry et revendiquent la paternité du Pouvoir exécutif. En vérité, mal les a pris. Être aux responsabilités publiques n’a rien à voir avec la liberté de pouvoir dire tout et son contraire quand on est dans l’opposition ou en gargarisant sur le macadam qu’on est le chef de l’opposition. Et si les leaders de l’opposition radicale se font piéger par le Core Group à travers son protégé Ariel Henry en les laissant croire que ce sont eux qui décident, nomment et révoquent vraiment? Les faisant passer aux yeux de la population comme les véritables décideurs aujourd’hui une façon pour les discréditer davantage. Puisque sur le plan social, sécuritaire et économique le pays n’a jamais été si loin d’un retour à la normale. D’ailleurs, la question que les observateurs politiques se posent, peut-on parler aujourd’hui de l’opposition ou de l’ex-opposition haïtienne ? Sérieusement, la question relève du bon sens dans la mesure où les partis politiques qui ont signé l’Accord dit de la Primature se glorifient de leur apport dans les décisions qui sont prises par le Premier Ariel Henry avant même qu’un nouveau gouvernement puisse être installé selon l’Accord.
Sans attendre la formation ou même l’application effective et dans toute sa plénitude dudit Accord, certains s’avisent à dire que l’opposition est au pouvoir. Particulièrement, l’opposition radicale entre autres le Secteur Démocratique et Populaire (SDP) du trio André Michel, Nènèl Cassy et Marjorie Michel qui s’attribue la quasi-totalité des grandes décisions du Pouvoir exécutif. Quitte à se mettre en porte-à-faux avec les co-signataires et leurs co-légionnaires et faire paraitre Ariel Henry comme une marionnette entre leurs mains tout en se présentant devant la population comme les vrais maitres de la Transition. Parler de l’opposition politique en novembre 2021 en Haïti relève d’une gagure. Puisque, une grande partie d’entre elle se dit au pouvoir et pose des actes relevant, en effet, du domaine des pouvoirs publics. Alors qu’une autre partie tente, sans succès, de s’associer avec le pouvoir en place. Seuls les jovenelistes ou les anciens partisans du feu chef de l’Etat regroupés dans un nouveau mouvement baptisé : Rassemblement des Jovenelistes pour la Démocratie (RJD) sous le leadership de Rénald Lubérice tentent de tenir tête à Ariel Henry.
Mais, en réalité, c’est plutôt un mouvement de pression qui essaie de faire vivre les idées du défunt Président tout en maintenant la pression à travers l’opinion publique et les médias pour trouver justice suite à son assassinat. En clair, plus logiquement, si l’on veut parler de divers secteurs et entités qui s’opposaient à la présence de Jovenel Moïse au Palais national depuis son accession à la présidence du pays et ce jusqu’à son spectaculaire et horrible assassinat, on ne peut parler que de l’ex-opposition. Il reste maintenant aux leaders de ces partis politiques qui se regroupent autour du Premier ministre a.i Ariel Henry de mettre en place la nouvelle politique qu’ils entendent mener à tous les échelons de la vie nationale. En premier lieu, combattre les groupes armés et rendre la vie plus vivable qu’elle ne l’est depuis ces quatre dernières années, en attendant qu’ils confirment l’essai dans les urnes au cours des joutes électorales qui seront organisées au moment opportun. Puisqu’aujourd’hui, à travers cette Transition qui n’en finit pas, l’appareil de l’Etat leur appartient avant même la formation d’un nouveau cabinet ministériel et le changement à la tête des différentes administrations publiques du pays.
C.C