Voilà un ouvrage comme je les aime. « Anthologie des Poètes et Diplomates Haïtiens de 1804 à nos jours » de mon collègue Maguet Delva qui vient de paraître à Paris, chez Les Éditions + le mois dernier, fait partie de la catégorie d’ouvrages qui me passionne. Poésie, diplomatie, histoire, c’est un triptyque littéraire qui, sans aucun doute, a changé Maguet Delva d’échelle dans le cercle très fermé de ce qu’on appelle les grands auteurs. Surprenant ! Non, quand on connaît l’homme et sa passion pour la poésie, la diplomatie et la politique. D’ailleurs, Maguet, comme on l’a toujours appelé, fait corps avec ces trois disciplines puisqu’il est à la fois journaliste politique, poète et diplomate. Il est déjà auteur de deux recueils de poésie : L’énigme des adieux, paru en 2020 et Les Palais du chagrin, en 2018 à Paris, chez Astribonès Éditions. Mais, celui qui vient de nous faire part de cette importante et très documentée « Anthologie des Poètes et Diplomates Haïtiens de 1804 à nos jours » n’exerce-t-il pas tout autant ce métier passionnant qu’est la diplomatie ?
L’auteur, diplômé en diplomatie et Communication, vit sa passion depuis près de vingt ans qu’il occupe le poste de Responsable de Communication tantôt à l’ambassade d’Haïti, tantôt au Consulat d’Haïti à Paris. Bref, l’auteur de ce magnifique et académique ouvrage sur nos diplomates et poètes passés et présents n’est point un novice en la matière. Lorsque Maguet m’a annoncé la parution pour bientôt de son dernier livre, je m’attendais simplement à un nouvel ouvrage sur la poésie auquel il nous a habitué. En vérité, j’étais loin de penser que ce journaliste, connu pour ses articles politiques dans divers journaux haïtiens, allait nous égayer d’un document exceptionnel sur notre histoire diplomatique, diplomatie qui fut dans le temps, un modèle du genre. Celle qui montrait Haïti sous un angle différent de l’image qu’elle a aujourd’hui dans le monde.
Mieux, dans cette « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours », Maguet Delva dévoile un autre aspect d’une histoire en partie méconnue, s’agissant de ces diplomates haïtiens qui excellaient et excellent dans l’art poétique tout en faisant connaître leur pays, le nôtre, Haïti, à travers le monde avec la plus grande fierté. On a compris, à travers cet ouvrage qui restitue un pan entier du passé diplomatique haïtien qu’on ignore, que, depuis l’indépendance d’Haïti en 1804 jusqu’à la fin des décennies 80, les hommes qui occupaient cette fonction avaient non seulement une haute estime pour le pays qu’ils représentaient, mais savaient aussi manier la plume et jouer avec les vers pour le plus grand bonheur des uns et des autres. Dès l’avant-propos de son « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours », l’auteur nous a rendus nostalgiques d’une époque qu’on peut qualifier aujourd’hui de révolue compte tenu du chemin entrepris par les successeurs de ces brillants diplomates et poètes qui, en quelque sorte, étaient avant tout des citoyens engagés dans une cause, celle de la défense de la liberté et de leur « race ».
Aujourd’hui, l’on dirait de leur culture. C’étaient des littéraires, des hommes de lettres qui savaient utiliser la littérature, l’art et la poésie pour marquer leur temps. Maguet Delva, dans sa quête de mettre en lumière Haïti à travers des hommes qui étaient dans le temps à la fois diplomates, écrivains, poètes, romanciers, a fini par pêcher par excès. En effet, si l’on peut considérer tous ceux ayant fait carrière dans la diplomatie soit dans les Chancelleries soit dans les représentations diplomatiques à l’extérieur comme étant de diplomates à part entière, comme la quasi-totalité des ambassadeurs, des Chargés de Mission, des consuls et autres fonctionnaires travaillant dans diverses entités de l’Etat à ce titre sur lesquels il a fait un descriptif bien argumenté suivi de quelques extraits de leurs contributions poétiques, on a trouvé tout de même des cas qui sont sujets à question.
Il est vrai, cela n’enlèverait rien à la somme de travail, de recherche consentie pour réaliser cette « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours » qui, d’ailleurs, est en deux tomes, le second est annoncé pour bientôt. Certes, l’auteur a pris comme fil conducteur dans ses recherches toute personne ayant travaillé, écrit ou exercé dans la diplomatie à qui il a affublé le titre de diplomate, surtout si la personne en question excelle aussi dans la littérature, la poésie ou un art quelconque. On prendra deux exemples pour justifier ce tout petit désaccord avec cette conception généraliste consistant à mettre un Dr François Duvalier, certes, poète et grand auteur d’ouvrages politiques, voire scientifiques, quand on connaît sa contribution dans la vulgarisation des données ethnologiques en Haïti, sur le même pied d’égalité en tant que diplomate avec un Charles Séguy-Villevaleix, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire à Paris et naturellement un poète reconnu. Ces remarques ne concernent point la personne de Duvalier ni de ce qu’il a représenté en tant que dictateur. L’auteur soutient que le « Président François Duvalier s’intéressait à la diplomatie au point de lui consacrer plusieurs textes très élaborés » page 296.
A mon avis, le fait que quelqu’un s’intéresse à un domaine ne fait pas de lui automatique un spécialiste. N’oublions pas, François Duvalier a été, avant de devenir Président à vie d’Haïti, un très bon journaliste, voire un grand polémiste. En tant que tel, il est logique qu’il s’intéressait à un domaine auquel il entend porter des critiques ou tout simplement souligner ses faiblesses ou sa force. Tout bon et vrai journaliste connaît ce principe primaire pour écrire sur un sujet: il faut mener des enquêtes. Tous les journalistes de santé ne sont pas pour autant médecins ; tous les critiques littéraires ne sont pas forcément écrivains, idem pour un journaliste culturel qui n’est pas immédiatement un artiste encore moins un historien de l’art. Donc, j’estime que Papa Doc, en dépit de ses avis éclairés sur la question n’était pas diplomate. Encore plus surprenant, le cas de l’ex-Président Jean-Bertrand Aristide. L’auteur nous présente dans son « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours » l’ancien Curé de l’église Saint Jean Bosco comme étant de ces diplomates-auteurs. Ceci pour avoir discouru sur la diplomatie et surtout avoir été chef de la diplomatie en tant que Président de la République, page 317.
Cette approche nous interpelle non sans raison dans la mesure où être chef de l’Etat ne signifie nullement être chef effectif de la diplomatie. Et notre ami et collègue Maguet devrait le savoir et le sait forcément étant lui-même dans la diplomatie. Même dans les régimes dictatoriaux, il y a toujours une démarcation entre la politique et la diplomatie. Si le Président nomme un ministre des Affaires Etrangères, c’est justement pour s’occuper de ses relations avec l’extérieur et pour pouvoir traiter avec les diplomates étrangers en poste dans le pays. Le chef de la diplomatie d’un pays demeure le Chancelier qui, théoriquement, conduit la politique extérieure de l’Etat en appliquant la politique extérieure définie en collaboration avec le Président de la République. Selon la Constitution de certains pays, le chef de l’Etat est automatiquement le chef de l’Armée. C’est le cas en France, aux Etats-Unis et en Haïti. Celui-ci, faut-il qu’il soit militaire ou être obligatoirement issu de l’armée ?
La réponse est forcément non. D’ailleurs, en Haïti, les Constituants de 1987 ont pris le soin de spécifier : Le Président de la République est le chef nominal des Forces Armées, il ne les commande jamais en personne. Art. 143. Ceci pour dire que l’ancien Président Aristide n’a jamais été diplomate. Et pour cause. Il n’a fait aucune étude en la diplomatie, jamais travaillé dans une Chancellerie, ni dirigé une ambassade ou un Consulat, lui attribuer le titre de diplomate parce qu’il a simplement soulevé la question de la dette de l’indépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale, la France, c’est galvauder ou enlever tout le sens que ce titre de diplomate porte en lui. Certes, Dr Jean-Bertrand Aristide tout comme, d’ailleurs, son illustre prédécesseur le Dr François Duvalier, par leurs contributions poétiques, littéraires, voire artistiques ont toute leur place dans la galerie des poètes, écrivains et romanciers.
C’est peut-être un peu excessif de classer ces deux chefs de l’Etat dans le Panthéon des diplomates-poètes en dépit de l’intérêt qu’ils ont eu pour la diplomatie de leur pays par rapport aux autres pays. En tout cas, c’est mon avis. J’ai pris l’exemple de ces deux personnalités parce qu’elles sont les plus connues et plus parlantes pour le grand public. Mais, j’aurais pu prendre d’autres personnalités que l’auteur estime avoir mérité de figurer dans ce travail de recherche vu leurs contributions poétiques ou littéraires relatives au métier de diplomate. En revanche, l’ouvrage de Maguet Delva, sans le dire, nous confirme une faiblesse dans la diplomatie haïtienne et que le moins que l’on puisse dire, même si cela commence à évoluer, il en reste du chemin : l’absence de femme diplomate au cours du siècle passé. On peut penser que si l’auteur n’en a pas fait mention, c’est qu’il n’en a pas trouvé. C’est une vraie révélation. Or, des poétesses haïtiennes, il y en a, certes moins nombreuses que leurs congénères masculins. Pourtant, « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours » n’en a rapporté aucune.
C’est la confirmation de cette sorte de machisme, voire du racisme, envers la gente féminine qui a traversé le siècle haïtien qui en est la cause. Rien que pour cette révélation ou confirmation, cet incroyable document que je qualifierais de premier ordre surtout pour un passionné d’histoire et de politique comme moi, rentre dans la catégorie des ouvrages historiques méritant toute sa place aux rayons de toutes bonnes bibliothèques. Amants de la poésie, cet ouvrage je vous le conseille. Passionnés des échanges diplomatiques et des faits historiques, ce livre vous servira de guide. Car, Maguet a eu l’esprit fécond et fertile. Patiemment, il nous a présenté des extraits des œuvres poétiques de la totalité des poètes et diplomates qu’il a trouvés dans ses multiples recherches sans oublier de rapporter des anecdotes diplomatiques. C’est l’un des points forts de « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours ». Chacun des poètes et diplomates présentés est précédé d’un texte sur l’auteur en question suivi d’un extrait de ses plus beaux poèmes. C’est un travail de Titan dans la mesure où, c’est un travail, on l’imagine, fastidieux.
Mais, je le confirme, le résultat est là, près de 360 pages qui nous fournissent une foultitude d’informations sur des hommes, poètes et diplomates du passé et du présent qu’on ne soupçonne même pas. Bien sûr, la plupart, sinon la majorité, est connue des anciens étudiants, des lycéens et collégiens d’Haïti et naturellement des intellectuels haïtiens, d’hier et peut-être d’aujourd’hui, mais certainement pas de tout le monde. D’où l’intérêt d’un tel ouvrage par ce temps où la culture, dans le sens propre du terme, la connaissance et la culture générale se perdent au profit d’une médiocrité qui a tendance à se généraliser et ce, pratiquement dans toutes les familles. Maguet Delva, avec son « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours », fait un travail d’historien en nous apportant une œuvre qui vient nous rappeler ce qu’était jadis notre beau et si singulier pays que certains ont tendance à oublier. L’auteur vient réparer ou combler ce vide sur la diplomatie d’Haïti qui fut dans le passé une diplomatie de prestige, de compétence et de dignité.
Car, l’honneur et l’amour de la patrie étaient les deux points saillants qui ont conduit ces hommes, ces poètes et ces diplomates à porter la fierté haïtienne, la couleur d’Haïti aux plus hautes marches des grandes capitales mondiales. Avec cet incroyable document retraçant le parcours de notre diplomatie avec ces génies fiers de leur pays, Maguet Delva vient de rendre ses lettres de noblesses à ce qu’on croyait à jamais oublié. Si vous voulez découvrir ces poètes et diplomates d’Haïti qui ont fait l’histoire, il ne me reste qu’à vous recommander cet invraisemblable document qui fourmille de références dignes d’un ouvrage fraternel qu’a produit le journaliste et diplomate Maguet Delva. En tout cas, je vous invite à faire ou refaire connaissance avec : Luc Grimard, Duraciné Vaval, Pierre Faubert Fils, Juste Chanlatte, Charles Moravia, Roussan Camille, Jacques Roumain et plein d’autres poètes et diplomates d’hier et d’aujourd’hui que vous connaissez peut-être ou ignorez sans doute ! « Anthologie des Poètes et Diplomates haïtiens de 1804 à nos jours » tome I, Les Éditions +, Paris, 2023